La peur de l'autre en soi, du sexisme à l'homophobie

Une science-fiction

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La peur de l'autre en soi, du sexisme à l'homophobie  

Daniel WELZER-LANG, Pierre DUTEY et Michel DORAIS 

vlb éditeur 1994 - Québec;

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Une science-fiction
Michel Dorais

L'auteur est chercheur, formateur et consultant en sexologie et en intervention sociale. Il a publié, chez le même éditeur, plusieurs ouvrages sur la sexualité et la condition masculine: Les Enfants de la prostitution, Les Lendemains de la révolution sexuelle, L'Homme désemparé, Tous les hommes le font et, en collaboration, Une Enfance trahie.

INTRODUCTION

Prétendre que la recherche des causes de l'homosexualité procède, en grande partie, de la science-fiction pourra sembler audacieux. Pourtant, j'entends bel et bien montrer comment la théorie et la recherche sur l'homosexualité masculine[1] ont présumé de son caractère inné (on naîtrait homosexuel ou on le deviendrait très tôt), laissant entendre que les individus concernés auraient quelque chose en moins que les autres (un gène, un morceau de cerveau, des hormones, etc.), ce qui les apparenterait jusqu'à un certain point aux femmes[2] et les éloignerait de la constitution de l'homme normal. En effectuant un bref inventaire des théories et des recherches «essentialistes» généralement invoquées pour expliquer l'homosexualité masculine, je veux aussi démontrer combien leurs prémisses, leurs méthodes et leurs conclusions sont non seulement critiquables mais peu scientifiques, leurs assises empiriques étant des plus fragiles, et souvent inexistantes.

La contrepartie du discours essentialiste est encore récente: ce n'est que depuis les années cinquante, et surtout depuis la décennie soixante-dix, que les théories dites constructivistes ont commencé à s'opposer aux discours jusqu'alors dominants sur le statut pathologique, marginal et déviant de l'homosexualité. Cette nouvelle perspective sera présentée dans la deuxième partie de ce texte, en insistant sur ses apports novateurs à la compréhension de la sexualité en général et de l'homosexualité en particulier. 

Avant de parcourir ces diverses écoles de pensée, une remarque s'impose. Si, dans l'abstrait, on peut dire que toutes les théories se valent, il faut reconnaître qu'elles n'ont pas toutes les mêmes conséquences. En effet, elles ne débouchent ni sur la même vision du monde ni sur des stratégies similaires pour changer ou préserver l'ordre des choses. Ceci est particulièrement vrai pour les théories concernant l'homosexualité: non seulement énoncent-elles un jugement a priori sur le statut de l'homosexualité, que ce soit comme catégorie, comme comportement ou comme source d'identité, mais encore elles conditionnent par le fait même son rejet, sa marginalisation, sa tolérance ou son acceptation. La science n'est jamais neutre: l'observation scientifique la plus désintéressée opère une sélection parmi une infinité de faits pour n'en retenir que quelques-uns, supposés plus significatifs que d'autres. Devant des théories contradictoires ou opposées, il est légitime de vouloir prendre parti: l'histoire des sciences, loin d'être un long fleuve tranquille, a toujours été jalonnée de confrontations et de débats. Et ce sont ces derniers qui ont contribué à transformer et à raffiner notre vision du monde, de l'être humain, de sa psychologie et de sa sexualité. La connaissance n'est-elle pas une quête inachevée?

ARRIÈRE PLAN SOCIAL ET HISTORIQUE
ou Comment en sommes-nous arrivés là?

Que nous apprend la recherche scientifique sur le développement des orientations et des préférences sexuelles? À vrai dire, peu de chose, la plus grande partie de la recherche ayant été concentrée sur l'explication de cas particuliers, considérés problématiques, en particulier l'homosexualité[3]. Et encore: la recherche des causes de l'homosexualité procure, le plus souvent, davantage d'informations sur les préjugés des chercheurs que sur le phénomène qu'ils étudient.

Pourquoi cet entêtement à vouloir trouver les «causes» de l'homosexualité, délaissant à toutes fins pratiques celles de l'hétérosexualité ou de la bisexualité? Pour répondre à cette question, plusieurs facteurs d'ordre historique et sociologique peuvent être évoqués.

Le développement de la science à des fins normatives explique en bonne partie l'insistance accordée, dès la fin du siècle dernier, à la détection, l'explication et le traitement des conduites et des personnes jugées anormales. La création et la médicalisation de l'homosexualité comme entité nosologique remonte presque au milieu du XIXe siècle, alors que la médecine et la psychiatrie tendent à remplacer la religion et la législation dans la définition sociale de la normalité. Un auteur de la fin du siècle dernier écrit:

Les invertis du sens génital, avant toute procédure, doivent être soumis à l'examen du médecin. Le médecin seul a compétence pour décider si le prévenu est un aliéné irresponsable, à colloquer dans un hospice où l'on peut essayer de le guérir, ou un vicieux et un criminel, à envoyer devant les juges. Pour le vicieux ou le vicié, je demande la sévérité; l'inverti doit être mis hors la société et placé au rang de la bête, dont il a pris le caractère, parce qu'il déshonore l'espèce et qu'il est devenu dangereux. Il ne peut, en effet, arriver à ses fins sans corrompre ou pervertir les autres[4].

Considérant a priori l'homosexualité comme «inversion» de l'instinct normal (l'article précurseur de l'Allemand Westphal sur les «tendances sexuelles contraires» date de 1870), les théoriciens de l'époque et leurs héritiers voudront découvrir ce qui, dans l'anatomie ou dans la genèse familiale du «patient», a pu provoquer son anomalie.

Depuis longtemps criminalisée par l'État et rejetée par la religion, l'homosexualité, en devenant une perversion, eut durant un siècle le rare privilège d'être combattue à la fois comme maladie, comme crime et comme péché. Évidemment, cela ne manquera pas de marquer les esprits. En fait, ce n'est qu'assez récemment que l'homosexualité a cessé d'être considérée en elle-même comme un problème mental. À la suite d'un référendum tenu en 1973, l'Association des psychiatres américains la rayait en effet de la liste des problèmes mentaux[5]. Mais c'est seulement en décembre 1991 que l'Organisation Mondiale de la Santé décidait d'emboiter le pas. Rappelons qu'au Canada l'homosexualité entre adultes consentants est demeurée un crime jusqu'en 1969 et qu'au Québec la Charte québécoise des droits et libertés a reconnu le droit à la non-discrimination basée sur l'orientation sexuelle dans un amendement adopté, après de houleux débats, à la fin de 1977. Enfin, l'homosexualité constitue toujours une faute pour la majorité des religions pratiquées en Occident; une directive du Vatican aux évêques catholiques rappelait, en juillet 1992, «qu'une discrimination sur la base des tendances homosexuelles n'est pas injuste».

Un autre facteur a contribué à ralentir le développement d'études non biaisées de l'orientation (homo)sexuelle: la négation de l'homosexualité dans l'histoire même des peuples et des civilisations. En trafiquant les textes d'origine, en les adaptant de façon à neutraliser leur dimension homo-érotique, quand il ne s'agissait pas du rejet pur et simple de cet héritage, et en dénigrant les sociétés barbares ou primitives ayant donné libre cours à des pratiques ouvertement homosexuelles, nombre d'historiens et d'anthropologues ont participé au tabou entourant l'homosexualité. C'est grâce aux publications relativement récentes de chercheurs tels que Boswell, Katz, Dover ou Sergent[6] que la présence et l'apport de l'homosexualité dans la culture et l'histoire ont fait l'objet d'une certaine reconnaissance, sans parti pris moralisateur. Encore faut-il souligner qu'il s'agit là d'un acquis très inégalement réparti parmi les sciences humaines, surtout en pays francophones.

Ce n'est qu'assez récemment que les explications pathologisantes et essentialistes, qui considèrent l'orientation homosexuelle comme un problème objectif et une composante innée, se sont vues questionnées. Percevant plutôt l'orientation sexuelle comme fait subjectif et composante culturelle, les théories dites constructivistes ne se sont en effet développées qu'à partir des années soixante-dix. En rupture avec les théories jusque-là dominantes, l'école constructivisme montre que l'homosexualité est une création moderne; non pas, évidemment, en tant que comportement, mais en tant que catégorie stigmatisée, en tant que pratique d'une minorité supposément différente de la majorité, en tant que rôle ou étiquette indélébiles. Les essentialistes mettaient l'accent sur le caractère particulier de l'homosexualité et de ses origines; les constructivistes démontreront non seulement l'arbitraire de la stigmatisation de l'homosexualité, mais questionneront son infériorisation comme entité intrinsèquement différente de la «majorité normale». Volontiers déterministes, les théories de type essentialiste adhéraient à la croyance selon laquelle certains ratés de la nature seraient responsables de l'homosexualité. Les constructivistes, quant à eux, refuseront tout déterminisme simpliste, en raison de la pluralité, sinon de l'enchevêtrement des facteurs pouvant expliquer les conduites humaines. Aussi, ils s'attarderont généralement moins à l'étiologie de l'homosexualité, considérée non problématique en elle-même, qu'aux causes de sa marginalisation[7].

Dans le texte qui suit, nous passerons en revue les principales variantes de ces écoles de pensée afin d'en mieux saisir les tenants et aboutissants. Alors que, du côté essentialiste, on retrouvera les explications hormonales, génétiques ou sociobiologiques, psychanalytiques et physiologiques, on situera du côté constructiviste les études interactionnistes symboliques, les théories de l'apprentissage social, la théorie de l'étiquetage et les recherches de type anthropo-sociologique. Le tableau placé à la toute fin de ce chapitre illustre et situe schématiquement chacun de ces courants.

 

LES THÉORIES ESSENTIALISTES

À partir du moment où l'homosexualité fut considérée d'emblée comme quelque chose d'anormal, de pervers ou de déviant, les chercheurs se sont appliqués à expliquer d'où provenait ce défaut de la nature. D'inspiration biomédicale, la vision essentialiste concentre toute son attention sur la déviation que constitue l'homosexualité par rapport à la norme hétérosexuelle, tout en présumant une origine principalement biologique aux préférences sexuelles. Très déterministe dans les relations de causes à effets qu'il propose, le courant essentialiste s'est appliqué à rechercher une explication unique et définitive à l'homosexualité. Comme il a régné en maître absolu pendant près de cent ans, soit des années 1870 aux années 1970, il n'est pas surprenant qu'il ait profondément marqué la recherche scientifique, l'intervention thérapeutique et les croyances populaires les plus courantes au sujet de l'homosexualité.

Dans le sillage essentialiste, des psychanalystes ont recherché la configuration familiale type susceptible de produire cette «inversion[8]» (ce sera le fameux trio: père faible/absent, mère dominatrice/castratrice et garçon soumis/efféminé). Des médecins et biologistes se sont demandés quelle partie du corps (des hormones aux parties du cerveau — fussent-elles de la grosseur d'un grain de sable) serait LA cause de ce dérèglement. Plus récemment, la génétique et la sociobiologie américaines ont cru voir en certains gènes récessifs les grands responsables. Sans compter la sempiternelle explication physiologique à l'effet que les personnes homosexuelles seraient constituées différemment des autres. Passons brièvement en revue ces écoles de pensée et voyons quelles critiques peuvent leur être faites à la lumière des connaissances actuelles.

 

LE FREUDISME ou C'est la faute à papa/maman

Il pourra sembler surprenant d'inclure d'emblée le freudisme parmi les théories essentialistes, alors que Freud a posé la bisexualité comme l'état premier de la sexualité enfantine. Certes, le freudisme relève d'un essentialisme plus faible que, disons, la sociobiologie. Il s'apparente néanmoins à l'essentialisme de deux façons. D'abord en postulant une disposition innée à l'homosexualité (ou à l'hétérosexualité, les deux étant dérivées d'une bisexualité originelle), prédisposition que viendront très tôt orienter certains traumatismes familiaux vécus en bas âge. Ensuite, en effectuant de façon très déterministe des liens de causalité linéaire entre certains événements considérés marquants dans la structuration d'une orientation homosexuelle dès l'enfance ou la prime adolescence.

La psychanalyse offre, en fait, cinq types d'explications de l'homosexualité[9], certaines d'entre elles pouvant par ailleurs se recouper. Révisons-les rapidement, en mentionnant les limites de chacune.

La première explication postule que l'enfant reste figé dans une phase auto-érotique, fixé d'abord sur ses propres organes génitaux pour ensuite transposer cet attrait «narcissique» sur ceux qui lui ressemblent, soit les autres garçons. Contredit toutefois cette hypothèse le fait que beaucoup d'hommes homosexuels n'érotisent pas des hommes qui leur ressemblent, bien au contraire. Ainsi, un homme grand, velu et costaud peut très bien avoir comme partenaire un homme petit, glabre et frêle (quoique l'altérité entre deux personnes puisse être, et s'avère généralement, beaucoup plus subtile). La ressemblance ou la différence entre êtres sexués et l'attrait qui en découle ne proviennent pas uniquement des organes génitaux ou de la conformation corporelle, mais de toute caractéristique perçue comme attrayante et complémentaire chez la personne érotisée. Autrement dit, ce qui est considéré par les freudiens comme de l'attrait pour «le même» pourrait tout aussi bien être défini comme du désir pour «l'autre», à partir du moment où ce dernier est perçu comme différent de soi et, de ce fait, complémentaire, quel que soit son sexe biologique. En effet, il ne suffit pas d'être un homme pour être foncièrement différent d'une femme et forcément semblable à tout autre homme: l'observation la plus élémentaire de la nature humaine ne plaide-t-elle pas en faveur de son infinie diversité, y compris à l'intérieur du groupe «hommes» et du groupe «femmes»?

La deuxième explication freudienne met en cause la peur de la castration: ayant découvert la différence anatomique entre hommes et femmes, le garçon craindrait d'être «castré», comme le seraient supposément les femmes, ceci pour le punir d'avoir trop aimé ou désiré sa mère. Il s'en tiendrait donc à la fréquentation d'autres hommes, voisinage qui l'éloignerait de celui du sexe féminin, trop susceptible de raviver en lui l'anxiété due à ce «complexe de castration». On peut répondre à pareille hypothèse par une interrogation: l'angoisse de castration est-elle si manifeste et si universelle? Les petits garçons pensent-ils vraiment que les femmes sont des mâles castrés[10]? Ceci est loin d'être évident et reste à démontrer. Même si cela était, il faudrait alors prouver que les hommes homosexuels auraient, jeunes enfants, ressenti plus de crainte encore que les autres d'être castrés. Or, aucune donnée ou recherche disponible ne permet de répondre par l'affirmative à cette supposition.

Troisième explication freudienne de l'homosexualité: un complexe d'Oedipe mal résolu. Amoureux de sa mère, l'enfant «normal» verrait en son père un rival menaçant. Le tabou de l'inceste s'interposant, en plus, entre l'enfant et l'objet de son désir, il se tournerait alors d'emblée vers les autres femmes. Ceci constitue un Oedipe résolu. Or, l'homosexualité serait causée par le dérapage de cette dynamique. Supposons, en effet, que l'enfant ne voie pas en son père un rival, soit parce que sa mère «domine» son époux[11] ou préfère manifestement son enfant à ce dernier, soit parce que l'enfant craint que son père ne s'interpose entre lui et toutes les femmes. Dans tous ces cas, le garçon se tournera sexuellement vers d'autres hommes, d'autant plus que cela ne viole plus le tabou de l'inceste mère-fils et ne crée plus d'angoisse de castration (telle que précédemment définie). Voilà, en résumé, l'hypothèse freudienne la plus en vogue pour expliquer l'homosexualité, hypothèse qui faisait dire à Freud que l'homosexualité était davantage un arrêt du développement sexuel qu'une maladie[12]. Encore là, cependant, on peut questionner les assertions freudiennes. En effet, le tabou de l'homosexualité dans nos sociétés n'a-t-il pas été, jusqu'à tout récemment, aussi fort que celui de l'inceste? On comprend mal, dès lors, pourquoi la résistance provoquée par le tabou de l'inceste mère-fils aurait fait basculer l'enfant dans une conduite tout aussi interdite et décriée, c'est-à-dire l'homosexualité. Et l'on voit mal comment ce «choix homosexuel» pourrait en être un de facilité, comme le suggère la théorie freudienne. La peur de l'inceste ou d'une éventuelle castration punitive fait-elle vraiment le poids à côté de l'expectative, tout aussi menaçante, d'être stigmatisé, jugé et rejeté sa vie durant à cause de son orientation homosexuelle, laquelle n'est jamais présentée à l'enfant comme «choix» légitime et viable mais, bien au contraire, comme déviance et perversion?

Quatrième explication freudienne de l'homosexualité: amoureux de sa mère lors de sa phase oedipienne, le garçon ressent alors une forte jalousie envers son père, celle-ci pouvant aller jusqu'à des sentiments violents, voire meurtriers, pour ce père auquel il ne peut plus, dès lors, s'identifier. C'est alors que, réprimant ses pensées coupables et les transformant en leur contraire, grâce à un mécanisme de défense appelé «formation réactionnelle», l'enfant en vient à choisir comme objet sexuel des hommes qui, d'une certaine façon, symbolisent son père. Devant pareille hypothèse, on pourrait argumenter qu'il n'est guère évident que la haine parvienne à se changer en désir; par ailleurs aucune recherche clinique n'a encore montré que la majorité des hommes homosexuels auraient eu tendance à érotiser leur père biologique durant leur enfance ou leur adolescence.

Cinquième explication: l'enfant s'identifie à sa mère plutôt qu'à son père. Il choisit conséquemment des objets sexuels qui se rapprochent de ceux que préfère sa mère, soit les hommes, son père, ou lui-même. Freud écrit:

Si la psychanalyse, jusqu'ici, n'a pas pu éclaicir complètement les origines de l'inversion, elle a du moins pu découvrir le mécanisme psychique de sa genèse. Dans tous les cas observés, nous avons pu constater que ceux qui seront plus tard des invertis passent pendant les premières années de l'enfance par une phase de courte durée où la pulsion sexuelle se fixe de façon intense sur la femme (la plupart du temps sur la mère) et qu'après avoir dépassé ce stade, ils s'identifient à la femme et deviennent leur propre objet sexuel, c'est-à-dire que, partant du narcissisme, ils recherchent des adolescents qui leur ressemblent et qu'ils veulent aimer comme leur mère les a aimés eux-mêmes[13].

Cette explication, bien que souventes fois utilisée de nos jours, confond malhabilement identité sexuelle et orientation sexuelle qui, tel que nous le verrons plus loin, ne sont nullement synonymes. Se reconnaître homme ou femme est une chose; développer un attrait envers des femmes ou des hommes en est une autre.

Plus de cinquante ans après les révélations freudiennes, quelles études confirment les hypothèses avancées par la psychanalyse? Bien peu, mises à part certaines études ou interprétations de cas chères aux psychanalystes, Freud le premier. Mais comment dire si un cas est représentatif ou pas, et s'il présente des caractéristiques universelles ou atypiques? De plus, les freudiens ont tendance à trouver partout confirmations à leurs théories; là où apparaissent des contradictions, ils parlent volontiers de «refoulement», de «latence» ou de «résistance» de la part du patient. Bref, comme le soulignait l'épistémologue Karl Popper, «Il n'existe aucun comportement humain qui puisse les contredire[14]». Dressant un bilan très critique des études freudinnes sur l'homosexualité, le psychanalyste américain Robert Stoller écrit:

(...) la façon dont nous, analystes, rédigeons nos présentations non seulement déforme nos observations mais modèle nos théories et nos conclusions, entraînant des conséquences éthiques, morales, politiques, sociales. (...) nous dissimulons notre manque d'observations démontrables, fiables, en manipulant des mots, non des variables (...)[15]

Et il va jusqu'à conclure:

Nous avons converti le diagnostic [d'homosexualité] en accusation et dissimulé notre comportement sous le jargon qui, s'il voile la haine, développe la cruauté; le jargon est un jugement. Il est au service de programmes cachés.[16]

Il y a quelques années, une étude américaine de Bell, Weinberg et Hammersmith[17] a montré, mais chez une partie seulement de leur échantillon, une certaine différence entre hommes homosexuels et hétérosexuels dans la vision qu'ils avaient d'eux-mêmes, étant enfants (les hommes homosexuels s'étant trouvés moins masculins que les autres) et dans leurs relations passées avec leurs parents (considérées positives avec une mère «forte» mais négatives avec un père jugé plus faible ou plus distant chez les hommes homosexuels). On peut toutefois se demander si ces caractéristiques seraient la cause d'une orientation homosexuelle en gestation chez le jeune garçon ou plutôt son résultat. En effet, la sensation de ne pas être conforme à son sexe pourrait tout aussi bien provenir de la découverte de son orientation homosexuelle que la précéder. Ensuite, pressentant leur fils différent d'eux, certains pères s'en éloigneraient peut-être, plus ou moins consciemment, encourageant ainsi un rapprochement avec la mère, par exemple. Nous l'oublions trop souvent, les enfants influencent autant le comportement des parents que vice versa: les attentes parentales à l'égard des garçons étant souvent stéréotypées, sinon irréalistes, elles sont fréquemment déçues, en particulier chez le père ayant reporté sur son jeune fils ses idéaux ou ses rêves irréalisés. Enfin, il est vraisemblable que les réponses d'individus interviewés sur les supposées origines de leur orientation sexuelle soient socialement induites. En effet, combien de gens ont tendance à blâmer les autres pour leurs fautes? Or, préjugés aidant, l'homosexualité en demeure encore une aux yeux de beaucoup de personnes. De plus, la théorie psychanalytique a été suffisamment diffusée pour qu'elle puisse colorer le rationnel invoqué par les individus à propos de leurs préférences sexuelles: on se réfère plus aisément aux explications que l'on connaît déjà. Quoi qu'il en soit, la présence du trio père faible, menaçant ou absent, mère séductrice, dominatrice ou castatrice et enfant timoré, même si elle se retrouve en certains cas, n'apparaît pas prédictive d'une orientation homosexuelle: un trop grand nombre d'hommes hétérosexuels ont vécu la même dynamique. Cela devrait suffire à prouver que des relations parentales tourmentées ne sont ni nécessaires ni suffisantes pour provoquer l'homosexualité.

 

LA SOCIOBIOLOGIE ou Quand les gènes se mettent à réfléchir...

La thèse sociobiologique est simple: les comportements sexuels seraient programmés génétiquement, donc innés. On retrouve deux variantes de cette école de pensée. La première, la moins diffusée des deux, celle de Kallman[18], qui affirme que les gènes des personnes homosexuelles sont en eux-mêmes différents. La seconde hypothèse, conçue par Wilson[19], le père de la sociobiologie, prétend que ces gènes ne sont pas intrinsèquement différents mais qu'ils ont des facultés adaptatives les amenant à faciliter leur propre reproduction. Ainsi, les gènes pourraient «décider», en toute moralité[20], qu'il n'est pas bon pour certains hommes de se reproduire et qu'il vaudrait mieux pour eux s'occuper des enfants des autres (de leurs frères et soeurs, nommément), ce qui serait, avance Wilson, le cas des hommes homosexuels. Prémisse centrale de la sociobiologie: nos gènes veulent se reproduire, l'Homme n'étant qu'une machine à survie utilisée par ses gènes. Surgit immédiatement une première critique: depuis quand les gènes ont-ils la faculté de penser, voire de devenir fins stratèges dans leur lutte pour la survie de leur espèce? Ne prête-t-on pas des caractéristiques anthropomorphiques, c'est-à-dire des sentiments humains, à des composantes biologiques qui ne sauraient d'aucune façon en avoir?

C'est par un raisonnement assez tortueux que la sociobiologie explique l'homosexualité. D'abord, Wilson affirme que l'homosexualité serait le fruit de «gènes homosexuels récessifs». Encore là: depuis quand les gènes possèdent-ils, en propre, une orientation sexuelle? Ensuite, l'auteur postule que les individus homosexuels seraient nécessaires à l'espèce puisque fondamentalement altruistes, étant disposés à s'occuper des enfants de leurs frères et soeurs, eux-mêmes ne pouvant avoir de progéniture. L'altruisme fraternel des personnes homosexuelles aurait, en effet, le mérite de maximiser tout de même les chances de reproduction et de survie de leurs gènes familiaux. On le devine aisément, rien ne prouve ce curieux raisonnement, d'autant plus que les femmes et les hommes homosexuels ou bisexuels peuvent eux-mêmes avoir des enfants avec des partenaires hétérosexuels (et plusieurs, de fait, en ont eus). Sur le plan historique, rien n'indique, non plus, que les personnes homosexuelles se soient si notablement occupées de leurs neveux et nièces. Enfin, on ne voit pas comment des gènes, dotés miraculeusement de morale, puissent s'avérer altruistes et transmettre ipso facto cette qualité à ceux qui les portent!

Dans sa naïveté, Wilson croit que l'homosexualité, désormais prouvée «innée» grâce à ses bons soins, ne sera plus source de discrimination. Hypothèse séduisante, mais vite anéantie par les faits: chacun sait que la couleur de la peau est transmise génétiquement sans que cela n'ait jamais eu d'impact sur le racisme. On ne voit pas pourquoi il en serait autrement advenant la découverte des racines soi-disant génétiques de l'homosexualité. À l'inverse, reconnaître que les désirs et les comportements sexuels puissent être appris ou construits, d'une façon ou d'une autre, ne signifie pas que l'individu participe de façon active, volontaire et rationelle à cet apprentissage, et encore moins qu'il doive en être blâmer — à moins, bien sûr, qu'on nourrisse a priori des préjugés à l'endroit de ces désirs et comportements...

C'est grâce à des études auprès de jumeaux identitiques qu'une nouvelle génération de chercheurs américains ont voulu démontrer le caractère inné de l'homosexualité. Si les médias ont accordé une vaste publicité aux rapides conclusions de ces recherches, ils furent beaucoup plus réservés quant vint le temps de les critiquer, voire de les contredire... En fait, une grande partie des recherches conduites auprès des jumeaux identiques — dits aussi homozygotes puisque porteurs des mêmes gènes — repose sur le discutable postulat que les différences entre eux sont toutes causées par l'environnement alors que leurs similitudes sont attribuables uniquement aux gènes qu'ils partagent[21] (à l'exclusion de toutes autres explications, parmi lesquelles la coincidence, le désir de plaire aux chercheurs, les relations existant ou ayant existées entre ces jumeaux, leur socialisation et leur éducation, qu'elles soient communes ou différentes). Par exemple, J. Michael Bailey et Richard C. Pillard concluent de leurs enquêtes auprès de jumeaux identiques que le seul facteur pouvant expliquer qu'environ 50% d'entre eux adoptent la même orientation sexuelle est d'ordre génétique[22]. Le fait que des jumeaux identiques soient souvent non seulement élevés mais habillés de la même façon dans leur enfance, confondus l'un l'autre, soumis à des expériences familiales et développementales similaires n'a apparemment pas effleuré l'esprit des deux chercheurs, tout obnubilés qu'ils étaient par le facteur génétique.

Une autre étude ayant fait beaucoup de bruit, celle de Dean Hamer et de son équipe du National Cancer Institute des États Unis[23], compare, cette fois, quarante paires de frères homosexuels non jumeaux. Elle conclut à une structure génétique de l'homosexualité puisque 64% d'entre eux auraient en commun un matériel génétique spécifique du chromosome X hérité de leur mère. La «preuve» avancée par les chercheurs est de deux ordres: les hommes interrogés ont davantage de parentèle homosexuelle du côté maternel et n'auraient, à l'exception de leur orientation sexuelle, aucune autre caractéristique commune entre eux (ce qui est difficile à croire: on imagine mal comment trente-trois paires de frères peuvent n'avoir absolument rien d'autre en commun...). Évidemment, le chercheur principal s'empresse d'ajouter que «son étude ne montre pas qu'un seul gène détermine l'orientation sexuelle, mais que plusieurs facteurs comme l'éducation et l'environnement peuvent jouer un rôle»[24]. Et pour cause: tout au plus la recherche en question propose-t-elle une très hypothétique corrélation, puisqu'elle n'établit d'aucune façon une relation de cause à effet entre matériel génétique et homosexualité. De plus, il demeure extrêment hasardeux d'établir une relation causale entre un gène et des comportement aussi complexes que le sont les choix de partenaires et d'activités sexuelles. Ce qu'admettent d'ailleurs les chercheurs, en dépit des gros titres générés par leur «découverte». L'obsession de certains scientifiques américains qui s'appliquent à trouver une explication génétique à l'homosexualité traduit bien leur malaise devant un comportement qu'il importe à tout prix d'expliquer par quelque chose de particulier, d'atypique, d'anormal. Loin de rassurer les gens, comme certains militants le souhaiteraient[25], l'explication génétique de l'homosexualité la fait, au mieux, changer de catégorie ou de classification: l'ancienne perversité devient handicap ou maladie héréditaire, mais en aucun cas elle n'est considérée normale — et c'est, semble-t-il, ce qu'il fallait démontrer.

Bien qu'extrêmement médiatisée, l'explication génétique a cependant connu au cours des dernières années de nombreux échecs, à propos desquels la grande presse s'est montrée beaucoup plus discrète, sinon muette. C'est ainsi qu'après avoir proclamé que la criminalité, la dépression, la schizophrénie et l'alcoolisme étaient génétiques, la plupart des chercheurs concernés ont dû se rétracter après avoir vu leurs données ou leurs conclusions contredites. Pourtant, le grand public n'en a jamais entendu parlé et le mythe du déterminisme génétique perdure là où la complexité et la diversité des comportements semblent, aux yeux de certains scientifiques, trop difficiles à expliquer autrement .

 

LES THÈSES HORMONALES ou Comment les hormones développent des goûts sexuels...

Les hormones sont des substances sécrétées par les glandes endocrines, qui déversent leurs subtances directement dans le sang. En ce qui concerne l'étiologie de l'orientation sexuelle, deux types d'hormones seraient concernés, séparément ou simultanément, selon les chercheurs: les hormones «mâles» ou androgènes et les hormones «féminines» ou oestrogènes.

Depuis au moins cinquante ans, les résultats des études sur les causes hormonales de l'orientation sexuelle se sont avérés pour le moins contradictoires[26]: la majorité ne trouvent tout simplement aucune différence significative entre population homosexuelle et population hétérosexuelle, certaines suggèrent que les individus homosexuels d'un sexe ou de l'autre auraient un taux plus élevé de certaines hormones, alors que d'autres concluent, au contraire, qu'ils ont un taux plus bas des mêmes hormones!

Figure de proue de cette école de pensée, l'Américain John Money[27] persiste dans ses explications de type hormonal, s'attachant aux hormones prénatales à la suite de son incapacité à démontrer ses hypothèses aux moyens d'études post-natales. Selon sa dernière théorie, il y aurait orientation du futur comportement sexuel au moment où les cellules du cerveau sont «sexualisées» par les hormones sexuelles. Si cette hypothèse était fondée, une grande proportion d'hommes homosexuels devraient avoir manifesté, à la naissance, certains reliquats de leur débalancement hormonal; or, aucune étude n'a jamais démontré une telle chose. Par ailleurs, si ce sont les hormones qui influencent vraiment l'orientation sexuelle, on pourrait se demander: qu'est-ce qui influence ces hormones[28]? Comme on le voit, la recherche compulsive de LA cause biologique ultime de l'homosexualité mène vraisemblablement à une régression quasi infinie de questions, remontant de la vie adulte à l'enfance, de l'enfance à la vie embryonnaire et, éventuellement, de la gestation aux caractéristiques des parents géniteurs et de leur propre bagage génétique ou hormonal, en recommençant alors le cycle jusqu'à leurs propres parents, etc..

Par ailleurs, les échantillons à partir desquels Money pose ses hypothèses sont très petits et composés essentiellement de cas plus ou moins atypiques — individus relativement hermaphrodites sur le plan physique ou psychologique — donc peu généralisables. En effet, ses études s'attardent surtout aux cas d'enfants ou d'adolescents expérimentant des problèmes d'identité sexuelle, dont rien ne laisse présumer l'orientation sexuelle future, sinon que le chercheur associe de façon automatique homosexualité et efféminement. Curieusement, les propres expériences de John Money[29] auprès d'enfants dont l'identité de genre dut être réassignée à la suite d'erreurs médicales infirment sa théorie: si tout se décidait dans l'utérus de la mère, on voit mal comment il serait possible de changer avec succès l'identité sexuelle d'un enfant ou d'un adolescent au cours de son existence, comme lui-même et d'autres spécialistes l'ont pourtant réalisé.

Un autre chercheur, l'Allemand Dorner[30], a commencé par comparer les humains avec des rats de laboratoire: le fait de devenir homosexuel ou hétérosexuel serait, selon lui, fonction du taux d'androgènes entre le 4e et le 5e mois de vie f_tale et du développement consécutif de l'hypothalamus. Aussi, suggère-t-il de supprimer l'homosexualité chez l'homme en administrant des hormones mâles en quantité suffisante pour «masculiniser» le foetus. Malheureusement pour lui, ses conclusions sont impossibles à transposer aux êtres humains, qui diffèrent trop des rats de laboratoire pour qu'un quelconque parallèle soit crédible. Même ses récentes études auprès d'êtres humains sont demeurées largement hypothétiques, le développement de l'embryon humain étant, pour des raisons techniques et éthiques évidentes, difficile à manipuler. Ses déductions à l'effet que les hommes nés en période de stress (par exemple durant la seconde guerre mondiale) aient davantage eu tendance à devenir homosexuels et que les mères qui donnent naissance à de futurs homosexuels aient été stressées durant leur grossesse ne sont pas très sérieuses, n'ayant été corroborées d'aucune façon. Au contraire, comme le souligne le biologiste américain Simon LeVay, pourtant assez sympathique à ces théories, les causes hormonales de l'homosexualité associées à un stress prénatal n'ont aucune assise scientifique[31].

Les critiques que Lewontin, Rose et Kamin adressent courant explicatif d'ordre hormonal résument bien ses limites :

Dans l'espèce humaine, il est particulièrement net qu'il n'y a aucune relation entre, d'une part, les taux d'hormones circulantes et, d'autre part, le désir sexuel ou les inclinaisons sexuelles. Chez certains animaux de laboratoire, en particulier le rat, il y a une relation assez directe entre, disons, le taux d'oestrogène et de progestérone circulant et l'appétit sexuel, de sorte que l'injection d'oestrogène induit la rate à creuser les reins et à tendre la croupe en signe d'invitation sexuelle. Mais même dans l'environnement peu naturel d'une cage de laboratoire, la réponse de la femelle à une injection d'hormones dépend de son expérience antérieure et, dans l'environnement complexe de la vie réelle, la relation entre le taux d'hormones et l'activité sexuelle est encore moins directe. Dans l'espèce humaine, les choses sont certainement encore beaucoup plus complexes. Il n'y a sûrement pas de relation simple ou directe entre le taux d'hormones et soit le désir sexuel, soit le degré d'attrait pour l'autre sexe. Il n'y a pas non plus de rapport entre les taux d'hormones circulant et l'objet de désir sexuel (...). Cette conception est évidemment aux antipodes de celle que nous estimons fondée et selon laquelle les activités et les inclinaisons sexuelles ne sont que des manifestations circonstanciées chez une personne, fonction du contexte social à un moment donné de son histoire personnelle (...)[32].

En somme, on pourrait dire que si les taux de certaines hormones peuvent influer sur l'augmentation ou la diminution du désir sexuel, on ne voit pas comment ces fluctuations pourraient avoir des effets sur l'orientation de ce désir vers des partenaires d'un sexe plutôt que de l'autre.

Avant de clore sur ce sujet, une dernière remarque s'impose: certaines hormones ayant des répercussions sur l'apparence physique et, de ce fait, sur la masculinité ou la féminité apparentes, il est possible que cela influence le rapport que nous avons à notre corps et, de là, notre rapport avec les autres et notre érotisme. Au début de ce siècle, le sexologue allemand Magnus Hirschfeld croyait fermement que la configuration physique pouvait avoir une corrélation avec l'homosexualité — le «troisième sexe», dont il défendit les caractéristiques innées, étant en quelque sorte un mélange de traits masculins et féminins. On considère aujourd'hui ces hypothèses farfelues; néanmoins toute la question de l'image corporelle et de ses implications en ce qui concerne l'identité et l'orientation sexuelles a fait l'objet de recherches contemporaines, notamment de la part du psychanalyste américain Robert Stoller[33]. Selon toute vraisemblance, poser la question de l'orientation sexuelle non pas en termes de configuration physique innée (comme le faisait Hirschfeld), mais en termes de rapport à son corps et à celui des autres, dans la mesure où ces corps sont perçus complémentaires, tant dans leur ressemblance que dans leur différence, ouvre une avenue peu explorée, loin des stricts déterministes hormonaux à la Dorner et Money.

 

LES THÈSES PHYSIOLOGIQUES ou Comment prouver que les «homosexuels» ne sont pas normalement constitués

En 1857, le Docteur Tardieu décrivait «la physionomie étrange, repoussante, et à bon droit suspecte, qui trahit les pédérastes[34]»; quelques années plus tard, le docteur Lombroso s'attarde longuement sur la physionomie des criminels-nés et des prostituées-nées[35]. Très à la mode il y a cent ans, les thèses évoquant la physiologie différente des «marginaux» refont surface depuis peu.

Dans une étude qui fit grand bruit il y a quelques années, trois chercheurs Américains, Bell, Weinberg et Hammersmith[36], du célèbre Kinsey Institute, constataient l'absence d'évidence en faveur d'un facteur psychologique ou familial décisif pour expliquer l'homosexualité. Ils concluaient alors, mais de façon tout à fait spéculative, que LA cause devrait à l'avenir être recherchée du côté de la biologie. Pourtant, tout ce que les données des auteurs montraient, c'est qu'il n'existait pas une cause, unique et universelle, de l'homosexualité; pour tout chercheur non biaisé, cela eut signifié qu'il fallait opter pour une pluralité de facteurs explicatifs. Mais pour Bell, Weinberg et Hammersmith, obsédés par la découverte de LA cause, cela revenait à dire que la psychologie et la sociologie, interrogées en vain dans le but de trouver UNE réponse, avaient épuisé leur potentiel explicatif. Il n'en fallut pas davantage pour que la recherche de type bio-physiologique connaisse un regain de popularité, dont la grande presse a très généreusement fait écho...

«Anomalie structurelle découverte dans le cerveau des homosexuels», titrait La Presse à l'été 92. «La découverte d'une nouvelle[37] différence anatomique entre les cerveaux d'hommes homosexuels et hétérosexuels confirme la théorie selon laquelle la nature détermine les goûts en matière sexuelle» pouvait-on lire. Selon les docteurs Allen et Gorski, de l'université de Californie à Los Angeles, «la commissure antérieure (structure de cellules nerveuses servant de courroie de transmission entre les deux hémisphères du cerveau) serait de 34 % plus grande chez les homosexuels que chez les hétérosexuels». Pour en arriver à cette conclusion, on se base sur les autopsies effectuées sur 34 «homosexuels» (exclusivement des hommes, semble-t-il), 75 hommes hétérosexuels et 84 femmes hétérosexuelles. De quoi étaient mortes ces personnes? Des suites du sida, pour beaucoup d'entre elles, mais on ne sait pas lesquelles[38]. Comment en est-on arrivé à connaître post-mortem leur orientation sexuelle? Dans quelle catégorie a-t-on classé les personnes bisexuelles, statistiquement deux fois plus nombreuses que les personnes exclusivement homosexuelles? Mystère et boule de gomme.

«Un groupe de neurones dans l'hypothalamus des homosexuels serait deux fois plus gros que la normale», proclamait le magazine québécoise L'Actualité[39] de novembre 1991, en résumant un article paru dans le numéro d'août 1991 de la revue Science[40]. Selon le Dr Simon LeVay, ce sont des neurones de la taille d'un grain de sable situées dans l'hypothalamus et nommées INAH-3 qui, étant de deux à trois fois inférieures à la normale chez les dix-neuf hommes homosexuels disséqués, expliqueraient leur inclination. Dans son numéro suivant, le magazine s'empressait toutefois de rectifier l'erreur initialement commise dans le tableau illustrant l'article: on y disait en effet que ces INAH-3 seraient plus volumineuses chez les homosexuels, alors que la recherche concluait l'inverse. Les homosexuels ont bien quelque chose en moins, et non en trop, qu'on se le tienne pour dit! Et de la taille d'un grain de sable, on a bien lu. C'est dire l'acharnement à vouloir à trouver à tout prix une différence (incidemment, la même «anomalie» fut notée chez les femmes hétérosexuelles par rapport au groupe considéré «normal», c'est à dire les hommes hétérosexuels). L'échantillon de l'étude? Des victimes du sida. Or, on le sait, le sida n'est pas sans effet sur le système physiologique humain auquel il s'attaque. De cela, l'étude ne dit mot, ou presque, le chercheur présumant que le sida n'a pas eu de répercussion sur les cobayes de son échantillon, complétée par six femmes et seize hommes présumés hétérosexuels... C'est décidément aller un peu vite en besogne. Ne prendrait-t-on pas des effets physiologiques d'une maladie ou même d'un certain style de vie pour les causes de ce dernier? La question mérite d'être posée.

Le but ultime de ces nouvelles recherches est, selon leurs défenseurs, de faire accepter l'homosexualité comme quelque chose d'inné. Les scientifiques concernés ne se rendent apparemment pas compte que, loin de réduire les préjugés, leurs affirmations les renforcent en faisant des homosexuels une classe à part d'individus différemment constitués. D'autres professionnels voient en effet dans ces recherches le moyen de prévenir éventuellement ou de corriger précocement l'homosexualité[41]. Laissant poindre intolérance et homophobie plus ou moins subtiles, on ramène alors un désir et un comportement sexuel donnés à une structure physique différente, jugée explicitement «atypique» ou «anormale», que l'on se propose dès lors de contrecarrer, grâce aux avancées de la recherche en biotechnologie.

Dans un récent ouvrage, le biologiste Simon Levay dégonfle le ballon médiatique qu'il avait lancé deux ans plus tôt et nuance son propos:

Il devrait être souligné que ces différences sont le résultat de moyennes: certains parmi les hommes gais et les femmes avaient un INAH 3 plus volumineux, et certains des hommes présumément hétérosexuels en avait un plus petit. (...) Il est impossible, sur la seule base de mes observations, de dire si des différences structurelles étaient présentes à la naissance, influençant les hommes à devenir ultérieurement homosexuels ou hétérosexuels, ou si ces différences sont survenues à l'âge adulte, peut-être en tant que résultat de la conduite sexuelle de ces hommes. (...) Nous ne pouvons exclure la possibilité que, à cause d'une durée de vie plus longue et d'un cortex cérébral mieux développé chez les humains, des changements de grosseurs de l'INAH 3 puissent provenir des conséquences de la conduite adulte[42].

De l'article initial au livre publié, on mesure toute la différence: l'affirmation est devenue supposition. Mais de cette rectification aucun grand média n'a fait état.

Quoiqu'il en soit, l'hypothèse physiologiste, loin d'être nouvelle, reprend bel et bien, raffinement technologique à l'appui, les théories des aliénistes du siècle dernier, qui affirmaient que les «marginaux» avaient des cerveaux différents des honnêtes gens. Encore une fois, l'hypothèse de l'homosexualité innée se bute aux cas de bisexualité, au moins deux fois plus nombreux, mais dont ces chercheurs n'osent parler et pour cause: la bisexualité est la contradiction flagrante des théories prônant une différence fondamentale entre individus homosexuels et hétérosexuels. La complexité même des comportements humains et la diversité des goûts sexuels à l'intérieur d'une même orientation devraient, en outre, mettre en garde contre toute explication simpliste. Trouvera-t-on, demain, une cellule responsable de l'engouement pour les tableaux de Picasso ou pour la musique de Mozart? La personnalité d'un individu, y compris son érotisme, est vraisemblablement le résultat d'une multitude d'influences et d'interactions qui fondent la diversité humaine. Dans l'état actuel des connaissances, il semble tout aussi prématuré que présomptueux d'expliquer les préférences sexuelles par quelques cellules de la taille d'un grain de sable... Les êtres humains ne sont pas — du moins pas encore — des automates.

 

LES THÉORIES CONSTRUCTIVISTES

Après avoir passé en revue et critiqué les principales théories essentialistes, il sera intéressant de voir quelles sont les théories constructivistes qui, depuis une vingtaine d'années, les ont affrontées. Autant l'approche essentialiste postulait le comportement sexuel inné ou prédisposé à se fixer dès la plus tendre enfance, autant l'approche constructiviste perçoit le comportement sexuel comme potentiellement labile et fluide, au gré de l'histoire des cultures et des individus. Les théories essentialistes prétendaient que l'orientation sexuelle avait des causes internes; les constructivistes affirment qu'elle est le produit de facteurs externes, tels que les interactions sociales, les apprentissages culturels et les processus de construction de la réalité. Faisant remarquer que la recherche des causes de l'homosexualité suppose un a priori tendencieux à l'effet que cette orientation pose problème, les constructivistes soulèvent la question, plus large, des préférences sexuelles en général et des réactions qu'elles suscitent. Plutôt que d'avancer des causalités linéaires pour expliquer le développement de l'orientation sexuelle, ils penchent en faveur d'une multitude de facteurs qui s'influencent mutuellement. Ainsi, non seulement la sexualité humaine ne serait guère pré-déterminée, mais elle se verrait soumise aux aléas de l'existence et aux influences imprévisibles du milieu et de la culture.

Selon les auteurs réunis par Edward Stein[43], ce que ces constructivistes ont en commun, c'est de mettre l'emphase sur le rôle des individus, influencés par leur culture, dans la structuration de la réalité et de ses significations subjectives. En effet, d'une part nous appréhendons le monde à travers les concepts et les catégories dont nous disposons; d'autre part, ces concepts et ces catégories varient considérablement, dans l'espace et dans le temps, d'une culture à une autre; enfin, la délimitation ou la persistance d'un concept et d'une catégorie comme l'homosexualité dépendent davantage de leur usage social que de leur pertinence ou de leur véracité scientifiques. Aussi, les constructivistes refusent de prendre pour acquis la marginalisation de l'homosexualité. C'est pourquoi ils questionnent non seulement le phénomène lui-même, mais aussi les réactions, le plus souvent négatives, qu'il suscite aux plans humain, scientifique et social.

 

L'INTERACTIONNISME SYMBOLIQUE ou La sexualité comme scénario

Les sociologues interactionnistes ont mis l'accent sur le fait, trop souvent négligé, que la sexualité est relation avant tout: relation à soi et à son propre corps d'abord, relation à l'autre ou aux autres ensuite. D'après les chercheurs américains Simon et Gagnon[44], la conduite sexuelle est en effet modelée, actualisée et évaluée à l'intérieur d'interactions et de contextes sociaux qui lui donnent toute sa signification. Tel un scénario de cinéma, le fantasme puis sa mise en scène en rapport sexuel sont excitants dans la mesure où l'individu fait en sorte qu'ils le deviennent. Comment? En y incluant des partenaires érotiques et des activités gratifiantes, bref en fabriquant des images et des interactions susceptibles de le faire jouir.

Partant du principe que les actes sexuels n'ont pas de signification pré-déterminée et qu'aucun acte n'est en lui-même «sexuel», les interactionnistes soulignent le caractère arbitraire des goûts érotiques de chacun. Preuve en est que les pratiques sexuelles préférées varient à l'infini d'un individu à un autre et que ce qui fait les délices des uns provoque la répulsion chez les autres. Il existerait, de fait, une infinité de façons de vivre son homosexualité, sa bisexualité ou son hétérosexualité, et bien malin qui pourra dira quel mode d'emploi est objectivement le «meilleur».

Selon Simon et Gagnon[45], trois niveaux de significations peuvent être accolées aux activités sexuelles: niveau historique (quel sens la culture dans laquelle vit l'individu donne-t-elle à tel désir ou à tel comportement?), niveau interrelationnel (quelle signification telle activité sexuelle prend-elle dans la relation entre les partenaires?), niveau biographique (quel sens l'individu donne-t-il à tel geste ou à tel acte en vertu de son histoire passée, de ses traumatismes antérieurs et de ses attentes?). Ce serait précisément la signification accordée à une conduite sexuelle déterminée qui contribuerait à la rendre désirable ou dégoûtante. Loin d'être immanente, cette signification émergerait de l'expérience elle-même, selon les circonstances présentes et selon les interprétations individuelles, interpersonnelles et culturelles disponibles. Cela expliquerait pourquoi l'homosexualité est si diversement vécue et pratiquée, d'une personne ou d'une culture à une autre, au point que l'on puisse aujourd'hui parler des  homosexualités.

À l'encontre de toute vision déterministe, les interactionnistes croient que c'est à travers les aléas de l'existence que les individus développent les scénarios signifiants qui les guideront dans leurs interactions sexuelles futures[46]. Bricolés à partir d'expériences passées mais aussi d'expectatives futures, ces scénarios sont sujets à révision et à remontage, d'où la nature relativement labile et contingente des comportements sexuels. En somme, si les humains se trouvent physiologiquement constitués de manière à ce qu'un comportement sexuel leur soit possible et généralement agréable, leur façon d'organiser et d'orienter ce comportement n'est aucunement innée. Elle serait plutôt modelée ou modifiée par des contextes et des rationnels particuliers, possiblement aussi changeants, ou stables, que le sont les humains eux-mêmes.

Le point de vue interactionniste symbolique renouvelle la vision de la sexualité humaine et de ses déterminants de plusieurs façons[47]. D'abord en affirmant que la sexualité est moins la conséquence d'une irrépressible pulsion que le résultat de scénarios de vie visant à atteindre des résultats qui vont bien au delà de l'excitation sexuelle (pour inclure, par exemple, la valorisation ou l'estime de soi, la fuite de la solitude, le gain matériel, etc.). Ensuite, en montrant comment la culture infléchit les comportements sexuels par la signification qu'elle leur donne. Enfin, en faisant remarquer que la société crée ses déviants — dont «les homosexuels». Ceci, en définissant ce qui est normal et ce qui ne l'est pas. Bref, trois principes ressortent de la perspective interactionniste: les individus réagissent à la sexualité à partir des significations dont ils l'ont investie; ces significations sont le produit d'interactions sociales entre l'individu et son environnement humain; ces significations sont maintenues et modifiées à travers un processus continu d'interprétation et de réinterprétation.

Puisque ce sont les individus et les sociétés qui donnent leurs significations aux actes sexuels, c'est ce sens qu'il importe de découvrir si l'on veut comprendre les comportements des uns et des autres. En raison de leurs méthodes qui visent à restituer le cheminement même des individus, les recherches interactionnistes symboliques se sont penchées sur des échantillons relativement restreints de populations, ce qui a amené leurs détracteurs à demander: de qui et de quoi sont-elles représentatives? La question n'est pas facile à répondre: quelques cas examinés en profondeur pourront très bien s'avérer prototypiques alors que l'étude superficielle d'un très grand nombre se révélera stérile. Seul le temps jugera.

Une enquête menée par l'auteur de ces lignes sur le développement de la sexualité masculine et publiée sur le titre de Tous les hommes le font: parcours de la sexualité masculine[48] a participé à ce courant interactionniste. L'objectif était, en effet, de «décrire, de comprendre et de tenter d'expliquer» le parcours de vingt hommes interrogés sur les événements clés de leur vie sexuelle et amoureuse, et ceci sans opérer a priori de dichotomie entre hommes d'orientation hétérosexuelle, bisexuelle et homosexuelle. Cette perspective a permis de constater de grandes similitudes dans le développement des uns et des autres, par delà leurs choix d'objets sexuels et l'unicité de l'histoire de chacun. Notamment, cette étude a montré que la tension qui déclenche le désir chez les hommes interrogés avait des origines similaires, soit la perception chez l'autre de suffisamment de «résistance» pour que l'entreprise de la séduction soit stimulante et de suffisamment de complémentarité pour que le ou la partenaire choisi-e paraisse compatible avec ses propres besoins. Plus encore, les mécanismes qui portent à érotiser tel type de partenaire plutôt que tel autre seraient sensiblement les mêmes, quelle que soit l'orientation sexuelle. Ces mécanismes sont l'association d'images et de sensations sexuelles, l'admiration ou idéalisation de l'autre, l'expérimentation d'activités sexuelles gratifiantes, le conditionnement par anticipation de ce qui est censé être excitant, la transgression d'interdits perçus comme défis à relever, et le partage vicariant de la jouissance de l'autre. Cela confirmerait les observations du psychologue américain C. A. Tripp, qui écrit: «dans leurs essences, les gratifications provenant des complémentarités homosexuelles et hétérosexuelles sont identiques: la possession symbolique des attributs du partenaire qui, lorsque additionnés aux miens, me procurent l'illusion de la complétude»[49].

 

LA THÉORIE DE L'APPRENTISSAGE SOCIAL ou Comment on apprend la sexualité comme on apprend tout le reste

D'inspiration behaviorale, la théorie de l'apprentissage social postule que le potentiel sexuel de l'être humain est, au départ, indéterminé. Aussi, nos intérêts et nos goûts sexuels seraient acquis de la même façon que nous développons nos autres goûts et intérêts, c'est-à-dire à travers une multitude d'expériences de vie, tantôt agréables, tantôt désagréables, qui orientent notre conduite. En d'autres termes, l'orientation sexuelle n'aurait rien d'instinctuel ou d'inné: c'est en vertu de nos expérimentations, de nos essais/erreurs et de l'influence de notre environnement que nos désirs et nos comportements seraient canalisés, sinon construits. Comme l'a fait remarquer l'un des auteurs prônant cette perspective, le psychologue C. A. Tripp, «rien ne semble égaler, et encore moins dépasser, l'influence de l'apprentissage et des réponses apprises dans la détermination des effets qu'auront même les facteurs constitutionnels[50]». C'est la raison pour laquelle, selon cet auteur, la plupart des individus deviennent hétérosexuels: dans notre culture, l'environnement social rendrait cette orientation à ce point désirable que cela suffirait à inciter les jeunes générations à imiter majoritairement les précédentes en direction de l'hétérosexualité[51].

En fait, plusieurs formes de conditionnement sont associés à l'apprentissage social. Qu'il suffise, aux fins du présent texte, de mentionner que le comportement sexuel peut être objet d'apprentissage à la fois par la négative et par la positive. Ainsi, un comportement se trouverait renforcé par des conséquences positives telles que le plaisir ressenti ou l'encouragement des pairs, par exemple; à l'inverse, le même comportement pourrait se voir refréner par des conséquences négatives insupportables, parmi lesquelles la stigmatisation, la honte, le blâme. Ceci dit, la notion même d'apprentissage porte à confusion et mérite d'être précisée. Lorsque l'on parle d'appprentissage sexuel, il n'est nullement question d'un apprentissage prédéterminé, organisé sciemment par la personne ou même par ses proches. Il s'agit plutôt d'associations et de corrélations, le plus souvent fortuites et peu anticipées, entre certaines images, certains gestes, certaines sensations et certaines excitations. Autrement dit, la personne n'a pas forcément besoin de collaborer volontairement aux apprentissages qu'elle effectue. Dans l'éveil de la sexualité, les apprentissages conscients sont d'ailleurs assez rares, les premières excitations provenant généralement de la découverte de sensations nouvelles et de la révélation accidentelle de l'attrait des autres. Ainsi, la plupart des garçons expérimentent leur premier attrait (homo)sexuel par hasard, à la suite d'un événement ou d'une expérience fortuite, rarement anticipée puisque nouvelle.

Participant à l'approche de l'apprentissage social, les recherches éthologiques et anthropologiques de C. S. Ford et F. A. Beach ont montré, dès le début des années cinquante, que le comportement sexuel humain était largement appris, à partir de vastes potentialités initialement présentes. Ils écrivent :

Les hommes et les femmes sans tendances homosexuelles conscientes sont un produit du conditionnement culturel au même titre que le sont les homosexuels qui trouvent les rapports hétérosexuels désagréables ou frustratoires. Ces deux extrêmes sont le résultat d'un éloignement de la voie intermédiaire originale où se manifestaient les deux formes sexuelles. Dans une société restrictive comme la nôtre, une grande partie de la population apprend à ne pas réagir envers les stimulations homosexuelles et à les éviter, jusqu'à ce qu'elles cessent de constituer une menace. En même temps, et également par apprentissage, une certaine minorité devient très, pour ne pas dire exclusivement, sensible aux attirances érotiques d'un partenaire du même sexe (...). L'homosexualité humaine n'est pas, à la base, un produit du déséquilibre hormonal ou d'une hérédité «pervertie». Il s'agit d'un héritage fondamental des mammifères: la réactivité sexuelle générale, moulée par l'expérience[52].

Ce qui amène les mêmes auteurs à conclure que la sexualité humaine est affectée par l'expérience de deux façons. En premier lieu, les stimulations et les situations susceptibles de provoquer l'excitation sexuelle sont déterminées en majeure partie par apprentissage et par sélection, puisque l'on retient généralement ce qui paraît être le plus excitant. En second lieu, les façons d'exprimer cette excitation sont aussi élaborées à travers des interactions avec autrui, puisque les activités sexuelles sont en grande partie apprises au contact de l'expérience des pairs (que ce soit lors de discussions entre amis, d'expériences en commun ou de visionnement de matériel érotique) et, mieux encore, en compagnie de partenaires[53].

Apparentée à l'interactionnisme symbolique, la théorie de l'apprentissage social fait donc ressortir la labilité du comportement sexuel et, par voie de conséquence, de l'orientation et des préférences sexuelles. Cet aspect a amené certains observateurs à craindre que cette école de pensée ne fournisse des munitions à ceux qui entendent «ré-orienter», de gré ou de force, les personnes d'orientation homosexuelle. Un fait pourra les rassurer: toutes les recherches menées sur ce type de thérapie ont montré que les supposés changements d'orientation obtenus de façon artificielle, par conditionnements aversifs par exemple, se sont avérés des échecs à moyen ou long terme. L'apprentissage obtenu par la coercition ou par la violence serait celui qui s'éteindrait le plus aisément lorsque cette violence n'a plus court. Enfin, l'utilisation des théories de l'apprentissage en faveur de techniques aversives pose des problèmes éthiques certains: seul un jugement de valeur a priori malveillant sur l'orientation homosexuelle a pu mener à de tels abus.

 

LA THÉORIE DE L'ÉTIQUETAGE ou Comment un comportement devint source d'identité afin d'inventer l'homosexuel

Trois contributions majeures ont donné son élan à l'école de pensée de l'étiquetage social. C'est d'abord dans un article paru en 1968 que Mary McIntosh[54] a fait ressortir la différence entre le comportement homosexuel lui-même et le processus d'étiquetage qui, dans nos sociétés, a servi à singulariser et à stigmatiser les personnes adoptant ce comportement. En 1975, le Britannique Kenneth Plummer a poussé plus loin ce rationnel dans son ouvrage Sexual Stigma [55]. L'année suivante, la parution de La Volonté de savoir de Michel Foucault[56], posait les assises françaises de ce courant de pensée, tout en lui donnant une légitimité historique et philosophique (bien que cet auteur déborde, à strictement parler, de la théorie de l'étiquetage pour embrasser la constitution même de l'étude de la sexualité comme champ d'expertise et de prescription).

Loin de prendre la «déviance» pour acquise, la théorie de l'étiquetage en critique l'idée et le fondement même: ce sont les regards portés sur les comportements qui contribuent à édifier socialement l'identité des individus selon que ces comportements sont encouragés, permis ou tolérés. L'étiquetage d'une personne comme déviante — et dans le cas qui nous intéresse comme homosexuelle — opèrerait de deux façons comme mécanisme de contrôle social. D'abord en effectuant une rupture entre ce qui est toléré ou permis et ce qui ne l'est pas. Ainsi, tout incartade en direction de la déviance pose immédiatement l'éventualité, sinon l'imminence, d'une chute totale dans le rôle déviant, avec toutes les sanctions et les conséquences qui y sont rattachées. Ensuite, l'étiquetage sert à discriminer les déviants des autres, ce qui signifie que leurs pratiques seront, de préférence, contenues à l'intérieur d'un cercle relativement restreint (dans le cas de l'homosexualité, le vie «entre pareils», en ghetto si possible). La création d'une identité et d'un rôle homosexuels bien définis garde le reste de la société «pure», de la même façon que le traitement et la mise à l'écart des criminels donne bonne conscience aux citoyens qui sont réputés respecter la loi.

La théorie de l'étiquetage permet par ailleurs de débusquer un important paradoxe: la «libération gaie», née il y a vingt-cinq ans[57], en permettant aux personnes homosexuelles de reprendre à leur compte la perspective identitaire propre aux essentialistes, mais de façon positive cette fois, n'est-elle pas tombée dans le piège de l'auto-étiquetage? En reprenant à son compte la définition de l'homosexualité comme identité non plus déviante mais minoritaire, le mouvement gai ne se piège-t-il pas lui-même? Lorsque l'accent est mis sur la nécessité de se reconnaître homosexuel et de s'identifier socialement selon cette étiquette, les experts n'ont plus à se soucier de marginaliser les individus homosexuels. En poussant les gens à incorporer leur vie dans l'homosexualité (identité particulière, vie de ghetto, etc.), on retarde vraisemblablement l'intégration de l'homosexualité dans la collectivité comme composante possible de tout un chacun. Commettre un acte homosexuel est une chose; être homosexuel en est une autre. L'étiquetage des gens selon leurs conduites demeure un fait arbitraire et culturel répondant à des intérêts déterminés; la théorie de l'étiquetage et sa critique de la déviance comme construction sociale nous le rappellent fort à propos.

C'est avec le premier tome de son Histoire de la sexualité que le philosophe et historien Michel Foucault a renforcé les bases historiques de la théorie de l'étiquetage. Selon lui, on assiste à partir de la fin du siècle dernier à la construction de nouvelles catégories sexuelles à travers le discours et le pouvoir biomédicaux. Cela répond principalement à des fins de régulation sociale: mieux nommer pour mieux normer, le langage structurant le réel. En tant qu'«archéologue du savoir», Foucault entendait montrer comment le discours scientifique avait modelé la conception moderne de la sexualité, inventant de nouvelles normes sexuelles et créant de facto des déviants là où il y avait auparavant pléthore de différences et de bizarreries dont on pouvait s'amuser, certes, mais sans pour autant songer à les classifier, comme on le fera par la suite, assignant désormais à chacun la place qu'il doit occuper en raison de ses penchants. Comme l'écrit l'auteur dans La Volonté de savoir :

La sodomie (...) était un type d'actes interdits; (...). L'homosexuel du XIXe siècle est devenu un personnage: un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie; une morphologie aussi, avec une anatomie indiscrète et peut-être une physiologie mystérieuse. Rien de ce qu'il est au total n'échappe à sa sexualité. Partout en lui, elle est présente: sous-jacente à toutes ses conduites parce qu'elle en est le principe insidieux et indéfiniment actif: inscrite sans pudeur sur son visage et sur son corps parce qu'elle est un secret qui se trahit toujours (...). Le sodomite était un relaps, l'homosexuel est maintenant une espèce[58].

La perspective développée par Michel Foucault a rapidement fait des petits, notamment en France[59] puis en Angleterre, avec des auteurs tels que Mike Brake, Jeffrey Weeks et Kenneth Plummer[60]. L'apport de cette école de pensée a eu pour effet de montrer comment la soi-disant déviance sexuelle, dont l'homosexualité, avait été créée de toutes pièces par la médecine et la psychiatrie de la fin du XIXe et du début XXe siècles, qui entreprirent non plus seulement de qualifier les comportements sexuels mais de caractériser les personnes qui les adoptaient. On pourra objecter que cela ne nous renseigne guère sur les causes de l'homnosexualité. Soit, mais cela nous indique le pourquoi de la recherche compulsive de ces causes, ce qui leur donne une tout autre configuration.

 

LA PERSPECTIVE ANTHROPO-SOCIOLOGIQUE ou La sexualité interrogée

Depuis une quarantaine d'années, toute une lignée de chercheurs se sont intéressés non pas au «pourquoi» mais au «comment» de la sexualité et de l'homosexualité. Cherchant à refléter la diversité des populations étudiées, sans a priori ni préjugés, les enquêtes américaines menées par Alfred Kinsey[61] et son équipe au tournant des années cinquante puis celles réalisées par Shere Hite[62] autour des années quatre-vingt sont actuellement considérées comme les plus fiables, notamment à cause de l'étendue et de la relative représentativité de leurs échantillons. Quoique son échantillon soit plus limité, et ses résultats potentiellement moins précis, l'enquête de Samuel et Cynthia Janus[63] qui vient tout juste de paraître a le mérite de fournir des données récentes. Voyons quelles sont les conclusions de ces trois équipes de chercheurs.

Constatant que l'homosexualité n'est pas le contraire de l'hétérosexualité mais que les deux orientations constituent les pôles d'un même continuum, Kinsey et ses collègues ont conçu ce qu'on a appelé depuis l'échelle de Kinsey, reproduite, de façon schématique, ci-contre.

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0 : hétérosexualité exclusive

1 : hétérosexualité prédominante, avec quelques activités homosexuelles

2 : hétérosexualité préférentielle, avec des activités homosexuelles plus qu'occasionnelles

3 : bisexualité (autant d'activités homosexuelles qu'hétérosexuelles)

4 : homosexualité préférentielle, avec des activités hétérosexuelles plus qu'occasionnelles

5 : homosexualité prédominante, avec quelques activités hétérosexuelles

6 : homosexualité exclusive

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Selon cette classification, 37% des 5,300 hommes interrogés par Kinsey avaient eu au moins un rapport homosexuel ayant mené à l'orgasme entre l'âge de seize à cinquante cinq ans (classification de 1 à 6), 20% pouvaient être considérés plus ou moins bisexuels, ayant eu plusieurs expériences hétérosexuelles et homosexuelles ayant mené à l'orgasme (classification de 2 à 4, inclusivement) et 10% des répondants avaient été exclusivement ou presque exclusivement homosexuels pendant au moins trois ans de leur vie adulte (classification 5 et 6)[64]. En ce qui concerne l'homosexualité féminine, 20% des quelques 8,000 femmes interrogées par Kinsey et son équipe avaient eu au moins une relation homosexuelle ayant mené à l'orgasme entre l'âge de 16 à 55 ans, 9% avaient eu des activités homosexuelles plus qu'occasionnelles (classification de 2 à 4, inclusivement) et 4% étaient exclusivement ou presque exclusivement homosexuelles (classification 5 et 6)[65]. Autres découvertes saisissantes de Kinsey: environ 50% des hommes adultes interrogés avaient déjà ressenti de l'attrait sexuel pour un autre homme, quoique 13% n'avaient jamais actualisé ce désir et 7% ne l'avaient fait qu'exceptionnellement. Parmi l'échantillon féminin, 28% des répondantes avaient déjà identifié une attirance homosexuelle, bien que 8% ne l'avaient jamais actualisée et 7% ne l'avaient fait qu'exceptionnellement. Cela montre à quel point le désir homosexuel serait plus fréquent encore que sa matérialisation.

Il a fallu près de trente ans pour voir les données de Kinsey confirmées, ce qui permit de constater qu'elles n'étaient ni erronnées ni dépassées, comme certains l'auraient souhaité. En effet, les enquêtes de Shere Hite, menées auprès de 3000 femmes et de 7000 hommes, arrivent à la conclusion qu'environ 20% des hommes qui se considérent hétérosexuels ont eu des rapports homosexuels (incluant soit la fellation — chez 19% à 21% des hommes hétérosexuels — ou la pénétration anale — chez16% des hommes hétérosexuels[66]); un autre 20% des hommes interviewés avaient songé avoir de tels rapports, sans toutefois avoir actualisé leurs désirs[67]. Par ailleurs 11% du total des hommes interrogés déclaraient une préférence homosexuelle[68], ce qui porte à environ 50% le nombre total d'hommes ayant ressenti une attirance homosexuelle. Du côté des femmes, 9% d'entre elles s'affirmaient bisexuelles et 8% homosexuelles[69]; en fait, c'est le seul changement significatif par rapport aux recherches de Kinsey, qui évaluaient ce nombre à la moitié. Quant à celles qui ont envisagé avoir une relation sexuelle avec une femme sans réaliser ce scénario, elles seraient «très nombreuses», constate la chercheuse, sans toutefois avancer de chiffres précis à ce sujet.

Menée entre la fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt, l'enquête du tandem Samuel et Cynthia Janus ne comportait que peu de questions sur les orientations homosexuelle ou bisexuelle. Toutefois, après avoir compilé les questionnaires remplis par plus de 1300 répondants masculins et par environ 1400 répondantes, les chercheurs constatent avec étonnement comment l'identification de son orientation sexuelle par la personne elle-même et la nature de ses expériences réelles ne sont guère en conformité. En effet, alors que 22% des hommes et 17% des femmes font état d'expériences homosexuelles au moins occasionnelles, peu s'identifient comme homosexuels ou bisexuels — 2 à 5% dans chaque catégorie[70]. La réticence à s'auto-étiqueter, dont les constructivistes font état, est donc réelle après que le sida eût fait peser une stigmatisation de plus sur l'homosexualité et la bisexualité. En effet, si l'on s'en remet à leurs pratiques effectives, on constate que 5% des femmes et 9% des hommes interrogés ont fréquemment ou exclusivement des relations homosexuelles, ce qui concorde alors avec les enquêtes précédentes, tel que le font remarquer les deux chercheurs.

Si nous comparons maintenant les résultats de ces vastes enquêtes nord-américaines sur le comportement sexuel, nous constatons combien ils sont étonnamment similaires en ce qui concerne leur évaluation de la réalité homosexuelle et bisexuelle. À près de cinquante années d'écart, la situation demeure relativement stable, ce qui montre combien la répartition des orientations sexuelles semble transcender les époques[71]. Ce tableau comparatif infirme la croyance selon laquelle l'homosexualité serait «sur-estimée» ou encore qu'elle ne serait qu'un effet de mode, comme certains médias ont parfois voulu le laisser croire à la lumière de certaines recherches fragmentaires, ou ne garantissant pas l'anonymat des personnes interviewées, ou encore fort mal interprétées[72].

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Tableau comparatif des données sur l'orientation sexuelle

Enquêtes Kinsey (1948-1953) Enquêtes Hite (1976-1981) Enquêtes Janus (1993)

Hommes ayant ressenti

un désir homosexuel environ 50% environ 50% -

Hommes bisexuels 20% 20% 13%

Hommes homosexuels 10%  11% 9%

Femmes ayant ressenti

un désir homosexuel environ 28% «très nombreuses» -

Femmes bisexuelles 9% 9% 12%

Femmes homosexuelles 4% 8% 5%

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Mentionnons que c'est aussi dans la foulée des travaux précuseurs de Kinsey et de son équipe que les anthropologues américains Ford et Beach[73] puis Churchill[74] montrèrent que l'homosexualité était, comme désir et comme comportement, virtuellement universelle: ce qui variait, c'était la réaction qu'elle suscitait dans les sociétés humaines, réaction allant de la répression à l'encouragement (du moins à certains âges ou moments de la vie, et en adoptant certains rôles spécifiques), en passant par divers degrés de tolérance. Les études ethnologiques et anthropologiques ont aussi montré le caractère relatif de la masculinité, de la féminité et de la définition même de ce qui est sexuel et de ce qui ne l'est pas. Ces avancées ont permis de mieux comprendre et définir les notions d'identité, d'orientation, de préférence et de rôle sexuels. Par exemple, l'étude de Gilbert Herdt chez les Sambias de Nouvelle-Guinée montre le caractère non seulement distinct mais fluide de ces réalités[75]. En effet, les garçons Sambias passent successivement par des phases durant lesquelles ils s'identifient à leur mère, ils apprennent à devenir des hommes en effectuant des fellations sur des hommes plus âgés, ils recoivent des fellations de la part de jeunes garçons et ils se marient pour devenir exclusivement hétérosexuel !

 

POUR AMENUISER LES BIAIS SCIENTIFIQUES ou Pour une science-réalité

On l'a dit et redit: la recherche dite scientifique sur l'homosexualité a trop souvent été influencée par des tabous, des préjugés, des fausses approximations et des généralisations abusives. C'est pourquoi, avant de clore ce texte, nous passerons brièvement en revue les prérequis d'une recherche qui serait débarrassée de ces biais.

1. Toute classification ou hiérarchie établie entre les orientations sexuelles est forcément arbitraire, aucun critère «scientifique» ultime ne pouvant les justifier. En effet, seuls des jugements moraux, religieux ou éthiques peuvent légitimer, par exemple, le fait de considérer l'hétérosexualité plus saine que l'homosexualité ou de déclarer que cette dernière pose en elle-même problème. Évidemment, tout le monde a le droit de poser des jugements moraux. Là où cela pose problème, c'est lorsque l'on essaie de travestir ces jugements en vérités scientifiques indiscutables. Comme le soulignait le célèbre psychanalyste américain Robert Stoller, qu'on ne peut taxer de parti pris pro-homosexuel:

Je ne vois pas que dans l'ensemble les hétérosexuels soient plus normaux que les homosexuels. Lorsqu'il s'agit d'exprimer l'excitation sexuelle, la plupart des gens, quelle que soit leur préférence, se montrent souvent tout à fait hostiles, ineptes, fragmentés, gratifiés seulement à un prix considérable et ils se dupent eux-mêmes tout autant qu'ils dupent leurs partenaires. Existe-t-il des dossiers fiables à l'encontre de ceci?[76]

Quelle preuve y a-t-il que l'hétérosexualité soit moins complexe que l'homosexualité, moins le produit de luttes dans la petite enfance et l'enfance pour maîtriser le traumatisme, le conflit, la frustration et autres?[77]

2. L'observation le plus élémentaire montre que la sexualité humaine est complexe dans son évolution et diversifiée dans ses manifestations. Aussi, la recherche d'UN facteur unique pour expliquer la conduite sexuelle — quelle qu'elle soit — ne peut que s'avérer simpliste et réductrice. La recherche de déterminismes ou de causalités linéaires pour expliquer l'orientation (homo)sexuelle s'est montrée jusqu'à présent incapable d'expliquer et, à plus forte raison, de prédire la conduite sexuelle humaine. Le temps n'est-il pas venu d'envisager les choses autrement et de comprendre les motivations, les traumatismes, les circonstances, bref les multiples facteurs, souvent aléatoires, qui aiguillent la sexualité humaine?

3. Réduire un phénomène à sa plus simple expression ou à ses seules manifestations visibles, sans égard à sa diversité et à sa complexité est une tentation dont il importe de se garder. On se méfiera notamment des biais suivants:

- le réductionnisme ontologique, consiste à privilégier un niveau d'organisation de l'humain en niant ou en négligeant la spécificité des autres niveaux. Par exemple, notre cerveau peut penser mais pas nos gènes. Un tel réductionnisme permet de confondre soit les parties avec le tout soit le tout avec ses parties, ramenant l'être humain à quelques-unes ou même à la somme de ses parties (hormones, gènes, influences parentales), séparées de toutes interactions entre elles. L'abus de métaphores qui consiste à expliquer des choses d'un certain niveau de complexité en ayant recours à un niveau plus bas de complexité facilite un tel réductionnisme. C'est ce que font les sociobiologistes en effectuant un parallèle entre le gène et l'humain.

- le réductionnisme épistémologique ou théorique consiste à transposer une théorie applicable à un champ donné à un autre champ. Par exemple, passer de l'étude des insectes, des rats ou des singes, à des conclusions concernant le genre humain est pour le moins critiquable, d'autant plus que les êtres humains possèdent des facultés d'apprentissage et de socialisation plus élaborées que la plupart des autres espèces.

- le réductionnisme biologique, quant à lui, nie les influences de l'environnement, de l'éducation, des interactions sociales et surtout la liberté humaine (en dépit des contingences qu'elle rencontre). Or, l'observation la plus élémentaire montre que les êtres humains sont sensibles à leur environnement et ne réagissent pas de façon automatique à ce dernier. Essayer d'expliquer un comportement amoureux ou sexuel sans tenir compte, d'une façon ou d'une autre, de l'environnement dans lequel il se développe, se produit ou se reproduit détache ce comportement de ses significations, de sa rationalité, de ses conséquences et de ses fins.

- le réductionnisme a-historique est la négation de la capacité des personnes à se projeter dans le passé (ne sommes-nous pas, en quelque sorte, la somme des événements que nous avons vécus?) et dans le futur. Besoins, motivations et finalités guidant généralement nos comportements, il n'y a pas de raison pour qu'il n'en soit de même pour nos comportements sexuels: ne fait-on pas spontanément allusion à nos «stratégies» de séduction, par exemple? Et le fantasme érotique n'est-il pas un scénario construit et entretenu, que nous pouvons recomposé à dessein, selon l'évolution de nos besoins?

- la réification est cette facheuse tendance à transformer, coûte que coûte, des concepts abstraits en entités réelles. Par exemple, on se sert du concept abstrait d'orientation sexuelle pour définir l'identité, sinon l'essence d'une personne, qui devient dès lors un-e homosexuel-le, et souvent rien que cela, délaissant dès lors ses nombreuses autres caractéristiques individuelles, parmi lesquelles les goûts et les dégoûts exprimés dans ses styles de vie, choix de partenaires, d'activités sexuelles, de relations amoureuses, etc.

- enfin, le sexologisme consiste à expliquer les conduites sexuelles uniquement par des facteurs sexuels, séparant la sexualité de l'ensemble de la personne, c'est-à-dire de ses autres besoins, de ses intérêts ou motivations, des finalités qu'elle vise, des résultats qu'elle atteint, des barrières qu'elle rencontre et du contexte social dans lequel elle évolue. La sexualité ne saurait avoir pas une existence indépendante de la personne qui l'actualise.

4. Il importe de différencier, dans la mesure du possible, les effets, les corrélations et les causes. Faire la différence entre les causes, les corrélations et les effets présents dans un phénomène n'est assurément pas facile. Par exemple, si je constate la présence d'efféminement chez certains hommes homosexuels dois-je en conclure que cet efféminement est cause de leur orientation sexuelle, que leur maginalisation par les autres hommes les a amené à opter pour des manières jugées féminines ou plutôt qu'il s'agit simplement de phénomènes coexistants mais sans relation de cause à effet l'un sur l'autre? Dans ce cas, comme dans bien d'autres, la réponse reste ouverte. Il est néanmoins frappant de voir comment des recherches comme celle de LeVay, précédemment cité, prennent des différences biologiques relevées sur des personnes mortes des suite du sida comme des données invariables et naturelles, alors que l'environnement, les conditions de vie et les maladies des personnes étudiées sont susceptibles d'affecter, voire de modifier leur organisme. La recherche de déterminismes biologiques spécifiques risque de prendre les résultats des conduites humaines pour leurs causes. De la même façon, corrélation ne signifie pas causalité: qu'on retrouve certains éléments présents dans l'histoire familiale de personnes homosexuelles — par exemple, comme le prétend le psychanalyste jungien Guy Corneau[78], un père «absent» — ne signifie pas, d'emblée, que ces facteurs soient la cause, et la seule, de leur orientation sexuelle.

5. Il convient d'éviter les généralisations abusives. La valeur de l'échantillon d'une recherche, c'est-à-dire du nombre de personnes interviewées, s'évalue de plusieurs façons: on peut tirer d'un échantillon restreint beaucoup de données pertinentes alors qu'un vaste échantillon peut être mal interprété ou sous-utilisé. L'inverse est tout aussi vrai: même un cas jugé très «parlant» n'autorise pas à généraliser à l'ensemble d'un groupe les découvertes qu'il génère. Combien faut-il de «cas» pour être en mesure de généraliser les hypothèses qu'ils ont permis d'élaborer? Nous n'en savons rien. Mais il faut reconnaître qu'il existe à l'intérieur de chacune des orientations sexuelles suffisamment de préférences et de styles de vie divers pour qu'il s'avère plus prudent de parler des hétéroxualités, des homosexualités, des bisexualités, et même d'asexualités, le nombre de sous-catégories à l'intérieur de celles-ci demeurant par ailleurs indéfini.

6. La rigueur intellectuelle exige de ne pas mêler les niveaux descriptif et explicatif d'un phénomène, quoique les deux impliquent le recours à des éléments tant subjectifs qu'objectifs (le mots et les concepts utilisés pèsent en effet de tout leur sens). Trop souvent la description soi-disant objective de l'homosexualité comporte déjà les éléments de son analyse. C'est notamment le cas du freudisme qui, comme le mentionnait l'épistémologue Karl Popper[79], possède déjà dans sa démonstration tous les éléments de sa preuve, ce qui le rend — mais ce n'est qu'apparence — irréfutable. En effet, quel que soit le passé familial du «cas» étudié, la théorie psychanalytique fournira toujours une explication convaincante de son évolution vers l'homosexualité, notamment par le recours à des «mécanismes de défense» qui permettent d'expliquer comme un affect a été annulé, nié ou transformé en son contraire. Les évaluations analytiques les plus typiques présentent d'emblée des individus «narcissiques», «vulnérables», «perturbés», etc. On est loin de la description objective à laquelle aspire la science puisque l'on se retrouve déjà de plein pied dans le diagnostic.

7. L'utilisation de termes simples devrait être la règle, abandonnant les néologismes et les mots hermétiques qui «font scientifiques» mais empêchent le profane (et parfois les autres scientifiques, sinon l'auteur lui-même) de comprendre. C'est ce que le professeur britannique Stanislav Andreski appelle le «verre fumé du jargon»[80]. Un texte lisible et clair permet au lecteur et aux autres chercheurs non seulement de saisir les situations rapportées et d'évaluer la pertinence des hypothèses développées mais aussi de les confronter à ses propres expériences afin d'en tester la véracité. Par exemple, Robert Stoller[81] note qu'après trente ans de pratique psychanalytique, il a toujours le plus grand mal à comprendre le jargon utilisé par de nombreux collègues lorsqu'ils abordent l'homosexualité. Aussi, se demande-t-il si cette technique n'est pas une façon de camoufler leur confusion ou leur ignorance... Les glissements de sens ou de fonction des mots comptent aussi parmi les abus de vocabulaire. Écoutons le même Robert Stoller: «(...) un adjectif peut devenir un nom et le possesseur d'une pulsion homosexuelle est alors appelé un homosexuel. Ce qui n'était qu'une pulsion parmi d'autres a été transformé, par la magie des mots, en une identité, un état, un trouble, une maladie, une perversion[82].»

8. Poursuivant cette logique, il importe d'éviter la confusion de termes qui, fondamentalement, décrivent des réalités différentes. Par exemple, l'identité sexuelle, souvent confondue, à tort, chez Freud, Money ou Dorner, avec l'orientation sexuelle, est la reconnaissance par l'individu lui-même — et, jusqu'à un certain point, par son entourage, puisque nous existons en grande partie à travers le regard des autres — de la possession d'attributs physiques, psychologiques ou symboliques mâles ou femelles. Autrement dit, c'est le sentiment d'appartenir au sexe masculin ou féminin. L'orientation sexuelle, pour sa part, se définit à partir de l'attrait érotique ressenti envers des personnes de l'un ou de l'autre sexe. Elle est hérérosexuelle lorsque dirigée vers des personnes de l'autre sexe, homosexuelle lorsque dirigée vers de personnes du même sexe, bisexuelle lorsque mixte. Certaines personnes sont tout simplement asexuelles, ne ressentant que très peu ou même pas du tout d'attrait sexuel. Les préférences sexuelles, quant à elles, viennent caractériser et préciser l'orientation sexuelle en ce qui a trait aux choix de pratiques sexuelles et de partenaires, selon les caractéristiques physiques, psychologiques ou relationnelles de ces derniers. Le rôle sociosexuel, lui, provient des stéréotypes culturels et des prescriptions et attentes sociales à propos de ce qui est considéré masculin (par exemple, la force physique) ou féminin (par exemple, la sensibilité émotive). Ce rôle sociosexuel joué par l'individu est souvent confondu, à tort, avec l'orientation ou l'identité sexuelle, alors qu'il dépend grandement des pressions du milieu quant à savoir ce que sont les comportements masculins ou féminins, hétérosexuels ou homosexuels. On pourrait, en terminant, mentionner l'orientation affective, qui correspond aux objets d'amour d'une personne et qui n'est pas forcément conforme à son orientation sexuelle. Par exemple, certains hommes désirent uniquement des femmes (orientation hétérosexuelle) mais ne partagent leur affectivité et leur intimité qu'avec d'autres hommes (orientation homoaffective). Les hypothèses freudiennes, notamment, ont tendance à associer orientation affective et orientation sexuelle alors que ces dernières peuvent diverger chez un même individu.

9. La neutralité des chercheurs, la garantie et le respect de la confidentialité des informations recueillies de la part de répondants sont primordiales dans des recherches qui s'attachent à mieux connaître la vie sexuelle. Par exemple, si des répondants sentent des préjugés ou des attentes particulières de la part de chercheurs, ne serait-ce que dans leur façon de poser — ou de ne pas poser — certaines questions, ils auront tendance à leur répondre de façon erronée. De la même façon, le fait d'aborder une réalité depuis aussi longtemps taboue que l'homosexualité exige un climat de confidentialité et de confiance qui va bien au delà du sondage d'opinions: certaines recherches récentes sur la répartition des orientations sexuelles parmi la population nord-américaine, qu'il s'agisse d'adolescents ou d'adultes, semblent avoir négligé cet aspect[83]. Ainsi, lorsque certains actes homosexuels entre adultes consentants sont encore considérés comme des crimes dans la moitié des États américains, il est déraisonnable de penser que les gens répondront spontanément qu'il ont commis un tel crime à tout chercheur qui se présentera à eux[84]...

10. Enfin, il apparaît plus que jamais nécessaire de tenter d'expliquer le développement de l'orientation sexuelle en général, plutôt que de s'acharner uniquement à disséquer certaines de ses manifestations sous prétexte quelles seraient minoritaires, marginales, atypiques ou déviantes. En procédant de cette façon, il sera possible de raffiner notre connaissance non seulement des diverses orientations sexuelles mais des multiples préférences auxquelles elles donnent lieu en ce qui concerne les choix préférentiels de partenaires selon leur âge, leur apparence physique, leur taille, leur origine ethnique ou sociale, leurs pratiques sexuelles favorites, leurs types de relations, etc. À l'instar des historiens, anthropologues, psychologues et philosophes qui, depuis quelques années, se sont appliqués à démontrer l'inconsistance du discours dominant autour de l'homosexualité, reste à proposer de meilleures théories pour expliquer le désir, quelles qu'en soient les manifestations.

CONCLUSION

Les explications essentialistes de la sexualité ont montré leur insuffisance, sinon leur incapacité, à expliquer la diversité humaine sans la hiérarchiser d'après des critères qui n'ont pas grand-chose à voir avec la science. Malgré sa relative nouveauté, l'apport du constructiviste semble d'autant plus utile qu'il combat les lieux communs et confronte les clichés entourant l'homosexualité.

Alors que les essentialistes prennaient pour acquis que toutes les sociétés comportent des individus qui sont soit hétérosexuels, soit homosexuels (les bisexuels, pourtant deux fois plus nombreux, étant généralement ignorés), les constructivistes démontrent que la notion d'homosexuel est un produit socio-historique, qui n'est pas universellement applicable et qui demande à être expliqué. Alors que les essentialistes considéraient l'attribution d'une «identité homosexuelle» comme allant de soi puisqu'étant simplement la reconnaissance d'une vérité biologique, les constructivistes perçoivent l'identité comme la conséquence d'un processus interactif d'étiquetage social et d'auto-identification. Enfin, en refusant de considérer comme naturelle quelque expression de la sexualité que ce soit, les constructivistes déplacent tout le cadre du débat sur la question de l'homosexualité. Plutôt que de demander «Pourquoi l'homosexualité?» les constructivistes reconnaissent la diversité dans la sexualité humaine et posent la question: «Pourquoi l'homophobie?»

La critique de la science générée par de nouvelles façons de penser l'humain, sa conduite et sa sexualité permet de dépoussiérer et de rectifier les idées héritées d'une époque durant laquelle science, religion, politique et morale n'arrivaient pas toujours à se dissocier. Toutefois, beaucoup reste encore à faire et à explorer puisque c'est la définition même de l'homosexualité, donc de l'hétérosexualité, et les finalités de leur compréhension qui sont en train de changer.

Après des siècles de condamnations et de stigmatisations réitérées de l'homosexualité par l'État, la religion et la science, une connaissance débarrassée de préjugés ne va pas de soi. On est surpris de constater combien la tâche de comprendre et d'expliquer le désir, qu'il soit homosexuel ou hétérosexuel, reste un défi à relever. La recherche non biaisée par des a priori moraux et pseudo-scientifiques sur l'orientation (homo)sexuelle n'en est qu'à ses débuts. Elle se fait au prix de remises en question qui s'attaquent aux concepts mêmes qui ont servi à construire l'homosexualité comme désir anormal, comportement marginal et identité déviante. C'est pourquoi il n'est pas exagéré de croire que, malgré leurs déguisements modernes, les explications classiques et singulières de l'homosexualité apparaîtront de plus en plus comme des éléments de mauvaise science-fiction.

Notes :

[1] En majeure partie menée par des hommes, la recherche s'est, en effet, et de façon très nette, intéressée surtout à l'homosexualité masculine. Les rationels utilisés pout expliquer l'homosexualité féminine sont généralement plus ou moins dérivés des précédents.

[2] Comme nous le verrons, certains chercheurs sont d'ailleurs très explicites à ce sujet.

[3] Ce ne sont pas les traités sur les «déviations sexuelles» qui manquent et chaque époque a vu apparaître de nouvelles classifications.

[4] Hubert, E., «L'Inversion génitale et la législation», 1892, cité dans Courouve, C., Vocabulaire de l'homosexualité masculine, Payot, Paris, 1985, p. 144.

[5] Bayer, R., Homosexuality and American Psychiatry, Basic Books, New York, 1981, Thuillier, P., «L'homosexualité devant la psychiatrie», dans La Recherche, no 213, septembre 1989.

[6] Bullough, V. L., Sexual Variance in Society and History, University of Chicago Press, Chicago, 1976,

Bullough, V. L., Homosexuality, a History, Meridian Book/New American Library, New York, 1979,

Boswell, J., Christianisme, tolérance sociale et homosexualité, Gallimard, Paris, 1985,

Katz, J. N., Gay American History, Avon/Discus, New York, 1978,  

Katz, J. N., Gay/lLesbian Almanac, Harper & Row, New York, 1983,

Dover, K. J., Homosexualité grecque, La pensée sauvage, Genève, 1982,

Sergent, B., L'Homosexualité dans la mythologie grecque, Payot, Paris, 1984,

 Sergent, B., L'Homosexualité initiatique dans l'Europe ancienne, Payot, Paris, 1986.

[7] Incidemment, tout un réseau de «gay studies», d'obédiences théoriques diverses, s'est développé aux U.S.A. depuis quelques années, précisément afin de faire contrepoids à la marginalisation séculaire de l'homosexualité comme réalité humaine et comme objet d'études. On consultera notamment à ce sujet:

Minton, H. L., Gay and Lesbian Studies, Harrington Park Press, New York, 1992,

Abelove, H. et autres, The Lesbian and Gay Stusies Reader, Routledge, New York/Londres, 1993.

[8] «Inversion» est le terme préféré de Freud lorsqu'il aborde l'homosexualité.

[9] Voir notamment:

Ruse, M., Homosexuality, Basil Blackwell, Oxford, 1988, chap. 2,

Lewes, K., The Psychoanalitic Theory of Male Homosexuality, Meridian, New York, 1988, pp. 35-41,

Downing, C., Myths and Mysteries of Same-sex Love, Continuum, New York, 1991.

[10] D'après ce qu'on sait aujourd'hui de la vie de Freud, il est probablement que l'idée de l'angoisse de castration lui soit venue du fait que, durant sa propre enfance, il fut lui-même traumatisé d'avoir entraperçu sa mère nue durant un voyage en train.

[11] «L'absence d'un père énergique dans l'enfance favorise souvent l'inversion» écrit Freud dans une note des Trois essais sur la théorie de la sexualité, Gallimard, Paris, 1962, p. 163.

[12] C'est du moins ce qu'il écrit dans sa fameuse «Lettre à une mère américaine», en date du 9 avril 1935.

[13] Trois essais sur la théorie de la sexualité, op. cit, p.161.

[14] Popper, K. R., Conjectures et réfutations, Payot, Paris, 1985, p.66.

[15] Stoller, R., L'Imagination érotique, PUF, Paris, 1989, p. 213 et 214.

[16] Idem, p. 232.

[17] Bell, A.P., Weinberg, M.S. et Hammersmith, S.K., Sexual Preference, Indiana University Press, Bloomington, 1981.

[18] Kallman, F. J., «Comparative twin study on the genetic aspects of male homosexuality» in Journal of Nervous and Mental Disease, no 115, 1952, pp. 283-298.

[19] Wilson, E. O., L'Humaine nature, Stock, Paris, 1979, pp. 209 et suivantes.

[20] «La moralité du gêne» est le titre du chapitre d'ouverture de l'_uvre fondatrice de E. O. Wilson, La Sociobiologie, éd. du Rocher, 1987.

[21] Horgan, J. «Eugenics Revisited», Scientific American, June 1993, p. 124.

[22] Idem, p. 125.

[23] Traverson, M., «Naît-on homosexuel?», Le Point, no 1088, 24 juillet 1993.

[24] Agence France Presse, «Des chercheurs découvrent une structure génétique liée à l'homoseuxalité masculine», La Presse, 25 juillet 1993.

[25] Guichard, M-T., «Homosexuels: les deux cultures», Le Point, no 1088, 24 juillet 1993.

[26] Friedman, R. C. Male Homosexuality, Yale University Press, New Haven, 1988, chap. 2., Ruse, M. Homosexuality, op. cit., p. 98-99.

[27] Money, J., Gay, Straight, and In-Between, Oxford Un. Press, New York, 1988.

[28] Burr, C., «Homosexuality and Biology», The Atlantic, March 1993.

[29] Money, J. & Tucker, P., Êtes-vous un homme ou une femme? éd. La Presse, Montréal, 1977.

[30] Dorner, G., Hormones and Brain Differenciation, Elsevier, Amsterdam, 1976 Dorner, G. et autres, «Prénatal stress as a possible aetiogenetic factor of homosexuality in human males», Endokrinologie, no 75, 1980, pp. 365-368.

[31] LeVay, S. The Sexual Brain, The MIT Press, Cambridge, 1993, pp. 125-126.

[32] Lewontin, R., Rose, S., Kamin, L., Nous ne sommes pas programmés, La Découverte, Paris, 1985, pp.191-192.

[33] Stoller, R., Masculin ou féminin?, Gallimard, Paris, 1989.

[34] Tardieu, A. , Études sur les attentats aux moeurs, Paris, 1857.

[35] Lombroso, C. et Ferrero, G., La Femme criminelle et la prostituée, Félix Alcan, Paris, 1896.

[36] Bell, A., Weinberg, M. S. & Hammersmith, S. K., Sexual Preference, Indiana University Press, Bloomington, 1982.

[37] Ce qui sous-entend clairement qu'il y en a d'autres.

[38] LeVay, S., The Sexual Brain, The MIT Press, Cambridge, 1993, p.123

[39] Simard, A-M., «Naître ou ne pas naître homosexuel», dans L'Actualité, 15 novembre 1991.

[40] Le Vay, S., «A Difference in Hypothalamic Structure Between Heterosexual and Homosexual Men», Science, August 1991.

[41] Corraze, J., L'Homosexualité, PUF, coll «Que sais-je?», Paris, 1992 (3e éd).

[42] LeVay, S., The Sexual Brain, The MIT Press, Cambridge, 1993, pp 121-122.

[43] Stein, E., Forms of Desire; sexual orientation and the constructionnist controversy, Routledge, New York, 1992.

[44] Simon, J, H. & Gagnon, W., Sexual conduct, Aldine, New York, 1973.

[45] Simon, W. & Gagnon, J. H «Sexual Scripts: Permanence and Change», Archives of Sexual Behavior, vol 15 no 2, 1986.

[46] Gagnon, J. H. & Simon, W, Sexual Conduct: the Social Sources of Human Sexuality, op. cit., pp. 19 et suivantes.

[47] Plummer, K., Symbolic «Interactionism and Sexual Conduct: an emergent perspective», Human Sexual Relations, Mike Brake éd., Penguin Books, New York, 1982.

[48] Dorais, M., Tous les hommes le font, Le Jour & VLB éditeur, Montréal, 1991.

[49] Tripp, C. A., The Homosexual Matrix, Meridian, New York, 1975, p. 93.

[50] Tripp, C. A., op. cit. p. 15.

[51] Idem, p. 58.

[52] Ford, C. S. & Beach, F. A., Le Comportement sexuel chez l'homme et l'animal,  Robert Laffont, Paris, 1970, p. 328.

[53] Idem, p. 333.

[54] McIntosh, M., «The Homosexual role», in Social Problems, vol 16, no 2.

[55] Plummer, K., Sexual Stigma, Routledge & Kegan Paul, London, 1975.

[56] Foucault, M., La Volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976.

[57] La révolte contre le harcèlement policier des clients du bar new yorkaisThe Stonewall Inn, en juin 1969,  est généralement avancée comme l'acte de naissance du mouvement de libération des hommes homosexuels.

[58] Idem, p. 59

[59] Citons notamment:

Hahn, P., Nos ancêtres les pervers: la vie des homosexuels sous le second empire, Olivier Orban, Paris, 1979,

Hocquenghem, G., Race d'Ep!, éd, Libres-Hallier, 1979.

[60] Voir notamment:

Brake, M., Human Sexual Relations, Pantheon Books, London, 1982,

Plummer, K., Sexual Stigma, Routledge, London, 1975,

Plummer, K., The Making of the Modern Homosexual, Hutchinson, London, 1982,

Weeks, J., Coming out, Quartet bokks, London, 1979,

Weeks, J., Sexuality and its Discontents, Routledge & Kegan Paul, London, 1985,

Weeks, J., Sexuality, Routledge, London, 1989,

Weeks, J., Against Nature, Rivers Oram Press, London, 1991.

[61] Kinsey A. C., Pomeroy W. B. et Martin C. E., Le Comportement sexuel de l'homme, éd. du Pavois, Paris, 1948.

[62] Hite, S. Le Rapport Hite, Robert Laffont, Paris, 1977, Hite, S. Le Rapport Hite sur les hommes, Robert Laffont, Paris, 1983.

[63] Janus, S. S. & C. L. , The Janus Report on Sexual Behavior, John Wiley & Sons, New York, 1993.

[64] Kinsey et autres, op. cit., pp. 815-823.

[65] Kinsey A. C., Pomeroy W. B., et Martin C. E., Sexual Behavior in the Human Female,Saunders, Philadelphia, 1953, pp. 470-488.

[66] Idem, p. 1118.

[67] Hite S, The Hite Report on Male Sexuality, A, Knopf, New York, 1981, p. 1110.

[68] Idem, p. 811.

[69] Hite S, The Hite Report, New York, Dell, 1976, p. 395.

[70] Janus, S.S. & C.L., The Janus Report on Sexual Behavior, John Wiley & Sons, New York,1993, pp. 69-70.

[71] La persistance des comportements homosexuels à travers l'histoire et les cultures humaines a d'ailleurs été confirmée par de nombreuses études historiques et d'anthropologiques, parmi lesquelles les ouvrages de Bernard Sergent, John Boswell et Jonathan Katz, déjà cités, auxquels pouraient s'ajouter des essais tels que Éros minoritaire, de Françoise d'Eaubonne (Balland, Paris, 1970) et Le Rapt de Ganimède, de Dominique Fernandez (Grasset, Paris, 1989).

[72] Bolton, R. & Nardi, P. M., «The Mysteries ok sex-survey results», The Advocate, June 1, 1993.

[73] Ford, C. S., & Beach, F. A. , Le Comportement sexuel chez l'homme et l'animal, Robert Laffont, Paris, 1970.

[74] Churchill, W., Homosexual Behavior Among Males, Prentice Hall, Englewoods Cliffs, 1967.

[75] Herdt, G. H., Guardians of the flutes, McGraw Hill. New York, 1981.

[76] Stoller,R., L'Imagination érotique, PUF, Paris, 1989, p. 130.

[77] Idem, p. 135.

[78] Corneau, G., Père manquant, fils manqué, éd. de l'Homme, Montréal, 1989.

[79] Popper, K., Conjectures et réfutations, Payot, Paris, 1985.

[80] Andreski, S., Les Sciences sociales: sorcellerie des temps modernes?, PUF, Paris, 1975.

[81] Stoller, R., L'Imagination érotique, op. cit., p. 214 et suivantes.

[82] Idem, p. 217.

[83] On lira à cet effet les critiques de Bill Ryan et Jean-Yves Frappier, «Les difficulté des adolescents gais et lesbiennes», dans La médecine «gaie», Le Médecin du Québec, septembre 1993.

 

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La peur de l'autre en soi, du sexisme à l'homophobie  

Daniel WELZER-LANG, Pierre DUTEY et Michel DORAIS 

vlb éditeur 1994 - Québec;