Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes

Carnet de bal (2): Belle, belle, comme. ..

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Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes - 1983 

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Carnet de bal (2): Belle, belle, comme.      .  
 

En fait, j'ai longtemps considéré ou ressenti que la beauté ou la laideur était quelque chose de naturel contre lequel on ne pouvait rien, ou qu'on ne pouvait que subir, qu'on en souffre ou qu'on en bénéficie.

Pendant longtemps, je n'ai pas eu les moyens intellectuels d'analyser, de comprendre, donc de pouvoir surmonter et détruire ou atténuer la force du stéréotype.

Le mien, en ce qui concerne la beauté féminine, a été la grande blonde aux yeux bleus avec de longs cheveux blonds, à la fois svelte et bien en chair, avec de longues cuisses et de gros seins. Cela s'est gravé dans ma tête lorsque je voyais sans comprendre les mecs baver ou délirer devant Marilyn ou autres.

Le nez de Cléopâtre

Quand j'avais dix-huit ans, je faisais une première distinction très nette chez les filles entre " Boudins " et " Pas Boudins " ( " Boudins " équivalant à peu ou pas d'échange possible sexuellement, et même affectivement en définitive).

Et je faisais une deuxième subtile distinction dans les " Pas Boudins " en distinguant " consommables ", " belles ", et enfin au sommet " celles qui avaient de la classe " encore plus et pas forcément belles, une manière de marcher, de réagir, de parler, de sourire. Une façon de paraître bien dans sa peau... Marlène Dietrich...

Un jour, j'entendis un prof parler de la notion de beauté au Moyen-Age et dire qu'à cette époque, d'après les textes que nous possédons, un gros et long nez était considéré comme beau sur un visage " comme le clocher d'une grande et belle église n'a jamais enlaidi un village ".

Cela a été un point de départ et une révélation, cela m'a profondément marqué, parce que c'était la première fois que la notion de relativité de la beauté m'apparaissait (aussi nettement).

Sans doute parce que j'avais profondément ressenti le drame de Cyrano de Bergerac, je m'étais vécu un peu comme un Cléopâtre au masculin : j'avais tendance à penser que si mon nez avait été moins gros, le monde... n'aurait pas été changé, mais ma vie certainement. Fallait-il que je sois conditionné pour que ces préoccupations tiennent tant de place !

Aujourd'hui, il m'est devenu évident que la beauté est relative. Essayez d'imaginer Catherine Deneuve ou Marlène Jobert dans un tableau de Fragonard ou de Degas, par exemple. Quel ridicule, ou plutôt quel déphasage entre deux époques, entre deux modèles de beauté ! Quelles difficultés psychologiques dues aux modèles de beauté seraient évitées si on comparaît plus souvent ceux en vigueur à une autre époque ou dans d'autres lieux.

On peut penser à bien d'autres exemples : l'utilisation des cerceaux pour gonfler les robes, les publicités pour les fromages de Hollande ou le gavage des filles à marier dans des pays musulmans. Et ceci renvoie bien souvent à des comparaisons dont nous ne sommes pas conscients. Une analyste me disait que, pour elle, la préférence des hommes pour les blondes exprime symboliquement l'attirance pour le " nord ", le soleil, la richesse, par opposition à la brune associée au " sud " et à la misère.

Ces normes qui nous aliènent

Pourtant, même maintenant, ce n'est pas encore si clair. Au-delà de ce que je peux m'expliquer dans mes raisonnements critiques, je n'éprouve vraiment de sérénité que lorsque je ne fais pas de comparaisons. Je n'arrive pas bien à assimiler cette différence, cette dichotomie entre la beauté et le charme, entre le choc visuel immédiat et celui qui se dégage de l'observation de la vie. Sans doute ai-je moi aussi au fond du regard, dans les profondeurs de mon esprit, la supériorité du paraître sur l'être. Elle y a été imprégnée en toile de fond par les clichés supposés incarner la beauté, comme un cadre dans lequel sont venus se placer les héros de cinéma et de la télévision.

Au fond, ce que j'accepte pour les autres, ce que je vis dans mon regard — à savoir qu'existent des normes esthétiques avenantes qui ne sont que des critères pour définir un modèle socialement valorisé à un moment donné et culturellement dominant en nous empoisonnant la vie et ce que nous pourrions vivre —, je suis incapable de l'admettre quand il s'agit de moi.

Cependant, dans ma vie, j'admets pleinement, et je le vis, le droit à la différence, la richesse de la diversité. Je peux vivre avec des femmes très différentes de ce que je considérais comme mon " canon " de la beauté féminine. A l'opposé même parfois. Pour mes relations avec les femmes, c'est un gain immense. Je trouve du charme à des seins à la " japonaise " et éprouve du plaisir et plein de sensations au lieu de rejeter ce qui pourrait naître avec le verdict : " elle est sèche ", comme je l'aurais fait autrefois, quand j'étais jeune... et très influençable (moi qui pensais le contraire).

Il m'arrive de trouver un étrange pouvoir de séduction à un visage qui n'a pas " un profil de médaille ", alors qu'à une époque je ne comprenais vraiment pas comment Monica Vitti pouvait avoir du succès comme sex-symbol. L'érotisme était pour moi caricaturalement conforme aux normes masculines dans des parties du corps stéréotypées. (N.B. Quand je dis masculin, cela ne veut pas dire que les femmes ne puissent pas le subir.)

Il n'est pas facile de ne pas être influencé et de se défaire, si on ne relativise pas, de ces sex symbols qui influencent ou déterminent la façon dont nous nous ressentons physiquement. Les stéréotypes existent, dans les médias, dans la littérature, au cinéma, et ils ne nous sont pas imposés, comme on cherche à nous le faire croire, que pour en arriver à ce que l'art soit aussi " beau " que possible. En fait, on veut nous faire croire qu'en général seul ce qui est rare est beau et qu'il faut apprendre la résignation parce que le bonheur n'est pas de ce monde sauf pour quelques rares privilégiés. Que la vie est une suite d'épreuves diverses et variées qu'il faudrait subir et se contenter de ce que l'on a, même si ce n'est pas grand-chose. Vivre dans un malaise qui devient inévitable. Être un tyran domestique, par exemple, c'est se réserver un petit pouvoir minable, mais quasi absolu, qui ne compense pas celui que la plupart subissent mais qui permet au moins d'y goûter un peu et de compenser ou de s'en donner l'illusion.

Combien de malaises sournois, de frustrations perfides trimbalés par des images qui prétendent apporter la détente, le dépaysement, des instants qui se veulent de bonheur, et qui en fait contribuent elles aussi à faire de la réalité une épreuve, un jeu truqué.

Et qui nous met cela dans la tête ? Ceux qui ont intérêt à ce que cela se passe ainsi pour asseoir leur pouvoir, le prestige et la richesse qu'ils détiennent.

La solution est ailleurs. Ne plus ressentir la différence comme un handicap. S'accepter comme on est... physiquement. Ce n'est pas la peine de se taper la tête contre des images qui ne peuvent être que dévalorisantes. Elles sont faites, entre autres, pour cela. C'est de la folie d'attacher autant d'importance à un détail si peu important. Mais cette folie est soigneusement organisée. Elle n'est ni accidentelle, ni inévitable. Elle résulte d'une façon de vivre et de penser. On transforme les individus hommes et femmes en objets. Dès lors, l'apparence prend de l'importance et cache souvent le néant, sans que cela pose problème. C'est la porte ouverte aux pires absurdités.

Bernard Berthier

 

Le refus n'entama pas son désir

" L'amour est pure absence le reste n'est qu'ersatz, je pense. " (Sapho)

La voiture était vide. Il rentrait de nuit d'Allemagne vers Paris, où le lendemain matin il devrait travailler. Le long moment d'inaction à venir, où il ne pourrait que suivre la suite monotone des balises de l'autoroute, lui plaisait. Ce serait plusieurs heures du plaisir de l'ennui que seuls les longs trajets procurent.

Lui et son amie venaient de passer une semaine ensemble. Pendant six mois elle avait été absente, voyageant en Afrique noire. A nouveau ils se séparaient, momentanément, espéraient-ils tous deux.

Yves fit glisser la voiture le long d'une piste d'essence et chercha du regard d'éventuels auto-stoppeurs. Une jeune fille, sans lever le pouce, lui fit signe de la main, comme un salut amical. Elle monta avec un garçon. Ils allaient tous deux à Paris. Lui était suédois, et voulait rejoindre le pays basque. Elle, venait de Berlin et voulait atteindre au plus vite l'Océan, n'importe où. Elle s'appelait Veronika, mais préférait Véronique, à la française. Ils se dirent cela, puis ne parlèrent plus !

Roissy, périphérique Est. A cinq heures ils passèrent Porte Dorée devant le musée des Arts Africains et Océaniens et entrèrent dans la ville. Les deux passagers se réveillèrent un peu ; et comme il était très tard, Yves leur proposa de dormir chez lui.

Ils se séparèrent le matin. Le suédois continuait sa route. Yves reprit son travail, et Véronique, voulant rester un ou deux jours à Paris, partit s'installer ailleurs.

Cependant Yves et Véronique se revirent les deux soirs suivants ; ils mangeaient avec d'autres garçons et filles. Tous deux s'entendaient bien ; discutaient longtemps de leurs activités ou de leurs préoccupations. Ils riaient ensemble.

Le troisième jour, Yves en la raccompagnant, lui dit qu'il voulait faire l'amour, avec elle. Elle ne voulait pas.

Véronique arriva le lendemain avec son bagage et lui annonça que ne voulant pas quitter Paris aussitôt, elle s'installerait maintenant ici, chez lui.

Ils vivaient maintenant ensemble, sans être amants. Le mois de juillet était très chaud et presque chaque jour Yves retrouvait Véronique dans une piscine du 13e arrondissement. Elle y passait plusieurs heures installée au soleil, à lire ou à écrire. Ils se baignaient, sans se côtoyer : elle nageait beaucoup mieux que lui qui préférait rester au fond de l'eau jusqu'à ce que le manque d'air l'expulse vers la surface. De loin en loin ils se rejoignaient, Yves regardait le corps de Véronique dans l'eau.

D'autres fois, Véronique l'attendait à midi, à la sortie du travail .Ils exploraient le Jardin des plantes, prenaient un thé dans la cour de la Mosquée. Véronique lui racontait sa vie, ses amours ou ses angoisses, ses derniers rêves qu'elle avait notés le matin. Elle écrivait beaucoup, sur un grand cahier ordinaire, d'une écriture large et rapide. Yves parlait aussi, mais ne connaissait pas cette franchise avec laquelle Véronique lui livrait son être intime. Cependant, il commença à se rappeler de ses rêves ; Véronique en riait, comme si elle en avait d'un coup percé le sens.

Le matin, ils prenaient parfois le petit déjeuner sur les bords de la Seine. Ou y traînaient leur vie à la tombée de la nuit en sifflant lentement une bouteille de Beaujolais. En quelques jours, cette vie devint réglée, mais aucun d'eux ne cherchait à en briser le rythme. Au début Yves voulait lui montrer la ville, imaginer chaque soir une occupation nouvelle, dîner dans les restaurants, visiter ceux de ses amis que les vacances n'avaient pas chassés de la ville ; en somme, charger d'une intensité artificielle sa vie à Paris, pendant le séjour de Véronique. Ils mangeaient maintenant à la maison, où Yves préparait les quelques plats qu'il connaissait ou qu'il aimait. Ils échangeaient leurs goûts, leurs gourmandises, leur relation à la nourriture.

Chaque jour, Véronique reportait son départ. Quand lui travaillait, elle disparaissait dans la ville et il ne sut jamais très bien ce qu'elle y faisait ; ils se racontaient peu leur journée. Ils passaient le reste du temps ensemble, vivaient la tendresse des vieux couples d'amoureux dont la vie commune n'a pas altéré les caresses. Mais aussi l'inquiétude des amants qui ne se sont encore jamais enlacés.

Il fixait ses lèvres épaisses au moment où elle allait partir. Parfois elle posait un baiser rapide sur ses lèvres à lui, avant de disparaître. Le refus n'entama pas son désir ; Yves lui en fit part à nouveau. Cette assiduité n'entama pas son refus à elle. Ce désir et ce refus entre eux ne les séparèrent pas. Explicites, ils devinrent le lien même qui les unissait.

Leur intimité au contraire se resserra. Ils partagèrent jusqu'à la nudité même de leur corps, dans l'exiguïté quotidienne de la chambre et la canicule de juillet. Non la nudité de la camaraderie, mais celle-là même des amants où son propre regard, le regard de l'autre, aiguisent le désir de chacun. Ils dormaient proches l'un de l'autre, séparément (Chacun délimita son territoire, sans que l'omniprésence de l'autre n'entame leur ouverture mutuelle).

Yves avait aimé tout de suite en Véronique la manière lente et posée de raconter des histoires, d'écorcher tendrement les phrases du français, le sourire ténu qui ponctuait ses déclarations ou soulignait son plaisir ; son corps large et plein sous la peau mate, le léger duvet brun sur sa lèvre supérieure.

Il se mit à aimer profondément Véronique sans qu'il sache, aujourd'hui encore, ce que signifiait ce " profondément ".

Exempté maintenant de lui plaire, il écoutait chaque mot des histoires ou des rêves qu'elle lui livrait. Libéré des secrètes convoitises, il pouvait parcourir le corps de Véronique sans craindre de rencontrer son regard.

Il parla de la manière dont il la désirait, son attirance pour les femmes, l'attraction minutieuse qu'il éprouvait pour leur corps. Véronique lui apprit comment elle percevait le regard des hommes, leur insistance ! Elle dit la manière dont elle les désirait. Elle dit aussi qu'elle aimait être désirée sans être poursuivie.

Ils parlèrent de ce qui les unissait, de ce lien, d'absence, entre-eux. Peut-être est-ce cet espace vacant, ou ce lieu plein, qui retint de jour en jour Véronique à Paris.

Puis les vacances de Véronique furent finies. Au même moment l'amie d'Yves revint à Paris. Ils devaient partir tous les deux en Bretagne. Ils amenèrent Véronique jusqu'à la première station d'essence sur l'autoroute.

Pierre Le Louet

 

Histoire d'amour fugace

" Pas plus de signature que d'alliance au doigt non, on n'est pas marié mais on se sent pas coupable on vit bien ensemble et pis on s'complète. " Charlélie Couture)

Histoires d'amour fugaces.

Histoire de partager un lit

Où y a un peu trop de place pour un.

Pour un " p'ti paradis "...

Non, ce n'est plus la même chanson, les histoires de rencontres célibataires ne me font plus bander comme avant. Quand une fille monte dans ma chambre, je ne lui montre plus mes photos de vacances ou mes peintures de névrosé presque génial comme presque tous les névrosés. Mes photos-souvenir et les couleurs de mes peintures dorment dans leur coin et moi dans le mien. Big sleep. Et je ne sleep pas together avec une attirante inconnue depuis belle lurette. Je sleep avec belle lurette, avec le temps qui dort autour de moi, silencieux. Je ne suis plus depuis un bout de temps le complice de ceux et celles qui se rencontrent, un soir parmi d'autres soirs, à " La Ville de Guingamp ", au " Polly Magoo " ou ailleurs, dans la fumée épaisse des sèches qui brûlent dans les cendriers ou au bout des doigts, dans les brumes de la bière, dans les nuages de musique et de voix, de conversations, d'éclats de rire, d'odeurs de bagarre ou de parfums de mots désirs chuchotés dans le tintamarre. Sortir. Sortir avec elle dans l'air frais, laisser loin derrière le brouhaha des boîtes à musique où s'entassent pèle-mêle les rencontres, les retrouvailles, les non-rencontres et les non-retrouvailles. Sortir de ça. Marcher avec elle sur le trottoir humide de pluie en parlant de tout, tous les films qu'on a vus tout seul et dont on avait envie de parler avec quelqu'un, tous les livres qu'on a lus en oubliant le manque de quelqu'un, et de rien, de nos traînasseries inutiles dans la vie, et tout en parlant de ces touts et de ces riens se diriger vers chez moi où sa présence à elle allait emplir mon espace étroit, où ma présence en elle allait soudain remplir une soirée que je pensais banale et froide comme toutes les autres. Espoirs requinqués, béquille d'un soir parmi d'autres. Seul et seule qui se rencontrent dans le brouillard des cigarettes et jouent à cache-cache dans les ruines des boissons troubles.

Salut !

Salut à toi !

Ma sœur-la nuit

Ma sœur d'une nuit

Nous nous sommes rencontrés tant de soirs et nous nous sommes quittés tant de matins que nous nous connaissons trop bien. Nous ne nous téléphonons plus pour dire : Eh ! tu te souviens de moi ? On s'est rencontrés l'an dernier... Non, chacun et chacune en a assez de ces histoires.

Au passage très fréquenté des rencontres passagères, il n'y a plus grand monde de connu aujourd'hui. C'est de la désaffection là-bas. Reste ce bon vieux fidèle et imaginaire chef de gare de la gare Nostalgia-sur-mer—qui d'un œil surveille la nuit et de l'autre le jour : car faudrait pas qu'ils aillent se mélanger, non..., à la nuit les rencontres, au jour les séparations.

D'ailleurs qu'importe, les célibataires d'hier se sont oubliés aujourd'hui. Chacun a repris son histoire et la route... Parfois il s'arrête sur le bord de la route, parfois elle s'asseoit au bord d'une rivière, et ils s'imaginent... ma sœur-la nuit, mon frère-le jour... ils s'imaginent ou ils se souviennent un peu, beaucoup, à la folie comment c'était à l'époque, comment on était follement heureux d'être célibataires et libres de se rencontrer et de se quitter...

Siobhan, Elisabeth, Betty, Catherine, Brigitt, Dvora,... où êtes-vous ? qui êtes-vous ?...

Bernard Golfier

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Revue TYPES  5 - Paroles d’hommes - 1981

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


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