Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes

Interview imaginaire

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Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes - 1983 

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La solitude ça n'existe pas (2)

Interview imaginaire

Question : Nous faisons une enquête sur le célibat chez les hommes et nous cherchons à savoir si pour eux cela représente plutôt : une période de leur vie, un idéal, un piège, une façon d'arranger leur vie en société, quelque chose de redoutable ou, au contraire, un état de béatitude. Qu'en pensez-vous vous-même ?

Réponse 1 : Je pense que ta question est un peu longue, et plutôt floue. Mais enfin, pour essayer d'y répondre, je peux te dire que pour moi le célibat c'est avant tout une forme de lutte contre les chaînes du mariage — ou ses équivalents — c'est-à-dire aussi contre cette forme d'embrigadement par laquelle se reproduit la société marchande et qui la perpétue au même titre que l'usine, la famille, l'armée, l'école. D'autre part, le fait d'avoir choisi de vivre célibataire me permet d'avoir des rapports égalitaires avec les femmes, que ce soit sur le plan sexuel ou sur d'autres plans, ce que ne permet pas à mon avis le mariage, parce qu'il est fondé sur l'idéologie du patriarcat.

— Et la communauté ?

— La communauté, en tout cas la vie communautaire telle qu'elle a été à la mode dans les années 70, a produit à mon avis une autre forme de mariage, à savoir le concubinage militant, vieux reste d'une mythologie gauchiste bêlante en voie de disparition (rires). Disons que pour moi, c'est ce que ce genre de communautés sont devenues : des associations de couples, futurs vieux couples qui seront critiqués par leurs enfants de la même manière que nous avons critiqué nos parents en 68.

Réponse 2 : Ah ! le célibat ! eh bien, je suis très heureux que vous me posiez cette question. Oui... c'est très important ça. Voilà, eh bien je vais être obligé de faire un petit retour en arrière, car pour vous le dire franchement... euh, on peut se tutoyer, d'accord ?... Eh bien le célibat pour moi c'est de l'histoire ancienne ; je me suis marié avec Jeanine à vingt-quatre ans, c'est te dire. Eh bien, pour reprendre une de tes formules, le célibat ce fut plutôt une période, voilà... comment dire, une période... pénible c'est sûr, mais féconde tout de même puisqu'elle m'a conduit à épouser Jeanine finalement. Enfin, ce n'est peut-être pas cette période en soi qui est responsable de cet aboutissement, mais... A vrai dire il faut remonter plus loin. Je vais essayer d'être bref. A cette époque là ma période célibataire je sortais d'une histoire assez...enfin, j'étais très jeune à l'époque, l'étudiant frais émoulu, tu vois, et je me suis entiché d'une fille... une fille à la fois superbe, très très belle, presque un rêve à l'époque pour moi, et puis en même temps — je m'en suis aperçu peu à peu en vivant avec elle dans un appartement — complètement cinglée ! Remarque, moi aussi j'étais cinglé... d'elle (rire), c'est pour ca d'ailleurs que je ne me suis pas rendu compte tout de suite qu'elle l'était vraiment, cinglée, elle.

— Comment ça ?

— Ah ! comment dire ?... (silence). Enfin, elle était nymphomane je crois, on ne faisait que baiser, la nuit, mais aussi le jour parfois, je garde le souvenir de quelque chose d'insensé. J'étais complètement sous l'influence de son corps, un corps d'une beauté parfaite. C'était presque devenu une drogue avec elle la baise, j'étais rentré complètement dans son jeu, dans son univers de baise. Il n'y avait rien d'autre que la baise... pour elle, baiser, sortir en boîte, s'acheter des fringues, etc. La vie trop facile, quoi. Tout mon argent de poche passait dans cette liaison. J'avais beaucoup de mal à préparer mes examens, ça va sans dire (rire qui s'interrompt brusquement). Et puis un moment je me suis ressaisi, j'en ai parlé avec ma mère — une femme très libérale, je dois dire —, sans elle je crois que je filai droit vers la folie, l'alcoolisme ou un désastre quelconque. Alors au bout de six à huit mois de ce scénario-là, j'ai fini par me décider à rompre avec elle. Mais ça a été dur, tu peux me croire, mais un jour je me suis dit : tu ne peux pas continuer à passer ta vie à baiser avec cette fille. D'autant que ce qui devait arriver arriva ; elle est tombée enceinte ; je l'ai alors fait avorter, avec l'aide financière de mes parents — qui, je dois dire, se sont montrés très chouettes, très compréhensifs à ce point de vue — et puis je lui ai annoncé que je voulais me séparer d'elle, j'ai inventé je ne sais quel prétexte. Elle est retournée vivre chez ses parents. Quant à moi, j'ai pris un studio — assez minable je dois dire — dans le Marais, et j'ai alors découvert la solitude, le célibat, une solitude terrible au début, et pendant assez longtemps à vrai dire, terrible parce que finalement j'étais resté attaché à elle. Elle me manquait, aussi bizarre que ça puisse me paraître maintenant. J'ai donc passé deux années totalement célibataire. C'était comme une période de retraite pendant laquelle j'essayais de me remettre de cette histoire en travaillant sagement mes examens. Ma mère m'a beaucoup aidé pendant cette période, je dois dire, elle m'a compris.

— Finalement tu gardes plutôt des bons ou des mauvais souvenirs de ta période célibataire ? Quel bilan en tires-tu ?

(Un gamin joue tout seul aux soldats sur l'épaisse moquette gris souris. A plusieurs reprises, il vient relancer son père : " Papa ! tu as dit que tu jouerais avec moi ! ")

— Ah écoute, Stéphane, tais-toi un peu maintenant ! Je parle avec le monsieur, tu vois bien...

(Stéphane se met à pleurer)

Jeanine ! (il appelle sa femme) Est-ce que tu peux prendre Stéphane avec toi dans la cuisine ? Il n'arrête pas de nous ennuyer. (A moi :) il est vraiment désagréable aujourd'hui. Je m'excuse, tu disais ?...

— Je te demandais si tu n'avais que des mauvais souvenirs du célibat, quel bilan tu en tirais.

— Non, pas que des mauvais souvenirs, il ne faut pas dramatiser, je... (Jeanine arrive, me salue poliment, vient me serrer la main). Ah, Jeanine, tu es gentille, il n'arrête pas aujourd'hui, je ne sais pas ce qu'il a. (Jeanine empoigne vigoureusement le gamin braillant sous le ventre et l'emmène à la cuisine.) Non, pas que des mauvaises choses ; je veux dire... tu vois, je retrouvais peu à peu la vie normale de l'étudiant avec tous ses à côtés, les copains, les boums, les putes de temps en temps pour nous marrer un peu... Ceci dit, pour être sérieux, je dois dire que cette période m'a permis de mûrir surtout. J'étais passé par un mauvais cap, et la vie célibataire après cette histoire m'a permis de voir plus clair, d'envisager plus lucidement mon avenir aussi. J'ai véritablement mûri dans le sens où j'ai finalement réussi à sortir, je dois dire, de cette histoire qui était à la fois très troublante pour moi et très puérile, ce qui n'exclut pas, j'en reste persuadé, qu'elle était très dangereuse pour mon équilibre. Je dirais que cette période transitoire de célibat m'a permis de rencontrer une femme comme Jeanine, qui est quelqu'un d'extraordinaire, pleine de générosité, d'attention. Et depuis notre mariage, je vis bien, je suis équilibré en somme. Mais enfin, ceci est une autre histoire...

— Oui, merci.

Réponse 3 : Je suis en plein dans le célibat. Je peux dire jusqu'au cou. Je n'en sors pas. Je n'arrive pas à vivre avec une femme. J'ai peur de l'enfermement, d'être étouffé par la femme. L'idée d'avoir un enfant me dégoûte. Absolument. Je ne VEUX PAS d'enfant. Je ne veux pas me prolonger, ni voir ma reproduction dans un être qui geint toute la journée. Je sens ma vie comme un échec, et c'est pour ça que je suis célibataire. C'est comme un destin, une fatalité. Déjà enfant, je savais que je ne pourrais pas me marier. Je me retrouve tout à fait dans toute l'œuvre de Kafka. Avant, c'était Lautréamont, Rimbaud, des gens comme ça ; maintenant c'est Kafka, et jusqu'à la fin de ma vie, je pense. Je suis persuadé que je ne suis pas normal, mon univers est un cercle de plus en plus fermé. Et je sens bien que le sexe n'est pas fait pour moi.

— Vous n'avez pas de relations sexuelles ?

— Avec des prostituées ça m'arrive. J'essaie de garder la même car j'ai comme un soulagement... un soulagement moral à rester avec la même. J'ai l'impression de réaliser ce que je ne peux réaliser avec les autres femmes.

— Vous connaissez la revue Types ?

— Oui, je l'ai feuilletée, mais ça ne m'intéresse pas.

— Pourquoi ?

— Parce que ça parle des relations entre hommes et femmes. Et ça ne m'intéresse pas les relations entre hommes et femmes.

— Vous lisez des revues homosexuelles ?

— Non, je suis célibataire, pas homosexuel. Maintenant je n'ai plus envie de répondre à vos questions. J'ai dit ce que c'était pour moi le célibat. C'est tout.

Réponse 4 : Le mot célibat est un peu ambigu, ou vieillot. Pour moi, ça s'oppose à condition de marié. Et je ne considère pas faire partie ni des mariés — parce que je ne suis pas marié — ni des célibataires parce que... je trouve qu'il y a une connotation péjorative là-dedans, ou honteuse. En fait ça me fait aussi penser à l'exclusion du monde des femmes (ou du monde des hommes dans le sens inverse) et, dans ma vie, dans mon quotidien, dans mes joies du moins, je me sens très proche des femmes mais je ne pourrais pas supporter de vivre en concubinage. J'ai des amies très chères, avec qui je fais l'amour ou pas, ça dépend.

— Ça dépend de quoi ?

— Hein ?... De quoi ça dépend ?... Ah ben... C'est difficile à dire comme ça en deux mots, et surtout en mots tout court (rire)... Je ne sais pas... Ce n'est pas seulement le désir en tout cas. Le désir sexuel ne suffit pas ; Parfois c'est une circonstance imprévue qui nous amène à faire l'amour, la maison où on se trouve, une journée passée à marcher dans la forêt sans dire grand-chose, un film qu'on vient de voir ensemble, qui nous a marqués ou beaucoup fait rire, ou encore une longue discussion tendre. Enfin, plein de circonstances incodifiables, quoi. Oui, c'est imprévu en fait, presque toujours.

— Et comment vis-tu la solitude ?

— J'ai besoin de la solitude. Pour mon travail, çà c'est évident. Sans solitude je ne pourrais pas peindre. Mais aussi pour ma vie de tous les jours ; ça me permet de mieux réfléchir, d'analyser ce qui se passe en moi, de comprendre mes désirs et mes non-désirs, et finalement j'ai besoin de tout ça pour peindre mes toiles. Je ne peins pas tout le temps évidemment. Il y a des périodes creuses, mais même pendant ces périodes creuses j'ai besoin d'être seul. En plus, la solitude, sur le plan social, humain en général, me permet de faire aisément des rencontres nouvelles, de renouveler mes relations librement, de vivre avec plus de disponibilité mes relations avec un tel ou une telle, mais aussi, surtout, de me créer des amitiés assez solides, qui ne sont pas gênées par le sexe — je veux dire des relations sexuelles exclusives —, par avoir un enfant, s'en occuper, etc. Et puis le concubinage, ou même la cohabitation, non. Non, parce que je ne pourrais pas supporter de faire chier les autres avec mes flips. Et j'en ai de temps en temps. A ces moments-là, je préfère me mettre à peindre toute la nuit, ou si je n'y arrive pas, faire appel à des solutions de rechange, prendre des somnifères, passer la nuit au Déjazet ou ailleurs. Mais je préfère tout ça plutôt que d'en parler, sur le moment je veux dire, à quelqu'un. J'évite de me confier à chaud. Je peux en parler de mes flips, mais après, une fois que la crise est passée. Voilà.

Bernard Golfier

 

Le manque

Au départ, il y a quelque chose de très précis, de très déterminé : un creux au creux de la poitrine, au plexus solaire, cet endroit tout à fait en haut du ventre juste en dessous où se rejoignent les côtes. Un creux, un vide. Toute la question est là : " Qu'est-ce que je puis en faire ? " Une première idée est de tenter de le remplir.

La bouffe : Il essaie de faire remonter son ventre : une fois la bedaine pleine, il n'y a plus qu'à se reposer ; ajoutons-y un peu d'alcool et l'oubli semble être garanti. Il boit de la bière de maître Kanter, mange de la bouillie toute préparée par mamie Nova et de la compote signée " Materne ". Il n'a pas des repas très élaborés, et les menus sont trop menus pour compenser sa panse. Il est grand consommateur de pain et de pâtes mais il préfère manger à l'extérieur ; à la cantine ou au resto. Autrement dit, il aime bien qu'un " On " lui prépare à manger.

L'amour : Il rêve de l'amour qui viendra, de celui qui le sauvera, de celle qui se collera à sa peau qui se collera à son cœur ; comme ça le trou ne se verrait pas. Il espère mais ne fait pas vraiment ce qu'il faut pour aller vers là. C'est qu'il a peur.

La peur : C'est que le trou se voit ; qu'il soit découvert avec son trou ! Du même coup, les autres, elles sentent cela et fuient à toutes jambes ce trou que ni lui, ni elles, ne se résolvent à voir. D'ailleurs si une d'entre elles acceptait la tâche de s'occuper vraiment de ce vide, il fuirait lui aussi. Il aurait trop peur ; il se sentirait piégé, dépossédé. Pensez donc ! il serait, pour vivre, dépendant du désir d'un(e) autre. Il préfère rester et avoir comme bourreau sa propre image de lui plutôt que celle d'une autre personne vivante et différente.

Le vieux gouffre : Au fil des années, il s'aperçoit qu'il n'est pas comme tout le monde ; il est un peu inadapté, dirait-on. Le mirage du célibataire aventurier s'est envolé vers les contrées les plus reculées de ses pensées. Il ne reste plus qu'une image : celle de la déchéance du vieux garçon : il a l'impression d'avoir, consciencieusement, besogneusement, au fil des jours, raté sa vie. Image, on ne peut plus désagréable, d'un trou qui se termine en gouffre.

Les habitudes : Ici, il n'est plus question de rêver, d'être un jeune beau. Il faut parer au plus pressé, barricader l'entrée du gouffre pour empêcher que tout se fissure, se casse et se fracasse. Comment faire, sinon placer dans les murs et la façade des parties métalliques et des poutrelles en béton armé pour assurer la rigidité du tout ? L'habitude en est le vecteur privilégié : plus elle est forte, régulière et mieux elle est adaptée. Loin d'être une sclérose, c'est le médicament, la drogue qui s'injecte à petites doses massives. Il n'y a plus peut-être que la scoliose de la charpente pour permettre de maintenir l'équilibre in extremis.

Maman ! Avec son trou à combler, il ne se vit pas comme un homme, un vrai, mais plutôt comme une femme. On dit parfois de lui qu'il est quelque peu passif et efféminé. Il attend que ça vienne, qu'un " elle " vienne le remplir, lui redonner des joies telles que celles qu'il a connues autrefois dans son jeune temps. Alors comme c'est un garçon sage, il continue, il attend sa maman.

Éternelle maman !

Jean-Louis Le Grand

 

Le trépan baroque

Sur les murs d'octobre, notre affiche était collée depuis quelques années, nous n'avons jamais osé la décoller. Nous avons cru que la colle tiendrait plus longtemps, et maintenant je suis seul, tout seul, dans ce lit devenu trop grand pour un cœur à l'étroit. Je ne pleure pas, je ne pleure plus. Je traîne mon ennui de pièce en pièce. Pourquoi ? Elle m'aime dit-elle, et pourtant elle n'est plus là, ce " petit bout de femme " au cœur grand comme ça.

Vade retro Pierre-Yves...

Nous nous disions des mots doux, des mots durs, des mots qui font mal. Nous n'avons rien construit, cela me fait mal, tu souris, tu t'en moques, je m'angoisse pour rien réponds-tu ! Je me sens faible, tout petit, la peur d'avoir perdu...

Tu souris, tu dis que rien ne va changer, alors pourquoi se séparer, je cherche des excuses et je refuse de comprendre et je m'incruste à me faire haïr. Nous nous sommes déjà séparés, tu m'as appelé et j'ai fait en sorte que tu m'appelles. Non, ce n'était pas par orgueil. Je suis revenu, mes colères ont repris, ton inconstance aussi.

Tu es là, tu me souris, tu te moques de moi, j'ai besoin de nous. Notre couple ? quel couple ? je me pose des questions, suis-je normal ou n'ai-je rien compris ? Entre nous, cela n'a jamais été le coup de foudre, seulement une émotion étrange, une étrange langueur.

Un jour, l'accident sens propre, sens figuré, j'ai la jambe blanche de plâtre, tu viens et tu restes, le chez moi est devenu chez nous. Qu'est-ce qui a cassé entre nous et en nous. Pourquoi ce ras-le-bol du couple et de ses obligations, ce ras-le-bol de laver notre linge sale en famille, ce ras-le-bol de partager la même salle de bain. Cet enfant qui ne sera jamais le mien, ce cœur que tu partages si mal, ton inconscience, tes angoisses que je n'ai pas toujours voulu comprendre, et surtout la haine du quotidien, le décalage de nos vies, jamais ensemble, toujours au téléphone, moi le matin, toi le soir, les petits mots sur la table de la cuisine, la vaisselle pas faite, le lit toujours chaud, nos goûts divergents, nos mesquineries, tes pleurs que je ne veux pas lire, pas traduire, mes colères que tu ne veux pas saisir... Tous ces petits riens qui nous usent et nous détruisent.

Je ne sais plus si j'ai envie de te revoir, j'ai le cœur à l'étroit, tout est encore trop chaud, tu me manques, mais ce n'est pas toi qui me manques, c'est la fille qui m'a aimé et que j'ai aimée, c'est la fille avec qui je parlais, avec qui je dormais, c'est la fille qui... je ne sais plus, je ne veux plus savoir, c'est devenu de l'histoire ancienne, il faut tourner la page. L'encre devient pâle...

Je me surprends à aimer ma solitude, à " assumer " mon célibat, je n'ai pas le choix dira-t-on, je me sens mieux, comme libre, je marche dans la rue et je regarde les femmes-filles que je croise ou qui me précèdent. J'aime leurs yeux qui me troublent, ces hanches qui s'en balancent de moi, leurs lèvres que je voudrais embrasser, leurs regards qui me chavirent et se moquent de mes larmes.

Ta jalousie que je n'ai jamais pu supporter, mes désirs que tu n'as jamais cherché à comprendre, ce besoin de se rassurer, de montrer que l'on est vivant, que l'on peut plaire et pas seulement à sa " petite Amie ", ce besoin de respirer, et de ne plus être assisté. Je me sens bien, je me sens mieux, je SUIS.

Pierre-Yves Menkhoff

 

Mon copain est de sexe féminin

Je partage le pain avec Germaine qui est une femme mais que j'appelle Germain parce que c'est mon copain, le seul, l'unique. Qu'il soit de sexe féminin me réjouit, me fait jouir l'œil, l'oreille, les mains, la bouche et le sexe, mais tout ça aurait pu aussi bien jouir avec un copain de sexe masculin, comme ça m'est déjà arrivé au hasard des partages. Expériences faites, je sais que le langage des personnes en relation de partage total (partage non seulement du pain mais encore " des idées " sur tout : sur la vie en général et la vie humaine en particulier) passe les frontières sociales, notamment sexuelles, en se moquant autant de l'hétéro que de l'homosexualité et en se riant de l'inceste car le partage n'a pas d'âge, ni de sexe, sensationnel qu'il est en toute communication.

Faire l'amour jour et nuit — comme il est naturel de le faire quand on s'aime, qu'on aime se voir, s'entendre, se toucher, se goûter à propos de rien et de tout : du jardin à cultiver, de la cuisine à faire, de la table à mettre, du repas à prendre, de la vaisselle et du ménage, de la lessive et du reste ... du bain, de la promenade, bref de tout ce qui soudain se fond en fusion sexuelle exprimant le partage (inexprimable par tout autre moyen d'expression) — devient enfin permis à des personnes de sexe semblable, c'est-à-dire à deux hommes ou à deux femmes, sans que ça devienne interdit à les personnes de sexe différent.

Plus heureux encore, ça devient permis à des personnes d'âge si différent que l'une pourrait être l'enfant de l'autre (image de l'inceste définitivement dépénalisé par la contraception levant le tabou), sans que ça devienne interdit à des personnes d'âge semblable, autrement dit : dont aucune des deux ne pourrait être l'enfant de l'autre.

Donc, Germain est une femme qui partage tout avec un homme (moi) qu'elle appelle Claude, prénom bi-sexuel ou mixte tel les nouveaux vêtements dits " unisex " taillés pour les " je-m'en-foutistes " en salopette anti-drague. Or, cette femme-là (au jardin, sous la fenêtre de la chambre où j'écris ce matin) n'a pas de copine, ce qui fait que je suis pour elle une copine, l'unique, la seule : sa copine de sexe masculin. Certes, ma différence sexuelle la fait également jouir de partout puisque manifestement tous ses sens se réjouissent d'être en compagnie d'un homme, mais ne se réjouiraientils pas autant d'être en compagnie d'une femme aussi aimée si d'aventure le partage s'était fait ainsi : homosexuellement ou même homo-inces-tueusement  ? Les preuves abondent depuis la dépénalisation de l'homosexualité et suffisent pour affirmer en réponse : oui, l'amour dont on disait jusqu'à présent qu'il n'a pas d'âge n'a désormais pas de sexe ! (Ce qui n'est pas trop tôt, mais il vaut mieux tard que jamais.)

Quelquefois pour rire ensemble de la tête des gens, je leur présente Germaine en disant : " Germain, mon copain ! ", ou elle me présente en disant : " Claude, ma copine "... Ce qui trouble autant les jeunes que les vieux trop sexués pour apprécier l'inversion. Et nous rions à crever quand par chance on tombe sur des gens qui trouvent ça tellement louche que ça les fait loucher d'embarras.

Claben

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Revue TYPES  5 - Paroles d’hommes - 1983

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