Arrête!  Tu me fais mal!
 En sortir  

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Arrête!  Tu me fais mal! : La violence domestique, 60 questions, 59 réponses

 

5 - CINQUIÈME PARTIE : En sortir

 50 - Que signifie "sortir" de la violence domestique?

Sortir de la violence, c'est différent de: - ne plus supporter les coups (qu. n° 35), - avoir atteint le palier de l'intolérable (qu. n° 23), - être meurtri-e et vouloir fuir…

Pour les hommes violents, sortir de la violence domestique, c'est différent de: - changer de partenaire (qu. n° 25), - faire porter la responsabilité des violences sur l'autre, - se trouver une nouvelle guerre à jouer…

Se sortir de la violence domestique, c'est vouloir changer les relations dans lesquelles il existe de la violence, car la violence n'est que le symptôme d'un problème et non le problème en lui-même.

Vouloir sortir de la violence passe d'abord par lier pensées et pratiques. Je m'explique. Nos relations hommes/femmes intègrent une "part pensée": nous agissons aussi parce que nous sommes au fond de nous persuadé-e-s de la légitimité de nos pratiques. En sortir, suppose d'abord d'accepter l'idée que les femmes ont des droits, qu'elles sont des êtres humains à part entière et qu'à ce titre, il n'y aucun motif sérieux qui nous permettent de les dominer. En sortir suppose d'accepter l'égalité de droits et de devoirs. Dans nos sociétés qui ont encore, pour l'instant, institutionnalisé la différence et l'inégalité généralisée, le fait de quitter la violence domestique passe par des examens critiques de nos manières de penser et d'agir les relations hommes/femmes. Mais cela ne suffit pas.

Sortir de la violence, pour les hommes comme pour les femmes, cela suppose aussi de briser le secret, de quitter les solitudes dont la violence a tissé les toiles. Pour les hommes, il faut quitter la peur de perdre le contrôle de ses proches, il faut risquer l'amour à deux, apprécier les dissemblances. Mais cela ne suffit pas toujours.

Sortir de la violence oblige à changer ses pratiques: arrêter de jouer le petit garçon soumis face à la femme/mère, ou d'être cette mère surprotectrice de Monsieur. Quitter la violence impose de prendre son autonomie, de grandir. Ni la petite fille, ni le petit garçon quittent la violence. Quitter la violence, c'est aussi ne plus l'utiliser, apprendre à casser la spirale infernale, à trouver avec ses proches d'autres manières de parler, de débattre.

Et pour tout ça, mieux vaut ne pas être seul-e.

51 - Comment ça se passe en France pour les violences domestiques?

Comprendre comment se passe aujourd'hui le traitement social des violences domestiques permet d'ouvrir les yeux sur ce que l'on peut appeler l'espace social dans lequel s'exercent ces violences domestiques. De prime abord, on serait tenté de dire: on n'a pas le droit de battre les femmes, les enfants ou… les hommes. Seulement, cette belle déclaration ne résiste pas à l'analyse. Une première lecture des textes historiques aurait pu nous mettre en garde; ainsi la sociologue Christianne Bonnemain cite Philippe de Beaumanoir, légiste au 13 ème siècle, lequel reconnaissait au mari le droit de "battre sa femme quand elle ne veut pas lui obéir, pourvu que ce soit modérément et sans que mort s'ensuive"(1). On peut toujours dire que le 13 ème siècle est loin. Benoite Groult dans sa préface du livre d'Erin Pizey n'en croit rien: "Vingt siècles d'abus de pouvoir ont pris force de loi grâce à un silence complice et généralisé et ils ont fini par créer chez les uns une telle habitude de la puissance maritale, et chez les autres une telle résignation à leur sort, que les "intéressées" osent à peine se plaindre et les témoins à peine s'indigner" (2). J'aurais pu aussi reproduire l'ensemble des "petites phrases" entendues ça et là au cours des 7 années de recherches sur la violence. Ainsi ce médecin, représentant l'Ordre des Médecins, qui en 1990 dans une commission départementale (3) d'une grande ville de France déclare: "Quand même, une claque de temps en temps sur sa femme, c'est pas si grave que ça, il n'y a pas de quoi faire un scandale ou séparer une famille". Mais, cela nous mènerait trop loin et me procurerait beaucoup d'inimitiés.

La loi, par l'exercice des punitions (des peines) fixe les seuils de violences acceptables ou inacceptables. Ainsi en 1991, en France, la victime doit pouvoir produire un certificat de plus de 8 jours d'incapacité temporaire de travail (4) pour que l'auteur des violences soit poursuivi devant le tribunal correctionnel. Il risque "un emprisonnement de deux mois à deux ans et une amende de 500 à 20 000 F ou l'une des deux peines seulement"(Art. 309). Si le certificat d'ITT est de moins de 8 jours, l'auteur peut être poursuivi devant le tribunal de simple police; il est alors passible d'une contravention. La règle des 8 jours d'ITT détermine le seuil critique. Dans les faits, outre la loi et les peines encourues officiellement, les pratiques judiciaires et les peines réellement "données" par le juge sont, pour une époque donnée, les véritables seuils du normal ou de l'anormal. Une étude rapide des jugements effectués sur les derniers mois montre que, dans la France de 1992, on ne risque pas grand chose à violenter ses proches à condition de ne pas frapper trop fort.

Nos sociétés fonctionnent sur un double discours. D'un côté une morale ambiante qui explique: c'est interdit; de l'autre, une pratique judiciaire qui dit: si vous dépassez tel degré de violences, vous risquez cette peine. Mais, quelles que soient les variations locales ou nationales des peines infligées par les différents tribunaux, n'importe quel quidam peut savoir qu'en gros, tant que les violences ne dépassent pas des coups "graves", il ne risque rien. Nous reproduisons collectivement un seuil de tolérance et de complicité avec les violences domestiques.

Or, on me l'accordera, prendre des gifles régulièrement ou des coups "légers", que ce soit devant des tierces personnes ou pas, suffit largement à produire de la peur chez les victimes et à obtenir leur soumission. Nos sociétés occidentales autorisent donc, dans des limites dites "raisonnables" l'exercice de la violence. Ceci n'est pas fait pour aider les femmes violentées et encore moins les hommes violents. Dans mes recherches actuelles menées au Québec où l'homme accusé de violences flagrantes (5) est automatiquement amené en garde à vue dans les locaux de la police et par la suite présenté au tribunal, les hommes violents eux-mêmes disent qu'ils ont compris la gravité de leurs gestes lorsque la police les a arrêtés (6). Le fait d'être considéré comme un délinquant et d'être traité comme tel par les services officiels, cela a permis à de nombreux hommes de décider de changer. Je ne plaide pas pour la prison, ni pour les hommes violents, ni pour les autres délinquants; la prison ne sert pas à grand chose, on l'a prouvé depuis longtemps. Mais je pense important que collectivement on sache montrer les limites de l'inacceptable. Pourquoi traite-t-on différemment un homme qui frappe un policier dans la rue et un homme qui frappe une femme ou sa femme. Est-ce cet adjectif de possession qui fixe la différence ? Vouloir aider les hommes violents et leurs proches imposerait de rompre avec le double discours.

Mais l'espace social évolue très rapidement. J'en donne un exemple.

Le Secrétariat d'Etat chargé des Droits des Femmes proposait, en I990, les modifications suivantes: "Les violences ayant entraîné une maladie ou une incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours sont punies de 3 ans d'emprisonnement et 300 000 F d'amende (art. 222-11) et cinq ans d'emprisonnement et 500 000 F d'amende lorsqu'elles sont commises par le conjoint ou le concubin de la victime (Art. 222-12).

On tord le bâton dans l'autre sens. Après un laxisme total, nous voici dans le tout-répression. Proposer de condamner les conjoints violents à 5 ans de prison (peine maximale) pour des violences de plus de 8 jours d'ITT comporte un autre risque. Réfléchissons: 2 millions de femmes battues = 2 millions d'hommes violents. Combien avons-nous de places en prison ? Quels seront les réactions des compagnes des hommes violents lorsque leur plainte, leur simple plainte pour ne plus endurer de sévices, enverra leur conjoint, le père de leurs enfants, en prison pour plusieurs mois ? Les juges n'hésiteront-ils pas à envoyer en détention un homme salarié ? Il risque de perdre son travail et de ne plus pouvoir aider financièrement à l'éducation de ses enfants. Nous avons aujourd'hui la chance de pouvoir proposer certaines modifications législatives concernant les violences domestiques. Personnellement, j'ai peur que l'on passe à nouveau à côté de transformations qui aident à prévenir plutôt qu'à punir. J'ai l'impression que comme dans beaucoup de domaines, concernant les violences domestiques, les spécialistes des hommes violents ou les juristes adeptes de l'alternative à l'emprisonnement, ont été peu entendu-e-s. Ont-ils/elles été écouté-e-s?

Nos perceptions concernant les violences faites aux femmes ou aux enfants, ne font en fait, que suivre les méandres de la longue et pénible marche vers l'égalité des sexes. Dans cette marche, quelle que soit l'étiquette annoncée (féministe, masculiniste, juriste, expert…), les différentes tendances politiques se manifestent. On a parfois l'impression que le débat sur les violences domestiques privilégie ceux et celles qui sont adeptes de l'Ordre moral, les partisans de la répression au détriment des autres courants d'analyse. Pour mémoire, le groupe local de Nantes de la Fédération Solidarité Femmes a, depuis longtemps, essayé d'avancer des propositions législatives qui permettent d'aider les femmes battues et de respecter une idée progressiste du droit; ce qui à l'analyse aiderait aussi les hommes violents.

Mais la modernité concernant les violences domestiques se situe sans conteste du côté de l'accueil des femmes battues et, dans une moindre mesure, des hommes violents -nous allons y revenir-; du côté des premiers essais pour former les différent-e-s professionnel-le-s qui interviennent sur cette problématique: travailleurs sociaux, travailleuses sociales, policier-e-s, magistrat-e-s.

Dans les violences domestiques, comme en d'autres domaines, une tendance très forte de notre société consiste à accuser les policiers, les magistrat-e-s ou les professionnel-le-s de l'action sociale, de l'ensemble des maux que l'on aimerait proscrire. On oublie un peu vite que ces corps professionnels sont à l'image de nos sociétés, qu'ils sont souvent le miroir de nos doutes. Ainsi la police et la magistrature, chargées de l'exercice du droit et de la répression, sont des corps masculins. Le travail social, chargé de l'aide aux personnes, est l'héritage actuel des ligues de charité et il montre son origine "féminine". Ces corps réagissent à l'image des réactions des hommes et des femmes et reproduisent les mythes sur les hommes violents ou les femmes battues. Leurs transformations sont parallèles aux évolutions de la société. On peut, à raison, critiquer l'accueil fait aux femmes battues dans les commissariats ou la victimologie des assistantes sociales. Ces réactions ne représentent que l'émergence, dans des lieux spécialisés, des perceptions qu'aiment avoir hommes et femmes sur la violence domestique. Prendre des boucs émissaires ne règle en rien le problème.

Mais la formation de ces professionnel-le-s pose une autre question. N'avons-nous pas oublié, une nouvelle fois, les hommes violents ? Il faut faire des actions de formation pour expliciter qui sont les femmes battues, leurs difficultés à parler, à demander de l'aide, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi dispenser une formation qui explique l'envers du décor, qui explique qui sont les hommes violents et leur problématique particulière. N'oublions pas que les policiers sont des hommes en arme et, à ce titre, ils sont plus que d'autres empreints des stéréotypes sexuels sur la force et la virilité. Quand aux femmes policières, comme me le faisait remarquer un inspecteur de police, l'appartenance à la catégorie sociale femme n'est pas une garantie de modernisme. La volonté de se montrer aussi forte que leurs collègues masculins aboutit quelque fois à des situations particulières: il en est ainsi de cette femme inspectrice qui m'a dit un jour: "Les femmes battues: des connes, ça serait moi …". Mais, quelles que soient nos valeurs idéologiques, nos réactions, voire notre agacement sur les pratiques policières de certains corps spécialisés, la transformation de l'attitude de nos sociétés à l'égard des violences domestiques passe par une modification collective, police et institutions comprises, de nos représentations et croyances. De plus, il est nécessaire d'élaborer des stratégies d'interventions, pour ces intervenant-e-s d'urgence et de première ligne que sont les policier-e-s.

Encore faudrait-il cesser cette partie de cache-cache qui se joue actuellement dans la compréhension des causes des violences domestiques. Il faut rompre avec cette volonté permanente qu'ont certain-e-s de vouloir tout expliquer par les conditions psychologiques particulières propres à quelques individus. Il faut écouter une bonne fois le parlement européen lorsqu'il déclare: "Ces atteintes ne peuvent être considérées simplement comme une déformation accidentelle des relations entre individus, mais elles reposent plutôt sur un ensemble de facteurs psychologiques, sociologiques et sociaux qui peuvent s'expliquer par la faiblesse fréquente de la situation économique des femmes et la dépendance qui en découle, qui entraînent une division inégale des pouvoirs entre les hommes et les femmes au sein de la société" (Parlement Européen. Résolution sur la violence contre les femmes. 19 juin 1986).

52 - L'accueil des femmes ?

Il n'est pas dans mon intention de faire en quelques lignes l'histoire de la longue marche vers l'égalité des sexes; depuis 1970, des millions de femmes ont âprement lutté pour obtenir l'ouverture de "foyers pour femmes battues". Il faut espérer que cette histoire sera un jour écrite, pour bien nous faire réaliser les difficultés rencontrées par ces femmes pionnières pour faire admettre le Droit pour les femmes de se protéger contre les violences maritales.

Différentes structures accueillent aujourd'hui les femmes violentées. Certaines sont issues du travail social classique, d'autres sont des produits plus ou moins directs du féminisme militant. Nous pouvons faire plusieurs constats:

- dans l'ensemble ces structures sont peu ou mal subventionnées. On ne peut d'ailleurs que s'étonner à l'époque actuelle, que certains foyers soient encore menacés par manque de ressources. Ou que certaines grandes villes n'en possèdent pas. (7)

- les procédures d'accueil, de soutien et d'aide aux femmes sont multiples: foyers éclatés en petits appartements, foyers-casernes, structures ouvertes… Les accueillantes sont en général des professionnelles, mais ce terme correspond à bien des réalités différences.

On ne peut que conseiller aux femmes ayant besoin d'aide de se renseigner à l'avance sur les conditions d'admission et d'accueil ainsi que sur les droits qui sont accordés aux femmes hébergées. Faut-il un certificat de coups et blessures, un certificat médical de bonne santé ? Exige-t-on un ou plusieurs entretiens avant d'être admise? Avec qui sont-ils effectués ? Quel prix faut-il payer? Combien de temps peut-on séjourner? Quelle aide concrète est fournie (recherche d'emploi, formation, groupe de soutien…)? Mais au delà de tous ces détails, renseignez-vous sur la taille des logements, les libertés de sortir et d'amener des ami-e-s, de faire garder vos enfants… Toutes questions qui peuvent se résumer dans celle-ci: qu'est-ce qui est mis en oeuvre pour aider les femmes à accéder à l'autonomie et à l'indépendance ? Certaines structures sont explicitement faites pour les "femmes battues", d'autres non. On trouvera à la fin de cet ouvrage une liste des principaux centres français, belges, suisses et québécois pour femmes battues.

53- L'accueil des hommes violents?

• Qui accueille les hommes violents?

Chaque centre a sa particularité, son histoire et ses modes d'intervention. Ainsi, pour prendre un élément de comparaison, au Québec, pour 6 millions d'habitants, il existe une vingtaine de centres pour hommes violents qui, pour la plupart sont débordés. L'origine de ces structures a trois horizons: quelques psychologues ou autres intervenants qui, de manière novatrice, ont voulu intervenir pour aider les hommes violents, des hommes issus des "groupes d'"hommes antisexistes (7) " dont le militantisme s'est transformé en se professionnalisant auprès des hommes violents, et des travailleurs sociaux ou des travailleuses sociales convaincu-e-s de la nécessité de s'adapter aux nouvelles questions posées par l'évolution du mode de vie au sein de notre société.

En France, nous allons retrouver ces trois types d'intervenants. Jusqu'en 1991, il y avait 3 centres pour hommes violents: Paris, Lyon, Marseille.

Lyon, le premier à avoir ouvert ses portes (novembre 1987), a été créé par des hommes qui ont appartenu à ARDECOM (8) où ils ont critiqué les formes actuelles de l'identité masculine. Persuadés que l'on ne naît pas homme et homme violent, qu'il est possible de vivre d'autres relations avec les femmes que la violence, RIME met l'accent sur l'aspect psycho-social et socio-culturel de la violence apprise aux hommes. L'équipe d'accueillants, animée depuis le début par Gérard PETIT et moi-même, est pluridisciplinaire: travailleurs sociaux, psychologues, sociologues. Paris a été créé à l'origine par un psychologue (Claude MASTRE) et certaines féministes (9) qui, pour bon nombre d'entre elles, ont aidé à l'ouverture de centres pour femmes violentées. Le centre de Paris, après différentes réorientations opte maintenant pour une approche plus psychologisante, privilégiant par exemple les entretiens individuels aux rencontres de groupe. Marseille s'est différemment constitué. Il a été ouvert par des travailleurs sociaux qui, à travers leurs pratiques professionnelles, se sont rendus compte de l'importance du phénomène des violences familiales; son premier responsable (Claude MOINE) dirigeait un foyer pour femmes seules avec enfants.

Dans les faits, c'est un psychologue québécois (Robert PHILIPPE) qui a formé les premiers responsables qui s'occupent des hommes violents en France.

Quels sont les hommes qui viennent ?

On peut prendre l'exemple de RIME (11) . A la lumière des enquêtes réalisées au Québec sur près de 15OO hommes violents, RIME est relativement représentatif des centres pour hommes violents (12). Dans la majorité des cas (près de 80% des hommes reçus), ceux-ci viennent parce que leur compagne est partie ou va le faire. Les autres 20% sont composés d'hommes qui par éthique religieuse, philosophique ou politique, se réjouissent de pouvoir -enfin- trouver une structure où ils peuvent parler de leurs violences. En effet, ils sont apposés à la violence que pourtant ils mettent en oeuvre. Parmi ceux-ci, plusieurs ont vécu des violences avec des partenaires successives. Il n'a pas d'âge type: on a reçu des hommes de 18 à 65 ans. Il n'y a pas, non plus, de milieux sociaux déterminés.

Les travailleurs sociaux ou les travailleuses sociales réfèrent plus facilement des hommes d'origine populaire, souvent immigrés. Les autres qui apprennent l'existence du centre par les médias ou le "ouï-dire", sont médecins, cadres supérieurs, employés, enseignants, artistes… Certains sont très lettrés (les professeurs d'université par exemple) quand d'autres sont à la limite de l'analphabétisme. Dans les faits, cela change peu de choses si ce n'est une plus ou moins grande facilité à résoudre les problèmes matériels dus à la séparation.

Deux types d'hommes émergent depuis quelque temps:

• le premier est composé d'hommes qui sont dans le déni complet de leurs responsabilités: eux n'ont rien fait, leur compagne, les ami-e-s, les professionnel-le-s du social, les magistrats… sont responsables de tout. Ils se sentent floués face à leurs droits de père et de mari. Ils viennent d'abord au centre dans le but de ramener leur épouse à la raison. Beaucoup se situent dans le registre de la menace: "ils vont voir…", "elle partira pas comme ça…" "ils vont le payer…". Parmi ces hommes, la grande majorité a des tendances suicidaires. Ils estiment avoir tout perdu avec le départ de leur compagne: famille, enfants, mais surtout la tranquillité d'une vie qu'ils pensaient heureuse, normale et idéale. Ils n'ont que très peu d'idées sur les souffrances que leur conjointe a pu vivre et en général, ils ne se considèrent pas vraiment comme violents. Certains acceptent de quitter le déni total de toute responsabilité, quand d'autres préfèrent quitter rapidement le centre. Incapables d'entendre ou de comprendre ce que signifie l'autonomie des femmes comme des hommes, ce sont ces conjoints qui vivent dans les couples les plus traditionnels.

• les autres sont souvent, mais pas obligatoirement, plus jeunes que les premiers; ils acceptent dès le départ tout ou partie de leurs responsabilités dans les violences qu'ils ont exercées. C'est la raison de leur venue. Les témoignages d'autres hommes violents les a souvent rassurés: ils ne sont pas seuls à vivre cette situation. Bien évidemment, avec ces derniers, le changement est plus rapide car il peut prendre appui sur une réflexion déjà engagée. Leur besoin d'une aide extérieure demeure réel cependant.

Comment se passe l'accueil des hommes violents?

L'homme, quelles que soient les circonstances qui motivent sa venue, doit venir de manière volontaire.

C'est à dire, qu'il doit avoir la volonté de reconnaître sa violence, d'en prendre la responsabilité et de vouloir changer. Le premier contact est téléphonique. Le numéro de téléphone de RIME est largement reproduit sur l'ensemble des documents d'information de l'association et dans la presse locale. Après un rapide échange téléphonique, on lui est propose un rendez-vous.

S'ensuit l'accueil où en un ou deux entretiens il va pouvoir, souvent pour la première fois de sa vie, parler de lui. Certes il explique sa violence et les différentes formes qu'elle a prises, mais il est surtout invité à décrire ses conditions de vie, à parler de ses ami-e-s, de ses enfants. On pourrait qualifier ce stade de "période sac à dos". Il pose son sac et commence à sortir ses affaires l'une après l'autre. Chacun-e de nous dispose d'un sac à dos personnel plus ou moins rempli: les grandes décisions (mariage, enfants, travail…) et les petites, ou plutôt celles que l'on pense petites (nos ami-e-s, notre place à la maison, le temps que l'on prend pour soi…). Naturellement chacun-e détermine en fonction de critères personnels ce qui est important ou non pour soi, ce qu'il/elle va classer dans les petites ou les grandes affaires. D'une manière générale, le sac à dos des hommes violents est solidement fermé, empaqueté par de multiples cordes, sur lesquelles ils ont multiplié les noeuds. Les premiers entretiens consistent à tenter de dénouer ces cordes et à faire le tri du sac. De même, au vu de la tristesse dans laquelle se trouvent les hommes qui arrivent au centre, une discussion a lieu à propos du suicide. L'homme violent a souvent des tendances suicidaires au départ de sa compagne et il est important d'aborder le sujet clairement et simplement.

C'est libérant de pouvoir parler -un peu- de soi, de sa vie. De commencer à mettre des mots sur des impressions furtives, sur la honte qui couvre les pratiques de violences. Certains hommes ont même l'impression que le travail est fini lorsqu'ils ont réussi à parler. Au terme de ces entretiens préliminaires, si l'homme accepte de continuer et si l'équipe l'accepte comme client, un contrat est passé entre l'homme et le centre. Ce contrat fixe les termes de la collaboration future, s'il participera à un groupe ou à des entretiens individuels, le prix de sa participation et les conditions minima qui permettent de l'accueillir. Ainsi, il lui est demandé de venir à des heures régulières, de ne pas consommer d'alcool ou de drogues avant les séances, de respecter la confidentialité des échanges, notamment sur ce qu'il apprendra des autres hommes du groupe… De même, on passe un contrat de non-suicide: l'homme s'engage à ne pas se suicider pendant sa présence à RIME. Il est de plus invité à respecter les choix de son ex-partenaire, à ne pas utiliser de violences contre elle ou ses enfants. A la condition qu'aucune vie humaine ne soit en jeu, les accueillants garantissent la discrétion absolue sur les échanges auxquels il va participer.

Il arrive que des hommes, après ces premiers entretiens, décident de ne pas poursuivre leur démarche ou que les accueillants doivent refuser leur participation. Ils sont alors orientés vers d'autres structures d'accueil. Pourquoi refuser tel ou tel homme ? Les raisons sont multiples; bien souvent ont été écartés des hommes malades au sens psychiatriques du terme, des hommes alcooliques, des chômeurs qui refusent de commencer à s'aider eux-mêmes, ou d'autres qui manifestent des signes de violences contre les intervenants. La participation aux activités du centre n'est pas un droit en soi, ça doit faire l'objet d'un contrat. La structure légère (il n'y pas d'hébergement ni de prise en charge lourde) ne peut se substituer à l'homme lui-même. Que faire d'un homme malade ? D'un conjoint qui refuse de s'aider lui-même ?

Après ces entrevues, l'homme participe à des entretiens de groupe ou individuels. Si le groupe semble convenir à une nette majorité d'entre eux, certaines circonstances rendent ce recours impossible à d'autres.

Au sein de ce groupe ou lors des entretiens ultérieurs, l'homme va d'abord apprendre à stopper la violence physique, à identifier sa venue, mais il va surtout être invité à parler de lui, de ce qu'il ressent.

En effet, l'arrêt des violences physiques et l'expression des sentiments vont de pair. L'homme est invité à reconnaître les signes intérieurs et corporels de ses montées de violences, à identifier les moments précurseurs de ses colères. Avec un minimum d'attention, il y arrive très bien. Il apprend alors à quitter rapidement le contact avec la source de sa colère et à partir se calmer ailleurs. Divers conseils lui sont donnés pour qu'il puisse reprendre son calme. Il doit se reconnaître responsable de son état et ne doit en aucun cas en faire porter les conséquences sur ses proches. Cette technique, appelée le Time out aux Etats Unis, et initiée notamment par le groupe pro-féministe Emerge de Boston, permet d'éviter qu'il frappe ou qu'il utilise d'autres formes de violences. Elle nécessite toutefois l'accord et l'aide de ses proches, notamment de sa compagne. Le couple devra attendre le retour au calme pour régler pacifiquement l'objet du conflit. De plus, la tension et la montée de colère surviennent parfois dans des circonstances où le départ subit de l'homme peut être difficile: lors de la visite des beaux-parents, avant d'amener les enfants au cirque… Mais l'arrêt des violences physiques, lequel prend souvent place entre la 4ème et la 7ème semaine de groupe, démontre clairement à l'homme et à ses proches qu'il est possible de quitter la violence. Bien évidemment, cela ne suffit pas, toutefois, à transformer les relations de contrôle et les autres formes de violences.

Dans le groupe, la difficulté réside souvent dans le fait de dire ce qui provoque ses colères, mais aussi dans celui de dire ses plaisirs. La présence d'autres hommes aide grandement l'expression et les remises en cause. Non seulement elle fournit un support à l'homme -il n'est pas le seul dans ce cas-, mais aussi elle aide à la confrontation. Au cours des multiples échanges entre hommes, avec les deux animateurs du groupe, les convictions masculines commencent à s'effondrer. Les hommes interrogent leurs conceptions de la vie et le vécu de leurs proches. Bien sûr, certains ne parviennent pas à une compréhension profonde du phénomène, soit parce qu'ils quittent le groupe avant, mais aussi parce que chacun suit un chemin très difficile et que les résistances sont parfois bien tenaces. Il n'y a pas de règles générales. Quelques uns arrivent plus vite que d'autres à comprendre ce qui se joue dans les échanges de la vie quotidienne. Certaines compagnes reviennent vivre avec eux, quelques hommes préfèrent alors quitter le groupe; d'autres au contraire, se voient confirmer dans leur besoin d'aide.

L'objectif est de commencer à apprendre comment débattre autrement, comment trouver des formes de communication où la violence n'a plus de place car elle aura été remplacée par autre chose et notamment par le dialogue et par l'amour.

Chaque semaine, on invite ces hommes à faire un bilan rapide de ce qu'ils ont vécu avec leurs proches. Cela nous donne l'occasion d'entendre comment la spirale de la violence prend des formes descendantes, comment l'homme et ses proches trouvent des nouvelles modalités de coexistence. Mais les rencontres de groupe sont aussi l'occasion d'aborder, semaine après semaine, différents thèmes qui ont à voir avec l'identité masculine "traditionnelle": la paternité, la sexualité, le travail salarié, la place de l'homme dans l'espace domestique…  Au cours d'exercices simples les certitudes masculines se déconstruisent au fur et à mesure. On leur propose aussi des exercices corporels qui leur permettent d'apprendre à se décontracter, à ressentir leur corps…

Les difficultés sont multiples. Certaines tiennent à la place qu'occupe la violence dans le système familial. Je l'ai déjà expliqué: la violence est d'abord un mode de régulation des conflits. Dès son apparition la violence prévaut sur les autres formes de régulation; elle se substitue aux autres formes de débat ou d'échange. Autrement dit, dès son apparition -et sa reconnaissance (qu. n° 20)- la violence s'impose à l'ensemble des membres de la famille. On a vu des situations où l'homme arrête la violence physique contre ses proches (femme et enfants) et reprend une vie commune avec sa compagne alors que celle-ci continue à exercer des violences contre les enfants. Au bout de quelque temps, le système familial ne supporte plus la co-présence de deux modes de régulation. Après avoir quitté le centre, l'homme a souvent tendance à reprendre des violences contre sa compagne et ses enfants. Dans d'autres cas, il a fallu que la conjointe cesse aussi les violences contre les enfants, qu'elle trouve d'autres formes de discussions pour que l'ensemble de la famille quitte la violence. On le voit, la sortie de la violence n'est pas linéaire.

Combien de temps durent les groupes ? Il est difficile de donner une réponse unique à cette question. D'abord parce que nous sommes en phase d'expérimentation, ensuite parce que chaque homme est différent. En général les groupes durent entre 3 et 6 mois.

En fin de groupe et après un bilan avec les animateurs, l'homme peut décider de reprendre place dans un autre groupe ou de quitter le centre. Beaucoup d'entre eux décident alors d'entreprendre un travail avec des psychologues ou d'autres formes de thérapie. Les changements vécus par l'homme sont généralement très visibles. Visibles non seulement dans sa démarche, au sens propre par le fait qu'il commence à mieux vivre son corps, mais aussi dans les décisions qu'il a prises de modifier son mode de vie (le temps accordé au travail ou avec ses proches, notamment ses enfants), mais surtout visibles dans sa manière d'aborder le quotidien, de commencer à se responsabiliser, à envisager des réponses aux difficultés vécues.

RIME n'a ni vocation, ni objectif, de faire de la thérapie (13): le centre se définit comme un "sas" qui ouvre sur les changements, un moment de pause et de réflexion pour l'homme lui même. Il est d'ailleurs significatif que beaucoup d'hommes après avoir compris quelques éléments de leur vie, décident de ne pas reprendre une vie commune avec leur conjointe afin de vivre différemment. Et ce, quelle que soit la décision de leur partenaire.

On aimerait avoir des chiffres, connaître les taux d'abandons, de "réussite", de remise en couple. Il est malheureusement trop tôt pour le faire. Qu'on sache tout de même qu'environ 5O% des hommes accueillis revivent avec leur compagne.

54 - Peut-on faire confiance aux centres pour hommes violents?

Je sais le scepticisme de certain-e-s. D'aucun-e-s prétendent qu'il est gâchis, illusion ou folie de vouloir conscientiser les hommes violents, de leur permettre de changer. Derrière cette bannière se regroupent diverses personnes dont, manifestement, les origines, les intérêts et les craintes sont différent-e-s. La description de cet étrange cortège est intéressante; elle prend, et je m'en excuse à l'avance, des aspects caricaturaux. Une fois ces réserves posées, on peut toutefois à la manière d'un dessinateur de bandes dessinées essayer d'en dresser les grands traits.

Au premier rang, on y rencontre des femmes et des hommes qui sont simplement sceptiques. Certain-e-s n'ont jamais connu autre chose que la violence, on comprend leurs doutes: vous pourrez dire tout ce que vous voulez, les paroles sont aussi inutiles que les témoignages. Pire, la perspective d'autres types de rapports hommes/femmes leur fait peur. Allez-donc dire à quelqu'un-e qui souffre de la soif depuis longtemps dans le désert qu'une buvette se situe juste derrière lui/elle, et que toutes ces années de souffrance auraient pu être évitées.

Viennent ensuite des personnes qui sont dans la confusion. Habituées à voir des malades qui, en plus sont violents, c'est à dire des hommes dont la violence est symptôme de leur volonté de contrôle et de leur maladie, elles ne comprennent pas l'aspect social que prend d'abord la violence. Pour ces gens, la violence ne relève que de la prison ou des structures hospitalières.

Derrière, au fond à droite, se dessine un autre groupe. Ce sont des professionnel-le-s qui appartiennent à une industrie lucrative: l'industrie du malheur. Conseillers et conseillères en tous ordres, médecins, avocats, psy…, on leur enlève le pain de la bouche, on est en concurrence, on se dispute le marché.

Et puis, dans cette colonne qui tour à tour grogne, crie à l'imposture, insulte, se trouvent tous les badauds et toutes les badaudes. Ceux-là et celles-là regardent les modes de vie se modifier, les rapports sociaux se transformer, comme on visionne Jeux sans frontières à la télévision, ou comme on regarde un film vaguement comique: bouche bée, immobiles, ballottés par les rumeurs, les échos ou les potins dans les magazines. L'innovation, c'est pas leur truc, ils/elles attendent.

Mais les critiques ne sont pas toutes du même ordre. Je connais aussi des personnes inquiètes qui ne disent pas qu'un homme ne peut pas changer, mais qui doutent que certaines méthodes, ou que certains intervenants, puissent permettre aux hommes de changer. Elles questionnent ou critiquent la psychologisation d'un phénomène qui, avant d'être un problème individuel et intra-psychique, est essentiellement social. Ces pionnières de l'accueil des femmes battues guettent les faux-pas, étudient les textes, dissèquent les théories. Elles ne veulent pas, une nouvelle fois, se faire berner. Elles ne veulent pas abandonner leurs convictions acquises de hautes luttes. Ce sont elles qui, sans toujours le nommer ainsi, ont découvert empiriquement le cycle de la violence. Elles ne croient plus aux excuses, au "j'te promets chérie, j'recommencerai plus". Non seulement elles savent que la diminution des violences contre les femmes ne pourra qu'être liée à l'émancipation de ces dernières, à la transformation, non des différences, mais de la hiérarchisation des différences; mais de plus, elles ont appris au cours de nombreuses années à se méfier des belles déclarations d'intention, y compris pour l'accueil individuel des hommes -ou des femmes-.

On les comprend. Leur point de vue se défend. Bourdieu, un grand sociologue contemporain, membre du Collège de France, écrivait il y a peu de temps: "Le soupçon préjudiciel que la critique féministe jette souvent sur les écrits masculins à propos de la différence des sexes est fondé. […] La domination masculine est assez assurée pour se passer de justifications".

On a souvent insulté ces femmes. Elles ont été traitées de tous les noms. Ce sont pourtant elles qui les premières en France, ont soutenu les initiatives visant à accueillir les hommes violents. Elles appellent à la vigilance. On ne peut qu'adhérer à ce souci. Souhaitons en plus le débat et la mixité des échanges. Les femmes et les hommes qui oeuvrent dans le secteur des violences domestiques, celles et ceux qui accueillent les victimes ou les hommes violents, suscitent aujourd'hui une remise en question fondamentale des paysages conjugaux par l'évolution des hommes et des femmes, mais plus encore par la transformation de nos représentations collectives.

55 - Que faire dans un couple où l'homme est violent ?

Il n'y a pas de recettes miracles, ni de comprimés magiques, chaque situation est différente. On ne peut pas voir nos façons de vivre la violence indépendamment du degré de complicité que démontre notre société à l'égard de ces pratiques. La situation change, et vite: qu'en sera t-il des nouvelles lois annoncées, des possibilités futures pour les femmes de travailler et de recevoir une formation supérieure ? Quels moyens seront mis à la disposition des centres pour femmes et pour hommes ? Quelles innovations introduiront ces structures ? Comment s'adapteront-elles aux modifications que vivent les couples, les femmes et les hommes ? Autant de questions qui invitent à être prudent. Pourtant, bien des hommes et des femmes peuvent décrire de manière empirique quelques méthodes mises en place. Nous allons les examiner. Mais avant tout, on ne le rappellera jamais assez, quelles que soient les démarches ponctuelles des hommes, y compris leur participation à un programme pour conjoints violents, il ne faut pas ignorer que les femmes qui quittent leurs compagnons s'exposent au danger. L'homme accepte difficilement la séparation, du moins au début. Certains sont même prêts à user de violences extrêmes contre leurs proches ou contre eux-mêmes.

Pour plus de facilité, les questions qui suivent abordent successivement les différentes hypothèses de solutions possibles. Les réponses, ici plus qu'ailleurs, ne valent qu'à titre d'indications pour permettre aux femmes et aux hommes de réfléchir à leur situation particulière.

Mais d'abord il y a un conseil qu'on peut donner tant aux conjointes qu'aux autres personnes qui approchent de tels couples: arrêter de plaindre et de vouloir protéger les hommes.

Qu'elles veulent jouer à la mère ou à l'assistante sociale, les femmes éprouvent souvent une tendance extraordinaire à vouloir prendre les hommes en charge. Les femmes violentées, comme d'ailleurs la plupart des femmes, ont tellement été habituées à être valorisées par le regard de l'autre, par la gratitude qu'on leur exprime pour l'aide et l'assistance qu'elles portent à leurs proches (voir qu. n°26) que, confrontées à des hommes violents, elles perpétuent les mêmes pratiques. La première aide que peut apporter une conjointe à son compagnon est de s'aider soi-même, de ne pas accepter d'être violentée.

Quant aux ami-e-s, aux voisin-e-s ou plus généralement aux gens qui apprennent la présence de violences dans un couple, il s'avère utile d'aider à briser le silence. Il faut éviter de jouer l'autruche. Il faut savoir parler avec la femme et l'homme concerné-e-s, leur faire connaître que vous pouvez être disponible pour échanger et faire le point. Quelles que soient les décisions prises par la femme ou par son conjoint, il faut affirmer avec force qu'il est possible de quitter la violence et que chaque personne est - et doit être- responsable de ses actes. A l'encontre des représentations proposées par le mythe qui visent à déresponsabiliser l'homme et à accuser sa compagne (qu. n° 6 à 18), vos réactions, votre écoute et votre soutien peuvent s'avérer déterminants dans la transformation de la violence.

Nous examinerons maintenant les différentes solutions expérimentées par les femmes qui veulent refuser les violences.

Peut-on rester et rendre les coups?

Je l'ai dit, le cas des violences symétriques paraît rare, très rare (qu. n° 43). Quand l'homme a commencé à asséner ses coups, c'est d'abord qu'il est persuadé qu'il peut le faire sans risque de rupture. Les excuses accordées par sa compagne l'ont renforcé dans cette certitude. Le fait de vouloir modifier ses réactions et de "rendre" les coups risque alors d'être interprété comme une autorisation supplémentaire de pouvoir frapper. Cette hypothèse, croire qu'on peut du jour au lendemain modifier ses réactions, a l'air irréaliste.
Par contre, certaines femmes font valoir que dès les premières violences, elles ont riposté en démontrant clairement qu'elles ne se laisseraient pas faire. Soit cette réaction signe la fin des violences -on l'a vu quelque fois- et à ce moment là l'objectif est atteint, soit alors elle ouvre davantage sur "des bagarres" où, en général, l'homme est mieux préparé.

Peut-on rester et en parler autour de soi pour briser l'isolement?

Dans tous les cas, briser le secret est une mesure salutaire. Les réactions de l'homme dépendront alors des réactions de l'entourage: quelle est la tolérance des proches ? Trouvera-t-il des ami-e-s prêt-e-s à l'écouter sans le juger, ni l'excuser ? Des ami-e-s pour briser le silence et pouvoir parler ? On remarque qu'il est rarissime que l'homme, même celui qui est désireux de transformer sa violence pour éviter d'être stigmatisé par son entourage, le fasse seul. Il faut alors qu'il trouve une structure ou bien des professionnel-le-s qui puissent l'aider. Car les proches ont souvent des intérêts complexes qui ne permettent pas, à certains moments une aide efficace.

Il est aussi très utile que la compagne puisse disposer d'un lieu de parole, où elle peut trouver un soutien pour elle. Il faut que les femmes puissent comprendre de quelles façons elles en viennent à perdre leur autonomie.

Peut-on rester et aller voir ensemble un-e conseiller-e conjugal-e ou un-e thérapeute?

On peut le faire. Je suis persuadé qu'on trouvera toujours de bons exemples de couples qui, à l'aide d'un conseiller-e- conjugal-e ou d'un-e thérapeute, ont transformé leur mode de vie. Mais pour répondre complètement à la question, il faut savoir parler de rentabilité des démarches. Les professionnel-le-s qui s'occupent des hommes violents ou des femmes battues en Amérique du Nord sont pour la plupart opposé-e-s à une démarche conjointe dans les premiers temps. La démarche conjointe aboutit souvent  à l'abandon des droits de la personne violentée: soit elle diffère son départ, soit elle se sent obligée de faire des compromis tels que sa liberté va en être limitée. Ou alors, et j'en ai vu de nombreux cas, la démarche conjointe sert de chambre d'enregistrement pour les excuses et le pardon de la femme. Dans les faits, la spirale de la violence n'est pas rompue. La démarche conjointe ne constitue pas une rupture symbolique suffisante. Il faut avoir entendu les hommes violents parler des violences qu'ils ont exercées, notamment au début de leur accueil dans les centres, pour savoir qu'il est préférable d'envisager des démarches séparées, surtout si le couple espère reprendre une vie commune.

Dans d'autres cas, l'homme rendra sa compagne responsable d'avoir été obligé de parler devant un étranger. Elle risque alors de voir s'exercer encore davantage les violences contre elle… une fois l'intimité retrouvée. Or, par exemple dans les centres pour hommes violents, l'homme parle. On peut donc supposer que la honte de parler ne réside pas dans le fait de s'adresser à une personne extérieure à la famille. Mais il y a une distance certaine entre dire à sa compagne qu'on explique ce qui se passe à une tierce personne et dire les mêmes mots à sa compagne. La violence est souvent le corollaire de l'absence de territoires personnels pour l'homme dans la maison; entendre ce qu'il dit de son jardin secret diminue d'autant plus son territoire.

Après, quand l'un-e et l'autre ont trouvé des espaces respectifs pour faire le point et réfléchir sans contraintes à leurs choix de vie, il est toujours possible d'aller voir ces thérapeutes pour organiser ensemble la renégociation du mode de vie.

La démarche conjointe, à priori plus facile et logique, est très rarement un moyen de quitter la violence et de transformer la relation conjugale. Il vaut mieux réserver cette démarche à certaines problématiques comme les dysfonctionnements familiaux, pour résoudre les problèmes de séparation ou d'ententes relatives aux enfants.

Peut-on rester et porter plainte ?

Porter plainte pour coups et blessures tout en restant avec lui, se faire faire un certificat médical attestant les blessures et le garder "au cas où"… peuvent constituer des mesures préventives… pour la compagne. Le secret des violences se trouve ainsi levé et Monsieur est invité à changer ses pratiques. Le danger réel qui peut exister est celui de voir la violence de l'homme s'accentuer pour faire cesser ce qu'il peut considérer comme du chantage. Un tel risque n'est pas à négliger.

Mais cette solution, dénoncer les violences et montrer qu'on lui est toujours attachée, serait plus convenable si chaque plainte pour violences donnait suite à une enquête ou à des investigations par la justice.  La société viendrait alors dire à cet homme: Monsieur, ce que vous faites est illégal, il vous faut changer. Dans les faits, les plaintes, mêmes acceptées par les services de police -surtout quand la compagne reste au domicile- ne sont pas souvent suivies d'effets réels. Cependant la démarche plainte/maintien au domicile peut, dans certains cas, inciter la personne violente à s'adresser à des spécialistes pour l'aider. Pour la compagne, elle peut représenter la dernière chance avant une séparation, mais il ne faut pas en minimiser les dangers pour elle.

Doit-on se séparer ?

Qui peut dire "On doit…" ? Et encore moins: "vous devez…"? Certains conseils, ou certaines injonctions, pourtant donné-e-s avec les meilleures intentions, deviennent, lorsqu'elles sont pris-es à la lettre, de nouvelles cages où hommes et femmes risquent de s'enfermer. Dans l'absolu, personne ne devrait supporter d'être maltraité-e, insulté-e, frappé-e… Mais la grande difficulté des violences domestiques est justement la banalisation de ce pratiques. Nous avons vu que la rupture est un espace-temps qui se mûrit et s'organise graduellement.

Les résultats des recherches scientifiques montrent clairement que les promesses de changement, quelle que soit la sincérité des hommes et des femmes, ne suffisent pas. Pour qu'une personne arrête d'être violente, en particulier pour qu'un homme cesse ses comportements violents, il faut d'abord que se vive une rupture symbolique, qu'il y ait une garantie que ses proches ne soient plus violenté-e-s.

Celle-ci est une condition nécessaire, mais non suffisante.

Après cette rupture symbolique, tout un processus doit être mis en place: une décision de ne plus vouloir vivre de violences, un travail sur soi et une modification profonde des modes de la relation. Il n'y a pas, semble-t-il, une voie royale unique qui nous permettrait de proposer un scénario commun qui convienne à l'ensemble des personnes concernées. Chacun ou chacune organise sa propre sortie de la violence en fonction de son histoire personnelle, de ses habitudes et de ses possibilités.

Pour les professionnel-le-s, les ami-e-s ou les voisin-ne-s, l'aide apportée doit se baser sur le respect des cheminements de chacun-e. Aider les victimes de violences, c'est surtout leur permettre de reprendre confiance en elles. Ce qui signifie souvent, mais pas obligatoirement, leur offrir un refuge. Elle ne signifie pas, toutefois, comme on le voit parfois, les obliger à prendre des décisions qu'elles ne sont pas encore prêtes à assumer.

56 - Qu'est-ce que la rupture symbolique ?

La rupture symbolique peut correspondre à la séparation en "urgence absolue" (qu. 35) ou à d'autres formes de ruptures. Mais, dans tous les cas, la rupture qui fait sens pour les protagonistes doit être un acte volontaire, un arrêt du déroulement du quotidien, l'affirmation nette d'une volonté ferme de ne plus supporter la situation de violence. La rupture symbolique est un événement au sens plein du terme. Dans les faits, la séparation est une des formes les plus simples, elle permet à l'un-e et à l'autre de faire le point, de quitter la spirale de la violence et de commencer à chercher des éléments d'autonomie. Mais seule la personne concernée peut décider pour elle-même. Cela ne dispense pas toutefois les services publics de devoir faire respecter les lois et de montrer, tel est leur rôle, les limites collectives qui sont nôtres face aux violences domestiques.

J'en donnerai un court exemple. Appelons-la Geneviève. Elle est enseignante et âgée de 24 ans. Elle prend contact par téléphone pour solliciter un rendez-vous à RIME. Elle nous explique alors que son compagnon, Julien, du même âge, artiste, l'a violentée deux jours auparavant après une dispute. Que faire ? Nous lui expliquons alors que le meilleur moyen de ne plus vivre de telles scènes, est de marquer clairement son refus et s'il le faut et si cela correspond à son désir, de partir. On lui fait comprendre qu'il n'y a aucune raison que son ami ne recommence pas, et qu'au contraire, notre expérience nous a appris que le premier coup excusé est générateur d'autres violences. La situation était simple, le couple était de formation récente, elle a pu sans grand problème quitter cet homme violent. Non sans lui avoir dit que son amour pour lui était intact, mais qu'elle ne pouvait supporter d'être battue.

Après un contact téléphonique, cet homme arrive en colère au centre. Qui a dit à mon amie que je recommencerai ? Qui lui a conseillé de partir ? Il s'étonne que ne le connaissant pas, nous puissions prévoir un retour de sa violence. Nous lui expliquons alors, assez simplement, le cycle et la spirale de la violence. Nous émettons même l'hypothèse qu'il a pu vivre d'autres violences dans ses relations antérieures. Il est désespéré, il crie son amour et nous refuse le droit de le juger. Doucement, la discussion se porte sur ce qu'il pourrait faire pour changer ses pratiques, pour éviter, quelle que soit la décision ultérieure de son amie, qu'il ne reproduise ses violences avec d'autres. Nous essayons de focaliser le débat, non pas sur les violences, mais sur le contrôle qu'il met en place, sur son désir, comme beaucoup d'autres, de vouloir tout régenter, même dans son cas particulier, sous des allures très cool. Il dira de cette entrevue, quelques mois plus tard, qu'il a compris que nous ne le prendrions jamais en charge, que s'il ne s'aidait pas lui-même, personne ne le ferait.

Julien, après 8 mois de séparation, revit aujourd'hui avec son amie. Après avoir demandé l'avis de plusieurs conseils (psychologue, prêtre…), il s'est décidé à participer aux entretiens du centre d'accueil.

Ceci ne signifie nullement que Julien a cessé toute violence du jour au lendemain. Celle-ci a diminué progressivement après quelques temps et il n'a plus jamais usé de violences physiques. Il fait aujourd'hui partie des hommes qui disent "Vive la séparation !"

57 - Vive la séparation ?

Je sais, je vais me faire critiquer par les hommes violents qui liront ces lignes. Quoique, si on y regarde à deux fois, la chose soit moins simple. Ce sont des hommes violents qui ont été accueillis à RIME qui disent "Vive la séparation !" Paradoxe ? Pas vraiment.

Il faut avoir reçu les hommes après le départ de leur compagne pour savoir le poids que peut prendre cette déclaration. A la séparation ils sont pour la plupart d'entre eux dans un piteux état: catastrophés de se retrouver seuls, honteux d'être repérés comme homme violent, tristes de se séparer des êtres qu'ils aiment. Ils sont perdus et cherchent dans les personnes qu'ils rencontrent un maigre réconfort contre leur solitude.

Que se passe t-il donc pour que les mêmes hommes, 3 à 4 mois plus tard, en viennent à vanter la décision de leur compagne ?

Pour la première fois de leur vie, certains commencent à se découvrir eux-mêmes, à apprécier l'espace qu'ils commencent à créer, à prendre du temps pour soi, à exister comme hommes en dehors des rôles du père ou du mari. Bref, à découvrir les joies de l'autonomie.

A force de présenter la violence domestique de manière binaire, on finit par ignorer le prix que doivent payer les hommes pour endosser les habits du mâle dominateur. "C'est fatiguant d'être violent" disait il y a quelques mois un homme à Montréal. Encore faut-il accepter de s'ouvrir pour le découvrir.

Certains parmi les ex-violents accueillis dans les centres décident de ne pas revivre avec leur compagne, quelle que soit sa décision. La tâche leur paraît vaine: "la relation est pipée" disait l'un d'eux. Si on n'y prend garde, il y a un risque réel de voir les femmes violentées faire les frais de l'accueil des hommes violents. Non pas qu'il faille refuser à ces derniers de changer, mais autant une relation de domination/soumission se passe à deux, autant la transformation de la violence nécessite pour les deux une volonté ferme de transformer les termes de la relation.

Enfin, parmi les hommes que j'ai rencontrés, certains avaient eux-mêmes pris l'initiative de la rupture.

58 - Un séjour dans un centre pour femmes ou pour hommes ou une thérapie quelconque amène-t-il à quitter la violence?

L'aide apportée par un centre pour hommes ou un centre pour femmes est souvent le premier pas d'un long escalier qu'il va falloir gravir.

Les hommes ne quittent pas toute violence après 3 mois de rencontres à RIME ou ailleurs. Il faut être sérieux, on ne transforme pas plusieurs dizaines d'années de constructions sociales en trois mois. Les études en cours permettront, il faut l'espérer, de parfaire nos connaissances sur les mécanismes précis de la sortie de la violence, mais disons-le tout de suite: on ne quitte pas la violence du jour au lendemain. Prétendre, comme on le fait habituellement à RIME, qu'il est possible en 4 à 7 semaines d'arrêter les violences physiques (ce qui est vrai) ne doit pas signifier qu'il y a arrêt de tout comportement ou pratiques dominatrices et contrôlantes. Notre corps et notre esprit ont accumulé un stock (capital) de gestes, d'habitudes et de pensées reliées à la domination et à la soumission; il faut les identifier, les analyser, les comprendre et apprendre à les modifier.

On aimerait croire à la pensée magique. On aimerait se laisser persuader qu'il suffit de vouloir changer pour le faire. Il n'en est rien. Mon hypothèse est que la sortie de la violence suit une spirale descendante, où l'on retrouve divers paliers de violences. A la différence de la spirale ascendante, quand la relation homme/femme se modifie, les paliers deviennent de moins en moins fréquents et la violence va en diminuant. D'abord, on arrête plus ou moins rapidement la violence physique et pour ceux et celles qui persévèrent dans le changement, on quitte progressivement les autres formes de violences. Je n'ai jamais vu d'homme violent quitter la violence par la magie du discours.

59 - Comment ça se passe quand un couple reprend la vie commune?

La première situation qu'on espère voir de moins en moins fréquente, veut que la femme, déçue des conditions d'accueil hors du domicile, exaspérée de ne pas trouver un travail ou fatiguée de réaliser seule l'ensemble des tâches, se laisse tenter par les "chants de sirène" doucereux de son compagnon. Lequel promet, avec forces démonstrations, de changer mais sans rien avoir fait pour mettre cette parole en pratique. Cette hypothèse s'applique particulièrement aux hommes qui seront venus "en touristes" dans les centres pour hommes violents ou chez un psychologue, à ceux qui, après un ou deux entretiens, déclarent le problème résolu.

Une nouvelle lune de miel commence. La situation semble résolue, mais selon un délai plus ou moins long, la spirale finit par reprendre ses droits. La fuite n'aura été qu'un moment de pause entre deux cycles de violence.

L'autre situation, qui offre à mon avis le plus de difficultés, est le ré-apprentissage d'une vie commune d'où sera exclue la violence. Elle exigera, au préalable, une volonté tenace tant chez l'homme que chez la femme.

Les centres apprennent aux hommes à identifier les signes de la montée des colères et des violences. Une fois ces signes repérés, on leur apprend à aller s'aérer et surtout à ne pas faire porter sur sa compagne la responsabilité de son propre état. Celle-ci doit accepter ce retrait passager, ne pas imposer à tout prix une discussion lorsque son compagnon en est incapable. Lui, de son côté doit supporter de voir celle qu'il aime prendre son autonomie, sortir seule ou avec des ami-e-s.

Elle doit aussi accepter de céder du territoire: il est difficile d'avoir à la fois le beurre et l'argent du beurre. Je l'ai dit, les hommes violents que l'on accueille n'ont en général que peu de place à eux à l'intérieur de la maison (qu. n° 28). Renégocier une vie à deux c'est aussi accepter l'homme dans la maison et ne pas l'exclure systématiquement.

Bref, l'un-e et l'autre doivent accepter de partager le pouvoir de décision.

Mais, plus encore, il faut que l'homme accepte son impuissance et les conséquences de ses violences passées. Je m'explique: puisque la violence crée la peur, seule la personne qui a été violentée peut savoir exactement quand ce sentiment l'envahit; cela l'empêche d'avoir un échange égalitaire. Il faut donc que l'homme accepte que sa compagne lui exprime sa peur, sans qu'il s'autorise à la nier, à s'en moquer ou à ne pas en tenir compte. La transformation de la violence du conjoint passe par le respect des sentiments et des impressions des deux membres du couple. Dans certains couples, on voit apparaître des mots-codes qui signifient à l'autre soit qu'on ressent une montée de colère, soit une peur. Chez d'autres, surtout au début, les moments de tensions ne sont résolus que par un temps que s'accorde maintenant le couple pour faire le point et accepter de s'écouter.

On ne le dira jamais assez, toute technique, aussi performante soit-elle, ne réussira jamais seule à éviter la violence de façon durable. La question centrale est celle-ci: comment se transforme la relation ? Comment se modifie un rapport inégalitaire ? Le déconditionnement ou le comportementalisme ne sont pas suffisants, ni même nécessaires. Chaque personne peut choisir parmi l'éventail des ressources disponibles sur le marché le moyen qui lui convient, sa voie propre pour ré-apprendre à réfléchir et à transformer ses pratiques. Mais, comme je l'ai dit en début de chapitre, associer changements de conceptions et changements de pratiques sociales sont indiscutablement liées.

J'ai rencontré, au Québec, des hommes qui sont passés depuis plusieurs années dans des programmes pour hommes violents et qui recourent encore aux techniques de contrôle de la colère et de la violence. Peut-on valablement dire qu'ils ont quitté toute violence ? Je ne le crois pas. Certes, ils ne sont plus violents physiquement. Ils se sont adaptés aux nouvelles normes en usages. Ils ont intégré le nouveau seuil de tolérance, mais pour l'essentiel de leur vie, ils n'ont pas changé fondamentalement. De la même manière, que penser d'une femme qui à priori se soumet à tous les désirs, même non-formulés, de son compagnon ou qui, tout en ne voulant plus être frappée, excuse à l'avance tous les actes de Monsieur?

On le voit, vouloir reprendre une vie commune n'est pas facile. Cela nécessite surtout, de part et d'autre, du temps et de la patience.

Certain-e-s y arrivent. Cela semble démontrer que c'est possible.

60 - Conclusion: la 60 ème question?

 Ce livre est volontairement un ouvrage simple, qui veut être accessible à un public large. Il tente toutefois de reprendre, en les commentant largement, les connaissances scientifiques les plus récentes acquises en sociologie et en anthropologie des sexes.

Mais, quel-le chercheur-e pourrait prétendre tout savoir sur les violences domestiques ? Quel-le intervenant-e social-e peut jurer que sa méthode est la meilleure, ou pire encore, la seule qui s'impose ? Qui aurait l'outrecuidance de répondre à toutes les questions sur la violence, alors qu'une bonne partie d'entre-elles ne sont même pas encore formulées ?

 Existe-t-il certains déterminismes qui font que tout est réglé d'avance ? Peut-on prévoir si un homme sera violent et contrôlant ou battu ? Qu'une femme sera violentée, soumise ou violente ? Un enfant maltraité ? A-t-on la certitude qu'un homme ne sera jamais violent ? Qu'une femme ne sera jamais violentée ?

Peut-on abolir les violences ? Comment peut-on gérer les conflits dans des relations où il n'y a plus de domination entre les hommes et les femmes ? Comment arriver à supprimer cette domination ? Quelles formes auront ces conflits ? Comment vivrons-nous cette époque ?

Nous sommes à l'aube, osons l'espérer, de formidables bouleversements dans notre gestion quotidienne des rapports hommes/femmes. Peut-être avons nous erré du début à la fin. Peut-être découvrirons-nous dans quelque temps l'état de notre méconnaissance généralisée ? Comment notre compréhension de la violence domestique étaient embryonnaire et inachevée.

La 60 ème question est vaste, elle n'a pas de réponse. Il faut se donner le temps de la formuler…

La responsabilité en incombe à tous et à toutes.

Lyon, le 28 Décembre 1991

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Notes de bas de page:

1 BONNEMAIN C., La violence familiale, Paris, IRESCO-GRASS -CNRS, 1987

2 Benoite GROULT, préface au livre d'E. PIZZEY, Crie moins fort, les voisins vont t'entendre, Paris, Ed. des Femmes, 1975

3 Ces commissions ont été mise en place pour coordonner les actions contre les violences conjugales,

4 L'incapacité temporaire totale de travail personnel appelée souvent en abrégé ITT, représente le temps où tout travail semble impossible. L'ITT est évalué par un médecin traitant après examen de la victime. Une personne qui n'est pas salariée peut aussi obtenir une ITT du moment où elle ne peut plus assumer les actes courants de la vie quotidienne. La notion de travail est donc à considérer de manière large et il ne faut pas la confondre avec l'arrêt de travail salarié.

5 Par exemple quand la police doit intervenir

6 Le Québec a resserré de beaucoup la loi en matière de violence conjugale; aujourd'hui dès qu'une plainte est déposée, les policiers sont tenus d'ouvrir un dossier et d'acheminer la plainte (Québec, Ministère de la Justice, Politique d'intervention en matière de violence conjugale, 1986).

7 Il s'agit de groupes d'hommes apparus après le féminisme, composés d'hommes qui voulaient réfléchir, avec leurs mots à eux, sur les transformations de l'identité masculine.

8 ARDECOM:Association pour la Recherche et le Développement de la Contraception Masculine. Cette association n'existe plus.

9 Pour plus de simplicité, on définira ici le féminisme comme un mouvement social qui vise à obtenir l'égalité de droits et de traitement pour les femmes. On évitera les caricatures qui, en France, assimilent toute personne se revendiquant du féminisme à une Amazone en guerre permanente contre les hommes.

10 La liste de l'ensemble des centres français, suisses, belges et québécois est donnée à la fin de l'ouvrage. Il vaut mieux, là également, se renseigner à l'avance sur les conditions d'accueil. Aucun ne pratique actuellement d'hébergement. La plupart sont payants.

11 Le modèle du centre de Lyon n'est donné qu'à titre d'exemple. Dans les autres centres, la durée des groupes, les termes du contrat, la nature des débats avec les hommes peuvent varier.

12 Le terme "thérapie" a une signification différente en France et au Québec. Je l'emploi ici dans sa définition française.

13 Pierre BOURDIEU, La domination masculine, in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, N° 84, Sept. 90, pp 4-5

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Arrête!  Tu me fais mal! : La violence domestique, 60 questions, 59 réponses

Daniel WELZER-LANG en collaboration avec Jules Henri Gourgues
vlb éditeur - 1992