Revue TYPES - Paroles d’hommes

Ces enfants possibles

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Revue TYPES - Paroles d’hommes - N°1 Janvier 1981 

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CES ENFANTS POSSIBLES

Donner son sperme.
Quand Philippe parle de son expérience au groupe mec, je suis tout de suite enthousiaste, le seul de mon espèce...

Ca me rappelle l'idée de ma possible stérilité que j'ai portée en arrière-fond pendant pas mal d'années, pendant l'adolescence et plus tard je me rassurais avec l'idée de l'insémination... Peut-être que je n'ai pas été rassuré, comme pas mal de copains, par l'avortement au noir autour de 20 ans. Peut-être que je ne suis pas encore rassuré, bien qu'il y ait Thomas et un/une autre dans quelque temps. Il y a aussi les deux fausses-couches de Monique, une pour elle, une pour moi, comme on dit ; des mois, plus d'une année ou l'envie d'un enfant était là, obsédante et peut-être impossible. Un coup de téléphone, un rendez-vous, c'est facile, Philippe a fait une partie du chemin pour moi, ce n'est pas l'inconnu. L'entretien n'est pas une surprise, le Dr G. c'est comme si je le connaissais, un assistant de Fac. Beaucoup de précautions sur l'inquiétude que je pourrais avoir... Le meilleur : les interdits religieux. Un grand plat sur l'anonymat des donneurs et des femmes receveuses, et, quand on y réfléchit : après ? Que deviennent les fichiers, un cambriolage, un procès ? Il faudra que je repose des questions la prochaine fois. Les questions de morphologie me mettent plus mal à l'aise ; question de race : est-ce que mes deux parents sont blancs ? Et puis je ne suis pas encore habitué à ce qu'un homme me demande la couleur de mes yeux...

Visite-guidée des containers d'azote liquide : le sperme fumant ! Microscopes et paillettes de couleur, G. montre en souriant l'appareil qui remplit les paillettes : fabriqué pour l'usage vétérinaire ! Bien agréable la visite d'une banque de sperme, comme on dit, finalement c'est quelque chose auquel on pense.

Trois jours d'abstinence avant le don ! Ça semble rien du tout, je ne fais pas l'amour tous les jours, rassurez-vous, mais c'est quand même bien chiant de ne pas se sentir disponible, de savoir (vouloir) que les caresses seront limitées. (" Non, pas ce soir, j'ai mes règles. ")

J'ai l'impression d'être conduit par la main dans la chambrette à côté du labo : " Vous fermez le verrou, vous êtes tranquille, vous avez tout le temps que vous voulez ". Gentils au C.E.C.O.S. !

Il faut prendre le temps ! C'est pas tous les jours qu'on a des loisirs pour profiter des revues de cul, même si elles ne sont pas terribles. Et pour moi, pas question de masturbation hygiénique à toute vitesse mais ça déconcentre leur petite fiole aux bords même pas évasés, c'est dur de viser, mal prévu leur truc ! Je trouve que c'est le pied de se masturber au vu et au su de tout le labo, de venir exprès pour, et pour la bonne cause !!! Ça me guérit des vieux relents de culpabilité, de l'habitude de cacher.

Voir mes spermatozoïdes au microscope, blancs, brillants, traçants d'un bord à l'autre à toute vitesse. C'est vrai ce qu'on raconte, il y a des petites bêtes vigoureuses et pressées dans le sperme ! J'ai droit à une bonne note au spermogramme : tant de spermatos, tant de mobilité. C'est pas rien, ça aurait été capable de me vexer s'ils avaient été malingres.

Il me semble qu'avec la contraception des femmes avec qui je vis, le sperme perd le " pouvoir " qu'il avait il y a peut-être vingt ans (NON ! Vive la pilule et le stérilet !) C'est vrai, quoi, ce serait de l'eau de vaisselle ce serait pareil, je finissais par oublier les petites bêtes.

Il se passe pas mal de choses dans ma tête avant et après le don. Pour moi c'est nettement faire l'amour avec toutes les femmes de la terre, et avoir des enfants avec toutes les femmes. Vieux fantasme. Etre " désiré " par les femmes dont le mec est stérile, et justement qu'elles désirent mon sperme. L'envie d'avoir des enfants avec plusieurs femmes, ça existe ! Alors que dans la vie c'est déjà le bout du monde d'imaginer avoir des enfants avec deux femmes.

C'est aussi décider seul, mec seul, d'avoir un enfant. Alors que — zut — d'habitude, ce sont les femmes qui peuvent avoir seules un enfant.

Maintenant, j'ai l'impression de mieux dissocier la paternité biologique et la " Paternité ". Ça m'a fait avancer sur l'idée de vivre / d'être le père d'un enfant dont je ne serais pas le procréateur. Mon envie de procréer est dissociée aussi de l'envie d'élever un ou des enfants avec une femme (Monique).

Je ne l'ai pas trouvé tout seul, une copine me l'a soufflé : il faut être assez content de son corps et de sa tête pour vouloir multiplier ses petites cellules... pas fier le mec.

Pour finir, une inquiétude dans l'euphorie générale : dans 10 ans, dans 30 ans, quand je serai bien vieux et bien dingue, est-ce que je ne penserai pas à ces enfants possibles ? Ils seront toujours dans ma tête.

François Brun.

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Revue TYPES - Paroles d’hommes - N°1 Janvier 1981

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