Sexualités et violences en prison

Penser les sexualités en Prison

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Sexualités et violences en prison

Qu'en est-il des abus sexuels dans les prisons françaises ? Sont-il réellement "sexuels" ? Comment se passent-ils ? Qui les subit ? Pourquoi ? Quel rôles y jouent surveillants et surveillantes ?

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 Penser les sexualités en Prison par  Daniel Welzer-Lang *

Quasimodo – n° 2 (« Corps incarcérés»), janvier 1997, Montpellier

http://www.revue-quasimodo.org/

 

LA REVUE m'a demandé un texte, rapide, percutant, pour essayer d'avancer quelques éléments problématiques sur la (on devrait dire « les ») sexualité en prison.

 

D'abord une remarque : on est souvent intéressé-e-s à étudier les sexualités des gens que l'on situe en marge, en diffraction du social : détenu-e-s, travesti-e-s,

prostitué-es… En personnalisant et en essayant d'individualiser des personnes appartenant à quelques groupes particuliers, on en vient vite à oublier l'essentiel : chez ces personnes, comme chez tout le mon - de, la sexualité n'est pas isolable (ou ne devrait pas être isolable) du reste des éléments sociaux qui composent et structurent leur vie. Notamment on oublie cela : on peut toujours rêver d'une sexualité, havre de paix, de tendresses et d'utopies multiples et variées. Eh bien, non ! Quand on étudie la sexualité de manière sociologique, on se rend vite compte, que les conditions d'exercice de la sexualité sont traversées par l'ensemble des éléments contingeants que l'on peut observer dans d'autres sphères du so - cial. Notamment dans la sexualité, on trouve comme ailleurs : les rapports de force et de pouvoir, les luttes pour l'autonomie individuelle et collective, des espoirs et des désespoirs… Bref, comme l'étudie tout-e étudiant-e de sociologie, la sexualité est traversée, construite et reconstruite en permanence à travers des rap - ports sociaux de classe, de sexe, les divisions intergénérationnelles et ethniques.

 

Si on veut savoir et comprendre les sexualités (La volonté de savoir… disait Foucault), il faut quitter nos présupposés sexologiques. Y compris pour pouvoir analyser la place et le sens du discours SUR la sexualité qui traverse les sciences humaines, comprendre ainsi pourquoi la sexualité est souvent enfermée dans un discours médical ou para-médical, psy ou autre. Le discours SUR la sexualité est de fait souvent un discours d'un pouvoir normatif qui, à travers l'étude des dysfonctionnements ou perversions, s'auto-institue spécialiste de LA discipline DES sexualités. Ou pour le dire autrement : en instituant un discours médical sur la sexualité, en déclinant une nosographie notamment sur les catégories pour traiter la sexualité (les catégories homosexualité, hétérosexualité sont de création récentes [fin XIXème, début XXème]), la médecine s'est affirmée comme un ordre de pouvoir qui a revendiqué ce champ comme relevant des catégories du normal, de l'anormal…

 

Ceci aboutit, en prison comme ailleurs à individualiser et à psychologiser des questions collectives en ne les présentant que comme une somme de questions et de cas individuels. Ainsi LA sexualité en prison est souvent posée comme la résultante sexologique du manque et de l'absence de l'Autre. Puisqu'il n'y a pas de femmes en prison, les hommes auraient une sexualité substitutive et palliative.

 

On en trouve un bel exemple dans l'article « La sexualité en prison » de Mme Perrin, psy - chothérapeute à la maison d'arrêt de Nantes, publié dans la Revue Pénitentiaire et de Droit Pénal 2 . Pour l'auteur, « le détenu est par définition un psychopathe, un être immature, dont les structures ne sont pas bien établies »... Si Lombroso, au siècle dernier, cherchait dans la configuration des cerveaux de délinquants une prédisposition biologique au crime, on voit que son discours n'a fait qu'être transposé chez d'autres selon des modalités à peine euphémisées. Le déterminisme biologique est devenu déterminisme psychologique. En conséquence de cette immaturité supposée et essentialisée, « sa sexualité sera donc entachée de fixations infantiles ; elle est loin d'être la sexualité génitale d'un adulte arrivé à maturité. La prison ne fait que révéler leur sentiment d'échec et de revendication affective » continue Mme Perrin.

 

Ce type de discours, sorte de prêt-à-penser au vernis scientifique aisément mobilisable en cas de contestation de sa légitimité, se révèle être une ressource de poids potentielle pour l'institution carcérale lorsque sont mises en cause les conséquences pour la santé du détenu de son incarcération ou lorsque émergent des revendications d'exercice de la sexualité en détention. Selon ce discours, le détenu étant par définition psychopathe, l'institution pénitentiaire s'efface dans la genèse des troubles et ne saurait être tenue le moins du monde responsable de l'état psychologique de ses pensionnaires. Si ceux-ci présentent des troubles du comportement, cela ne tient pas à leurs conditions de détention, mais est plutôt l'aboutissement de problèmes psychiques antérieurs (puisque la délinquance est elle-même le symptôme d'une pathologie, CQFD).

 

 Une autre difficulté pour « penser » cette question réside dans l'hégémonie de la vision juridiste du fonctionnement de l'institution pénale. Cette vision repose sur l'idée que la règle de droit (qui semble dire en substance que « l'exercice de la sexualité est interdit en prison ; la privation de sexualité fait partie de la peine au même titre que la privation de la liberté de mouvement ») serait le principe de compréhension pertinent du comportement des acteurs. La pratique des individus ne serait en fin de compte qu'exécution de la règle (la loi et, dans le cas qui nous intéresse et par délégation, le règle - ment de la prison), principe déterminant en dernière instance de tous les comportements et attitudes. Le juridisme accorde à la règle, d'emblée et sans l'interroger, une autorité contraignante quasi-magique, que celle-ci est pourtant loin de détenir. Ceci l'amène, pour comprendre les conduites des individus ou des groupes, à recourir « au modèle de l'être rationnel, clairvoyant ou omniscient, intégrant le respect de la règle en tant que règle dans la poursuite de ses fins, ou bien [à] réduire l'acteur, ce qui n'est pas moins inacceptable, au statut et au rang d'automate hétéronome » Considérer, comme le font certains juristes, que cette force contraignante du droit serait essentiellement conférée à la règle par la crainte des sanctions qu'entraînerait sa transgression relève en fin de compte d'une vision tout aussi naïve de la vie sociale, et occulte le fait que le respect pourrait n'être qu'une modalité parmi d'autres, et non pas la seule déterminante, d'attitude face à la règle. Je ne développe pas plus, laissant aux lecteurs et lectrices le soin de lire ce que nous avons écrit sur cette question.

 

Sociologiquement, une telle vision du monde social est intenable pour plusieurs raisons. D'une part, on vient de le montrer, elle interdit de penser en tant que telle la pratique concrète des acteurs, c'est-à-dire en fait le plus fondamental, ce que vivent au jour le jour les détenu-e-s, les surveillant-e-s, le directeur de l'établissement, les visiteurs, etc. D'autre part, en sacralisant le texte de la loi, elle en fait un quasi-fétiche naturalisé, essentialisé et a historique, et occulte tout ce que la règle doit aux conditions sociales de sa construction, notamment le rapport que le législateur entretien avec la pratique qu'il légifère  « Le juge, disait Marx, applique le code, et c'est pourquoi il considère la législation comme le véritable moteur actif. »

 

BRISER LE SECRET DES DOMINANTS

 

Une difficulté commune que nous avons rencontrée lors de l'étude sur les sexualités en prison et dans notre travail sur la prostitution, mais plus communément dès que l'on veut étudier les sexualités quelle que soit la surface d'émergence du discours, est comment l'exercice des rapports sociaux de sexe aboutit à occulter les pratiques des dominants : les hommes.

 

Quelques exemples rapides :

 

– on va questionner les trajectoires sociales des femmes prostituées, théoriser comment on devient prostituée, comment on « s'en sort », etc. On évite soigneusement de présenter le dispositif de travail sexuel/pornographie pour ce qu'il est : un dispositif à l'usage de tous les hommes pour leur permettre de vivre leur polygamie. La question sociologique n'est pas seulement de savoir qui devient ou pas prostitué, mais aussi – peut-être surtout – qui ne devient pas client et pourquoi ?

 

On étudie le cas de quelques viols en détention qui arrivent à s'échapper des murs comme autant de dérapages individuels à traiter comme tels. On oublie de regarder comment le rapport de force entre hommes, que chacun (et pas chacune) sait permanent, de la cour d'école aux cercles de pouvoirs politiques s'exerce à travers la stigmatisation homophobe 8  des plus faibles

 

La prison doit être analysée comme une for - me spécifique de la « Maison des hommes » et les hommes abusés : les homosexuels, les travestis, les hommes désignés comme homosexuels et/ou faibles et/ou fragiles, viennent dessiner en creux les contours de l'identité masculine normale.

 

Une autre difficulté est liée à nos disciplines : sociologie et anthropologie. Androcentrisme aidant, les sciences sociales ont une forte tendance à dévaluer toute connaissance produite par des dominées (les femmes) d'autant plus quand celles-ci critiquent la domination masculine qui structure – aussi – nos disciplines. Ainsi « on » peut encore se permettre de faire des ouvrages synthétiques sur la famille sans dire un mot des violences faites aux femmes, pourtant décrites depuis plus de vingt ans par des sociologues féministes. « On » enseigne la sexualité, la sexuation du social sans intégrer les écrits fondateurs des Delphy, Mathieu, Tabet et autres Guillaumin qui offrent pourtant tout un appareillage conceptuel permettant de déconstruire, et finement, les processus de domination.

 

En bref, on enseigne les hommes, du moins ceux qui respectent le cadre patriarcal, les femmes qui se soumettent aux cadres de la domination et, au mieux, on renvoie d'un revers de main vers les études féministes considérées alors comme une sous-discipline mineure, les outils qui nous permettraient en fin-e-s sociologues que nous voulons être, de comprendre quelque chose des fabuleux bouleversements que nous sommes en train de vivre. Femmes et hommes.

 

Daniel Welzer-Lang Maître de Conférences Institut Raymond-Ledru, UFR de Sociologie Université Toulouse Le Mirail, E Mail dwl@cict.f

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Sexualités et violences en prison
Daniel Welzer-Lang, Lilian Mathieu, Michaël Faure
Préface de Michèle Perrrot -Postface de Bernard Bolze
Observatoire International des Prisons - Aléas
Aleas Editeur, novembre 1996

http://www.sudoc.abes.fr/xslt/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=059842814

Mots clefs : Prison, rapports sociaux de sexe, genre, hommes, masculin, abus dits sexuels, violences, sexualité, sida