Les hommes violents

Les matériaux de l'enquête

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Les hommes violents par Daniel Welzer-Lang

Daniel Welzer-Lang, Lierre et Coudrier éditeur, Paris, 1991 

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2 ème partie -  L'enquête
méthodes et matériaux recueillis

Les matériaux de l'enquête

L'étude de la violence et des hommes violents a surtout consisté à enquêter. Travail d'ethnologue, de journaliste, de voyeur ? Peut-être les trois à la fois.

N'ayant que très rarement assisté aux scènes de violence dont il est question, mon étude s'appuie sur le discours que tiennent les acteurs et les actrices de ces scènes. Ils ont été recueillis sur différents terrains d'enquête. Je les présenterai succinctement de manière lapidaire et rapide. mais il m'est difficile de traduire l'effet qu'ont eu sur moi les différents entretiens recueillis pendant trois années. La publication d'extraits de mes carnets de recherche, de mon journal de bord, où sont consignées mes révoltes et les conditions d'interview, viendront dans la suite de l'ouvrage préciser dans quels états psychologiques ont pu me plonger les révélations qu'ont faites ces hommes et ces femmes.

J'ai cherché à multiplier les témoignages et les angles d'approche sur la violence domestique.

La méthode retenue privilégie l'ethnographie de terrain, c'est à dire une observation participante sur un long terme. Elle mêle trois terrains différents:

-le centre pour hommes violents de Lyon
-les dossiers d'instruction de cours d'assises
-le Québec et les centres québécois pour hommes violents

Globalement, sur des périodes plus ou moins longues, plusieurs centaines d'observations, de témoignages ont été utilisés dans cette étude. Certains se sont étalés sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Ils sont partiellement reproduits dans le texte. Outre l'horreur décrite, ils manifestent l'état du savoir collectif sur la violence domestique et ce qui m'a moralement aidé tout au long de cette étude : la volonté des femmes, mais aussi des hommes de témoigner.

Disons-le tout de suite, l'ensemble de ces témoignages n'est pas représentatif de quelque échantillon que ce soit. On pourra toujours contester mes propositions d'analyse en mettant en exergue cette non-représentativité. Ce qui étonne le chercheur dès qu'il arrive à faire parler hommes et femmes sur les violences domestiques, et ce quelle que soit la population enquêtée en France et au Québec, c'est l'omniprésence de ce phénomène. Sans doute, faudra-t-il par la suite, de manière plus systématique, essayer de chiffrer l'ampleur exacte du phénomène. Cet ouvrage est le premier qui de manière qualitative essaye de comprendre la violence domestique. Son originalité fait aussi sa faiblesse. Il essaie davantage de décrire les mécanismes que d'en circonscrire de manière arithmétique les frontières.

Le centre pour hommes violents de Lyon:

Le centre, créé en I987, existe toujours, il n'est plus le seul. Trois centres pour hommes violents co-existent aujourd'hui en France. L'accueil, le suivi d'hommes sur un temps plus ou moins long, est un des terrains d'enquête.

Mais plus que la vingtaine d'hommes dont le témoignage a été recueilli au centre entre janvier I988 et décembre I989, c'est la dynamique créée par l'ouverture de ce dernier qui m'a permis de recueillir d'autres données sur la violence domestique.

L'histoire de R.I.M.E (Recherches et Interventions Masculine), du centre d'accueil de Lyon, appartient de plein droit à une anthropologie de la violence masculine domestique. Initialement, plusieurs situations de malaises lors des travaux sur le viol m'ont amené à penser la mise en place de cette structure. J'avais rencontré en prison, ou à l'extérieur, un certain nombre d'hommes inculpés de viol. Quelques uns m'ont demandé de l'aide. En dehors de toute stratégie judiciaire (ils avaient été jugés et condamnés), ils voulaient "comprendre ce qui est arrivé", "faire le point", "pouvoir parler"... Le constat était : l'institution pénitentiaire emprisonne les violeurs, mais ni les gardiens, ni les psychiatres n'apportent une aide à ces hommes. Au mieux, auront-ils droit à quelques cachets pour dormir ou pour ne plus penser. Rien dans les faits, excepté la peur de la punition ne pourrait éviter ou essayer de prévenir la récidive.

L'idée de créer RIME a émergé entre les quatre murs d'une cellule, devant ce violeur meurtrier qui contrairement au portrait dressé par la presse, avait les traits d'un beau jeune homme de I9 ans, enclin à discuter nature et petits oiseaux... Un gars "normal", qui ce jour là, "avait exagéré un peu"; et devant cet autre garçon qui était persuadé que la victime était consentante parce qu'elle avait, face à son couteau, arrêté de crier. Face aux conséquences de l'éducation machiste, il est apparu qu'une intervention sociale était indispensable.

En 1987, nous avons appris par des hommes québécois leur intention d'ouvrir des centres d'accueil pour hommes violents, face à l'importance du phénomène de la violence domestique. Avec quelques hommes de Lyon, membres de l'ex-groupe ARDECOM, nous avons alors décidé à notre tour d'ouvrir un centre similaire, dans une optique d'intervention sociale préventive.

Le centre a depuis son ouverture accueilli ou entendu plusieurs dizaines d'hommes violents. Nombreuses sont aussi les femmes qui ont pris contact avec nous. L'homme prend contact par téléphone, il lui est proposé plusieurs entretiens. Après ceux-ci, un contrat précise les conditions par lesquelles il peut continuer à venir à RIME. L'objectif premier est qu'il puisse arrêter ses violences envers sa partenaire et/ou ses enfants. Je ne détaillerai pas ici le fonctionnement du centre. Il suffit de savoir qu'une quinzaine d'hommes ont, en deux ans et demi, suivi l'intégralité ou presque du cursus proposé, à savoir des entretiens hebdomadaires sur une période de 14 à 16 semaines. Les principales difficultés du centre ont été, depuis le premier jour, liées à la précarité matérielle de ce type d'expérience. Là où il faudrait pouvoir disposer de fonds pour recruter des professionnel-le-s de l'écoute (travailleurs-euses sociaux-ales, psychologues...), l'association n'a reçu que des subventions minimes, ne permettant même pas la location d'un lieu spécifique. Les élu-e-s, les responsables administratifs, sont à ce jour resté-e-s sourds à toutes nos demandes. En quelque sorte, on veut bien "aider" les femmes violentées, les accueillir, les héberger, mais pour l'instant, (en espérant que la situation évolue), l'homme violent n'existe pas, alors pourquoi l'accueillir ?

Conjointement à l'accueil des hommes violents, nous participons à de nombreux stages de formations, à des conférences publiques. Tout se passe comme si la société avait soif de savoir : qui sont les hommes violents? Que peut-on y faire ?... Mais aussi comme si elle n'était pas prête à soutenir durablement un projet concret de prise en charge des hommes violents. La prévention de la violence masculine domestique reste encore en 1991, en France, au placard des bonnes intentions.

A l'écoute de l'ensemble des personnes qui ont contacté R.I.M.E., le mythe sur la violence masculine domestique est aujourd'hui un obstacle objectif au fonctionnement d'une telle structure. Tant que la société civile considère ses hommes violents comme des fous, ou des monstres, à quoi peut bien servir de les accueillir. Il suffit d'ouvrir quelques places supplémentaires en hôpital psychiatrique ou en prison.

Nous étions des précurseurs en Europe en 1987, nos textes en ont maintenant fait le tour, ils ont été traduits en plusieurs langues.. Nous serons peut être les derniers à être subventionnés. Seul, le centre de Paris qui a bénéficié de subventions conséquentes en I988-89 a pu enfin ouvrir largement ses portes, donc recevoir plus d'hommes. L'accueil des hommes utilisant la violence est encore à ce jour en phase d'expérimentation.

Autour du centre :

Tout au long de cette recherche, au sein de l'équipe de recherche constituée dans l'association RIME (dont l'objectif était un recueil de données masculines et féminines sur la violence), et dans les diverses activités sociales liées à mon statut d'universitaire et de chercheur, plusieurs dizaines de "témoignages spontanés" sont apparus.

La question est souvent posée : comment faites-vous pour obtenir des témoignages ? Il n'est pire aveugle que celui ou celle qui ne veut pas voir. Il semble qu'il y ait peu de personnes, hommes ou femmes, qui n'aient rien à dire sur la violence vécue par eux-elles ou par leurs proches, encore faut-il avoir envie d'entendre ou de voir.

J'avais souhaité recueillir principalement des témoignages d'hommes. Mais si les témoignages de femmes font légion, les propos masculins ont été plus difficiles à obtenir. Les hommes parlent, partout, tout le temps. Ils échangent sur les autres, les femmes, le sport, l'armée, le syndicat_ mais ils parlent peu d'eux, de leurs ressentis, de leur vie personnelle. Les témoignages masculins (et féminins) ont pris de multiples formes : quelques fois il s'agit de confidences ou de confessions échangées dans l'intimité d'un repas, d'autres fois d'aveux comme le définissait FOUCAULT, ou de bravades, de défis, de provocations. Mais plus fréquemment j'ai entendu des petites phrases, des signes lancés timidement à destination du chercheur.

Entre 300 et 400 témoignages, ou fragments de témoignages ont été consigné dans mon carnet de recherche. Lorsque cela a été possible j'ai réalisé une interview, plus d'une trentaine d'interviews ont été effectuées. Mais, on ne le répétera jamais assez, recueillir des informations sur des phénomènes aussi anxiogènes, représente un travail à long terme : les premières heures de la rencontre ne donnaient lieu qu'à des représentations de sens commun, des exposés de scènes dénuées de leur contexte social. La mise en confiance prend du temps. Si on peut penser que c'est la dynamique créée par RIME qui a fortement aidé l'émergence de paroles sur la violence, celles-ci furent recueillies sur plusieurs terrains différents.

Autour des groupes d'hommes

Les groupes d'hommes français, nés à partir des interpellations féministes, n'ont jamais connu l'ampleur de leurs homologues québécois. Actuellement, ils ont presque disparu du paysage hexagonal. Toutefois, nombre d'anciens continuent à se réunir de manière plus intime ou plus discrète. Le groupe d'hommes de Lyon continue à se réunir mensuellement. Les groupes d'hommes ont été source importante d'informations pour me faire comprendre la construction sociale du masculin. La confrontation, l'échange entre hommes, l'écoute collective sont pour moi, depuis plusieurs années, non seulement un support personnel, mais un outil permettant de continuer la déconstruction du masculin comme catégorie sociale construite.

L'université

L'université est mon cadre de travail. Elle m'a permis d'obtenir de nombreux témoignages venant d'étudiant-e-s ; quelquefois aussi d'enseignant-e-s. Les témoignages de collègues sont peu nombreux, mais chaque fois ils se sont s'est fait sous le couvert de la science : "c'est pour que tes travaux progressent" disaient-ils.

Les dossiers des cours d'assises

J'ai voulu connaître l'extrémité de la violence masculine domestique, à savoir l'homicide. Les dossiers d'instruction des cours d'assises sont des "histoires de vie" d'un genre particulier. Les énormes dossiers reprennent un à un les éléments du passé des protagonistes, détaillant les déclarations, les trajectoires_ Outre l'horreur, notamment dans les actes décrits et les photos des conséquences de ces actes, l'archive judiciaire -et c'est la deuxième fois que je l'utilise- est un miroir, non seulement des hommes violents ou des femmes violentées, mais aussi de l'ensemble des réponses sociales, judiciaires ou non, à ce type de problématique.

L'intérêt d'étudier l'expression ultime de la violence -le meurtre- est simple.

Si on parle peu de la violence ordinaire, encore banalisée, intégrée dans les économies conjugales, il en est tout autrement de celle traitée dans les dossiers des cours d'assise. La presse, quelqu'en soit le support -écrit ou audiovisuel- nous informe régulièrement de ces monstres sanguinaires, des actes de ces brutes épaisses, ou de ces amants passionnés qui presque par erreur, tuent leur compagne, amie, femme_Ainsi, le contenu de ces dossiers alimente largement les représentations de sens commun constitutives du mythe de la violence domestique. En cela, l'étude de ce segment du traitement social de la violence comporte un intérêt certain.

Un autre intérêt pour le chercheur, mais aussi pour le/la citoyen-ne, notamment ceux/celles intéressé-e-s en France par la mise en place d'une véritable politique préventive, est de comprendre comment une institution traite et punit la forme exacerbée de la violence.

Les dossiers étudiés

J'ai étudié 14 dossiers différents et plus de 3000 pièces de procédure. La confrontation entre "ces affaires" et d'autres jugées par ailleurs, fait dire à de nombreux magistrats qu'elles sont largement représentatives des crimes domestiques. Des extraits des dossiers sont intégrés dans la suite de l'exposé.

Typologie des dossiers

A l'analyse, trois types de dossiers apparaissent :

1) La mort, un coup parmi d'autres

La mort appartient au continuum de violence "ordinaire" qui un jour aboutit au meurtre des femmes (dossier n°1, et n° 6), ou d'enfants (dossier n°2).

Il s'agit des dossiers où a priori nous devrions trouver le profil du monstre, puisqu'en quelque sorte, le seul fil conducteur est "l'excès" de violence.

Dans ces dossiers les compagnes apparaissent passives face à la domination.

2) Le meurtre pour s'opposer ou répondre à la rupture, à la fuite

La femme pour ne plus entretenir économiquement son compagnon (dossier n° 4, 7), par désir d'indépendance (n° 8), par refus de violences (dossiers n° 5, 7, 8, 9, 12, 14) veut s'échapper, ou le mari pense qu'elle veut s'échapper (n° 11). Pour ce faire elle prend un amant (n° 8, 10, 12), ou envisage de le prendre (n° 11), l'associe à un projet de meurtre (n° 12) ou pense fuir avec lui ( n° 8, 12), voire dans d'autres cas se réfugie dans sa famille (n° 7), ou à l'hôpital psychiatrique (n° 10).

Toujours est-il qu'elle affirme plus ou moins explicitement son désir de rupture, souvent associé à un refus du "service sexuel" (dossiers n° 4, 5, 8, 9, 10, 12) ou au renoncement à des plaisirs sexuels suite à sa peur de la violence ( n° 5, 7).

Dans ce cas la femme, par son désir de fuir, adopte une attitude rebelle à la domination du mari, alors qu'auparavant celle-ci était acceptée.

La réponse du mari est le meurtre, qu'il associe fréquemment à son suicide (dossiers n° 4, 5, 8, 9, 10, 12). La tentative de suicide est matérialisée ou non.

3) des couples usés où coexistent violences masculines et féminines, sous domination masculine

C'est le cas de "vieux" couples dégradés dans lequel l'un-e et l'autre révèlent les violences de l'autre : l'homme veut partir, elle le tue (dossier n°7), ou, à l'inverse, la femme veut partir "vivre" et elle meurt tuée (n° 8), ou elle ne peut plus partir qu'après la mort de son mari (n°12).

Quoique restant nettement dans un cadre viriarcal, ce sont les cas où la soumission, la passivité de la femme apparaît la plus minime.

4) L'amour

Un dossier fait exception aux trois catégories précédentes.

L'homme et la femme fuient ensemble pour vivre un amour impossible et décident de se suicider ensemble. Le suicide collectif échoue, elle meurt et lui pas (dossier n° 13).

Ajoutons, qu'à l'étude des dossiers d'instruction de cours d'assises, on s'aperçoit que beaucoup de meurtres auraient pu être évités. Sans doute faudra-t-il apprendre aux différentes forces de police à tenir compte de la menace de mort. Dans de nombreux dossiers "il aurait suffit" de croire la femme venue se plaindre, ou d'écouter le futur meurtrier clamer haut et fort sa souffrance et ses désirs de meurtre. Lorsque nous expliquons qu'à l'extrémité de la spirale de la violence, il y a la mort... Il ne s'agit nullement d'une volonté naïve de dramatisation.

Le Québec:

Le Québec offre la particularité d'avoir pour sa seule province peuplée de 6 millions d'habitant-e-s, une quinzaine de centres pour hommes violents similaires à celui de Lyon.

Les recherches, peu développées en France, sont là-bas intégrées depuis plusieurs années dans des programmes scientifiques. Certes, la recherche québécoise, comme beaucoup d'études Nord-Américaine privilégie l'empirisme, le côté pratico-pratique. Je dois cependant remercier les chercheur-e-s québécois-e-s : certaines propositions théoriques contenues dans ce livre sont des prolongements plus ou moins directs des recherches menées au Canada et aux Etats Unis.

Mon enquête au Canada a surtout consisté à visiter ces centres et à débattre de leur fonctionnement avec leurs responsables. Deux centres m'ont confié des copies de leurs archives, bandes audio ou audio visuelles. Elles n'ont pas été utilisées telles quelles, mais ces archives m'ont permis d'approfondir quelques points restés obscurs à l'écoute des témoignages. Par ailleurs une étude menée auprès de 15OO hommes violents accueillis dans les centres québécois a été réalisée par Gilles RONDEAU en collaboration avec J. DANKWORT et M. CHAUVIN à la demande du Ministère de la santé et des services Sociaux. Les résultats de cette étude sont intégrés dans cet ouvrage.

La bibliographie française

La bibliographie française concernant les hommes violents est pauvre. Exception faite de quelques écrits en psychologie, en général, aussi bien en sociologie qu'en anthropologie, peu de textes traitent spécifiquement de la violence domestique. Signalons toutefois les travaux de GIRARD : la violence et le sacré, et les articles de BAUDRY. J'ai aussi utilisé les travaux réalisés par Christine BONNEMAIN et ceux de Sylvie KACZMAREK qui concernent les femmes battues. D'autres études comme la maîtrise de C. MASTRE-MOULAS en psychologie sont utilisées, non seulement parce que MASTRE est aussi un responsable de centre pour hommes violents (à Paris) mais surtout parce qu'il essaie assez justement d'adapter les différentes théories psychologiques à la réalité perçue à travers un travail de terrain.

D'autres publications m'ont servi de références. Elles concernent l'ensemble de la littérature Nord-américaine produite sur les femmes battues (notamment les études de Linda MAC LEOD, Ginette LAROUCHE) et sur les hommes violents (David ADAMS, Juergen DANKWORT).

La violence domestique : une question internationale

Nous traitons ici de formes de violences aperçues sur des terrains français ou québécois, mais quiconque s'intéresse à la violence exercée contre les femmes est immédiatement étonné de l'universalité du phénomène. L'ensemble des sources d'informations s'accorde pour dénoncer "la mondialisation" de ce que certain-e-s nomment violences conjugales, d'autres violences familiales, violences masculines, violences domestiques,_

Nous ne retiendrons ici que deux sources : la Conférence internationale d'aide aux femmes réunie en Octobre 88 à Cardiff par le groupe Welsch Women's Aid (Aide aux femmes galloises) et la conférence organisée à Vienne par le groupe d'experts des Nations Unies sur la violence familiale en Décembre 1986. Nous ne pouvons qu'être surpris par "l'effet d'avalanche" auquel aboutit la compilation des informations.

En Inde, l'amniocentèse généralisée a pour objectif de déterminer le sexe du f_tus et par suite de provoquer l'avortement des filles en gestation. Sur 8000 cas d'avortement étudiés à Bombay en 1986, toutes les interruptions de grossesse sauf une, concernaient des f_tus de sexe féminin.

En Malaisie, malgré les modifications apportées à la loi sur le mariage et le divorce il y a 13 ans, les femmes victimes de violence ne peuvent s'adresser au tribunal qu'après la procédure de divorce. Pour les Musulmans qui constituent 58 % des 17 millions d'habitant-e-s, la justice est différente, aucune injonction du tribunal n'est possible, ceux-ci appliquent la chéria. Seule la demande en divorce est réalisable, ce qui fait perdre à la femme le statut social et le soutien financier conférés par le mariage.

En Egypte, pour le Dr MALLAK EL HUSSEINY ZADOUK du Centre National de Recherche Sociale et Criminelle du Caire, outre les aspects décrits pour de nombreux pays, la violence maritale sert à pousser les femmes à quitter le domicile conjugal et donc à le libérer, dans ce pays où la crise du logement atteint dans les villes un stade aigu.

En Argentine, le Dr Jorge CORSI, Directeur des études post-supérieures sur la violence familiale à l'Université de Buenos Aires, décrit le début des travaux visant, après la chute du pouvoir militaire et l'avénement d'un gouvernement démocratique, à fournir de l'aide aux femmes maltraitées et aux enfants battus.

En Australie, où la violence faite aux femmes est la seconde cause de l'intervention policière -(après les accidents de la route), une réflexion intégrant la différence des sexes a été mise en place.

Depuis 15 ans aux Etats-Unis, la politique sociale se préoccupe de la violence conjugale. Selon diverses études plus de deux millions de femmes américaines sont chaque année victimes de violences de la part de leur conjoint. On compte aujourd'hui 1500 foyers et maisons d'hébergement pour les victimes de violences, et les places ne suffisent pas à répondre aux demandes. De nombreux programmes pour hommes violents ont été mis en place.

En Irak, le Conseil du commandement révolutionnaire a publié le 28/2/90 un décret par lequel les hommes (frère, mari, père, oncle, neveux, cousins) qui tueraient une femme adultère ne sont plus désormais punissables. "Afin d'améliorer le sens moral de la population" explique le journal irakien qui rend compte de cette nouvelle.

J'aurais pu aussi exposer les situations de la Suisse, du Portugal, de Chypre, de la Chine, du Costa Rica, du Japon 

Il semble que tout pays où des spécialistes se sont intéressé-e-s à la violence exercée contre des femmes puisse appartenir à ce catalogue d'un genre particulier.

En dehors de l'effet d'avalanche, force est de constater qu'outre son aspect transculturel, on a d'autant plus d'informations sur ce type de violence qu'il existe d'une part un mouvement des femmes, souvent féministe, et que d'autre part les conditions politiques démocratiques laissent transparaître des informations sur la vie privée.

Peut-être faut-il signaler ici l'aspect centripète des études. Plus les chercheur-e-s ont étudié ce phénomène, comme aux USA ou au Canada, plus son importance apparaît. Entre les quelques cas de meurtre signalés pour l'Inde et les deux millions de femmes américaines violentées un même continuum existe. La question est de savoir jusqu'où ces informations peuvent nous faire aller?. Elles ne peuvent être traitées en dehors d'une analyse rigoureuse des définitions de la violence utilisées par les différent-e-s informateurs et informatrices. Nous y consacrerons une grande partie de notre travail. Qu'appelle-t-on violence domestique ? Telle est peut-être la véritable question préalable.

Le mythe de la violence masculine domestique

Tout-e chercheur-e choisit en quelque sorte son angle d'approche d'un phénomène social. J'ai depuis plusieurs années choisi d'analyser les relations hommes/femmes dans une problématique de rapports sociaux de sexe, en essayant de comprendre comment les luttes internes au rapport social créent des assignations de place aux hommes et aux femmes. Ceci nécessite d'étudier les transformations de la sexuation en oeuvre dans les pratiques et les représentations des hommes et des femmes.

Mon projet est de peaufiner et décrire la manière -dans la société française contemporaine- dont s'effectue cette lutte permanente au sein des rapports sociaux de sexe, et la manière dont ces luttes se donnent à voir, à entendre. Ceci nécessite un effort de métaphorisation.

L'utilisation d'une problématique en terme de mythe correspond à cette volonté scientifique.

C'est dans sa fonction de langage, que nous reprendrons le mythe, pour qualifier "les représentations de sens commun qui permettent la communication entre les individus d'une même société." Ce que BARTHES signifiait dans "Mythologies" :

"Le mythe est un langage, une parole, un système de communication, un message. C'est un mode de signification, c'est une forme."

Parce que le mythe moderne est vivant, il produit des variantes, des énoncés contradictoires, repérables dans les discours des hommes et des femmes
concerné-es.

Reprenant l'ensemble des énoncés de sens commun, on peut avancer cette formulation du mythe de la violence masculine domestique :

1- La violence est naturelle, d'ailleurs les hommes sont plus forts que les femmes.

2- Il existe un type d'homme violent : c'est un fou, un monstre, un malade, un alcoolique ou un homme sous l'emprise de la colère perdant son contrôle. Il appartient souvent aux classes populaires. .

3- Elles aiment çà. La femme battue : elle le cherche, le provoque, voire le désire. Ce n'est pas n'importe quelle femme qui est battue .

4- Il existe différentes formes de violence. Cela dépend de ce que l'on appelle violence. La violence, ce sont les coups journaliers : la violence s'exerce tous les jours.

5- Les femmes sont aussi violentes que les hommes et/ou la violence ce sont les hommes contre les femmes.

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Anthropologie et Sociétés

Les hommes violents par Daniel Welzer-Lang  Paris,
Lierre et Coudrier Éditeur, coll. Écarts, 1991, 332 p.
https://www.erudit.org/fr/revues/as/1992-v16-n3-as791/015246ar/
Daniel Welzer-Lang, sociologue, spécialiste du genre et de la question masculine, est maître de conférences à l’université de Toulouse-Le Mirail.