Revue TYPES - Paroles d’hommes n°6 - 1984
Les femmes font un bilan: questionnements

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LES FEMMES FONT UN BILAN

questionnements

Au départ, ma question était : pourquoi ont-ils fait appel à nous, femmes, ces hommes particuliers de " Types ", quel besoin avaient-ils de nous, qu'attendaient-ils de cette confrontation autour de la réalisation d'un numéro " unique " mixte ? Bien évidemment cette question en appelait une autre : pourquoi les avions-nous rejoints et qu'attendions-nous d'eux, de cette confrontation ? Une autre interrogation, qui restera ici suspendue, celle sur cette démarche qui d'un élan vers eux, m'a ramenée vers elles pour retrouver en miroir mes interrogations mais aussi pour poser en dehors du regard et de l'écoute (?) des hommes, les questions sur nos divergences et nos limites.

Autour de ce projet étaient donc des femmes éparses que j'ai eu envie de " questionner " individuellement sur le pourquoi et le comment de la réalisation de ce numéro. Le " questionnaire " est ensuite devenu un alibi pour nous réunir toutes afin de débattre de nos attentes plurielles et particulières. La formulation de certaines questions interdisant de creuser les raisons profondes des motivations qui nous ont conduites à répondre présentes à l'appel de " Types ", nous avons tenté ensemble d'approfondir certaines de nos réponses (voir texte " Mais que diable allions-nous faire dans cette galère ? ")... et nous avons décidé ensemble de ce qui serait retransmis de nos questionnements.

Emmanuelle (32 ans), Marie-Geneviève (39 ans), Sylvie (31 ans), Danièle (49 ans), Brigitte (33 ans), Suzanne (26 ans), Katy (34 ans), Séverine (37 ans), Christine (28 ans) y ont participé. D'autres femmes avaient rejoint la proposition de " Types ", seules neuf ont été " interviewées "... question d'opportunité, question de temps...

Toutes, de façon plus ou moins assidue, plus ou moins militante, sur des périodes de temps plus ou moins longues, avons été dans les mouvements de libération des femmes, et toutes nous nous en réclamons. Peu y sont encore actives aujourd'hui. C'est essentiellement l'idée de réflexion en collectif mixte qui nous avait motivées ; cependant l'idée de la revue à produire structurait et donnait un but aux groupes. Pour quelques-unes la réalisation de ce numéro en tant que mémoire collective d'une tentative donnée était essentielle, quelque soit son aboutissement. Le désir et le plaisir d'écrire étaient présents.

Pour chaque question posée a été retenu l'essentiel des réponses.

Quelles réactions spontanées à la proposition de " Types "... ?

Marie-Geneviève : Enfin on allait avoir des retrouvailles avec des hommes qui cherchent la même chose que nous ; une envie de voir où ils en étaient de leur évolution leur réflexion .

Emmanuelle : Adhésion spontanée, les thèmes proposés m'intéressaient d'autant plus que ce sont des questions difficiles à aborder avec les hommes pour des raisons affectives ou de désintérêt de leur part. L'avantage là était de parler avec des gens hors de circuits affectifs.

Christine : Quels seraient les types de Types qui viendraient car tous ne semblaient pas concernés. Pourquoi le faisaient ils ?... Je n'ai pas résolu ce problème, Alors... Plaisir intellectuel ? Me prouver que ce projet commun d'écrire en mixité sur nos vécus nos pensées pouvait réussir ? ou voir jusqu'où cela n'irait pas loin ?.., j'étais un mélange de naïveté et de lucidité.

Brigitte : Curiosité par rapport à l'idée d'un travail de réflexion collectif. Méfiance parce que l'initiative venait des hommes et que je n'en voyais pas les raisons profondes, d'autant que le numéro précédent à propos des femmes montrait leurs difficultés voire leurs impossibilités à parler entre eux de leur rapport aux femmes dans le réel.

Suzanne : Une réaction très favorable quant à son principe personnel. Les échanges entre hommes et femmes sont généralement réduits au cadre privé du couple : il me semble nécessaire de rompre avec une dichotomie assez répandue où les hommes sont acceptés sur le plan affectif individuel mais rejetés globalement.

Comment ont fonctionné les groupes ?

— Groupe " changements "

Katy : Pour ce qui est de la forme, les emplois du temps de chacun n'ont pas permis une vie de groupe très régulière. Mais cela fait aussi partie de la vie : on est obligé de le prendre en compte surtout et justement si on veut que quelque chose change. Cela remet juste les pendules à l'heure quant à nos capacités réelles de changement. Personnellement cela m'a confirmé dans le fait qu'on n'avait pas de réponses brevetées à trouver et à proposer, mais qu'on ne faisait qu'entamer un débat, poser les vraies questions.

Marie-Geneviève : Il y avait une volonté de laisser place aux expériences personnelles mais pas de perspectives ni d'actions ni de concrétisations collectives. Sauf du côté des hommes à parvenir à la réalisation de leur projet plutôt que d'entendre ce qui pouvait se faire en commun entre hommes et femmes. Les hommes restent trop sur un terrain très vague et n'entrent pas dans une remise en question individuelle même s'ils en ont l'intention .

Emmanuelle : Des problèmes car je suis arrivée en cours de route et n'ai donc pas connu tous les participants. J'ai pu regretter que certaines conversations ne puissent être poursuivies avec les mêmes participants. Groupe peut être trop " ouvert " ce qui ne facilitait guère la continuité sur des thèmes déjà vastes et difficiles à cerner. Beaucoup de temps à définir les sujets de discussion mais cela en soi était très intéressant.

- Groupe " rencontre "

Sylvie : Il y avait pas mal de désir de la part des gens pour que le groupe fonctionne. On cherchait tous quelque chose de l'ordre de la rencontre.

Suzanne : On pourrait aussi appeler ce groupe " séduction "... Un train train sympathique parfois intéressant mais plutôt médiocre dans l'ensemble.

Séverine : On est resté dans des choses trop superficielles sans doute à cause d'un ton trop mondain, une façon d'aborder les thèmes d'une manière soit trop sociologique, soit trop dans le mode d'emploi des choses ; en gros, comment échapper ou s'adapter aux codes. Alors qu'on n'a pas trouvé de biais pour aborder les choses plus près de l'analyse sans entrer pour autant dans le déballage. Un fonctionnement pas très impliquant finalement confortable mais ni stimulant ni passionnant.

- Groupe " rôles "

Marie-Geneviève : Le thème a été difficile à cerner, on est parti dans tous les sens. Un certain nombre de personnes étaient venues en observateurs ; il n'y avait pas d'implications personnelles.

Christine : L'impression de perdre mon temps dans des réunions sans but, sans résultats ; encore une fois me faire plaisir, me mettre en avant... La séduction...

Brigitte : Rapports et discours très stéréotypés entre hommes et femmes ; beaucoup d'agressivité et surtout beaucoup de banalités dites comme pour ne pas parler de nous. Des rapports peut être trop marqués entre certaines personnes par avance. Plus de curiosité que de désir malgré une attente évidente.

- Groupe " contraception "

Sylvie : Je ne suis pas allée à la réunion parce qu'une discussion quelques jours avant, avec un des types de ce groupe, m'a complètement découragée d'y aller. J'ai senti que la contraception de ces hommes ne concernait en rien les femmes (ils la font pour eux et pour eux seuls) et que la contraception féminine ne les intéressait pas du tout.

Christine : A la première réunion de ce groupe, j'étais la seule femme, d'où un malaise chez eux, chez moi. J'avais envie de comprendre ces hommes qui se contraceptaient, alors que ma contraception me pèse si souvent depuis quelques années. En même temps, j'ai senti qu'il y avait une différence de nature essentielle entre leur contraception et la mienne ; pour moi, il y a nécessité, chez eux il y a un hasard, une histoire qui les a mené là. J'avais nettement l'impression que mes petites histoires de pilule et de cycle ne les intéressaient pas. Je me suis sauvée en courant !

— Groupe " divorce "

Christine : Les enjeux étaient très forts avant même que le groupe ne se réunisse. En effet, d'emblée, avait été posé le cas de Claude Cadroch-Bourbon, et certaines femmes " exigeaient " (parfois peut-être maladroitement) que Types prenne parti pour elle, contre son mari et contre le MCP qui le soutenait. J'étais moi-même partagée... d'une part je pensais que le cas Cadroch n'était pas exemplaire pour une défense des droits des pères, que le MCP s'en servait pourtant pour créer une " affaire " au niveau des médias et de la justice et que Claude, dans ce cas précis, méritait une " réhabilitation " par les médias et Types pouvait s'en faire l'écho. Mais d'autre part, il y avait nécessité de poser le problème de fond du divorce, de la rupture, des droits parentaux, sans " polémique " et discussions envenimées. Le groupe n'est pas venu à bout de ce dilemme... et a arrêté de fonctionner quand les hommes l'ont quitté.

Nouveaux ces échanges mixtes ?...

Katy : Oui, mais il me semblait que les échanges que j'avais découverts avec les femmes devaient être possibles avec les hommes et pour les hommes entre eux.

Emmanuelle : Oui, et sa n'aurait pas pu se faire avec des gens que je connaissais.

Brigitte : Je regrette que trop souvent ça n'était guère que des discussions autour d'une bouffe avec des copains.

Danièle : Non, car j'avais déjà participé à un groupe mixte en 74 qui n'avait pas vraiment fonctionné...

Christine : Pas nouveau ! Tout y était : jeux de rôles traditionnels, séduction, etc., et pas la place pour dire autre chose autrement.

Marie-Geneviève : Non, mais on est dans une impasse car on n'est pas sur le même niveau de réflexion.

Suzanne : Non, mais là encore, ils n'ont pas été possibles. A mon avis, nous avons eu peur d'aborder les vraies questions, éminemment conflictuelles. Pour " rencontre " par exemple, certaines personnes sont venues sur un thème qui semblait exempt de conflits intersexe.

Séverine : Pas nouveaux puisque j'ai déjà connu un groupe mixte qui a totalement échoué. Je regrette que ce genre de tentative n'ait pas eu lieu dans un moment fort du mouvement de libération des femmes.

Qu'en a-t-il été des rapports entre les femmes dans ces groupes ?

Katy : On était pas là pour avoir une parole spécifique de femmes mais pour tenter une parole mixte.

Sylvie : Les rapports entre femmes posent d'emblée moins de problèmes que les rapports aux hommes, dans ce groupe comme ailleurs. Il y avait en plus un vieux réflexe féministe de ne pas trop montrer nos divergences en face des hommes.

Marie-Geneviève : Ces rapports ont été très complices, très sensitifs. Les hommes étaient à la limite extérieure.

Christine : Je me sentais peut-être plus proche d'elles dans ce lieu hétérosexuel où nous pouvions dire notre rupture symbolique par rapport aux hommes sans tomber dans les " récriminations " féministes.

Brigitte : Beaucoup de réserves dans le groupe rencontre ; pour le groupe rôles, ils étaient spontanément plus chaleureux et plus complices. Peut-être à cause des thèmes qui délimitaient ou pas des camps plus clairs, plus précis.

Séverine : J'ai trouvé les femmes dures mais plus encore un soir où l'on s'étaient retrouvées seules. Certains rapports de force dans le langage, une certaine distance aussi, qui fait que pour certaines, je saurai seulement par ce questionnaire pourquoi elles étaient là.

Danièle : Dans le groupe, j'ai à peine vu les hommes. Le regard des autres femmes sur moi est très important. Il y avait une certaine compétitivité entre les femmes ; une brillance de certaines qui me gênait.

Suzanne : Je ne crois pas qu'il existait un rapport type des femmes entre elles au sein des groupes femmes. Cependant les rapports que j'ai eu avec les femmes du groupe ont été beaucoup moins chaleureux que ceux que j'ai connu dans les lieux de femmes.

Quels côtés positifs et quelles frustrations dans cette " aventure "... ?

Katy : Que ça ait existé et que ca se poursuive me semble être une des clefs de l'évolution des rapports entre hommes et femmes.

Emmanuelle : Des éléments positifs pour moi personnellement : une activité de réflexion avec des hommes sans l'homme avec qui je vis. Un autre bénéfice si j'arrive à écrire ce que j'ai envie de dire.

Marie-Geneviève : Il y a quand même eu des rencontres sympathiques ! Mais je suis restée sur ma faim : j'ai eu l'impression que quelque chose n'était pas possible parce que les projets ou les demandes n'étaient pas les mêmes, ou bien n'ont jamais été explicitées. Ou bien que l'on sentait plus le projet des hommes que celui des femmes.

Sylvie : Cela ne m'a rien appris de nouveau et le dialogue entre hommes et femmes reste difficile. Pourtant le groupe a fonctionné et on a eu la satisfaction de produire quelque chose et de rencontrer des gens.

Christine : J'ai rencontré des nanas, essentiellement des nanas. Mais ça m'use cette histoire (un projet qui dure un an) ; à la limite je régresse : j'aimerais aussi qu'on sorte du parisianisme étouffant, des règlements de compte " stérilisants ".

Séverine : Le fait d'avoir connu quelques personnes me semble plus positif que le travail de groupe qui ne me donne guère envie de produire quelque chose individuellement. Je suis frustrée qu'on n'ait pas abordé en profondeur la question des désirs et qu'il n'y ait pas eu plus souvent une parole plus vraie, moins vernie. Nous avons certainement pris certaines précautions afin de faire exister la rencontre...

Mais encore ?...

Sylvie : J'ai été assez souvent surprise de voir qu'on était encore complètement prisonnier de vieux stéréotypes, de vieux rôles dont on aurait pu espérer s'être un peu libéré comme la jalousie, l'initiative des femmes dans la rencontre...

Danièle : En rejoignant ces hommes qui se posaient des questions, je ne voulais pas perdre des plumes, endosser leurs problèmes. J'y allais pour faire le point. Si ça a marché c'est parce que les hommes étaient très prudents. Je me pose une autre question : comment les personnes venues dans le groupe avec leur partenaire pouvaient-elles vraiment être naturelles ? Quelle était la réalité ou la sincérité d'un vécu raconté face à un partenaire ?

Danièle : Le thème de la rencontre ça impliquait les gens, c'est pourquoi on marchait sur des œufs. Il pouvait y avoir des mots gênants à dire devant les hommes à propos de la drague. Il y avait trop de politesses comme si on se neutralisait les uns les autres. Sauf sur la fin où il y a eu des discussions importantes sur la séduction avec deux groupes : les finalistes et les autres, ceux qui s'offrent le luxe de quelque chose de l'ordre de la névrose occidentale...

Suzanne : Les côtés positifs pour moi n'ont pas de rapports avec le projet. Je suis déçue que nous soyons resté à un niveau de superficialité qui fait que nous n'avons abordé que les questions archiconnues. Déçue aussi de voir tourner ce genre de groupe en groupe d'énoncé de " manque à vivre ". J'aurais aimé que ce soit plus agressif, que l'on croise le fer de manière moins complaisante. Un des manques du groupe a été de refuser de se considérer comme objet de réflexion, alors que notre rencontre était à mon avis très caractéristique de ce que me semble être la rencontre en général.

Brigitte : Le constat d'une absence de désir que cet échange ait lieu puisque l'ensemble des groupes n'a pas " marché ". Les gens y sont venus dans une attente évidente de quelque chose qui est resté non formulé, non élaboré. On n'a pas voulu se confronter au travail de structuration que cela demandait. Pour le groupe rencontre, il y a eu absence de confrontation ou d'affrontements sur les " malentendus " dans les échanges entre hommes et femmes, avec un silence général là-dessus.

Katy : Ce qui me semble le plus important c'est de confronter nos pratiques pour transformer nos comportements. D'autre part, l'écoute et la précision de nos désirs me semblent être très importantes. Il faut savoir dire à l'autre, ne pas protéger, se situer face à l'autre ce qui lui permet de se situer aussi.

Brigitte : Le peu d'intérêt suscité par cette initiative, même dans les milieux dits " concernés " est quand même préoccupante et il nous reste à nous questionner sur les raisons de cet échec...

Suzanne : Il y a les hommes mais il y a aussi les individus ; et les hommes de la revue Types devraient à mon avis s'interroger comme nous sur les motivations de leur démarche. J'aimerais beaucoup un numéro là-dessus.

Christine : Pas sûre d'avoir des points communs avec ces types qui vivent dans l'écriture des fantasmes contradictoires qu'ils ne s'avouent pas : l'envie de " se dire " comme une femme, l'envie d'être publiés le disant, mais l'incapacité à le vivre.

Marie-Ceneviève : On en revient peut-être à quelle était la volonté, la demande des hommes à l'égard des femmes, et quelle était la demande des femmes qui ont voulu participer à l'égard des hommes ? Le travail à faire était d'une certaine manière en coulisse, car il y avait une impossibilité de manifestation réelle.

Emmanuelle : Les hommes auront du mal à sortir de leur culpabilité et cela rend les choses difficiles parce que ça peut fausser certaines situations. C'est important que ce numéro mixte sorte, mais je ne sais pas pour qui...

Séverine : Je regrette de ne pas avoir très envie de dire quelque chose. Cela m'ennuie de me résigner à ce qu'une revue comme celle-là meure par exemple. A placer cela sur un terrain de résignation générale, plus de travail politique nulle part. Ne pas arriver à imaginer quelque chose qui redonne de la passion et du mouvement à tout ça. Cela manque à la revue et ce numéro mixte ne changera rien.

Ces questionnements multiples laissent une impression générale plutôt négative, voire pessimiste. Cependant, il n'y a pas là d'amertume, pas de regrets profonds ni de reproches excessifs, plutôt un constat, le constat d'un mur : celui du langage peut-être... Il y aurait (entre sexes seulement ?) des " choses " informulables, incommunicables, des barrières infranchissables... du moins avec des mots, par le biais de paroles échangées.

Reste pourtant que tous ces mots accumulés laissent échapper d'entre les lignes, les syllabes ou les silences, un non-dit repérable à qui veut prendre le temps de l'y dénicher... Échec ? Je ne crois pas. Mais sans doute faut-il le reconnaître, tout simplement une " production " à la mesure de nos ambitions (trop vastes donc peu précises), de nos énergies (trop limitées).

A suivre... ? Peut-être !

Brigitte Lefèvre

 

MAIS QUE DIABLE ALLIONS NOUS FAIRE DANS CETTE GALÈRE

Cerner les motivations qui ont poussé les femmes à accepter de se joindre à la revue pour un numéro mixte pose plusieurs questions. En premier lieu, qu'est-ce qui constitue ce " nous " de femmes, une fois de plus, dans un lieu mixte où, en principes ne s'exerçait aucune " guerre des sexes ", toute ressemblance avec un combat féministes contre sexistes devant être bannie de notre collaboration. De fait, la nécessité d'un bilan sous forme de questionnement s'est fait sentir très vite du coté des femmes. De plus, le clivage s'est fait " naturellement " entre les hommes de la revue, puisqu'aucun autre homme ne s'est joint de manière durable au projet, et les femmes du dehors. Hasard ? La nécessité impose donc un balayage de nos féminines motivations, à venir là. Là est un lieu où nous avons été invitées. Il ne m'appartient pas ici de questionner les hommes sur leurs propres motivations à le faire, ce serait vouloir connaître quelque chose qu'eux-mêmes sont réticents sinon à formuler du moins à formaliser.

Leur invitation pouvait prêter à commentaires, la formulation ne pas correspondre tout à fait à notre manière de poser les problèmes, elle plaçait les jalons sans pourtant être une réelle préparation de fonds des thèmes et des modalités de nos rencontres. On pourra me dire que beaucoup de femmes n'auraient pas apprécié de se voir accueillir dans un cadre trop étroit et laissant peu de place aux nouvelles arrivantes.

Celles-ci avaient chacunes un parcours individuel féministe ou pas, politisé ou non, qui ne se recouvrait pas entre elles ou très peu. Assemblée de femmes très diversifiée donc.

Je pense que toutes les femmes avaient en commun le désir d'un espace de rencontre, de confrontation pas forcément conflictuelles sur le terrain de la mixité. Cependant, les attentes divergeaient selon qu'elles cherchaient un lieu de parole, un terrain d'échanges situé hors des contraintes sexuelles, socio-culturelles, d'où les traditionnels clivages pouvaient un instant être oubliés pour aller plus loin dans la compréhension de l'autre, du différent, ou qu'elles avaient une demande plus dirigée vers l'écriture ou encore s'intéressaient à ce lieu d'écriture comme à un outil permettant d'inscrire un travail mixte de réflexion dans une mémoire collective. Sans oublier le plaisir avec/à travers tout cela.

Les motivations n'ont en tout cas pas poussé les femmes à aller trop loin. Il y a eu un " non-dire " qui s'est installé comme une loi entre les femmes et les hommes. Il y a eu une acceptation tacite des codes de séduction, de pouvoir, même si bien sûr, chacun était vigilant. Les femmes qui sont parties recherchaient peut-être plus l'affrontement, ressentaient peut-être la nécessité de dépasser les limites harmonieuses qu'il ne convenait pas de dépasser pour faire fonctionner le projet d'écriture. Problème du but recherché !

Pourtant, à première vue, les clivages qui ressortaient le plus étaient liés aux différenciations de comportements, plus qu'à de réelles différences sexuelles. Est-ce à dire que ces comportements ne sont pas sexués ? Il y a là tout un travail sur femmes/hommes, féminin/masculin qui n'a que très peu été abordé là. Le non-dit résidait peut-être particulièrement dans ces pudeurs à re-dire les êtres comme biologiquement, socialement, mentalement différents. Vieux débat que le féminisme n'a pas résolu ! La difficulté à dire demeure de fait dans l'ambiguïté qui consiste à se poser comme sujets analysants et objets analysés.

L'absence d'animateurs " vigilants ", un certain laisser-aller lié à la réticence de certains à " produire " un résultat à partir de nos réflexions sont également à souligner du côté d'un " manque " dans nos motivations.

De plus, le problème du lien étroit qui existe entre les thèmes abordés et nos vécus très intimes pose la question de la dynamique de groupe et de la pudeur de chacun à s'abandonner comme objet à un autre. Risque à s'abandonner, manque de confiance ? Conscience trop forte des inter-désirs, des inter-révélations, des inter-rivalités, des inter-indiscrétions ?

La mixité n'a pas dynamisé le travail de groupe et semble-t-il, ce n'est pas la première fois que se pose ce problème au sein de la revue. Problème du fonds des articles, pas assez moteurs, pas assez innovateurs ! Alors, ne devons-nous pas faire le même constat d'échec, ce n'est ni particulièrement inquiétant, ni particulièrement rassurant. Et dans ce cas, faut-il voir un lien entre l'échec et nos motivations peu solides.

Ce serait ne pas tenir compte de l'énergie dépensée pendant un an, des milliers de mots échangés. Ce serait aussi méconnaître cette réalité qui existe depuis des années de gens qui cherchent à réétablir un contact au-delà de la difficulté de l'hétérosexualité comme lieu symbolique de la séparation, comme lieu de fusion impossible, de relation contradictoire. Bien sûr, il serait tentant de recourir à de vieux clichés pour décrire le relatif désinvestissement des hommes de la revue ou extérieurs tout au long de ce projet. Relatif silence des hommes à l'écriture sur leur désir d'être là, dans ce projet. Relatif silence aussi dans leur parole face à cette évolution : de moins en moins d'hommes, par rapport aux femmes. Prolongement mental d'une attitude déjà trop souvent vécue au niveau interindividuel. Cliché : la femme interpelle... l'homme remet à demain, à jamais, l'inévitable " discussion " ! Mais ce serait encore une fois tomber trop facilement dans le stéréotype restrictif, banal, qui mène à certaines impasses déjà constatées ailleurs. Où chercher donc le battement de sincérité, d'authenticité, qui nous intéressait tant chez les hommes, nécessaire palliatif à la difficulté à communiquer, à construire ensemble, à approfondir ? Sommes-nous engoncés dans des catégories, stéréotypes indépassables ? Parce qu'historiquement fondés ? Notre tentative d'en sortir se heurte-t-elle à des conditions surdéterminées qui nous échappent ?

La revue est en partie une réponse à ces questions, y compris dans ses non-dits. Et pour nous femmes, elles nous replongent aussitôt dans la question de l'hétérosexualité, comme rapport inévitable (parce que désiré) et douloureux aux hommes avec lesquels nous parlons, travaillons, aimons.

La revue est un travail dans ce sens. Elle n'a pas entamé ma motivation à continuer sur le terrain mixte ma recherche d'un autre mode de " correspondre ", d'autres formes relationnelles qui éviteraient les pièges classiques.

Christine Simon

 


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