Arrête!  Tu me fais mal!
Les violences dans le couple

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Arrête!  Tu me fais mal! : La violence domestique, 60 questions, 59 réponses

 

4-QUATRIEME  PARTIE

Les violences dans le couple

Pour l'instant, nous avons isolé les différents éléments qui concourent à l'existence de violences dans le couple: expliciter les processus (cycle, spirale…) et essayer de réfuter les principaux éléments du mythe sur la violence domestique.

Or, la violence s'exerce dans le couple ou la famille. Si, comme on l'a vu, on ne peut valablement dire que les femmes provoquent la violence ou sont responsables des violences subies, il n'en reste pas moins que la violence "se joue à 2", pour utiliser une formule populaire. Nous allons à travers quelques questions essayer d'en expliquer l'interaction.

26- Quand commencent les violences?

Y-a-t-il des signes avant-coureurs?

Il y a des signes avant-coureurs de la violence. Les comprendre, pouvoir les identifier, nécessite un détour du côté de la rencontre amoureuse et de la formation des couples.

Parce que je suis homme et sociologue et pour entendre depuis plusieurs années des hommes violents et des femmes violentées, je suis persuadé qu'il est possible de "lire" les violences dans les premières heures de la rencontre amoureuse. Dans les premiers échanges entre un homme et une femme se dessinent les bases de la future relation, ce que nous appelons en jargon scientifique les rapports sociaux de sexe. La mise en couple est un processus à multiples visages. Certaines femmes vont directement du père au mari quand certains hommes vont, sans transition, de la mère à l'épouse. La religion, la pression sociale, le culte de la virginité, dressent pour certain-e-s le décor du "bon couple". On passe de l'autorité paternelle, le pater familias, à l'autorité maritale. Il n'est pas encore loin le temps où l'on pouvait entendre "Je promets fidélité et obéissance à mon mari". La formule est simple, elle contient en elle-même la violence future. Si j'ai l'autorité, il n'y a aucune raison pour que je ne l'exerce pas et la violence en est "l'outil spontané", l'appris masculin. Mais, en dehors de ce passage caricatural, qu'apprend t-on aux femmes et aux hommes ?

Dans le modèle d'éducation traditionnel, la femme est valorisée par le regard de l'autre. C'est l'autre qui lui dit qu'elle est belle, c'est l'autre qui apprécie ses petits plats. A force d'expliquer que les femmes sont "naturellement" (bonjour la nature !) belles, sensibles, douces… elles en ont calqué les traits: si c'est la nature, je dois devenir comme ça. Quand elle ne se fait pas objet, objet à admirer, objet à séduire… on la gratifie dans la manière qu'elle a de s'occuper des autres: du mari, des enfants, ou dans d'autres circonstances, des malades. Et plus tard, on retrouvera ces mêmes constructions sociales sous le syndrome de la mère ou de l'assistante sociale (qu. n° 55). Elle est, comme femme, dépendante des autres et en particulier de l'autre père ou mari. Ceux-ci peuvent même dans certains cas être remplacé par Dieu. Elle doit s'oublier, oublier qu'en dehors des fonctions sociales de mère ou d'épouse, elle existe comme sujet. La femme est éduquée comme non-autonome dans l'oubli de soi. En général, violences exceptées, tout se passe bien pour la majorité d'entre elles: celles qui sont belles, ou qui plutôt se conforment aux critères culturels de beauté; celles qui ont des enfants et dont on pourra vanter les qualités d'éducatrice, celles que l'on pourra féliciter pour la carrière et la réussite du mari… Les problèmes et la perte d'estime de soi commencent quand le regard des autres se fait moins valorisant, quand le corps ressemble de moins en moins aux femmes anorexiques des catalogues; quand les enfants s'en vont pour prendre leur autonomie; quand le mari se lasse d'une femme de moins en moins conforme à ses fantasmes…

Cette femme cherche un mari ou compagnon conforme à ce qu'on lui a appris: un homme protecteur, un "vrai" homme qui saura la défendre.

Quant à l'homme, en symétrie, mais sans que l'on puisse dire qui précède qui ?, on lui apprend à être celui "qui assure", qui protège, qui est différent de la femme. Donc, celui qui n'exprime pas ses peurs (un vrai homme n'a pas peur), qui ne parle pas de ses sentiments, un homme qui sait (ou doit savoir ou doit faire croire qu'il sait). Il doit diriger la relation, soumettre cette sauvageonne qu'il rencontre, montrer qu'il est -ou sera- le maître. Il est, pour reprendre une expression populaire, celui qui doit porter la culotte. Virilité, force, violence et domination sont mêlées. Certes, il s'agit d'images anciennes, mais quand on regarde les adolescent-e-s, pourtant éduqué-e-s dans la mixité depuis le début de leur scolarité, on voit encore poindre certains de ces éléments. Combien d'adolescentes ne se sentent pas autorisées à téléphoner au garçon qui leur plaît et s'obligent à attendre des week-ends entiers son appel ? Combien de garçons se sentent encore aujourd'hui obligés d'être ceux qui proposent, qui font les premiers gestes.

L'homme -car H.O.M.M.E- doit être actif. Et malheur à celui qui refuserait ce rôle: les insultes ne sont pas loin: femmelette, pédé, enculé. L'homme se trouve emporté dans un double courant: il doit être le plus fort (avec sa femme mais aussi avec ses proches) et doit être différent du passif, de "l'enculé", bref de l'homosexuel assimilé à une femme. Homophobie (haine de l'homosexuel, peur et haine de l'autre qui lui ressemble) et sentiment de supériorité sur les femmes restent aujourd'hui encore les piliers de l'éducation masculine. Les sceptiques face à ces affirmations pourront toujours aller faire un détour par l'armée, là où, comme l'explique la sociologue Anne Marie DEVREUX, l'essentiel du temps est occupé à des travaux ménagers, là où ce même travail ménager dévalue celui qui l'exécute et sert de punitions ("les corvées"). L'armée, ce rite de passage entre l'adolescent et l'homme où il faut s'affirmer comme le plus fort et se distinguer des femmes; cette institution où on apprend aux hommes, homophobie oblige, à transformer le plaisir d'être entre hommes, le plaisir de se toucher, en échanges de coups et en mépris collectif à l'égard des femmes.

Comment se passe la rencontre de cet homme et de cette femme? On a appris à l'un à montrer qu'il est homme et à l'autre qu'elle est femme. Bien sûr, le modèle de la femme soumise est de moins en moins valorisé, mais, malgré tout… Dans les premières heures de la rencontre, souvent pour correspondre aux schémas du normal, pour vivre une relation émotive ressentie par les deux, par peur de voir l'autre échapper, par habitude et conformité aux modèles…, l'un-e et l'autre cèdent aux prescriptions sociales. Ou plutôt, il et elle n'ont pas d'autres scénarios dans la tête, il et elle adaptent alors le connu.

On peut généralement identifier la présence ou l'absence de violences futures dans les concessions que l'homme et la femme font à ce moment. Chacun-e crée son territoire, façonne son masque, lesquels se prolongeront toute leur relation durant. Bien sûr, les moments importants de la vie commune (mariage, naissance, décès, obtention de diplômes, carrières professionnelles… influeront et seront des périodes où l'on renégociera les termes de l'échange conjugal (1).

C'est dans de telles occasions que se dessine et se négocie inconsciemment le cadre de la relation. Quand la femme accepte de faire passer ses propres désirs en second, quand l'homme arrive à imposer les siens. Quand la femme se culpabilise de ce que quelque chose ne tourne pas rond, quand l'homme se soumet à l'image du valeureux guerrier qui domine "sa" compagne. Quand il ne parle pas de lui… Bref, dans la distribution des rôles classiques où l'un domine l'autre, il y a de fortes chances de voir apparaître la violence plus tard. Bien plus, quand sur un petit détail, un élément de la discussion, il y a débat, quelquefois enflammé et quand la femme cède ou s'excuse pour sauver sa relation, le risque augmente. L'analyse fine de ces premières heures de la rencontre, de la suite du "flash" amoureux, nous fait rentrer dans le règne de l'infiniment petit. On est souvent, dans ces moments là, si pressé-e de savoir si l'attraction est mutuelle, gêné-e par l'expression des désirs physiques ou ému-e par ces quelques heures magiques, qu'on est peu disposé à analyser les termes de l'interaction. Le poids des habitudes et des modèles n'en est que plus fort. Certain-e-s sont conscient-e-s qu'ils/elles dérogent aux beaux principes égalitaires clamés auparavant, d'autres se disent qu'ils/elles auront tout le temps pour ré-ajuster ces petits détails qui déplaisent. On se laisse souvent avoir par l'instant de l'émotion, cette peau nouvelle qui attire, son propre coeur qui bat la chamade… Il faut n'avoir jamais été amoureux ou amoureuse pour jeter la pierre à ce tourtereau et à cette tourterelle qui pourtant, quelquefois, viennent de signer pour des lendemains qui déchantent.

Je parle de soumission de la femme, mais il ne faut pas s'y tromper. P'tit homme qui va à la chasse, qui part draguer une relation amoureuse, est timide et restera timide. Il a peur de ne pas y arriver, de ne pas être cet amant émérite que vantent certains magazines, il a peur de ne pas savoir faire. C'est cette peur qui l'incite à prendre les habits taillés sur mesure pour sa fonction: celui du dominant. Tout homme n'est pas dominant par nature. Ce n'est pas par plaisir qu'il impose ses désirs. Ce qui le piège dans ses rôles, c'est plutôt l'absence d'autres scénarios possibles, la difficulté à dire ses craintes et à les faire partager.

Ensuite, quand le couple -durable ou pas- se forme et que le conjoint apprend que ses attitudes lui procurent des avantages, que son amie le sert, qu'elle l'attend ou qu'elle est prête à l'attendre, qu'elle s'occupe de lui… il est rassuré: il retrouve la quiétude acquise près de sa mère. Et voila toutes les promesses qu'il s'était fait à l'adolescence de vivre différemment de ses parents qui s'envolent. Il en vient à oublier les jeux à deux pour s'enfermer dans une cuirasse solitaire. Qu'il la joue RAMBO, SUPERMAN ou MAC GIVER, cela tombe bien, car ses amis-hommes sont un peu comme lui; il n'est pas seul dans ce cas là, cela le rassure. Ils font les mêmes "blagues" sur les femmes, les autres femmes, celles que l'on peut acheter dans la pornographie, celles sur qui on peut fantasmer. Sa carrière professionnelle ou ses études profitent bien d'être déchargé de certaines tâches matérielles, ou du moins, de la préoccupation mentale d'organiser certaines tâches matérielles (2).

Quant à elle, la promesse d'amour est le gage qu'elle accède au prince charmant, au protecteur. Elle avait eu quelques doutes à la lecture des chiffres de divorce, en regardant certain-e-s de ses ami-e-s. Mais lui, si attentif, surtout au début, si gentil, si doux…, elle a vraiment de la chance. Elle est prête à oublier qu'elle disait qu'elle ne savait pas faire à manger. Elle est prête à retrouver les gestes appris; prête à faire d'autres concessions. Quand on a la chance de rencontrer un être aussi différent, on ne la laisse pas passer. Elle va effacer de sa mémoire le souvenir de son autonomie passée: le fait de pouvoir sortir seule ou avec des amies, de flirter des heures durant, d'être libre de son temps…

Et ainsi, l'un-e et l'autre, quelles que soient les grandes déclarations du "vivre autrement", se rejouent la scène du 8, celle où un homme et une femme créent une nouvelle famille (la musique avec les violons est en plus).

Il s'agit d'un "remake" d'un vieux modèle. On pourra toujours dire que les habits du masculin et du féminin changent: aujourd'hui une femme peut sortir le soir, l'homme parle de plus en plus de lui-même. On prône un modèle de couple égalitaire. Il n'empêche toutefois que le poids des modèles, les mythes sur l'amour et le capital des habitudes prises dans le milieu familial sont tenaces. La preuve, le nombre de jeunes femmes qui sont obligées de partir pour fuir la violence de leur compagnon.

Dans ma description des rencontres amoureuses, j'ai "oublié" les femmes qui voient arriver des violences tout de suite, parce que l'homme, dorénavant certain que cette femme l'aime, veut sans délai un rapport sexuel ou une caresse particulière. Son refus, sa mimique de dégoût, il les prend comme une atteinte à lui-même, à sa virilité. On lui a appris bien peu de choses sur la sexualité, si ce n'est que les femmes aiment bien être un peu bousculées, qu'elles n'osent pas dire oui pour ne pas avoir l'air de femmes "faciles". Le pire, pour l'un-e et l'autre, c'est que certaines de ces violences que l'homme n'explique que plusieurs années après, elles ne sont pas toujours identifiées par la nouvelle amie (voir qu. n° 20 et 24).

Outre le fait qu'on commence à dire publiquement les prémisses des violences domestiques, donc qu'on peut de plus en plus les identifier, ce qui change aujourd'hui dans les rencontres amoureuses, c'est ceci :

-tout le monde a en tête le modèle de la femme libérée ou du couple égalitaire, l'influence du féminisme ou du masculinisme diffus. Les magazines en parlent abondamment. On n'est plus traité-e-s de fous ou de folles parce qu'on veut réussir sa vie familiale et professionnelle (quitte à se perdre dans toutes les tâches à réaliser en même temps), parce qu'on aspire à de nouvelles formes de mode de vie.

- la violence étant de plus en plus stigmatisée, les femmes l'acceptent de plus en plus difficilement et hésitent moins à quitter le prince charmant défaillant. Encore faut-il, alors, leur permettre et permettre à leurs compagnons, de pouvoir réellement changer. Eviter ainsi que de prince charmant défaillant en prince charmant défaillant, elles en viennent à se faire une raison et que, comme bien des femmes de la génération précédente, elles finissent par se soumettre à un modèle de femme dépendante.

 

27 - Toute concession, ou tout compromis, n'est-il donc qu'un signe avant-coureur de violence domestique?

Non, bien sûr.

Toute vie en société impose de faire des compromis et impose d'adapter ses désirs à ceux des autres. Souvent on confond: compromis, état amoureux et domination. Etre amoureux ou amoureuse correspond à la volonté et au désir de s'ouvrir à l'autre et il peut paraître logique d'accepter pour l'être aimé des pratiques honnies chez d'autres, d'entrebâiller son coeur, son corps et son espace personnel. Etre amoureux, disait BARTHES, c'est déjà être dépendant.

Mais on peut être dépendant et amoureux ou amoureuse, sans être dominé-e, sans accepter que ce soit toujours la même personne qui demande des concessions à l'autre. Sans que, dans la situation décrite ci-dessus, l'une cède et l'autre pas. Bref, on peut être amoureux ou amoureuse à deux et trouver génial le fait de vivre nos ressemblances et nos différences. L'homme violent est bien souvent seul en amour, préoccupé qu'il est par l'image qu'il aimerait que renvoie l'être aimée. Occupé qu'il est à contrôler que tout se passe bien comme lui seul l'a prévu.

On peut avoir une autre vision de l'amour, même si elle paraît plus risquée, pour soi et pour l'autre et pour l'image que l'on a de soi. J'aime beaucoup cette phrase où LEVINAS, le philosophe, dit: "Tout commence par le droit de l'autre et par mon obligation infinie à son égard" (3).

 

28 - Quels sont les couples où il existe de la violence ?

Il est bien difficile de généraliser: autant de couples, autant de figures singulières et de cas particuliers.

J'ai vu des hommes violents pro-féministes et des hommes violents très autoritaires alors que d'autres sont "simplement" violents et ne semblent pas avoir de caractéristiques bien particulières. J'ai entendu des hommes violents qui s'occupaient un peu, beaucoup ou pas du tout du travail domestique. A priori, il n'y aurait pas d'éléments qui nous permettraient, de suite et d'un simple regard, de distinguer des autres les couples où existe de la violence. D'ailleurs, la vision change en fonction du moment où l'on regarde un couple; où en sont-ils dans le déroulement du cycle de la violence et de la spirale ? Quels sont les âges de l'homme et de la femme ? Combien d'années ont-il/elle vécues ensemble ? Voila autant d'éléments qui vont influencer nos représentations et nos perceptions du rapport du couple à la violence.

Chaque couple, chaque homme et chaque femme adopte une attitude spécifique dans l'échelle du secret (qu. n° 30): alors que certain-e-s se vantent encore "de lui en mettre une de temps en temps", d'autres ont déjà intégré les nouvelles valeurs qui font que l'on se présente comme différent des couples où rôde la violence. Il est bien difficile quand on est professeur d'université, avocat, médecin d'avouer utiliser de temps en temps la violence, difficile de dire qu'on insulte sa compagne en la traitant de "salope", de "connasse". La violence, nous l'avons vu, est stigmatisante, ça n'aide en rien à son repérage. Ce n'est ni l'aspect extérieur, ni l'appartenance sociale, ni l'âge des protagonistes qui vont nous aider pour repérer les couples où il existe la violence.

Pourtant, en dehors de ces précautions préalables, un ensemble d'éléments plus ou moins communs se retrouvent chez de nombreux couples violents. Nous allons les examiner. Il ne s'agit ni d'un répertoire exhaustif, ni même de constats exclusifs de ces couples. Les explications suivantes sont le fruit d'un certain nombre de constats empiriques. Ils sont donnés ici à titre purement indicatif. On l'a vu, toute personne qui s'occupe de violences domestiques, est amenée à faire cette expérience étrange, mais combien riche de sens, de découvrir des violences conjugales autour de soi, dans des milieux que l'on ne soupçonnerait pas. La force d'un mythe est telle justement que personne, chercheur compris, ne peut s'en dire libéré. A notre époque où la révélation du phénomène est rendue plus fréquente, de telles découvertes expliquent le changement d'attitudes de responsables politiques et administratifs. C'est ainsi que régulièrement, sous forme de confidences -à ne pas répéter- des personnalités politiques, des cadres administratifs, des élus… ont fait savoir comment, à partir des pratiques conjugales de certain-e-s de leurs proches, ils/elles en sont venu-e-s à perdre leur crédulité.

Il y a bien des manières de comprendre quels sont les couples concernés par les violences domestiques. Une première est de faire comme tout chercheur, journaliste ou voyeur: d'ouvrir ses yeux, ses oreilles et d'enquêter. Il n'est souvent pire aveugle que la personne qui ne veut pas voir. Ou plutôt, il y a des réalités que l'on n'aime pas voir. On détourne alors les yeux. Le mythe est fait pour çà, pour pouvoir dire ceux et celles qui peuvent légitimement être désigné-e-s comme faisant partie de la problématique.

Une autre manière oblige à réfléchir, à repartir du sens qu'on donne à la violence. La violence domestique, en dehors de son invisibilité, est d'abord un mode de régulation d'une relation inégalitaire où l'un domine l'autre. Comprendre où elle se pratique demande de faire "la carte de l'égalité": quels sont les droits et les devoirs de l'un-e et l'autre ? Commet se distribuent les bénéfices conjugaux ? Quels sont les territoires réservés à l'homme et à la femme dans la maison ? Comment se régulent les conflits inhérents à toute vie commune ? Qui cède ou qui a l'air de céder et sur quoi et comment ? Comment sont répartis les rôles de père, de mère, d'épouse et de mari ? Mais là encore, il faut, comme pour l'étude d'une langue étrangère, se méfier des "faux amis" de la traduction. Par exemple, dans beaucoup de couples où s'exerce la violence, l'homme est absent ou exclu de l'espace domestique. Le salon, la cuisine, le séjour, les chambres… sont sous la garde de l'épouse ou de la mère. L'homme n'a, pour se réfugier, pour trouver un espace personnel, que les "périphériques" de la maison: garage, atelier, voiture ou… les WC et quelques places très ritualisées: sa place à table, devant la chaîne haute-fidélité, voire des endroits où il est exposé en photo, médailles ou souvenirs. Ou alors, l'homme ne peut s'isoler, "avoir la paix" que dans les espaces extérieurs: rue, café, stade… des endroits où les hommes se retrouvent entre eux. Même si tel homme est violent en privé, cela peut bien être la compagne qui "dirige" la maison, qui imprime sa marque, ses normes et sa conception du propre et du rangé. Cette compagne utilise d'ailleurs souvent la cuisine comme un "refuge" pour se mettre à l'abri du regard et du contrôle du mari, alors que celui-ci passe des heures aux WC avec journaux, livres…. J'ai énormément progressé dans mes analyses quand, à la lecture des dossiers d'instruction des cours d'assises, j'ai compris enfin que la "mégère" peut être une figure possible de femme violentée (qu. n° 16). Donc, méfions-nous du binaire et du simplisme.

D'une façon régulière, la violence semble exister dans des couples où cohabitent un pôle masculin et un pôle féminin, où l'un et l'autre de ces pôles, représenté par l'homme et la femme, ont des droits et des devoirs différents. La violence exercée par l'homme permet d'affirmer sa primauté sur la maison et ce, quelles que soient les stratégies de riposte, de défense ou de contre-attaque mises en place par sa compagne,. Ce que en termes savants, j'appelle un couple bicatégorisé à dominance mâle. Dans ce style de couple, l'homme est le pourvoyeur principal qui apporte une sécurité matérielle et économique. Il dirige les échanges avec l'extérieur. Il se veut le défenseur et le protecteur du foyer et se consacre en général à des activités dites masculines telles que le bricolage, le jardinage, la chasse… Sa compagne, prioritairement à lui, entretient la maison, s'occupe du travail domestique (nourriture, linge, propreté et rangement), se charge de l'éducation des enfants au quotidien…, bref elle assume tout l'intérieur de la maison. Elle sert aussi, notamment pour celles qui n'ont jamais identifié leurs désirs sexuels (il y en a plus qu'on ne voudrait le croire), à assouvir les désirs sexuels de son compagnon. C'est elle aussi, qui est chargée du vécu et de l'expression des sentiments au sein de la maison.

Il s'agit bien évidemment d'un portrait caricatural, simplificateur et surtout très réducteur des différentes situations. Par exemple, souvent (à 52% en France et à 53% au Québec), l'épouse travaille à l'extérieur. Son salaire est dans la plupart des cas, conformément aux divisions sexuées qui ont cours dans le monde professionnel, inférieur à celui de son compagnon. Malgré tout, même pour celles qui gagnent plus que leur conjoint, son salaire sert symboliquement d'appoint. Le salaire principal reste celui de l'homme. Le salaire de l'épouse sert à payer les traites de la résidence secondaire, de la caravane, du camping-car, à se faire une cagnotte pour les vacances ou les études d'un enfant. L'homme reste le principal pourvoyeur. Les déménagements successifs se font en fonction de la carrière de Monsieur, elle doit "suivre" avec les enfants, retrouver un travail, se refaire un réseau amical. C'est elle qui arrêtera de travailler pour se consacrer à l'éducation du petit dernier ou de la petite dernière. Le travail de l'épouse est pratiquement ou symboliquement dévalorisé par rapport à celui du conjoint.

Ce dernier, notamment dans les jeunes couples ou dans certains milieux sociaux, aide aux travaux domestiques. Il aide plus ou moins, suivant les jours et les périodes, et surtout son aide est soumise aux aléas de ses activités professionnelles. Là où elle doit assurer jour après jour la charge mentale et l'organisation de la maisonnée, son conjoint choisit la forme et le moment de l'aide. Il privilégie des activités gratifiantes (la confection du repas lors des week-ends ou pour la visite d'ami-e-s, les gros travaux de nettoyage du printemps avant la visite de la belle famille ou pour des fêtes religieuses ou rituelles), il "sort" les enfants ou le chien pour la débarrasser de ces tâches encombrantes. Son travail domestique est toujours second, c'est une pierre ajoutée à l'édifice construit par son épouse. Il choisit prioritairement les travaux domestiques dirigés vers l'extérieur de la maison, lorsqu'il y a un public. Si certains apportent une aide désintéressée, beaucoup feront remarquer leur apport spécifique, ils choisissent des mots, des métaphores pour que leur participation aux travaux du ménage soit reconnue comme un plus, un plus toujours à renégocier et jamais acquis. Dans le même registre, les hommes violents ont tendance à dévaloriser les travaux de leurs compagnes: eux font de l'art, de l'exceptionnel, quand celles-ci ne feraient que du banal, du quotidien sans invention. L'épouse a beau, à l'aide des magazines féminins, essayer de leur faire plaisir, d'agrémenter l'ordinaire, d'essayer d'innover dans le culinaire ou la présentation du foyer, ils considèrent cela comme. normal Ou bien, ils ne le remarquent pas, ou bien ils sont persuadés que ce n'est qu'un juste dû. Après tout, disent-ils, c'est moi qui ramène la paye, c'est donc normal qu'elle me traite bien.

Ils se moquent des apprentissages sociaux différents: le rapport de madame au bricolage ou à la voiture. Ses difficultés de ménagère sont assimilées à des trucs de bonnes femmes, ils les considèrent comme sans aucune mesure avec leurs propres difficultés personnelles au travail. Leur échelle de valeur respecte nos divisions sexuelles qui veulent que le labeur de l'homme prime sur tout et partout. Les compagnes, à force de manque d'écoute s'habituent, elles réservent au fur et à mesure leurs questions ou leurs "petits problèmes" à leurs amies: celles qui vivent la même chose. D'autres, par soumission aux normes de la division masculin/féminin de nos sociétés, ne pensent même pas que leur travail est digne d'intérêt. La plupart considèrent cette situation comme normale. Après tout, elles ne font que reproduire ce qu'elles ont vu chez leurs parents. La force de l'habitude, le poids des tâches à réaliser, l'invisibilité du travail domestique routinier, les déshabituent de parler d'elles comme femmes. Quand elles voient des ami-e-s, c'est pour parler des enfants et du mari. Elles vivent par procuration. D'ailleurs, le conjoint se gêne rarement pour culpabiliser sa compagne de ses transformations physiques: elle est moins belle, maternités obligent, que ces femmes désirables présentées à la TV. Oubliant ses propres modifications morphologiques, l'usure de son propre corps à lui due à son travail et à son âge, il tend à la dévaloriser en privé ou en public.

Dans beaucoup de couples où la violence existe, l'homme a des difficultés à s'exprimer, les mots lui manquent. Son sentiment de supériorité et l'habitude, l'enferment dans un mutisme, dans une cuirasse caractérielle qui lui sert de seconde peau. Il peut avoir honte de l'état dans lequel est rendue sa compagne, ou honte de la tension permanente qui règne dans son foyer; certains de ces hommes évitent d'inviter leurs collègues à la maison et préfèrent les rencontrer à l'extérieur.

Certains, par jalousie maladive, vont contrôler le carnet de chèque de madame, surveiller ses déplacements. D'autres incapables qu'ils sont de se retrouver seul, épient son retour et vont faire une scène pour le moindre retard. Ils sont dépendants de leur épouses, sans toutefois pouvoir l'avouer.

La plupart des hommes aiment, parfois passionnément, leurs compagnes. Leur amour se conforme aux rôles sexuels prescrits pour les hommes et les femmes. Dans cette conformité, l'érotisme de l'habitude ou l'absence de culture érotique -ou les deux- leur font chercher des modèles (fantasmes) sexuels dans la pornographie. Leur sexualité est alors vécue dans le silence et l'hygiénisme. D'autres, au contraire (qu. n° 40) réduisent la vie quotidienne et la communication avec leur compagne aux satisfactions que leur procurent les jeux sexuels avec elle.

La femme violentée règne sur l'intérieur ou plus exactement: l'épouse et la mère, à un degré ou à un autre, règne sur l'intérieur. La femme, personne autonome et sujet de ses désirs, tend à disparaître. Elle est d'ailleurs souvent débaptisée pour s'entendre appeler "maman" par ses enfants et… son mari. Elle prend les mesures ordinaires, nécessaires à l'entretien de la maison et des enfants. De là à voir dans cette distribution des rôles la preuve que les mères sont responsables du fait que les hommes sont violents, puisque ce sont les mères qui élèvent les hommes (qu. n° 14) il n'y a qu'un pas. D'autres y voient la trace d'un matriarcat renouvelé (4) et le spectre du pouvoir des femmes n'est pas loin. On a oublié dans les analyses ou on n'a pas voulu voir, la place de la violence. Or, quelles que soient les variations individuelles dont nous parlerons ci-après, dans les couples où se vit la violence, les grandes décisions sont souvent, après discussions, prises par le mari: le lieu des vacances, l'achat d'un appartement, la scolarité des enfants… Non que sa compagne n'argumente pas, qu'elle ne développe pas son propre point de vue -il ne faut pas confondre femmes violentées et femmes sans voix - elle a tout le loisir, souvent, de le faire, voire même d'utiliser des armes dites féminines: attendre le meilleur moment, flatter le conjoint… Mais en dernier ressort, l'homme veut avoir le dernier mot. N'oublions pas que l'homme violent est persuadé de savoir tout sur tout. Quand le ton monte, que la discussion s'enflamme, l'homme ne va pas forcément frapper ou insulter, surtout en début de spirale. Mais la présence de violences préalables fait que cette possibilité existe et que la plupart du temps la compagne cède. C'est difficile pour un homme, construit normalement comme homme, c'est-à-dire habitué à formuler ses avis de manière libre, de percevoir et de comprendre la peur qui s'insinue subrepticement dans tous les pores de la vie quotidienne des femmes violentées. J'avoue que même aujourd'hui, il me faut encore faire de grands efforts pour intégrer cette variable. On y reviendra dans le chapitre suivant.

Quelles sont les variations individuelles? Elles couvrent un champ vaste. J'ai entendu des hommes violents décrire les coups qu'ils ont fait subir à leur épouse parce que la nourriture n'était pas assez salée ou parce que la maison n'était pas en ordre, ou du moins, pas conforme à l'ordre militaire qu'ils voulaient y voir. Une femme m'a raconté comment son père, professeur de psychologie, a envoyé un livre sur la tête de sa compagne parce que le repas n'était pas prêt. J'ai aussi vu des chrétiens intégristes déclarer, et je les crois, n'avoir jamais frappé leur épouse et pourtant leurs enfants racontent la terreur quotidienne. J'ai interviewé des "papas poules" violents qui s'occupaient plus de leurs enfants que leurs mères, des femmes violentées qui gagnaient plus que leurs conjoints et dont le salaire n'était pas dévalué symboliquement. A chaque exemple cité plus haut, on peut trouver des contre-exemples. Il s'agit, je me répète, de tendances, d'éléments communs aperçus à l'écoute des hommes et des femmes. Mais dans tous les cas, la violence est le moyen, l'outil, pour imposer son point de vue à l'autre. En dehors des explications psychologiques individualisantes, la violence réfère d'abord à des rapports de domination.

 

29 - Peut-on vraiment savoir si un homme est violent ou si sa compagne est violentée? Qu'en est-il du secret?

D'abord pourquoi savoir ? Doit-on mettre un policier (ou une policière) derrière chaque lit ou dans chaque maison ? Méfions-nous des bonnes intentions qui créent les sociétés totalitaires. Big brother is watching you (5) écrivait Georges Orwell ou chantait Lavilliers. Quelquefois, j'ai peur de la société que nous préparent les contrôleurs sociaux de tous ordres. La civilisation de l'aveu pourrait, si on n'y prend garde, sous des motifs on ne peut plus légitimes, servir à créer d'autres violences. De plus, savoir ne sert à rien ! Une fois que l'on saura combien d'hommes et de femmes sont concerné-e-s, qui est violent-e ou violenté-e individuellement, qu'en fera t-on ?

Mais pour ne pas me dérober à cette question souvent formulée, de manière très angoissée, par de nombreux et de nombreuses étudiant-e-s, on pourrait répondre ceci: non, on ne peut jamais vraiment savoir.

Ce qui ne veut pas dire qu'on ne sait rien. Ainsi de nombreuses femmes se plaignent, de manières plus ou moins directes, dans des formes plus ou moins culpabilisées d'avoir été violentées par leur conjoint. Pourquoi ne pas les croire ? En tous cas, pourquoi ne pas les écouter et les entendre ? De même qu'il n'y aucune raison de ne pas écouter les hommes qui disent être victimes de violences. Laissons-leur la parole et aidons les à trouver des mots pour décrire les scènes, expliciter les émotions ressenties. Sur un phénomène dont nous connaissons encore peu de choses, apprenons à l'écoute des principales personnes concernées.

Pour ma part, je me suis intéressé au secret et aux rapports entre violences extérieures et intérieures, ce qui répond par là-même à une autre question.

 

30 -Existe-t-il un rapport entre être violents à l'intérieur de la maison ou à l'extérieur, par exemple dans la rue?

Il y a des rapports entre être violents à l'extérieur de la maison et la violence domestique.

Les comprendre nécessite de se questionner sur le secret. J'ai essayé avec l'aide des hommes violents ou des femmes violentées de savoir à qui on dit et à qui on ne dit pas ? A qui on montre et à qui on cache ? J'ai écouté les enfants devenus grands, notamment j'ai bénéficié de l'aide d'étudiant-e-s ou d'élèves du travail social.

Je crois avoir compris ceci: on ne peut jamais savoir si un homme est violent ou pas avec sa compagne. Elle-même peut subir des violences et ne pas -encore- le savoir (qu. n° 20). Des hommes m'ont décrit pourquoi ils utilisaient le corps de leurs compagnes pour leurs besoins sexuels quand ils rentraient le soir, quitte à la forcer un peu, et ils ne pensaient pas à cette époque pratiquer ce que l'on peut qualifier de viol conjugal. Dans mon livre sur le viol, j'ai montré que des femmes découvraient avoir été violées plusieurs années plus tard, lorsqu'elles réalisent ce qu'est un rapport sexuel désiré. Et certaines ne le découvriront peut-être jamais.

Tout va donc dépendre des définitions, et de qui définit les violences ? L'homme violent ? La femme violentée ? Le/la chercheur-e ? Le/la thérapeute ? L'historien-ne ? Et de l'expérience individuelle de chacun-e.

Toutefois, si l'on se limite aux coups identifiés par l'un-e et l'autre, on remarque une étrange mosaïque: des hommes peuvent être violents avec leur compagne et avec leurs enfants; des hommes peuvent être violents avec leur compagne, leurs enfants et des collègues de travail; des hommes peuvent être violents avec leur compagne, leurs enfants, des collègues au travail et des travailleurs sociaux ou des policiers; des hommes peuvent être violents avec leur compagne à l'intérieur de l'espace domestique et aussi à l'extérieur, dans la rue ou dans un café; des hommes peuvent être violents avec leur compagne à l'intérieur de l'espace domestique et ceci peut se passer devant les enfants, ou devant la famille ou les ami-e-s …

Il y a une échelle du secret qui respecte nos tolérances sociales. Un homme choisit inconsciemment ou consciemment où il "perd son contrôle" et frappe. Son choix est déterminé en fonction du seuil de tolérance, donc de punition possible, du milieu social dans lequel il est inséré. Mais dans tous les cas que j'ai cités, et plus globalement dans l'ensemble des recherches que je mène depuis maintenant plus de 7 ans, jusqu'à ce jour je n'ai pas trouvé de contre exemple à ceci: quand un homme est violent à l'extérieur de la maison vis a vis d'autres personnes, il l'est aussi avec sa compagne.

De même, s'il est violent avec ses enfants, ceux-ci ne savent pas toujours qu'il violente leur mère.

Nous pouvons ainsi décrire l'entonnoir du secret:

A la base de toutes les violences apparaît la violence conjugale, puis de manière centrifuge, le secret va plus ou moins se partager avec des réseaux d'appartenance.

 

1: Les violences physiques contre les femmes sont connues d'elles seules, cachées aux enfants, à l'entourage et à la famille élargie; les autres violences apparaissent plus ou moins décryptées (ainsi la femme qui n'a pas de carnets de chèques, ou la présence de cris plus ou moins forts entre l'homme et la femme sans qu'on sache s'il existe des violences et qui frappe l'autre)

Elle prend des coups sans la présence de tiers, donc seul-e-s les deux protagonistes savent qui contrôle en définitive par le biais de la violence. Les enfants peuvent aussi être victimes du père (et de la mère).

2: Les violences physiques contre les femmes sont connues d'elles seules et certaines scènes sont jouées devant les enfants qui eux aussi la subissent en général.

3: Les violences physiques contre les femmes apparaissent, dans les discours ou dans les pratiques, devant les enfants et les ami-e-s (avec une échelle variable).

4: Les violences physiques contre les femmes et les enfants peuvent apparaître dans l'espace public.

5: Les violences physiques contre les femmes, vécues ou pas dans l'espace public, débordent de la famille, et atteignent les collègues, la police (bagarres fréquentes)... la même norme de régulation par la violence est vécue dans d'autres milieux sociaux (les bars, les stades…).

La variabilité intègre à ce niveau les différences d'appartenance et de position, de classes sociales et de conditions de travail.

 

31 - Pourquoi les femmes se taisent?

Les femmes se taisent par honte, par culpabilité, par peur ou parce qu'elles pensent ne pas pouvoir vivre autrement. De nombreuses femmes se taisent aussi parce le mythe sur la violence domestique organise l'incompréhension et le silence.

5, 10, 15 ans quelquefois: le nombre d'années de vie commune que peuvent supporter des compagnes étonne. Il surprend les jeunes, garçons ou filles, les travailleurs sociaux, la presse… Des femmes battues elles-mêmes se demandent comment elles ont pu rester tant d'années avec un tel homme.

Il est difficile pour un blanc moyennement riche, libre de ses gestes et à peu près de ses idées, de comprendre l'état d'esprit d'un jeune noir d'un pays du Tiers monde. Si ce dernier est affamé, qu'il dépense l'essentiel de son énergie quotidienne à survivre, à rechercher de la nourriture… il a toutes les chances d'avoir des comportements qui nous surprennent. En général un dominant, une personne qui se vit libre de ses gestes, n'a que peu de notions des effets que produit la domination dans la conscience d'une personne qui doit, consciemment ou pas, mobiliser tout son être pour survivre plus ou moins bien. Et, pour ce qui nous concerne, un-e jeune étudiant-e, un homme, une femme qui peut sortir et jouir de la vie à peu près à sa guise, qui a intégré les évolutions récentes des idées, a du mal à saisir ce que vivent les femmes battues.

Ceci est accentué par notre victimologie ambiante. On aime plaindre, consoler, et pour cela pleurer en coeur sur le sort des victimes. Or nous le verrons, certaines femmes doivent fuir en urgence absolue, et pour ce faire, pour protéger leur vie et celles de leurs enfants, elles adaptent leurs discours à ce qu'elles pensent légitime de dire pour être accueillies. Elles ne mentent pas, la question n'est pas là, mais comme toute personne humaine, elles essaient d'adapter leur présentation de soi aux représentations qu'elles ont des attentes de l'autre afin d'obtenir de l'aide.

Comme le mythe dit qu'une femme battue est:

1/soit une pauvre victime innocente, genre chèvre attachée à un piquet que le grand méchant maître maltraite.

2/ soit une femme qui le cherche, le provoque et qui aime çà.

Les femmes violentées ont tendance à choisir -et on comprend pourquoi- la première proposition. Ceci est bien souvent facilité par l'attitude protectrice de certain-e-s professionnel-le-s. Ces dernier-e-s, pour être sûr-e-s qu'ils/elles ne pourront pas faire de comparaison entre leur situation personnelle et celle de cette femme violentée qui est accueillie, se distancient en victimisant leur "cliente".

Souvent la femme violentée a tendance à passer sous silence les moments agréables vécus avec son conjoint, à ne pas insister sur le questionnement qu'elle a depuis longtemps sur son départ. Puisque les personnages du mythe de la violence domestique sont noirs ou blancs, bons ou méchants; elle décrit un homme très noir: cruel, méchant, un homme conforme à notre image de l'homme violent. Quand j'écoute les hommes raconter les violences exercées, elles n'ont pas trop de mal pour trouver des détails pour se faire plaindre. Comment dire à un-e accueillant-e qu'on est pas encore vraiment sûre de vouloir quitter son conjoint? Comment avouer sa crédulité devant les promesses de l'homme violent de ne plus recommencer, expliquer le plaisir et la satisfaction des cadeaux reçus pendant la phase d'excuses du cycle de la violence ?

De ce fait là, exceptée pour quelques personnes, on sait peu ce qu'ont vécu ces femmes et pourquoi elles se sont tues pendant tant d'années. Se présenter comme une femme battue demeure, que l'on le veuille ou non, encore honteux et culpabilisant. Si on reste, si on ne part pas alors qu'on est capable de se plaindre, c'est bien que "quelque part", on doit aimer cela. Quand nous recevons des femmes et lorsque nous tentons de leur expliquer que, pour vivre sans être violentée, elles doivent changer l'ensemble de leur mode de vie, elles semblent étonnées. "Je veux juste qu'il arrête d'être violent, sinon, le reste ça va" disent beaucoup de femmes. La peur permanente que des violences reviennent, que leur compagnon ne soit pas heureux, s'énerve et en vienne aux coups, l'attention permanente qu'elles doivent déployer pour vivre le mieux possible malgré tout, pour cacher à leurs proches leur état de femme soumise et dominée, les multiples micro-ripostes qu'elles ont mises en place -sans effets-… tout ça, mais aussi les milliers de scènes qui font l'ordinaire d'un couple, nous n'y avons que peu accès.

La découverte récente que certaines femmes appartenant à les classes sociales favorisées sont battues, tend à modifier le mythe. On a alors tendance à oublier ces 48% de femmes qui n'ont pas de travail rémunéré, qui sont économiquement entièrement dépendantes de leur compagnon. Que doivent-elles faire: se plaindre ? Oui, mais pour quoi faire ? Comme, de toutes manières, elles ne voient pas d'issues possibles à leur situation, autant se taire. Et se taire aussi à soi-même, essayer d'oublier et de penser à autre chose. Que chaque lecteur ou lectrice s'interroge sur ses propres réactions devant une femme qui expliquerait qu'elle a été battue pendant 5, 10, ou 15 ans. A l'écoute des violences vécues, on a tous et toutes un peu la même tendance: lui dire de partir. On mesure mal non seulement le quotidien de cette personne, mais aussi les effets culpabilisants de nos "conseils". De plus, certaines de ces femmes, parce qu'elles aiment leur compagnon, que cet amour est sans conteste réciproque, n'ont pas envie de lui faire endosser dans le réseau amical ou familial, les habits de l'homme violent, cet homme fou, monstrueux que décrit le mythe.

Certaines femmes se taisent aussi par peur: peur des menaces du conjoint, peurs qu'il ne mette ses menaces d'enlever les enfants à exécution, peur qu'il ne se suicide ou peur pour sa propre vie. "De toutes façons, il me retrouvera toujours", pensent certaines. Quelques hommes violents ont mis en place un tel système de "joug moral", de dégradation de la personnalité de l'autre, qu'elles n'imaginent plus que la situation puisse changer.

Au lieu de culpabiliser les femmes violentées parce qu'elles se taisent, qu'elles restent avec leur conjoint violent, regardons les conditions matérielles et morales que notre société accorde aux femmes battues: nombre limité de foyers, précarité des conditions d'accueil, personnel insuffisant… On comprend parfois qu'une femme puisse préférer, une nouvelle fois, croire les promesses de son compagnon de ne plus recommencer.

Enfin, certaines se taisent pour ne pas être obligées d'avouer certains plaisirs pris au cours de leur sexualité (qu. n° 40), plaisirs qu'elles assimilent à des violences.

 

32 - Pourquoi certains hommes frappent et d'autres pas?

Un conjoint sur 7 frapperait au Québec, un sur 10 en France… donc, tous les hommes ne frappent pas. A l'heure actuelle il est difficile d'en expliquer le pourquoi de manière unique et entièrement satisfaisante.

Remarquons d'abord que nous vivons dans une société en transition. Dans cette transition, les rôles attribués à l'homme et à la femme changent. Il est d'ailleurs rassurant de voir aujourd'hui des hommes s'occuper des hommes violents et dire qu'on peut vivre autrement ses rapports avec les femmes. Tous les hommes ne sont pas des êtres dominants et contrôlants dans les maisons. Certains vivent seuls -et ils sont de plus en plus nombreux- d'autres ont vécu des ruptures avec les modèles sociaux établis.

Les rapports sociaux de sexe, les relations hommes/femmes se jouent toujours à plusieurs. Dans la mesure où des femmes refusent d'être soumises et violentées, veulent vivre d'autres rapports avec leurs compagnons, naturellement -la nature est si bien faite que l'offre s'adapte à la demande- elles trouvent des hommes pour répondre à leurs désirs. Des hommes vont alors vanter les bénéfices de l'autonomie, du débat permanent, des joies d'un faire à 2, deux adultes libres et consentants. Certains hommes ne frappent pas, parce que la relation avec leur compagne trouve des alternatives pour débattre autrement. Couples égalitaires, couples à autonomies concertées où chacun-e a son territoire et respecte l'autre en s'enrichissant de sa différence; les modèles sont variés et en nombre croissant.

D'ailleurs de plus en plus, il est bien clair pour certains hommes que leur compagne partirait à la première claque. Plus une femme est autonome, moins elle risque d'être violentée.

Mais ce n'est qu'une partie de la réponse. Tout le monde connaît aussi des hommes moyennement dominants, jaloux, qui imposent quand même leurs visions du monde à leurs proches, qui crient quelquefois, mais qui -a priori- ne frappent pas leurs compagnes. Loin de moi l'idée de lancer une sociologie du soupçon, mais force est de constater qu'on n'est pas toujours là pour vérifier la non présence de coups. Mais admettons-le.

Ceci rejoint une autre question: est-ce que les rapports de domination, les injonctions de rôles masculins et féminins, ne suffisent-elles pas pour assurer la quiétude des dominants ? Lui faut-il obligatoirement être en plus violent ? J'avoue mon incapacité à répondre, il faudra peut-être en connaître plus sur la vie des hommes dans l'espace domestique pour y répondre.

De manière empirique, j'ai rencontré des hommes, pourtant contrôlants et dominants, qui justifient n'avoir jamais utilisé de violences physiques par convictions religieuses, politiques ou éthiques. Les rapports avec leur femme, où pourtant peuvent se lire des restes de discriminations, n'ont pas besoin des violences physiques. D'autres invoquent des mouvements sociaux auxquels ils ont participé (Mai 68, Malville, grèves étudiantes de 86) pour expliquer qu'ils appartiennent aux nouvelles générations. La violence est alors perçue comme un résidu du passé. Sa non-utilisation est le gage du changement.

L'attitude à l'égard de l'utilisation de la violence physique avec les femmes, le fait de l'utiliser ou pas, pourrait bien, au vu des campagnes actuelles, devenir un signe de modernité.

Toujours est-il que certains hommes frappent et d'autres pas. Et qu'on est incapable d'en déterminer une seule et unique cause. Ceci est rassurant à plusieurs titres: cela montre que la violence des hommes sur leurs compagnes n'est en rien un phénomène obligatoire et qu'il est possible de vivre autrement les relations avec les femmes.

 

33 - Que ressent l'homme violent?

L'homme violent souffre t-il ? A quoi pense t-il en frappant ? Ne souffre t-il pas plus encore que sa compagne ? Les questions pleuvent. Comment peut-on frapper une femme que l'on aime ?

L'homme violent souffre et pour de multiples raisons. Quand nous les voyons arriver au centre d'accueil, ils souffrent du départ de leur amie, de la destruction de leur couple, des conséquences sur les enfants. Ils souffrent aussi car, souvent, ils sont incapables de se retrouver seuls, sans femme pour les prendre en charge. Mais l'homme violent souffre aussi d'une culpabilité d'être violent. Les stigmates créés par le mythe les enferment d'autant plus dans leur solitude, les poussent aussi, comme leurs compagnes, au secret.

Mais lors des scènes violentes, sa souffrance est profondément différente de celle de sa compagne. Elle a mal. La douleur corporelle, la peur qu'elle n'empire, voire la peur de la mort ou la crainte que ses enfants ne voient les coups, sont des souffrances omniprésentes. Lui décrit une sensation d'étouffement, un trop plein qui se décharge, un moment où il est "saisi" et a l'impression de ne plus pouvoir s'arrêter. Il frappe, et en même temps, il est malheureux de frapper. Il le fait comme mû par une énergie qui lui serait extérieure. Il se sent extérieur à son corps. Il a l'impression que le pouvoir sur lui-même ne lui appartient pas.

Il n'a que peu d'idées des douleurs de sa compagne. Quand, dans le suivi à RIME, ils découvrent ce qu'elle a dû subir, la plupart des hommes sont étonnés et surpris. Ils se demandent eux-mêmes comment elle a pu supporter cela.

Mais l'homme violent exprime aussi d'autres souffrances: celles des hommes; l'incapacité à parler de soi, d'exprimer ses plaisirs ou ses déplaisirs, de devoir sans cesse se conformer à une image, d'être toujours en situation de vouloir contrôler ses proches… L'homme violent a peu d'ami-e-s à qui parler. Certes, comme beaucoup d'hommes, il sort, rencontre des collègues, mais c'est rarement pour parler de soi. Les divisions sexuelles et l'obligation d'être l'homme pourvoyeur du ménage font qu'il a peu de temps à consacrer à ses enfants, qu'il doute de son savoir faire. Il a l'impression que sa compagne lui laisse bien peu de place à ses côtés. Il est souvent conscient d'être le papa-fessées, le père-punition, il aimerait dans l'absolu être plus proche, partager plus de temps avec les enfants. De même, se culpabilisant souvent de l'ensemble des événements qui arrivent à la famille, il se sent responsable et souffre des précarités matérielles quand elles existent.

Enfin, mais cette liste n'est pas limitative, il souffre encore de l'état de la relation avec sa compagne. Celle-ci, les années passant, est parfois devenue aigrie, elle essaie de lui faire payer la détérioration de la situation familiale. Certaines crient sur les enfants ou sur lui, d'autres se terrent dans le mutisme. Certains hommes violents décrivent l'enfer qu'ils ressentent dès qu'ils poussent la porte de la maison. Se sachant responsables, au moins pour partie de cet état de fait et ne connaissant aucune porte de sortie, ils souffrent en silence. La parole des hommes est le silence dit le québécois Marc CHABOT (6).

 

34 - Quels rapports entre amour, haine et violence domestique ?

Et l'amour ? L'amour de la famille ? L'amour d'une vie de couple réussie ? L'amour des enfants qui auront, espère-t-il, une situation sociale agréable ? Ou l'amour de sa femme ? A vrai dire, pour ce que j'en sais, les hommes violents aiment l'ensemble de cet univers: la famille, le couple, les enfants et la femme.

Ses définitions de l'amour sont certes différentes de celles de sa compagne, comme entre les hommes et les femmes en général, mais amour et violences ne s'opposent pas nécessairement. Ne dit-on pas "Qui aime bien, châtie bien" ? L'amour et la violence sont deux réalités distinctes à géométries variables. Certains conjoints violents sont follement amoureux-ses de leur compagne, alors que d'autres le sont moins, voire s'ennuie terriblement avec cette femme acerbe, femme qu'ils pensent autoritaire et qui a perdu toute initiative par usure du temps et des coups.

Autant j'ai pu entendre des femmes violentées dire: Au moins quand il me frappe, il est avec moi, autant je n'ai jamais entendu de phrases similaires chez les hommes violents. Là où la femme préfère les coups à l'absence, à l'infidélité ou au silence, les hommes violents sont en général navrés de se sentir obligés de les frapper.

Beaucoup aspirent au calme et aimeraient simplement que le monde, femme et famille comprises, soit conforme à leurs désirs.

Qualifier objectivement l'attitude des hommes violents ou des hommes violeurs de méprisante ou de haineuse vis a vis des femmes -ce que j'ai souvent entendu- relève d'un autre registre: celui de l'analyse, de la caractérisation morale et d'un système de valeur. On peut alors concevoir qu'au vu des conceptions machistes et sexistes qui les autorisent à frapper des femmes, on qualifie leur attitude de mépris et de haine.

Pour ma part, dans la mesure où ils affichent souvent les mêmes valeurs envers leurs cogénères masculins: ils maltraitent aussi les hommes qu'ils sentent plus faibles ou qu'ils imaginent plus faibles (les homosexuels par exemple), on pourrait dire que les hommes violents sont aussi méprisants et haineux avec les hommes.

Dans les faits, ils sont en guerre avec tout le monde, hommes, femmes et enfants. Le moins que l'on puisse dire, est que l'amour de son prochain, le respect des territoires de l'autre ne sont pas des traits caractéristiques du guerrier.

 

35 - Pourquoi part-elle ?

Quand on parle du départ des femmes violentées, on a souvent mélangé différents éléments: les causes du départ, les formes de départ et l'effet du départ. De plus, la tendance de certain-e-s professionnel-le-s à se sentir personnellement jugé-e-s et évalué-e-s dans les suites données à l'accueil de la femme, fausse d'autant plus la compréhension de cette question.

Pourquoi partir ? Pourquoi supporter X mois ou X années de violences multiples puis décider un beau jour de quitter domicile et mari ? D'après ce que j'ai pu observer, il faudrait d'abord parler non pas de "rupture" mais plutôt "d'espace de rupture". La fuite est l'aboutissement d'un long processus dans lequel la femme mûrit son départ. Celui-ci prend différentes formes dont certaines peuvent, à première vue, surprendre. On peut se réfugier dans un foyer pour femmes battues ou dans n'importe quelle autre structure sociale, chez des ami-e-s, mais on peut aussi chercher refuge à l'hôpital psychiatrique, dans une maladie… Certains départs se font en urgence absolue, d'autres avec explications, les formes varient. Elle vont dépendre :

- de l'avancée des lois: tant que nous considérerons comme normal que ce soit la femme violentée qui doit quitter le domicile conjugal et non le principal responsable des violences; tant que des femmes seront obligées de s'entasser dans de petits appartements avec quelques affaires prises à la va-vite pendant que leur compagnon garde maison ou appartement; tant que nos lois n'auront pas changé, nous n'aiderons totalement ni la femme ni son conjoint. Le fait d'obliger les femmes à quitter le domicile quand elles sont violentées représente une injustice flagrante, d'autant plus que ça dramatise la rupture.

- de l'appartenance sociale des femmes: le fait d'avoir des réseaux d'amitié, une voiture, un travail; pouvoir ou non expliquer de manière compréhensible par ses proches les raisons du départ, sont autant de conditions sociales qui aident ou pas la femme à se distancier de son conjoint violent. A ce niveau aussi, les changements que vivent nos sociétés influent sur les capacités et les formes de la fuite.

- de l'aide apportée aux structures qui accueillent les femmes battues: en France, la fédération Solidarité Femmes (les adresses de ces centres sont publiées en annexe) est encore obligée aujourd'hui de dénoncer le manque flagrant de moyens accordés à ses centres.

Mais surtout, la forme du départ est liée aux raisons qui le provoquent. Beaucoup de femmes partent par urgence absolue. A tord ou à raison, elles ont peur de mourir. Dans le déroulement de la spirale de la violence (qu. n° 22), la violence de leur conjoint adopte des formes encore inconnues où elles estiment que leur vie est en danger: elles atteignent ce que j'ai nommé le palier de l'intolérable (qu. n° 23). Dans d'autres cas, la femme part parce que la violence commence à toucher les enfants. La faculté d'abnégation des mères est une chose qui m'a toujours étonné. Le seuil de tolérance qu'elles supportent pour elles-mêmes est nettement supérieur à ce qu'elles acceptent que leurs enfants endurent. Cette capacité d'attendre, de vouloir jusqu'au bout rester avec cet homme violent, semble directement proportionnelle aux conditions que vivent ces femmes.

Dans l'urgence absolue, la demande d'hébergement dans un foyer ou dans une autre structure ne correspond pas toujours à un désir de quitter ad vitam aeternam son compagnon. Elle est la seule réponse qui semble possible dans l'instant. Elle veut partir parce qu'elle a peur pour elle ou pour ses enfants.

Dans quelques cas, c'est la police ou les services sociaux qui aideront la compagne à fuir, celle-ci n'ayant pas eu le temps ou l'énergie, pour partir avant.

Dans les couches plus favorisées de la société, certains départs sont d'un autre ordre. Sans attendre des formes extrêmes de violences, la compagne ne croit plus aux changements possibles de son compagnon. Elle voit les promesses s'accumuler et rester sans effets. Sereinement, ce qui ne signifie pas facilement, elle opte pour une autre solution de vie. Elle peut alors préparer son départ, soit en essayant une ultime explication avec son ami, soit en attendant qu'il effectue un séjour prolongé hors du domicile. Les formes varient.

Beaucoup de femmes, que leur décision de départ soit à priori définitive ou pas, essaient une dernière fois d'aider leur compagnon. On a déjà vu une femme qui venait avec ses enfants d'échapper à une tentative de meurtre (le mari avait foncé sur eux en voiture), amener les enfants se faire protéger et revenir s'occuper de son compagnon "J'allais pas le laisser seul" m'a t-elle dit. D'autres appellent maintenant les centres pour hommes violents afin de laisser un dépliant sur la table avant de partir.

 

36 - Quelle est l'influence des foyers d'accueil dans la rupture?

Les conditions d'accueil des travailleurs sociaux ou des travailleuses sociales vont être déterminantes pour les suites que la femme va donner à cette rupture.

A ce niveau, on note une nette différence entre le Québec et la France. Au Québec, le modèle d'intervention féministe n'a plus à démontrer son efficacité. En France, on en est encore loin.

Quand les femmes violentées partent et demandent de l'aide, certain-e-s professionnel-le-s qui les accueillent confondent souvent: décision de partir, fuite, décision de quitter cet homme et désirs de vivre d'autres relations sociales avec les hommes. Je l'ai déjà décrit, pour être sûre de pouvoir être hébergée, la femme violentée adapte son discours à ce qu'elle pense être les représentations des femmes battues. La crise ouverte par le départ n'est pas -et on le comprend aisément- le moment le plus propice pour réfléchir sereinement à son avenir. Parfois, il faut d'abord soigner, au sens plein du terme, les blessures que la femme a subi. Il faut aussi pouvoir s'occuper au mieux des enfants, penser à la situation administrative, essayer quelquefois de récupérer des vêtements ou des papiers… bref il faut répondre à l'urgence. La perte d'estime de soi, la culpabilité, la honte d'être obligée de se présenter dans cet état, sont autant d'éléments qui s'accumulent et brouillent la vision de ces femmes.

Si on prend un minimum de distance, quand une femme vient demander protection parce que son conjoint s'est attaqué à ses enfants -ce qui est un des cas les plus fréquents- que dit-elle ? Soit elle n'ose pas et pense illégitime de demander aide et assistance pour elle-même; soit elle vient dire: cet homme n'est pas un bon père. Moi qui suis une bonne mère, je demande de l'aide… pour eux. La demande d'aide de certaines femmes violentées est un des exemples de leur propre négation. Elles viennent demander à l'Etat-Papa aide et protection pour les autres, et non pour elles. Est-ce la réminiscence de l'obligation des chevaliers d'aider la veuve et l'orphelin ? l'appel à l'état patriarcal ? le stade ultime où la femme n'existe plus pour ne laisser parler que la mère ? Toujours est-il que c'est dans le contexte d'une telle problématique que l'aide à la femme va s'organiser.

Auparavant, dans de nombreux cas, elle ne pouvait même pas invoquer les violences si elle n'avait pas de traces tangibles de coups. Une responsable d'un foyer pour femmes m'a fait cette confidence il y 3 ans en France: "Les violences conjugales ? Si on écoutait ce qu'elles nous disent, elles seraient toutes ou quasi, des femmes battues". Actuellement, en France, la situation change et les professionnel-le-s de l'action sociale sont de plus en plus sensibilisé-e-s aux violences domestiques.

Faut-il pour autant obliger tout de suite les femmes à "faire un projet" et limiter l'accueil à quelques semaines ? Comment respecter ces personnes ? Leur permettre de reprendre pied ? De retrouver l'estime de soi ? Les années à venir devront répondre à ces questions. Pour l'instant dans les foyers de tous ordres qui accueillent les femmes battues, dont certains heureusement ont quitté la victimologie ambiante, l'accueil des femmes oscille entre une kyrielle d'attitudes différentes et souvent contradictoires. Entre l'accueil chaleureux qui prend le temps de l'écouter, de respecter ses silences et la précipitation pour qu'elle prenne un nouvel appartement, lui imposer des prises de décisions rapides quant au divorce ou aux plaintes pour coups et blessures… la palette est large. Je ne dresserai pas ici un tableau exhaustif de l'accueil des femmes violentées, mais j'aimerais toutefois attirer l'attention sur un point qui me paraît central dans l'accueil: la nature de la relation qui lie les femmes violentées et les intervenantes(7).

Une des résultantes de la victimologie est l'assistance. Ces femmes pauvres-victimes-de-ces-bourreaux sont à plaindre et à prendre en charge, semblent dire certaines structures. Un des résultats de la division sexuelle dans la famille est sans conteste la perte d'autonomie et la difficulté pour les femmes de penser leur vie. Non seulement elles ont eu, pendant de nombreuses années pour certaines, l'habitude que leur conjoint prenne les grandes décisions, mais surtout beaucoup d'entre elles se sont mariées pour la vie. L'amour est pour elles une notion atemporelle: on s'aime à la vie à la mort. La rupture est d'autant plus difficile.

La nature particulière des foyers d'accueil, la honte et la culpabilité d'être une femme battue, font qu'ils accueillent principalement les femmes les plus démunies: femmes immigrées, sans travail, mères de famille nombreuses de milieu populaire… La tentation est grande de confondre décision de rupture et décision de divorce, fuite et volonté de vivre d'autres rapports avec les hommes. Devant l'état d'indécision des femmes, certaines structures, pour les aider, ont tendance à les précipiter dans le futur. Et puisque la femme ne sait pas toujours prendre un rendez-vous, faire des démarches chez un avocat, s'occuper de ses papiers d'allocations familiales, certaines intervenantes le font à leur place. Au lieu d'apprendre à ces femmes à faire, on fait. Et l'éducatrice appelle l'agence pour l'emploi ou répond aux petites annonces, l'avocat engage la procédure… Ce qui, au départ, part d'un bon sentiment reproduit la dépendance des femmes. Non plus au mari, mais à la structure. On pourrait en grossissant à peine, et sans vouloir nier le travail qu'effectue ces professionnel- le-s, prendre l'image du frigo. La victimologie met les femmes au frigo en attendant qu'elles rencontrent un nouveau prince charmant ou qu'elles soient prises en charge par d'autres structures. La relation professionnelle/femme reproduit alors la hiérarchie de la relation mari/femme et n'aide en rien les femmes violentées à quitter la violence.

Car, qu'on le veuille ou non, la violence n'est que le symptôme du problème, et non le problème lui-même. Et le problème dans le cas de femmes violentées est justement l'état de dépendance, le rapport de domination, dans lequel notre système social relègue les épouses et les mères, en leur enlevant toute autonomie. C'est parfois la dépendance de la femme qui organise l'autorisation que se donne l'homme de la frapper. On ne frappe pas une femme libre, car on sait qu'elle ne le supportera pas.

Alors, tant que l'on mesurera le travail des foyers au nombre de femmes reçues ou au nombre de journées d'accueil; tant qu'on psychologisera à plaisir l'accueil des femmes violentées et qu'on ne leur offrira pas des moyens décents de (re)vivre, on restera dans ce flou artistique où certaines structures passent beaucoup d'énergie à essayer de survivre quand d'autres font pression sur les femmes et s'étonnent de leur indécision.

 

37 - Pourquoi revient-elle souvent chez son conjoint ?

On peut toujours répondre que l'Amour est une chose complexe. C'est vrai, mais ça ne suffit pas pour comprendre ces nombreux aller retours domicile-foyer que font certaines femmes violentées.

En général les femmes reviennent car elles n'ont jamais décidé de partir définitivement, telle est la première explication. Qu'elles se soient senties obligées d'affirmer le contraire pour obtenir une aide dans les cas d'urgence absolue: c'est bien possible mais ça ne change rien. Ou plutôt, ça devrait seulement nous interroger sur nos injonctions à ce qu'elles le fassent. On imagine aisément, je pense, la culpabilité qui peut en découler pour elles. J'ai parlé dans la question précédente d'espace de rupture. Dans cet espace, il y a une distance entre l'idée de partir et la décision définitive de partir, entre la tentative d'échapper au mari et l'obtention de moyens matériels et/ou psychologiques pour vivre de manière autonome.

Beaucoup de femmes, non sans raison, pensent que le fait de se faire héberger, de quitter réellement leur compagnon, va permettre que se produise chez lui un déclic. "Il ne m'en croyait pas capable" ou "je ne l'en croyais pas capable" reviennent souvent dans les propos. Le fait de montrer qu'elles peuvent partir représente pour certaines un pas décisif vers leur émancipation. Car, outre une réponse ponctuelle à une peur de mourir, la fuite pour violences conjugales est aussi une déclaration publique de la violence de Monsieur, une forme de dénonciation du secret qui entourait jusque là ces pratiques. L'hébergement sert ainsi quelquefois à renégocier les conditions de la vie commune. Cet homme qu'elle quitte, souvent elle l'aime ou elle l'a toujours aimé; ce qu'elle désire par dessus tout, c'est simplement qu'il cesse ses violences. Voila pourquoi nous recevons à RIME des femmes par ailleurs en rupture de domicile, hébergées en foyer ou pas, qui nous demandent quel effet leur fuite produira chez leur compagnon. Certaines expliquent qu'elles se sont senties obligées d'annoncer un divorce ou une procédure, mais que leur objectif est soit de l'aider (dans ce cas là, bien souvent, elles se nient elles mêmes), soit alors de l'obliger à changer.

D'autres femmes ont cru aux campagnes se sensibilisation. "Assez, j'en ai assez" disait l'affiche québécoise, d'ailleurs récipiendaire de plusieurs prix et mentions d'excellence."L'important c'est d'en parler" disaient l'affiche française. Elles en ont parlé. Elles ont même demandé de l'aide, elles ont quitté leur domicile, mais que trouvent-elles après ? Elles avaient pensé que leur état de femme battue donnait des droits: celui de ne plus se faire battre, d'obtenir une qualification, un travail pour les plus démunies. Elles n'ont trouvé pour certaines qu'un foyer où il faut demander l'autorisation pour des actes élémentaires de la vie quotidienne, où à tord ou a raison, elles se sentent jugées. Et d'une manière générale, même pour celles qui ont eu la chance de trouver une place dans un foyer chaleureux et respectueux des femmes, peu ont trouvé du travail et des conditions décentes de vie. Quelques mois après la fuite, quand la situation matérielle ou morale demeure largement insatisfaisante, elles préfèrent retourner auprès de leur conjoint. D'ailleurs, celui-ci promet que tout va changer, qu'il ne la frappera plus. La tentation est bien forte de le croire.

Je parlais de l'amour au début de ce paragraphe et j'ai déjà mentionné nos mythes sur l'amour. On sous estime grandement la difficulté que représente le mythe du prince charmant pour les femmes violentées. Celles-ci sont parmi les femmes qui ont le plus intégré nos valeurs traditionnelles sur les divisions sexuelles: la recherche d'un conjoint protecteur, le désir de donner l'image d'une famille unie et sans problème, la valorisation dans le regard de l'autre… Décider de quitter son conjoint équivaut, pour beaucoup de femmes, au deuil de ce mythe. Cet homme, notamment quand c'est le premier à être aimé de la sorte, était l'incarnation de leur rêve le plus cher, un mari et un père réunis dans la même personne. Pour tout un chacun, il est difficile et parfois très long de faire de tels deuils.

 

38 - Quelles sont les réactions du conjoint au départ ?

Souvent il est consterné, il ne la croyait pas capable de ce partir. La fuite de la conjointe provoque chez lui une crise profonde. Habitué à être choyé, dorloté, à avoir une épouse (ou une mère) qui s'occupe de lui, il trouve sa solitude bien lourde. Lui aussi, comme son épouse, est en général un adepte des valeurs familiales; quand elles s'effondrent ainsi, il est perdu totalement.

Il va alors tout faire pour récupérer sa conjointe et pour minimiser les accusations de violences qu'elle profère. Non seulement, on l'a dit, il va promettre de ne plus recommencer, mais il va aussi multiplier les contacts pour essayer de faire entendre raison à sa compagne. Dans certains cas, ce sont des menaces: menaces de se suicider, d'enlever les enfants, de lui faire payer. Dans d'autres cas il demande de l'aide à un centre pour hommes violents ou à un psychologue, parfois aux deux.

La compréhension de la crise vécue par cet homme permet de comprendre l'accueil des hommes violents. De son côté, son ex-compagne peut être entourée, aidée et accueillie; du sien, il est souvent seul. Beaucoup d'hommes violents pensent alors que leur vie est finie, qu'ils se sont faits avoir. Ils disent que tout ce qu'ils ont fait pour leur famille a été peine perdue puisque c'est maintenant fini. L'homme violent, en-dehors des menaces, est souvent suicidaire. Et ce, avec un risque complémentaire pour son ex-compagne, car il envisage aussi quelquefois de la suicider en même temps. Ce risque que court la femme violentée est aggravé dès qu'elle reprend une vie normale et que, par exemple, elle recommence à avoir des rencontres sexuelles ou un nouvel ami. En effet, cela devient pour l'homme, la preuve tangible de la fin de leur relation.

Esseulé, sans oser voir ses ami-e-s, non seulement parce qu'il en a peu, mais aussi, par peur de dire qu'il est un homme violent, l'homme vit une période de vulnérabilité particulière. Il ne se reconnaît pas toujours comme violent, mais il sait qu'il a un problème à résoudre avec la violence. Certains nient en bloc: c'est ma femme, elle m'appartient, elle doit revenir. D'autres insultent les travailleurs sociaux ou les travailleuses sociales qui aident sa compagne ou ils réclament leurs droits de mari et de père. Les enfants sont subitement utilisés comme éléments de revendications. D'autres, de plus en plus nombreux, consentent à reconnaître le problème. Ils demandent de l'aide. Les conditions d'accueil de ces hommes sont alors déterminantes pour la suite de leur histoire.

Devant l'état de faiblesse manifeste que montre cet homme, son désarroi, sa non ressemblance avec le mythe de l'homme violent (qu. n° 6 à 18), certain-e-s professionnel-le-s le plaignent, le rassurent sur la non-gravité de ses actes et lui disent qu'elle va revenir. Certain-e-s se font complices de cet homme quand il accuse sa femme d'avoir provoqué les violences, ils/elles acceptent d'entamer avec lui le combat pour obtenir ses enfants. Dans nos sociétés où la sympathie va davantage vers la victime que vers l'agresseur, la cause de ses enfants, le droit de garde ou le droit de visite sont souvent une manière de se faire plaindre, de devenir à son tour victime des femmes. D'autres, qu'on dit spécialistes lui conseillent (voir qu. n° 55) de proposer à sa compagne une thérapie en couple, autrement dit qu'elle revienne, qu'elle abandonne sa rupture et qu'elle accepte de parler avec lui devant une tierce personne.

Dans les centres pour hommes violents (voir qu. n° 53), les intervenants essaient de profiter de la crise que l'homme traverse pour le responsabiliser face aux violences qu'il a commises. L'homme, quand on quitte la victimologie, accepte assez facilement de parler de ce qu'il a vécu, souvent c'est la première fois de sa vie qu'il peut le faire.

Mais le sort que nos sociétés proposent aux femmes violentées étant ce qu'il est, plusieurs reviennent vite et cet homme prompt à faire des promesses est tout aussi rapide pour les oublier. Si un homme ne prend pas concrètement les moyens pour changer, il ne changera pas. Et c'est ainsi qu'à RIME, des hommes viennent une fois, cessent de venir quand leur compagne revient, puis commencent réellement une réflexion personnelle… à la prochaine rupture. Nous reprendrons plus loin la question du suivi des hommes quand ils se présentent auprès des centres pour hommes violents.

 

39 - Pourquoi restent-elles ?

Pourquoi les femmes trouvent normal de se faire battre ? demande une étudiante. Et devant ma surprise, elle dit que puisqu'elles restent, soit elles doivent "quelque part" aimer ça, soit au moins, trouver la violence normale.

Et, surprise de son assurance, réalisant en les énonçant l'incohérence de ses propos, elle se dépêche d'ajouter: "c'est compliqué, la violence".

Je prends souvent cette comparaison: on vous propose de quitter votre travail, d'aller à New York ou à Paris (suivant le côté de l'atlantique où vous habitez) ou dans n'importe quelle ville éloignée où vous ne connaissez personne. Vous gagneriez 10 fois vos ressources actuelles pour un travail passionnant, mais la seule condition est de partir tout de suite, demain matin, d'abandonner vos ami-e-s, votre famille, votre entourage et vos animaux familiers, les objets que vous aimez, votre maison… Qui ne réfléchirait pas ? Qui ne demanderait pas des délais ? Pour les femmes battues, c'est la même chose: elles devraient, à entendre certain-e-s spécialistes, tout quitter tout de suite, laisser maison, ami-e-s… et parfois pour éviter la rancune de Monsieur, leur ville, leur travail… Mais à elles, on ne leur propose pas de gagner 10 fois plus, ni un travail passionnant, mais au contraire de s'en remettre à des professionnel-le-s, qui, il faut bien le dire, affichent parfois envers cette population un dédain qui est déplacé.

Il faut du courage aux femmes violentées pour oser quitter le domicile et l'ensemble de nos efforts sont parfois d'un bien maigre secours. Mais même au delà de ces préoccupations, aider les femmes violentées et les hommes violents, c'est aussi ne pas les bousculer et respecter leurs rythmes, et dans ce cas-ci, ne pas jeter la pierre aux femmes violentées qui restent chez elles.

Si nous repensons à l'attitude d'incompréhension de l'étudiante, comme celles d'autres hommes et de femmes, elle est parfaitement intelligible. Il faut avoir quitté la caverne pour savoir qu'on sort de l'enfer. Beaucoup de femmes violentées et d'hommes violents y sont encore confiné-e-s. Ouvrons les portes, armons nous de patience, et évitons les a priori que propose le mythe.

 

40 - Quels sont les rapports entre violences domestiques et sexualité?

C'est un vaste non-dit. Par exemple au Québec, on a chiffré le nombre de femmes violentées qui ont vécu des violences sexuelles (8), mais on ne s'est pas interrogé sur ce que vivent les autres femmes dans leur sexualité. J'ai eu personnellement beaucoup de mal à comprendre, d'ailleurs, l'énoncé du mythe qui dit "elles aiment ça". Pourtant en écoutant les femmes violentées et les hommes violents, il faut accepter les évidences et bien les analyser car elles offrent une clef pour comprendre les secrets qui entourent les violences domestiques.

Certain-e-s d'entre eux vivent dans leur sexualité des rapports qu'ils/elles qualifient de violence; les hommes et les femmes décrivent des caresses fortes, des jeux sexuels où la domination se met en scène, des morsures, des griffures, voire dans certains cas, des fessées… Mais dans le même temps, ces hommes et ces femmes expliquent parfois un double désir de vivre la sexualité ainsi. Lui et elle semblent d'accord; à aucun moment, l'autre n'est forcé-e. Naturellement il s'agit ici de femmes qui, même après la séparation parlent de ce double désir, et non de celles, qui se sentent obligées d'adhérer aux désirs de leurs conjoints, ce qui leur procure parfois du plaisir.

Plus les témoignages sur ces pratiques sexuelles augmentent, plus on en découvre la variété. Entre les couples où c'est toujours la même personne qui domine, les couples où on échange les rôles, ceux qui utilisent de la pornographie (9)…, la variation est large. Si ces pratiques sont qualifiées de violences, de violences sexuelles, ou de violences dans la sexualité, l'homme et la femme en décrivent aussi les plaisirs et les jouissances réciproques, l'envie de ne pas arrêter ces quêtes érotiques. On l'aura compris, pour moi la sexualité à double désir, désir des deux, n'est pas de la violence, en tous cas, pas de la violence de domination. Il faut distinguer les pratiques sado-masochistes et les violences conjugales.

Cela ne poserait de problèmes à personne, sauf aux moralistes, si dans certains de ces couples ne se vivaient en plus des violences domestiques.

Certains hommes et certaines femmes tiennent à préciser que certaines violences domestiques sont "calmées sur l'oreiller". On ne voit plus très bien dans leurs propos ce qui précède quoi. Est-ce que les violences domestiques sont des rituels pré-sexuels? Ou la sexualité "forte", ce que je nomme souvent l'"animalité", est-elle une manière d'obtenir le pardon et les excuses de la compagne? Car les témoignages sont sans équivoque: les violences domestiques sont unilatérales puisque c'est l'homme qui frappe sa femme alors que la sexualité est bilatérale dans le sens où l'homme et la femme ont chacun, alternativement ou conjointement, l'initiative des scènes.

D'ailleurs des hommes qui ont pratiqué auparavant avec d'autres compagnes des violences sexuelles où ils imposaient de force leurs désirs, décrivent aussi très bien la différence avec cet érotisme particulier qui se vit à deux.

Le fait de vivre ces sexualités, et en même temps de les qualifier de violences, sème une confusion extrême dans les couples concernés. Comment dire à la fois les violences domestiques, les blessures, la peur qu'elles provoquent et l'extrême plaisir de la sexualité ? La honte de prendre du plaisir dans ce qui est qualifié de violences pousse d'autant plus ces couples au silence.

Sado-masochisme, perversité ? Qu'importe, je ne fais pas partie de ceux qui aiment regarder les couples sous les draps pour leur dire la norme. Mais le secret sur ces pratiques conjugales entretient de façon évidente le mythe qui dit "elles aiment ça".

Je donne souvent cet exemple d'une femme, enseignante, que j'ai rencontré. Apparemment libre de ses mouvements, propriétaire de son appartement, de sa voiture… elle partait après 10 ans de vie commune. Les violences qu'elle avait subies étaient graves. Quand nous avons abordé la sexualité qu'elle avait eue avec cet homme, elle dit qu'elle ne savait pas si c'est parce qu'elle ne prenait plus de plaisir dans la sexualité qu'elle ne supportait plus les coups. Ou alors, si les coups qu'elle avait reçus, et les douleurs conséquentes, avaient définitivement fait cesser les plaisirs sexuels. Mais, disait-elle, il y avait un rapport entre les deux. Cette situation se complique d'ailleurs pour nombre de femmes et d'hommes quand le compagnon est le premier homme avec qui elle a eu une sexualité agréable ou, à l'inverse pour l'homme quand cette femme est celle qui lui a appris à prendre le temps de faire l'amour. C'est ce qui explique des phrases comme celle-ci "Au moins avec lui, différemment d'autres, je prends du plaisir".

Gêne de parler aux femmes violentées des émotions amoureuses qu'elles ont eues ? Victimologie qui crée des femmes battues conformes à l'image qu'on veut en avoir, Montée du moralisme ? Toujours est-il que cette question, pourtant importante dans la vie des hommes, des femmes et dans la compréhension de la violence domestique, n'a été que très peu abordée jusqu'à présent.

 

41 - L'infidélité est-elle de la violence ?

Infidélité, donjuanisme, voire refus de rapports sexuels… à écouter certain-e-s, tout ce qui ne ressemble pas à une famille monogame, hétérosexuelle, sans aventures extérieures, avec fidélité jurée et crachée, devient de la violence. Soyons sérieux, la violence est autre chose. C'est par exemple, avoir des relations sexuelles extérieures au couple et interdire à sa compagne d'en faire de même. J'ai vu des maris jaloux, infidèles en secret, contrôler l'emploi du temps de leur compagne en supposant qu'elle devait avoir un amant.

Chaque couple a droit de fixer les règles de son mode de vie, l'intérêt n'est pas là, il est de savoir si les droits de l'un-e sont aussi les droits de l'autre.

 

42 - Y a t-il des couples où la violence n'existe pas ?

Une fois qu'on quitte le flou artistique des définitions populaires de la violence, on peut bien évidemment trouver de nombreux couples où elle n'existe pas, où l'homme -ou la femme- n'a pas systématiquement des attitudes de contrôle et de domination. Où il n'y pas de coups.

Il existe des hommes qui refusent de conquérir, de faire le siège, de soumettre… des femmes, bref qui refusent de jouer au guerrier dans l'intimité. Il suffit de relire quelques livres dépeignant l'histoire des individus pour se rendre compte, d'ailleurs, que cette situation n'est pas nouvelle (10). La virilité et le statut social des hommes étant pour partie lié-e-s à leurs capacités à porter la culotte, à montrer qu'ils en ont, la condition masculine semble avoir été particulièrement globalisante ou totalisante, notamment dans les cent dernières années, après la révolution industrielle. Etre homme, c'est adopter le profil normal dans l'ensemble des activités sociales: au travail, chez soi, dans la rue… Il est aussi vraisemblable que l'homosexualité ait été dans l'histoire une porte de sortie pour les hommes qui refusaient d'assumer les injonctions de rôles qui leur étaient faites.

Certaines personnes, hommes ou femmes, ne parviennent pas facilement à réaliser qu'il y a des hommes qui ne frappent pas leurs compagnes, qui sont révoltés contre les viols et les violences diverses commises contre les femmes. J'en entendu mille fois la formule: ça n'existe pas des couples où il n'y pas de violences, lancée tour à tour avec mépris, colère, résignation ou méchanceté. Les hommes et les femmes qui vivent au quotidien des rapports de domination exacerbés dans le privé, sont souvent incapables d'imaginer d'autres types de relations; ils/elles sont en panne d'imaginaire. Un peu, comme le pauvre d'un bidonville qui n'est pas capable d'imaginer la vie d'un riche. Et en même temps, l'affirmation semble insupportable. Bien évidemment, si j'arrive à prouver que partout, dans tous les couples, la violence existe, me voici rassuré: je ne suis pas seul-e et je peux même me dire qu'il doit bien exister des couples où elle est supérieure à la mienne. Je peux dormir sur mes deux oreilles. Dire qu'il n'existe pas d'autres relations possibles entre hommes et femmes, que la violence domestique est naturelle, cela ramène le seuil de tolérance au niveau des coups. Réfléchissez, de la même manière, à ce que l'on affirme aujourd'hui en France sur l'impossibilité d'éduquer un enfant sans claques, sans fessées… Les dominants essaient toujours, en invoquant la nature, de faire croire que leur système est normal, ordinaire et banal, qu'il n'y a pas à en faire l'analyse, puisque tout le monde vivrait ainsi naturellement.

Toutefois, il est bien différent de dire que tout homme ne frappe pas sa femme et de prétendre être un homme ou une femme libéré-e des rapports sociaux et des contraintes qui s'exercent dans toute la société. En Afrique du Sud, sous l'Apartheid, un blanc pouvait se battre avec les noirs contre le racisme, il n'en restait pas moins blanc. En dehors de ce contexte, lors des contrôles policiers ou dans la possibilité qui était sienne d'accéder aux édifices réservés aux dominants, de faire des études… il restait un blanc. De la même manière, je ne connais pas en France ou au Québec d'hommes et de femmes totalement libéré-e-s des contraintes et de la pollution mentale qui nous font vivre le sexisme. Télévision, pubs, rapports au travail, morale, contraintes "éducatives"… tout et partout nous rappelle sans arrêt nos conditions premières d'homme ou de femme. Un homme antisexiste doit être conscients des différences qui subsistent et des privilèges accordés aux hommes, surtout s'il veut les combattre. Regardons, en France, le nombre de femmes députées (5,7% (11)), de femmes qui travaillent (52%), des écarts de salaires à qualification au moins égale (les hommes gagnent 1/3 de plus en moyenne), le nombre de femmes dans les directions syndicales ouvrières (14%) ou patronales (2%)… et arrêtons de dire n'importe quoi sur l'égalité.

Il serait tout aussi absurde de faire de l'angélisme. Nous allons donc trouver dans tous les couples, comme dans tout groupe humain, des conflits, des débats, des désaccords… Je l'ai dit, on mélange violence et agressivité. Je ne suis pas l'autre et réciproquement; s'enrichir de nos dissemblances et se réjouir de nos ressemblances, ce n'est pas faire fi du quotidien et des problèmes que toute personne doit résoudre sans cesse, y compris par ses colères ou ses amours.

La seule différence, et elle est de taille, est que chez certains couples ce n'est pas la violence de l'un-e qui vient clore le débat par une démonstration de force. Au lieu de s'inquiéter de ce constat, on devrait plutôt s'en réjouir: oui, on peut vivre autrement et l'amour ne doit pas être à n'importe quel prix.

 

43 - Et les couples où la violence est égale ? où "on" se bat ?

"On se bat !", " c'est lui qui commence, et après j'embraie…" "chez nous, c'est réciproque"… les mots varient pour annoncer à qui veut bien l'entendre, que dans certains couples, la violence serait égale. Une intervenante auprès des femmes expliquait même qu'il y a des femmes qui sont battues alors que d'autres se battent avec leurs conjoint.

Disons-le de suite, je n'ai rencontré qu'exceptionnellement des couples où, à l'écoute de l'homme et/ou de la femme, on puisse réellement dire que les violences sont symétriques. Un autre constat qui peut surprendre: l'emploi du "on" est plus souvent féminin que masculin. Quand on demande aux femmes ce que signifie, pour elles, cette symétrisation, en quoi consiste les violences égales, la plupart décrivent leurs réactions aux violences maritales: elles ne se laissent pas faire, elles ne sont pas des femmes battues. Souvent, sous prétexte que leur compagnon est plus fort qu'elles, elles justifient que leurs violences sont moins importantes ou qu'elles n'ont pas le dernier mot. Elles signifient tout à la fois qu'elles sont différentes de la femme battue que nous présente le mythe (la pauvre victime innocente qui ne réagit pas), qu'elles se sentent partie prenante -ce qui ne veut pas dire responsables- des violences qu'elles subissent et qu'elles ripostent.

Dans la plupart des cas, lui et elle sont d'accord pour dire qu'il commence et qu'elle suit. Dans la description des violences commises par les femmes, on voit qu'il s'agit souvent de formes de résistances et de ripostes. Si certaines annoncent des claques, des coups de pied, de la vaisselle cassée… d'autres décrivent leurs ripostes en expliquant les attitudes qu'elles ont mises en place dans le couple, les aspects "pénibles" de leur personnalité, leur intransigeance… S'expriment alors bien souvent des formes de culpabilité qui semblent justifier les coups reçus. Dans quelques témoignages, on repère les effets directs de l'accusation proférée par le conjoint de la provocation de la femme. Mais pour les femmes le "on", la symétrie proclamée, permet de se réévaluer, de bien montrer qu'on reste, même subissant des violences, une personne humaine capable de réagir.

L'évocation du "on" essaie, bien imparfaitement, de traduire dans les paroles, le lot d'actions et de réactions que vit chaque couple, de contrer le simplisme de certaines analyses sur les violences domestiques. Dans les faits, ces hommes et ces femmes confondent la symétrisation des rôles dans le couple et celle des violences.

Des sociologues américains justifient autrement la symétrie. Ils comptent dans les familles les violences (physiques, psychologiques, verbales, sexuelles…) commises par les enfants entre eux, les mères et les pères sur les enfants, et celles des hommes sur les femmes. Ils arrivent ainsi, dans une logique mathématique, à dire que tout le monde est violent avec tout le monde et qu'il y a égalité entre toutes ces violences. Je n'adhère pas à ce système de pensée. Il ne permet pas d'expliquer la logique qui aboutit, en fin de compte, à ce que l'homme, dans la majorité des cas, prouve par la violence qu'il reste le chef de famille. Même lorsque chacun-e a montré par la violence son sentiment de supériorité.

Enfin, il reste les cas de violences réellement symétriques. En général, les hommes et les femmes qui en parlent décrivent des actions brèves, courtes, souvent l'échange d'une ou de deux claques, lesquelles aboutissent à ce que ni l'un, ni l'autre, n'ose continuer les violences. L'homme et la femme se montrent mutuellement l'égalité dans le rapport de force. J'ai rencontré certains couples où cet équilibre dans les scènes de ménage dure depuis de nombreuses années. Après l'échange de coups, au vu du résultat du match nul qui vient de se dérouler, on discute.

 

44 - Que penser de la violence à enfants?

L'homme bat sa femme, dit-on, et la femme, chargée de l'éducation, bat ses enfants. Parfois c'est Monsieur, mais aussi ce sont l'enseignant-e, les grands parents, les ami-e-s ou les voisin-ne-s qui s'adonnent également à ce qui semble quelquefois être un sport national. Chacun-e vante les mérites de sa méthode: le martinet (ne pas toucher avec la main), la fessée complète (une fessée fait circuler le sang) ou partielle: les petites claques sur les fesses (pour ne pas toucher le visage), une bonne claque franche et claire immédiatement (ne pas attendre, l'enfant ne comprendrait pas). Chaque propos est de légitimer ce qui n'est pas défini comme de la violence, mais comme une aide, une manière de ponctuer l'éducation.

Quant à ceux et celles - et ils/elles sont de plus en plus nombreux et nombreuses - qui refusent d'utiliser de tels archaïsmes, on les menace plus ou moins ouvertement d'avoir des enfants qui ne comprendront pas les limites sociales et qui seront mal éduqué-e-s, voire perturbé-e-s.

Il est d'ailleurs rassurant de voir dans les générations successives d'étudiant-e-s, des enfants qui ne se souviennent ni de coups, ni de claques, ni de fessées. En 1991/92, dans mes cours de 1ère année de Sociologie, ils/elles étaient entre 5 et 10 %. Ce ne sont pas les plus perturbé-e-s, ni les plus mauvais-es.

Notre mise en catégorie évite soigneusement d'expliquer que les femmes, par ailleurs battues, peuvent être souvent violentes avec leurs enfants ou avec ceux des autres. Il faut que la victime ressemble bien à une victime, que rien ne puisse assombrir le tableau qu'elle présente.

Quand on essaie d'analyser les propos des enfants et ceux de leurs parents, on se rend compte que les victimes de violences, comme les femmes violentées, peuvent assez facilement décrire les difficultés qu'elles éprouvent à identifier les violences. Celles-ci sont présentées comme légitimes et parfois l'enfant se culpabilise d'avoir été battu. Il/elle se considère comme responsable et reprend souvent à son compte la pseudo perte de contrôle qu'aurait subie son père ou sa mère. Mais surtout il/elle n'identifie que quelques coups, ceux où il a eu mal ou ceux où on a voulu lui faire mal, ceux qui étaient injustes. Par exemple cette fille que le père obligeait à tenir un fil électrique dénudé ou ce garçon obligé de manger du savon, il et elle ne définissaient pas ces pratiques comme violentes. Les "coups" sont racontés et associés à la douleur subie ou à la terreur vécue, leur souvenir s'intègre à cette mémoire corporelle de la violence dont nous avons déjà parlé.

Pour les parents, on connaît tous le déni collectif qui fait que l'enfant martyr est forcément l'enfant du voisin mais jamais le sien. D'ailleurs,en France, notre code pénal définit l'enfant martyrisé comme "tout enfant ayant reçu une correction au delà de la correction paternelle (sic) légitime". Par contre, dans le registre de la punition, les parents connaissent un éventail assez large de mesures. Il y a les coups, mais aussi les interdictions de sortir, les restrictions alimentaires, les cris, les regards en coin. Eux qui veulent sans cesse contrôler leurs enfants, montrer qu'ils sont ceux qui ont le pouvoir, ils peuvent facilement énumérer toute une série de violences possibles. Ils l'associent à une intention, à un projet éducatif, à l'acquisition de normes et de limites.

Entre l'ensemble des violences décrites par les parents et les quelques coups définis par les enfants, nous retrouvons la double définition de la violence où le/la dominant-e connaît et reconnaît plus de violences que les personnes dominées (qu. n°20 Les parents, à l'instar des hommes violents, accusent les enfants d'être responsables de leur violence: c'est bien connu, disent-ils, que les enfants "provoquent" jusqu'à obtenir la punition "recherchée". Dans la violence contre les femmes comme envers les enfants, le marquage corporel va être central pour imposer ses idées, son point de vue ou contrôler l'autre.

En réalité, que l'on soit homme, femme, parent, la violence est l'outil pour montrer que l'on se considère comme le plus fort et donc qu'on a raison. Quand un système social prend la violence comme mode de régulation, celui-ci a tendance à s'imposer à l'ensemble de ses éléments. Dans le système familial, dans la famille, on constate que, lorsque l'homme est violent, bien souvent lui et sa compagne utilisent la violence contre leurs enfants. Pour ma part, je parle de violence masculine domestique, que les coups soient portés par l'homme, le père ou la mère. En effet, les coups, la violence physique sont, dans nos cultures, de symbolique masculine. Le pouvoir de la force est masculin. On apprend d'ailleurs plus aux femmes, qualifiées de faibles, de moins fortes que leurs homologues masculins, à utiliser l'esquive, la ruse ou la manipulation sentimentale. De plus, la violence du conjoint démontre qui en dernière analyse, doit dominer la maison. En conséquence, la mère éduque souvent les enfants supervisée sous le contrôle du père. C'est ce qu'on appelle l'autorité paternelle.

Le fait que la violence s'impose dans un système dès son apparition n'est pas sans difficulté dans les thérapies contre la violence. Souvent l'homme arrête la violence physique contre son épouse, mais celle-ci et lui-même continuent toutefois les violences contre les enfants. Une fois les crises passées, les risques sont grands que le système familial reprenne la violence comme mode de régulation central. Un système ne semble pas admettre deux modes de régulation, l'un pour les adultes, l'autre pour les enfants. D'autant plus qu'il y a une différence certaine entre l'arrêt des violences physiques et l'arrêt ou la transformation des comportements contrôlants et violents.

Ce n'est pas rendre service aux hommes et aux femmes concernées que d'omettre de parler des violences faites aux enfants ou de vouloir à tous prix les exclure des violences domestiques.

 

45 - Y-a t-il un stade à partir duquel on peut déclarer qu'un enfant est battu ou qu'un enfant est martyrisé?

Transposons la question: y-a t-il un stade à partir duquel on peut déclarer qu'une femme est battue ou qu'une femme est violentée ? Ce n'est pas qu'une pirouette : qui doit décider du seuil minimum des violences acceptables ? Pour l'instant, nous avons 3 instances en cause: l'Etat par les lois qu'il établit, les victimes, et les personnes violentes qui peuvent choisir la gradation des coups. Faut-il identifier un seuil de "violence acceptable" différent suivant que l'on soit la personne violente ou la personne violentée ? J'avoue mon scepticisme. N'oublions pas que selon des hauts fonctionnaires, il y aurait chaque année en France 50 000 enfants martyrs (12). Certains pays nordiques, qui ont mis en place des lois moins permissives pour les parents et qui ont tenté d'instituer "les droits de l'enfant" ne semblent pas s'en porter plus mal.

Toutefois, la culpabilité des mères, pas plus que celle des hommes violents, ne sert à rien: la culpabilité provoque le secret, mais ne permet pas le changement. Seules la sensibilisation et la responsabilisation des femmes, des hommes et des enfants sur les effets et les méfaits des violences domestiques effectuées, nous ferons sortir du moyen âge quant à nos pratiques éducatives et parentales.

 

46 - Et les parents battus par les enfants ? les grands parents battus?

A notre époque où s'entre-ouvre la porte du privé, les révélations se font plus nombreuses: après les viols et les abus sexuels subis par des femmes, sont apparus les hommes violés, quelquefois par inceste (13), après les femmes battues, les hommes battus (voir questions suivantes) et maintenant après les enfants battus ou abusés, arrivent les parents battus, les grands parents battus. Le Québec paraît toujours gardé quelques longueurs d'avance dans cette sphère de l'aveu face à la violence.

A RIME, nous avons reçu beaucoup d'appels de femmes qui ont été maltraitées par leur enfant. Souvent elles vivent seules avec lui depuis longtemps et il assume un rôle marital évident. D'autres appels attirent notre attention sur des grands-parents qui disent à mots couverts leur état de dépendance et de victime.

Les recherches devront se poursuivre pour nous en révéler davantage. Pour ma part, j'ai trop peu interrogé ces personnes pour en dire plus. Vraisemblablement, la découverte de catégories particulières de personnes maltraitées devrait nous permettre d'affiner nos analyses sur les effets en cascade de l'utilisation des violences domestiques, autrefois bien gardées dans le secret du privé.

 

47 - Existe-t-il des hommes battus et des femmes violentes ?

Les hommes violentés existent. D'après les différents spécialistes, ils représenteraient environ 1% des personnes battues. Mais là, plus qu'ailleurs, il faut être prudent. A priori n'est pas homme battu ou femme violente qui veut et j'ai appris au cours de ces longues années d'enquête à me méfier des effets d'annonce.

Dans nos études lyonnaises, tout a commencé par cet Irlandais, homme de 54 ans, qui est venu nous rencontrer au début du fonctionnement du centre pour hommes violents de Lyon. Il parlait des violences qu'il avait subies pendant 10 ans. Ce jour là, nous écoutions médusés cet homme extrêmement doux, sans vraiment comprendre ce qu'il nous disait. Il était de passage à Lyon, on ne l'a jamais revu. Puis mes recherches m'ont révélés les témoignages de femmes qui se déclaraient violentes et ceux d'hommes qui pestaient contre la violence des femmes.

A l'écoute de ces hommes qui veulent qu'on parle de la violence des femmes, dont certains -pas tous- commencent à revendiquer d'être des hommes battus, j'ai la plupart du temps entrevu des hommes très dominateurs, machistes, mais en même temps des hommes aigris et tristes. Ils ont vécu ou vivent des situations conjugales où le dialogue est rompu, des couples où l'amour a perdu ses habits de fête. A ce qu'ils estiment être des violences de leurs compagnes, ils répondent par la cogne. Ces hommes, disons-le tout de suite, sont en général des hommes violents. Qu'ils soient dans un couple qui arrive en bout de route, où la compagne résiste et utilise les armes à sa disposition (ne pas lui rendre service, faire la gueule…), ou qu'ils se trouvent devant une femme qui ne veut pas se laisser faire, leur réaction est identique: la violence de celui qui s'estime être le plus fort. Et ici, en l'occurrence, le plus fort c'est eux. Certains m'ont proposé de faire des groupes d'hommes battus par les mots, d'autres voulaient que j'écrive sur la violence du silence.

A partir d'une interaction conjugale où s'exacerbe le conflit entre un homme violent et une femme qui résiste, plusieurs d'entre-eux généralisent la violence des femmes. Prenant le rapport aux enfants comme exemple (souvent la mère les exclue du contact avec eux), ils se présentent en victimes.

Je ne remets pas en cause leurs tristesses ni leurs détresses qui quelquefois, sont profondes et sincères. Je ne conteste pas leur opposition au sexisme de certaines pratiques qui visent à privilégier le rôle de la mère sur celui du père. Je pense simplement que c'est un piètre service à leur rendre que d'accepter, sans discuter, de les considérer comme des hommes battus ou d'hurler avec eux contre la violence des femmes. Que se passera t-il, pour eux, avec une nouvelle compagne, s'ils ne prennent pas le temps de réfléchir et de changer, s'ils trouvent un auditoire qui accepte d'être complices du déni de leurs violences ? Ils recommenceront avec une autre femme ou plus exactement avec une autre mère qui les prendra en charge, qui acceptera leur irresponsabilité et qui devra subir, elle aussi, leurs violences. Certains organismes pour pères divorcés s'engagent d'ailleurs dans cette voie: ils annoncent à qui veut l'entendre qu'il y a autant de femmes violentes que d'hommes battus.

Au départ de mes recherches, quand il a fallu rencontrer des hommes violents, j'ai vite compris qu'en interrogeant les hommes qui se plaignent publiquement de la violence des femmes, je trouvais de vrais hommes violents qui avaient l'impression de répondre aux provocations de leurs compagnes.

Parmi les femmes qui revendiquent d'être ou d'avoir été des femmes violentes, deux types de figures apparaissent.

1/ Certaines disent: mon conjoint et moi, on se bat, je suis donc aussi une femme violente. On se trouve dans le cas pré-cité de violences dites égales. Excepté des cas rares de réelles violences symétriques, quand "ces femmes violentes" sont invitées à décrire les violences qu'elles ont fait subir, beaucoup expliquent comment, à la violence exercée de manière première par leur compagnon, elles ont réagi par la violence pour ne pas être en reste avec lui. Mais les formes qu'elles décrivent sont surprenantes: certaines se tapent la tête contre les murs par dépit ou cassent des objets en réponse aux coups. D'autres disent qu'elles auraient aimé le cogner, lui faire mal, elles dépeignent les violences qu'elles auraient aimé lui faire. Mais, disent-elles, il est plus fort alors j'ai pas osé. Quelques-unes se réfugient aussi dans une guerre d'usure. Elles se vivent comme femmes violentes parce qu'elles aimeraient le voir souffrir autant qu'elles. L'appellation "femme violente" les rassure. Quant on les écoute raconter leur vie, celles-là sont sans aucun doute d'abord des femmes violentées, mais elles veulent se distinguer du mythe sur la femme battue. Elles ne restent pas sans réaction, elles demeurent, envers et contre tout, des femmes qui résistent et qui ne se laissent pas faire.

2/ Quelques femmes, à l'opposé des premières, expliquent les différentes violences qu'elles ont exercées sur leur compagnon pour le faire réagir, pour montrer qui elles sont… Parfois, en rigolant, elles décrivent les scènes de violences exercées contre leur conjoint. Leurs violences sont multiples: cris, brimades, insultes, le pousser dans l'escalier, coups, utilisation d'armes (ciseaux, couteaux…). Elles ne répondent pas à une violence première de monsieur, mais elles en prennent l'initiative. Leur conjoint est souvent, d'après elles, un homme faible qui a besoin d'être remué ou qui provoque, consciemment ou pas, leur violence. Elles n'en sont pas vraiment honteuses. Certes, elles n'étalent pas publiquement leurs violences, mais elles considèrent qu'en définitive et tant qu'il se laissera faire, soit il le cherche, soit c'est pour son bien. Elles vont chercher dans l'enfance du conjoint ou dans leurs rapports à leurs propres parents, les raisons qui expliquent cette situation.

D'autres, devant les conséquences de leurs actes (blessures, fractures, bleus, perte de confiance de leurs compagnons…) manifestent de réels regrets. Elles invoquent la perte de contrôle, la colère, le stress de la vie quotidienne, le logement trop petit… pour nier leur responsabilité. D'ailleurs, comme les hommes violents, après les coups, elles s'excusent, promettent de ne plus recommencer, font alors des compromis, jusqu'à la scène suivante.

Les femmes accueillies à RIME, qui ont suivi plusieurs mois des entretiens hebdomadaires, sont elles aussi venues, parce que leur conjoint voulait partir et divorcer. A priori, dans leurs discours, au début des entretiens, le problème leur semblait extérieur. Elles n'étaient pas, disaient-elles, vraiment responsables des violences qu'elles faisaient subir à leurs compagnon.

 

48 - Qui sont les hommes battus?

Les hommes battus que j'ai rencontrés ne sont pas ceux qui s'autoproclamaient ainsi, mais ils sont les compagnons des femmes violentes.

Beaucoup, au début des entrevues, refusent ce qualificatif. Ils peuvent décrire des scènes où leur compagne les a insultés, où ils ont été "poussés", mais disent-ils, elle ne l'a pas fait exprès ou elle n'a pas voulu me faire mal.

La plupart des hommes battus rencontrés ne savent pas qu'ils sont des hommes battus.

C'est, on me le concédera, une difficulté majeure pour pouvoir en tirer des lois générales. Je ne peux donc parler ici que des hommes battus que j'ai interrogés à la suite des déclarations de leurs compagnes, ou des témoignages de partenaires des femmes violentes reçues à RIME. Somme toute, je l'ai dit, les différents spécialistes s'accordent à dire qu'il y aurait 1% des personnes violentées qui seraient des hommes. Je reprends à mon compte cette hypothèse, sachant bien qu'elle reste une évaluation qui doit être soumise, comme pour le nombre de femmes battues, à des réévaluations ultérieures.

Outre les difficultés pour obtenir des témoignages, ce qui est marquant pour le chercheur, c'est la symétrie du discours qui existe entre les femmes battues et les hommes battus, entre les femmes violentes et les hommes violents. Ainsi, autant les hommes violents que les femmes violentes explicitent une suite (un continuum) de violences multiples (physiques, verbales, psychologiques, sexuelles) liées à une intention: dire, montrer, obtenir…; autant les femmes violentées que les hommes violentés ne reconnaissent comme violences que certains coups où ils peuvent identifier le désir de faire mal. Les hommes violentés, comme leurs homologues féminines, parlent de perte de contrôle de leur conjointe, de colère. Ils sont persuadés qu'elle va changer, parce qu'elle l'aime. A l'invitation de ses parents, nous avons eu un contact avec un homme qui quittait pour la deuxième fois l'hôpital à la suite à de fractures provoquées par sa conjointe. Quant, naïvement, nous lui proposions de quitter cette femme tyrannique, il refusa en nous faisant valoir que forcément elle allait changer puisqu'elle l'aimait. D'autres font valoir le caractère exceptionnel des violences pour montrer leur non-gravité.

Lorsque l'on s'intéresse au mode de vie des hommes violentés et des femmes violentes, on comprend un peu mieux le phénomène: les femmes violentes sont, on aurait pu s'en douter, dominantes dans le couple. La plupart travaillent, d'autres sont étudiantes. Mais, même si leur salaire est en général inférieur à celui de leur compagnon, ce sont elles, les femmes, qui décident en définitive à quoi sert l'argent. Les hommes violentés se plaignent, pour certains, que leur compagne n'aide que très peu dans les tâches domestiques; en tous cas, qu'elles n'en ont pas la préoccupation. De même, dans une conversation, les femmes violentes coupent souvent la parole à leurs conjoints; par le ton de la voix, son débit, elles imposent leurs points de vue, quitte, devant des ami-e-s, à se moquer de leur compagnon ou à le ridiculiser.

Mais, dans l'inversion que représente les hommes battus, -justement parce qu'ils sont hommes-, tout n'est pas ressemblance avec les femmes battues. Il est certainement plus honteux d'oser se proclamer homme battu, de montrer qu'on n'a pas su contrôler son foyer et qu'on se fait dominer par une femme. A l'inverse, tant que les conséquences n'en sont pas dramatiques, il peut être de bon ton d'affirmer avoir corrigé son compagnon, de montrer ainsi qu'on est vraiment une femme libre et non dominée. Les autres différences, un peu comme les hommes violés, sont qu'une fois quitté le domicile conjugal, l'homme violenté retrouve l'ensemble des ses droits d'homme, et les privilèges qui lui sont attribués, alors que sa compagne reste, même violente, une femme. D'ailleurs certaines femmes violentes racontent le harcèlement sexuel, les discriminations qu'elles vivent au travail… Une autre différence importante apparaît dans la capacité de fuir, une fois que l'amour a perdu ses vertus mystificatrices ou quand les coups deviennent trop insupportables. Je n'ai jamais vu d'hommes battus, hommes au foyer, sans formation ou diplôme. Quand l'homme veut quitter la situation de domination, il est largement plus favorisé que les femmes violentées.

• Quels sont les hommes qui sont battus ? et quelles sont les femmes violentes?

On aimerait pouvoir tout expliquer, savoir qui sont, de manière exhaustive, les femmes violentes ou les hommes battus. Or, et j'en ai expliqué la raison, on en connaît encore trop peu pour dresser une quelconque typologie. Parmi les hommes battus et les femmes violentes que j'ai rencontré-e-s, nous trouvons un large éventail d'appartenances sociales: ouvriers ou ouvrières, travailleurs sociaux et travailleuses sociales, enseignant-e-s, médecins…

Plusieurs éléments semblent communs: d'abord, je l'ai dit, ce ne sont pas ces hommes dominateurs qui invitent à la cantonade à mener la lutte contre la violence des femmes, au contraire se sont souvent des hommes doux, tranquilles et peu dominateurs. Parmi eux, certains ont été culpabilisés par le féminisme et se sont bien promis de ne pas reproduire les abus qu'ils ont vus dans les générations précédentes. D'aucuns ont refusé l'armée pour des motifs idéologiques, d'autres sont adeptes des thérapies douces… A la différence des femmes battues, un style commun se dégage des hommes battus que j'ai rencontré: une douceur, une voix calme, quelque chose qui demeure encore indéfinissable qui les distingue des autres hommes.

Quant aux femmes violentes, ce ne sont pas celles qu'on accuse en général de porter la culotte, ni même les mégères. A tord, on a tendance à vouloir plaquer sur les femmes violentes, les éléments du mythe qui circulent sur les hommes violents. Parmi les femmes violentes que j'ai rencontrées, plusieurs avaient été militantes, avaient appris à se défendre et à attaquer, d'autres étaient aigries par des expériences précédentes avec des hommes. Ou, avisées de certaines pratiques masculines, elles préféraient devancer la domination de l'homme. Qu'on ne s'y méprenne pas, si j'ai vu des ex-féministes chez les femmes violentes, j'en ai aussi rencontrées d'autres qui au contraire, dénoncent la bêtise des femmes qui se laissaient faire: "des connes" me disait l'une d'elles. Certaines avaient été élevées par leurs parents comme des hommes, quand pour d'autres on se savait pas très bien l'origine de cette violence. Certaines femmes sont fortes et grandes, d'autres petites ou menues. Là encore, ce n'est pas la taille, la couleur de peau ou l'âge qui détermine l'appartenance à la catégorie. Seule l'étude du rapport social (de la relation) permet de voir qui domine dans un couple notamment par la violence.

Quand je dis que l'âge n'a pas de rapport avec les femmes violentes, il me faut faire une réserve. J'ai rencontré des femmes qui avaient été dominées pendant une grande part de leur vie et qui, à la retraite du mari ou lors d'une longue maladie, devenaient violentes à leur tour. Effets de la ménopause, de l'andropause symbolique que représente la retraite ou l'arrêt d'activités de monsieur ? Peut-on expliquer par là aussi le phénomène des parents ou des grands parents battus ? Les chercheurs devront nous le dire au cours des prochaines années.

Toujours est-il que les hommes battus et les femmes violentes maintiennent, aujourd'hui encore, leurs secrets bien gardés. Il y a, sans aucun doute, des enjeux politiques à savoir qui sont les hommes battus et les femmes violentes et surtout à en connaître le nombre et l'importance relative. On assistera peut-être en France à ces abus de recherches que nous avons connus aux USA. Pour la petite histoire, STEINMETZ, une sociologue américaine, dans une enquête dite de victimisation (14) interroge 57 (cinquante sept) couples avec deux enfants, elle obtient 4 hommes autoproclamés victimes de violences. Par une règle de trois, rapportés à 100 000 couples et multipliés par 47 millions de familles américaines, elle aboutit à 250 000 hommes battus. Un ensemble de publications scientifiques font état de ses travaux. La grande presse non spécialisée s'empare alors de ces chiffres et certains journaux titrent "Le mari plus battu que l'épouse", alors que d'autres vont jusqu'à annoncer 12 millions de maris battus aux USA (15).

49- Y a t-il aussi des violences dans les couples homosexuels?

Personne ne semble exclu de cet univers particulier qui rassemble personnes violentes et violentées. Et bien que cela ne semble pas sans problème au vu de l'homophobie ambiante (16), les centres pour hommes violents du Québec et Rime, pour ne citer que ce centre français, ont déjà eu des contacts avec des homosexuels violents. Dans mes recherches, j'ai aussi vu des homosexuelles qui utilisaient la violence de domination dans leurs couples.

Il est impossible cependant d'en dire la fréquence, vu le nombre réduit de témoignages. Contrairement aux idées préconçues, tous les couples homosexuels ne fonctionnent pas sur une division qui reproduit la division homme/femme des couples hétérosexuels. On ne peut donc pas de manière simpliste y plaquer les analyses de la domination homme/femme. D'autant plus qu'en dehors des rôles joués ou affichés, un homme ou une femme, même homosexuel-le, sont d'abord construit-e-s et éduqué-e-s en homme et en femme, c'est-à-dire dans le respect des différences de genre.

 

 Notes de bas de page:

 

1 Pour ceux et celles que la sociologie de la famille intéressent, on peut lire l'excellent ouvrage de François de SINGLY, Fortune et infortune de la femme mariée. Le sociologue compare le capital conjugal à la création d'un livret de caisse d'épargne pour en décrypter les apports masculins et féminins.

 

2 La sociologue Monique HAICAULT parle de "charge mentale".

 

3 Merci à Bruno UGHETTO de me l'avoir fait connaître.

 

4 Entre parenthèses: à priori on ne connaît pas de société matriarcale et on n'a pas de preuves que le matriarcat ait existé. Les anthropologues ou les philosophes ont simplement confondu dans leurs analyses matriarcat, matrilinéarité (descendance par la mère) et matrilocalité (résidence de la nouvelle famille dans le village de la mère).

 

5 Big brother (Le grand frère) t'observe.

 

6 Dans un très beau livre: Des hommes et de l'intimité, publié en 1987 par les éditions Saint Martin de Montréal.

 

7 On laissera ce terme au féminin, l'accueil étant dans la plupart des cas réalisé par des femmes.

 

8 D'après une étude menée auprès de 38 centres pour femmes violentées en 1987, 83,6 % des femmes qui ont répondu ont été violentées sexuellement par leur conjoint; 66,3 % des femmes déclarent que les rapports sexuels avec leurs conjoint n'étaient "jamais" ou"seulement parfois" des "moments de tendresses" ou "satisfaisants"; 61 % des femmes attestent d'une sexualité faite de moments douloureux et humiliants. De plus 75,4 % des répondantes ont signalé que les rapports sexuels avec leur conjoint qui les agressait constituaient "une façon d'avoir la paix"

In Regroupement Provincial des Maisons d'hébergement et de Transitions pour Femmes Violentées, La sexualité blessée, résumé, Juin 1987.

 

9 Ce qui ne veut pas dire que je considère que la pornographie, triste mise en scène de la sexualité masculine et en même temps triste étalage des violences que subissent des objets-femmes, est sans rapport avec la violence des hommes. Elle contribue de plein droit à limiter leur sexualité à un axe tête-sexe où le corps n'existe pas et où le plaisir est dans la domination.

 

10 Pour les sceptiques, je conseille la lecture de l'excellent livre d'Emma GOLDMAN "Epopée d'une anarchiste", écrit en 1937 et paru en livre de poche aux éditions Complexes (1979). Elle décrit, dans le détail, les relations qu'elle entretenait avec son conjoint. On y retrouve nombre de thèmes de débats actuels: la jalousie, la liberté de la femme et de l'homme, l'amour…

 

11 Femmes en chiffres, CNIDF- Insee, Paris, 1986

 

12 d'après Jean Pierre DESCHAMPS - Conseiller technique au Secrétariat de la Famille - Le Nouvel Observateur- 23-29 Mars I989.

 

13 Au Québec, un comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes faisait valoir en I984 qu'a côté du nombre extrêmement limité de plaintes pour viols d'hommes, un sondage au Canada réalisé par l'institut GALLUP auprès d'un échantillonnage représentatif de la population adulte, signale qu'une femme sur 2, et un homme sur 3 reconnaissent avoir été victimes d'actes sexuels non désirés. (42,1 % des personnes au Canada et 40,2 au Québec). La plupart des personnes ont été agressées pendant leur enfance ou leur adolescence. Ce qui signifie, explique le rapport, qu'au Canada deux filles sur cinq (40%) et un garçon sur quatre ont été soumis à des actes sexuels non désirés. Parmi les agresseurs, un sur quatre est un membre de la famille ou une personne de confiance à l'égard de l'abusé-e. Le sondage définissait quatre types d' "actes sexuels non désirés": exhibitionnisme, menace d'agression sexuelle, attouchements aux parties sexuelles du corps et agressions ou tentatives d'agression sexuelle [BADGEY Robin. et al., Infractions sexuelles à l'égard des enfants, Rapport du Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes, Approvisionnement et Services, Ottawa, 1984, vol. I et II ]

On peut toujours expliquer qu'il ne s'agit pas de viol, que les conséquences de ces différentes formes d'agressions ne sont pas identiques, la question est de savoir qui détermine si une agression est grave ou pas pour la victime. L'ensemble des hommes violeurs que j'ai pu rencontrer expliquent en coeur que pour eux le viol qu'ils ont commis, et qu'ils refusent en général de qualifier de viol, n'est pas vraiment grave. Dans un phénomène de domination, qui détermine la gravité pour la personne dominée de l'agression commise? Les dominants, les violeurs, peuvent-ils être à la fois juge et partie?

En France, une étude effectuée dans la région Rhône-Alpes en 1986, réalisée par l'institut de sondage B.V.A, auprès d'un échantillon représentatif de la population française de 18 à 60 ans indique que 6,2 % des personnes interrogées déclarent avoir été victimes d'abus sexuels avant l'âge de 18 ans (deux femmes pour un homme); 50 % des abus ont été effectués sur des personnes non-pubères; dans 2/3 des cas, l'agresseur était un familier de l'enfant [Ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection Sociale, Secrétariat d'Etat à la Famille, Dossier les abus sexuels à l'égard des enfants, réalisé pour la deuxième journée nationale du 19 septembre 1989].

 

14 On demande aux personnes si elles ont été ou non victimes.

 

15 Plusieurs auteures consacreront des articles scientifiques à cette mystification: MILDRED DALEY PAGELOW, The "Battered Husband Syndrome": social problem or much ado about it" in MARITAL VIOLENCE,London, Johnson Norman, ed. 1985, pp. 172-195 ou E. PLECK, JH. PLECK, M. GROSSMAN, P.P. BART, "the Battered Date Syndrome: a comment on Steinmetz 's article, Victimology, Vol. 2, n° 2/3, 1978, pp. 680-683.

 

16 Les clients des centres pour hommes violents supportent en général assez mal la cohabitation avec des hommes revendiquant leur homosexualité.

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Arrête!  Tu me fais mal! : La violence domestique, 60 questions, 59 réponses

Daniel WELZER-LANG en collaboration avec Jules Henri Gourgues
vlb éditeur - 1992