Arrête!  Tu me fais mal!
Préface, Introduction et Première Partie 

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Arrête!  Tu me fais mal! : La violence domestique, 60 questions, 59 réponses

 

TROISIEME  PARTIE

La violence, comment ça marche?

A l'opposé des clichés qui nous font penser tour à tour que la violence ne s'explique pas, qu'elle surgit à n'importe quel moment, ou alors que la vraie violence s'exerce tous les jours, qu'elle n'est importante que si elle est plus qu'irrégulière, il est possible d'expliquer comment apparaît la violence (qu. n° 21 ). Pour cela, il est nécessaire auparavant d'expliquer la place particulière qu'occupe la violence physique (qu. n° 19) et la manière dont les personnes violentes et celles violentées définissent différemment la violence (qu. n° 20)

19 -Toutes les violences décrites sont-elles équivalentes ?

Oui et non, je m'explique:

- oui, dans la mesure où toute violence, quelle que soit sa forme tend à montrer, ou à rappeler qui a le pouvoir. Il y a des réflexions ou des actes - et ici je pense aux insultes que décrivent les hommes violents ou à certaines scènes où ils brisent des objets ou maltraitent des animaux - qui ont des conséquences très importantes pour leurs proches. Par exemple, traiter régulièrement sa femme de "grosse", de "salope", de "connasse", de "débile" (1) aboutit à une dévalorisation de cette dernière et diminue ses capacités de résistance. Dans d'autres cas, le fait de casser une porte ou une table devant ses proches provoque chez eux la peur que cette violence ne s'exerce contre eux. Vu sous cet angle, toute violence est grave.

- et non, dans la mesure où la violence physique a une place particulière. Et ceci pour deux raisons principales:

- la violence physique, les coups, viennent dans la maison rappeler les violences légitimes qu'exerce l'Etat dans d'autres domaines. La police, l'armée exercent une violence physique légitime. Weber, un grand sociologue, expliquait que "L'Etat consiste en un rapport de domination de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence légitime" (2). Les organismes chargés d'exercer cette violence sont des groupes masculins (police, armée, justice…). 

La violence légitime, celle que l'on considère comme normale, est une violence à symbolique masculine. Les coups, inconsciemment, viennent dans la maison rappeler cette chaîne de pouvoirs. L'homme violent n'est plus un homme isolé, mais devient alors, en quelque sorte, représentant dans cette maison particulière du pouvoir général.

L'autre raison qui fait que la violence physique a une place particulière tient à nos perceptions collectives. La violence physique touche le corps, elle provoque l'irruption d'humeurs corporelles: le sang, les pleurs… Dans notre symbolique occidentale, quand le corps est touché, lorsque le sang coule… nous avons tendance à penser que c'est grave. Enfin, n'oublions pas les conséquences possibles de cette violence physique dont la mort qui heureusement est relativement rare.

20 - Comment les hommes violents ou les femmes battues définissent la violence ?

Les personnes violentes et les personnes violentées définissent différemment la violence. C'est une des conclusions les plus surprenantes de mes recherches.

On pourrait supposer, en tout cas ce fut une de mes hypothèses de travail, que les femmes violentées -ou les hommes violentés- repèrent facilement les violences qu'on leur fait subir, qu'elles (ils) associent à la violence la peur du cri, du geste qui menace, du regard qui paralyse…   Or, non seulement il n'en est rien, mais c'est exactement le contraire qui se passe.

Quand un homme violent accepte de parler, qu'il commence à décrire les violences qu'il exerce, il définit aisément plus de violences que sa compagne n'en a repéré. Je me souviens toujours de ce témoignage où un homme m'explique avoir écrasé un oeuf sur la tête de sa compagne. Il qualifie ce geste "d'acte mille fois plus violent qu'une claque" ; son amie interrogée par la suite parle "d'humiliation, de saloperie…" mais refuse de considérer cet acte comme de la violence. Les témoignages se sont déroulés en 1987, quand je commençais mes recherches. Depuis, ce genre de situation s'est reproduite très fréquemment. Dernièrement encore, une femme qualifiait le fait d'avoir été poussé brutalement contre le mur "d'acte insensé, qui n'était pas encore de la violence", quand son compagnon parlait lui de "début réel des coups".

Encore faut-il pour entendre de tels propos que les hommes aient quitté le déni. Dès ils ont quitté le déni, déni de leurs responsabilités ou déni de la violence, les hommes décrivent:

- des violences physiques: les coups, les gestes brusques, les objets que l'on jette sur l'autre…

- des violences psychologiques: les insultes, les menaces, la pression permanente…

- des violences verbales: les cris, les silences, le ton autoritaire…

- pour certains des violences sexuelles: imposer un rapport sexuel contre la volonté de sa compagne, la forcer ou la violer …

Toutes les violences énoncées sont alors associées à une intention, une volonté de dire quelque chose, de lui montrer que, d'obtenir que… La violence n'est jamais gratuite. L'acte de violence physique (le coup) est souvent différé. Par exemple, si René P. est mécontent d'une réflexion que sa compagne a faite devant des ami-e-s, bien souvent, sa réaction ne s'exprimera que quelques jours plus tard, voire quelques semaines ou quelques mois. Il ne s'agit nullement d'une volonté diabolique de "brouiller les cartes", d'empêcher sa compagne de comprendre le sens de la violence. René P. va garder en lui son insatisfaction, sa colère. Il attend le moment propice pour l'exprimer. Souvent elle éclate sur un rien, un détail qui ajouté aux autres, fait "déborder le vase" comme disent certains. Si quelques hommes expliquent les raisons de leur colère -et de leur violence-, d'autres, bien souvent gardent le silence sur les raisons apparentes de leurs actes. Le contrôle qu'exerce les hommes violents n'est pas en, général, un phénomène conscient, pervers… Le contrôle est global. Les effets de la violence, quelles qu'en soient les formes, doivent être permanents. Il faut, à leurs yeux, que la menace soit suffisante pour que la compagne "fasse attention" tout le temps.

Les coups ne sont employés que lorsque les autres moyens s'avèrent inefficaces, quand le cri, le regard en coin, les remontrances… s'avèrent inopérant-e-s pour obtenir la soumission escomptée. On pourrait utiliser cette image: les hommes violents ont à leur disposition un panier dans lequel sont disponibles diverses violences. Selon la situation particulière, selon la personnalité de cet homme violent et de cette femme, selon aussi le seuil d'acceptabilité de la violence (qu. n° 23), l'homme va choisir telle forme de violence ou telle autre parmi celles dont il dispose. Quand la forme choisie "ne marche pas" pour obtenir la reddition de ses proches, il en choisit une autre, un peu plus forte.

Quant aux compagnes, au vu des images véhiculées par le mythe (qu. n° 6 à 18), elles ne peuvent pas vivre avec l'idée permanente d'être une femme battue, avec l'idée que l'homme qu'elles aiment est un homme violent. Alors, elles vont reconnaître les coups, ceux qui font mal, ceux où elles sentent une volonté explicite de leur nuire; mais toutes les autres violences, généralement la plupart des moyens utilisés pour imposer le contrôle, ne sont ni repérés ni identifiés comme étant des violences. Ceci ne veut pas dire qu'elles n'ont pas mal. Mal physiquement quand il les jette au bas du lit. Mal dans la tête et dans le corps quand il les insulte ou les traite de moins que rien en public. Ou qu'elles n'ont pas peur de ses réactions qu'elles jugent imprévisibles. Beaucoup expriment que ce n'est pas tant la violence des coups qui est difficile à vivre (du moins quand ils sont peu fréquents et qu'elles ne sont pas blessées), mais la tension permanente et la peur constante de son mécontentement.

Alors quand on les questionne ou qu'elles témoignent sur les "violences" subies, elles ne peuvent parler que des coups. Plus tard, beaucoup disent même qu'elles ont été gênées de devoir expliquer pourquoi elles ne supportaient plus cet homme. Les coups n'étant pas forcément fréquents, comment faire comprendre à une personne qui ne l'a pas vécu, tout le reste: la terreur d'entendre une porte fermée à clef, la peur de regarder son visage et d'y lire de la colère, son brusque changement d'humeur à la moindre irritation…

Bien plus, je me suis rendu compte que souvent les violences qu'elles définissent comme coups, ne correspondaient pas à l'ensemble des coups décrits par leurs conjoints. Les coups prennent pour les femmes violentées une définition restrictive. Pour qu'un geste violent, un contact corporel soit identifié comme coup, que celui-ci soit effectué avec la main nue, le poing fermé, la main prolongée d'une arme ou avec le pied, il faut qu'elles soient persuadées qu'il ait voulu intentionnellement leur faire mal. Quand elles pensent que le coup est l'effet du hasard, de la colère légitime, de l'alcool ou de toute autre cause située en dehors de sa volonté manifeste, elles ont tendance à ne pas considérer cet acte comme un coup. C'était pas vraiment de la violence, puisqu'il ne l'a pas fait exprès" disent beaucoup de femmes.

Naturellement, cette règle générale n'est qu'un schéma explicatif global. Vous en trouverez de nombreuses exceptions. Parmi celles-ci, on retrouve les femmes qui ont déjà fui une première fois leur compagnon. Celles qui sont passées dans des foyers ou des groupes d'aide, là où on prend le temps de leur expliquer les diverses formes de violences. Celles qui ont été conscientisées par des lectures féministes ou la littérature qui traite de la violence. Les femmes plus jeunes élevées sous un modèle égalitaire. Malgré tout, ce schéma de la double définition de la violence s'applique dans la plupart des cas et ce, dans des proportions étonnantes.

Entre la définition des personnes violentes et celles de personnes violentées, je propose donc de ne pas choisir une forme ou une autre pour définir les violences domestiques. Au contraire, il faut les associer dans une définition commune perçue comme "le binôme de la violence domestique" ou "le double standard de la violence". On pourrait le résumer ainsi:

Quand ils admettent leur responsabilité, les hommes violents définissent la violence qu'ils exercent sur leur compagne, comme un continuum (une suite) de violences physiques, psychologiques, verbales, parfois sexuelles, associées à une intention: intention de dire, de faire céder l'autre, d'exprimer un sentiment, un désir ou une volonté. "C'était pour lui dire,... lui montrer" disent-ils. Quant aux femmes violentées, du moins celles non conscientisées à cette question, elles définissent la violence comme un discontinuum (un ensemble discontinu) essentiellement composé de violences physiques, c'est à dire en général de coups qui n'ont pas de liens entre eux.

De plus, pour qu'un acte ou un coup porté sur leur corps soit défini comme de la violence physique, il faut qu'elles soient persuadées qu'il ait voulu consciemment leur faire mal, les faire souffrir. Pour les femmes les violences physiques sont elles-mêmes définies de manière restrictive, comme des coups portés à main nue ou poing fermé (voire avec le pied), associés à l'intention de les faire souffrir.

Plusieurs remarques s'imposent alors:

- Quand on sait l'empressement des hommes - pour obtenir le pardon ou pour éviter la rupture - à expliquer la perte de contrôle par le hasard, les astres, l'alcool, l'acte fortuit … bref leur non-responsabilité (qu. n° 6 à 18), on comprend que de nombreuses violences soient déqualifiées.

- Au vu de la charge stigmatisante (3) associée au concept de "femme battue", les injonctions qui apparaissent quelquefois comme des ordres culpabilisateurs pour que les femmes battues quittent immédiatement leurs conjoints (qu. n°55), on comprend alors qu'il est plus simple de croire les excuses, de déqualifier les coups et d'essayer d'oublier.

- Puisque seuls certains coups sont identifiés comme violences, on peut sans doute expliquer, avec cette double définition, la prégnance particulière que prend le concept de "femme battue", y compris chez des femmes,.

Maintenant, répétons-le, cette double représentation de la violence n'est explicite que pour autant qu'on accepte de confronter les hommes violents, que l'on cesse de vouloir les excuser, de les protéger ou de les plaindre. Or, force est de constater que ce n'est pas le cas de l'ensemble des intervenant-e-s qui oeuvrent dans cette problématique. Bref, il faut que les professionnel-le-s et les ami-e-s de ces hommes arrêtent d'être complices. C'est le meilleur service à leur rendre et à rendre à leur compagnes ou leur ex-compagne.

Et les autres personnes violentées: les hommes, les enfants…

On se rend compte que cette double définition n'est pas l'exclusivité des hommes violents ou des femmes violentées.

Quand les femmes violentes décrivent une gamme importante de violences mises en oeuvre pour le faire réagir, pour qu'il arrête de se plaindre… les hommes violentés par leur compagne définissent quelques coups qu'ils repèrent comme de la violence. Là où il se dit persuadé qu'elle va changer "puisqu'elle m'aime", elles expriment leur agacement envers ce qu'elles considèrent comme de la provocation. "Il sait comment je suis, alors pourquoi il insiste ? C'est pas de la provoc. ça ? J'expliquerai d'ailleurs les difficultés que rencontre le chercheur qui veut interroger des hommes battus, car souvent ils n'en ont pas conscience (qu. n° 48).

Quand aux parents, et je développerai ce point à la question n° 44, père et mère montrent souvent qu'ils ont à leur disposition une large palette d'outils disponibles pour éduquer leurs enfants: de la privation alimentaire au refus de sortie en passant par le cri, la claque ou la fessée. Chaque acte de violence est associé à une (bonne) intention: lui apprendre les limites, les bonnes manières, en faire un homme… Les rejetons, eux (ou elles), ne se souviennent souvent que de quelques coups, ceux qui ont fait très mal, ceux distribués de manière jugée injuste… 

Bref, et ce point me paraît fondamental, les personnes violentes et les personnes violentées ne définissent pas les violences de la même manière.

21 - Comment apparaît la violence ?

Est-elle régulière ?

Le cycle de la violence:

Contrairement a ce que pensent de nombreuses personnes, il y a un cycle de la violence..

Celui-ci a d'abord été identifié par des chercheures américaines notamment Lénore WALKER. Autrement dit, en étudiant attentivement les scènes que décrivent des femmes et des hommes, on peut faire un schéma explicatif du fonctionnement de la violence domestique. Mais attention: comme tout schéma celui-ci est forcément réducteur par rapport aux milliers de situations particulières.

Le cycle se décompose en 4 étapes, décrites dans la figure suivante:

Nous allons le décrire en détail en y replaçant les éléments déjà entrevus.

• le quotidien du couple: silences, contrôle et montée de la violence:

Cette phase est en quelque sorte préparatoire aux coups. Dans le vécu journalier des couples où s'exerce de la violence, situation que nous analyserons plus loin, l'homme domine et veut contrôler l'ensemble de la vie familiale, les agissements de sa compagne et de ses enfants. Non que tous les hommes violents soient des tyrans domestiques, mais ils ont une représentation de ce que doit être leur milieu familial et considèrent normal de l'imposer. Nous le verrons, les hommes violents sont à cet égard particulièrement seuls dans la famille. Au lieu de se réjouir des différences qu'il y a entre les éléments de la famille, ils veulent que tout se passe comme ils l'ont prévu. En même temps, pour aboutir à ce rôle de chef de famille, ils maintiennent un contrôle permanent: contrôle de leurs proches, mais aussi contrôle d'eux-mêmes. Les hommes violents ne parlent pas, ou du moins, ne parlent pas d'eux et de ce qu'ils vivent.

Certains agissements de leurs proches ne leur plaisent pas. Ils ne sont pas jugés conformes avec leurs projets ou leurs désirs. Les hommes en éprouvent une insatisfaction qu'ils gardent en eux. Surtout au début de la vie de couple, quand ils n'osent pas encore exprimer leurs colères. Les insatisfactions, les rancunes et les griefs s'ajoutent au fur et à mesure, puis s'accumulent jusqu'à arriver à un trop-plein. Les métaphores sont nombreuses quand les hommes expliquent ce "trop plein": la goutte d'eau qui fait déborder le vase, mais surtout la cocotte minute; "Ça monte, ça monte et ça explose" (qu. n° 12). Arrive alors le second stade du cycle: les coups.

• l'irruption de violence: les coups

Les coups ou d'autres formes de violences surgissent alors. Nous verrons ci-après qu'ils vont, au fur et à mesure, en crescendo. L'ampleur des coups est variable. Bien souvent au début de ces cycles, ce sont des claques, des mouvements brusques ou l'homme "pousse" plus ou moins violemment sa compagne. La durée de la scène de violence peut, elle aussi, être variable. Les hommes en parlent comme d'un soulagement, une décharge d'énergie longtemps accumulée, une sorte de libération. Leurs compagnes, n'ayant pas toujours su apercevoir les signes avant-coureurs, sont surprises; elles ont peur. Souvent elles ne comprennent pas ce qui a provoqué l'arrivée de cette violence.

• les excuses

Souvent appelée phase de rémission en Amérique du Nord, la phase suivante va voir l'homme violent s'excuser, demander ou implorer le pardon. Comprenons-nous bien: quand l'homme s'excuse, promet de ne plus recommencer, il est dans la plupart des cas, sincère et honnête. Il est désolé de cette violence que souvent, il ne comprend pas non plus.

L'objectif plus ou moins conscient de la violence est de montrer son mécontentement, de dire ses désaccords, de signifier une volonté, de montrer qui a, l'ultime pouvoir dans le couple. En ce sens la violence est un langage. L'objectif n'est pas d'aboutir à la fuite de la compagne, bien au contraire. Pour éviter que cette dernière horrifiée par de telles violences ne parte ou ne se plaigne à l'extérieur, voire porte plainte contre "son conjoint violent", celui-ci doit obtenir son pardon.

Les excuses invoquées par l'homme sont multiples et variées, nous en avons déjà aperçu certaines (colère, alcool, stress…). Les plus simples sont souvent les meilleures. La plus simple étant: "Je suis comme ça, il faut que tu fasses attention". Les excuses sont conformes à nos représentations collectives qui nous font croire que l'homme à l'intérieur des maisons est comme un enfant irresponsable. L'objectif est de dire: "Ma chérie: je ne suis pas responsable des violences commises, je ne l'ai pas fait exprès". Souvent l'invocation de l'amour sera utilisée pour prouver l'aspect accidentel de la scène. Dans d'autres cas, le rappel de la situation matérielle ou morale de la compagne, sa précarité, ou le sort des enfants accompagneront la demande de pardon. C'est à dire qu'il y a rappel à la conjointe de sa dépendance.

Certains hommes pleurent pendant plusieurs heures de suite, d'autres restent prostrés pendant quelques jours. Ils montrent, ou veulent montrer ainsi, leur réel désarroi. Beaucoup n'expliquent pas ce qui a provoqué leur violence et font passer les violences comme des actes irréfléchis. D'autres, notamment lorsque ces scènes sont déjà répétitives, accusent leurs compagnes d'en être responsables (qu. n° 14 à 18). Dans certains couples, c'est en faisant l'amour que l'homme obtient son pardon (qu. n° 40).

• la lune de miel

Cette expression utilisée par Ginette LAROUCHE (4), traduit merveilleusement bien la phase suivante. Une fois le pardon accordé, les excuses acceptées, il faut pour l'homme -et la femme- oublier la scène de violence. C'est l'époque où l'homme va inviter sa compagne au restaurant, lui offrir cette robe qu'elle attend depuis longtemps, accepter -enfin- d'aller passer des vacances chez les beaux-parents… Bref, tout se passe pour le mieux dans ce qu'il/elle aimerait voir comme le meilleur des mondes. Période douce du bonheur retrouvé, cette phase est souvent passée sous silence par les professionnel-le-s du social. Pourtant, cette phase et la suivante expliquent pourquoi nombre de compagnes peuvent dire, en dehors des situations de fuite en urgence absolue: "Après tout, c'est pas tous les jours la violence". La lune de miel doit faire oublier le passé et laisser croire qu'il ne se reproduira plus. L'homme et la femme sont réellement heureux du bonheur retrouvé. Une fois dissipé le souvenir des violences, le cycle continue.

• le retour du quotidien:

Quelle qu'ait pu être la sincérité des excuses de l'homme, après la période "lune de miel", le quotidien reprend ses droits. Celui-ci, comme avant, s'accompagne du désir de l'époux de vouloir régenter la vie des ses proches, de son incapacité à dire ses désirs, ses insatisfactions, comme d'ailleurs ses plaisirs. Progressivement, la tension, le besoin de domination, le stress dû-e-s à l'accumulation d'éléments contraires à ses attentes, augmentent. Et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, réapparaît plus ou moins rapidement une nouvelle phase de violences.

22 - Y a t-il une fréquence particulière à la violence?

La spirale de la violence.

Les cycles de violences se suivent, mais ne se ressemblent pas exactement. D'abord un constat: j'ai vu des hommes qui étaient violents physiquement -ou plus exactement (voir qu. n° 20) dont la compagne repérait la violence physique- tous les jours ou presque, alors que d'autres vivent les phases de violence tous les 15 ans. En reprenant la terminologie américaine, on peut parler de Spirale de la violence. La violence est continue, mais son intensité et sa fréquence d'apparition augmentent. Le cycle de la violence se reproduit de plus en plus vite avec une intensité de plus en plus forte.

Comprendre pourquoi est relativement simple. On peut prendre l'exemple de l'enfant (le schéma est identique quel que soit l'âge ou le sexe de la personne violentée) (5). Il y a une gradation dans l'échelle des punitions et des violences qu'utilisent les parents. Quel que soit le point d'entrée dans cette gradation, le premier stade de la punition physique (une petite claque sur les fesses, une "engueulade" ou un grand coup…), le corps de l'enfant va s'habituer à cette violence. Les punitions, pour la plupart des parents, ne sont jamais gratuites, elles servent à montrer le désir des parents, à signifier l'apprentissage du bien et du mal, à imposer une limite… Pour que les punitions (violences) gardent leur efficacité, il faut que les parents augmentent l'intensité de la violence. Ainsi, tout se passe comme si plus l'enfant est violenté, plus le temps entre deux violences se raccourcit. Que cette situation s'explique par une accoutumance aux coups, tant de la part de l'enfant que de la part des parents, l'effet recherché des violences parentales - la soumission à leurs désirs - semble diminuer et on arrive souvent à des gestes "réflexes" qui accompagnent et ponctuent ces rappels. Il faut rappeler de plus en plus souvent qui a le pouvoir. La spirale de violence traduit ce processus.

Chaque moment (ou phase) de violence repérée par l'un-e ou l'autre va être un palier de cette spirale.

Les paliers de la violence domestique sont les moments où la violence est identifiée. Ils sont souvent dans le discours des hommes ou des femmes associés aux humeurs du corps (le sang qui coule, les pleurs…), ou aux outils (armes) utilisés. Ainsi hommes et femmes décrivent l'accentuation de la violence dans leur couple lors d'irruptions de blessures corporelles (le sang coule), par l'utilisation d'une arme quelconque (un bâton, un couteau, un accessoire de cuisine…). D'une manière générale, la violence permet d'obtenir la soumission de l'autre à ses désirs, par le marquage corporel.

En bout de spirale, si aucune rupture vient interrompre le processus, il peut y avoir danger de mort. Certes, les cas de meurtre sont rares. Heureusement ! Mais il y a bien d'autres cas où une personne "meurt". Le Québécois Robert PHILIPPE parle de "meurtre de l'âme". Certaines femmes n'osent plus rien faire, ni sortir, ni même prendre la parole. Il n'est donc pas abusif de parler de mort sous d'autres formes. Une des femmes venue à RIME pour une réunion, alors qu'elle vivait seule, n'avait pas osé sortir le soir depuis 3 ans.

23 - A partir de quand une violence est-elle considérée comme grave ou intolérable?

Chacun-e a son seuil de tolérance, sa limite au dessus de laquelle la violence va être considérée comme "grave" ou "intolérable". Dans les faits, toute violence qui vise à limiter la liberté de l'autre est grave et intolérable.

Mais, pour les hommes violents ou les femmes violentées, une étrange alchimie permet de caractériser certaines violences comme plus importantes que d'autres. Elle s'explique par certaines distinctions que l'on fait entre visible/invisible et les rôles sociaux. On dit que le couple doit "laver son linge sale en famille", autrement dit: rien ne doit transpirer à l'extérieur. Une femme pourra s'horrifier d'un "oeil au beurre noir" car il sera une trace visible de son état de "femme battue" (honteux pour elle), alors qu'elle aura acceptée auparavant, après moult excuses du mari, des blessures bien plus mutilantes. Beaucoup de femmes supportent des années durant les violences commises par leurs conjoints, alors qu'elles se révoltent lorsque celui-ci menace les enfants. La mère, face à sa progéniture, est moins tolérante que l'épouse pour son propre corps (qu. n° 35).

Toutes les violences considérées comme graves ne provoquent pas une décision de rupture. La spirale de la violence s'arrête quand le conjoint ou la conjointe atteint le palier de l'intolérable.

Dire que le palier de l'intolérable peut être atteint par le conjoint-auteur peut surprendre; pourtant dans mes recherches, j'ai vu plusieurs conjoints violents qui, d'eux-mêmes, pour ne pas sombrer dans la folie, par honte ou tout simplement par "ras le bol", quittaient leur compagne et repartaient faire leur vie ailleurs. Mais plus couramment c'est la personne violentée, donc plus souvent la femme, que nous voyons atteindre ce palier et décider la rupture.

Qu'est-ce qui fait qu'une personne atteint ce palier, ou qu'une violence particulière soit considérée comme la limite impossible à dépasser ? Les réponses sont variables en fonction des individus et des cas particuliers. Le seuil de l'intolérable varie. Plusieurs éléments semblent s'enchevêtrer. Pour certaines personnes qui décrivent cette situation c'est d'avoir repéré la peur de la mort, mort réelle ou mort virtuelle. Pour d'autres, c'est la reconnaissance qu'il y a eu violences graves selon leur propre échelle morale et physique. Tout va dépendre de l'histoire personnelle, du degré d'autonomie, de la capacité à refaire sa vie autrement, de la perception éthique qu'ont les personnes de la violence domestique et des normes sociales en usage au moment de la décision. Nous avons ainsi reçu de très jeunes femmes qui, à la première violence identifiée, mettent leur compagnon à la porte mais aussi des femmes qui ont subi des années durant des violences multiples. Certaines compagnes considèrent l'atteinte de ce palier comme la fin de leur relation avec cet homme quand, pour d'autres, il s'agit alors de lui imposer un changement.

Comme tout autre palier de la spirale, il est en général défini et prend son sens pour les personnes agissant ou subissant la violence par l'outil utilisé ou la marque corporelle. Il représente pour certain-e-s une progression dans les armes (passer du coup de pied au couteau ou à la voiture [tentative d'écrasement] ou dans les parties du corps atteintes. Dans quelques cas nous avons les deux progressions à la fois. Le sang a une place particulière: plus le sang coule, plus grave semble le coup. Une femme peut ainsi supporter des brûlures aux parties génitales alors qu'elle va fuir à cause d'un nez cassé.

Le palier de l'intolérable peut aussi, dans certains cas, être d'abord signifié par l'intervention de l'extérieur (police, services sociaux...) légitimant par la suite son identification comme tel (ces cas ont davantage été remarqués en Amérique du Nord au vu des interventions spécifiques de la police).

Une fois le palier de l'intolérable atteint, les stratégies de sorties de la violence sont multiples.

24 - Quand apparaît le premier coup ?

D'abord une statistique surprenante: selon les chercheur-e-s qui ont interrogé les femmes violentées, dans la moitié des cas la première violence apparaît à la première grossesse.

Quand on interroge les hommes sur le début de leurs violences, beaucoup vérifient ce constat: "Elle me dit que ça a commencé quand elle était enceinte la première fois". On peut toujours - et c'est ce qui se passe à RIME - leur faire remarquer que les violences, pour eux, ont surement commencé avant; la plupart en conviennent. On comprend pourquoi à la lecture de la question n° 20 sur la double définition de la violence. Mais le fait que les femmes violentées, pour 50% d'entre elles, identifient les premières violences à ce moment-là nécessite quelques explications.

La première grossesse pour une femme correspond à un moment important, un stade de fragilité où elle a le plus besoin d'aide, d'amour et d'attentions. Quand une femme se fait battre à ce moment là, ou plutôt quand elle repère les violences à ce moment là, elle n'est pas la plus à même de suivre les conseils habituellement donnés aux victimes de violences conjugales. Fuir ? Pour aller où ? Pour donner naissance à un enfant qui ne verra pas son père ? Porter plainte ? Envoyer le futur père de son enfant en prison ? En parler ? Avouer à tout le monde que son conjoint est violent ? Ternir à l'avance la fête que l'on prépare pour la naissance de l'enfant ? On le conçoit aisément, cette femme préfère oublier, accepter les excuses de son compagnon qui promet de ne plus recommencer. Certaines, par culpabilité, essayeront de faire un peu plus attention à lui, à cet homme qui cherche les chemins de la paternité. D'ailleurs elles ont lu dans certains livres qu'il ne faut pas négliger le futur père. Peut-être ont-elles mal agi ? Dans les faits, beaucoup se taisent en souhaitant secrètement que ce que l'on raconte sur les femmes battues soit faux et que leur enfant n'en soit pas marqué.

Quant à lui, pourquoi frappe t-il la compagne "qu'il aime", celle qui "va lui donner" un enfant? Même si, souvent ce n'est pas vraiment la première violence, si d'autres claques ont déjà été distribuées, la violence contre une femme enceinte semble contraire à tous les codes masculins.

Pour comprendre ces actes, il faut faire un petit détour du côté de la condition masculine. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle, "attendre un enfant", pour un homme est une chose complexe. Nous vivons une époque où il n'y a pas de culture du père et encore moins de place pour le futur père.

D'une part, beaucoup d'hommes ne sont pas persuadés d'avoir souhaité cet enfant, certains ont l'impression de s'être fait faire "un enfant dans le dos" comme on dit. D'autres ont l'impression d'avoir cédé aux désirs pressants de leurs compagnes sans avoir vraiment pris de décision personnelle. Mais dans tous les cas, la grossesse de la compagne est l'époque où il doit "assumer", assumer quelque chose qu'il ne connaît pas, qui lui est extérieur. Habitué à être ou à vouloir être le centre du couple, il perd alors cette place privilégiée. On fait attention à elle et en général bien peu à lui. Dans le théâtre de la maternité, on lui a réservé le rôle du père. Il doit prendre en charge les futures démarches, les achats, les décisions, sans avoir aucun endroit où pouvoir exprimer ses angoisses.

D'autre part, la venue de l'enfant modifie l'équilibre familial. Le couple passe de deux à trois personnes, quelle place aura t-il alors ? Il a épousé une femme et il se retrouve avec une mère. De plus, beaucoup de femmes lors de la grossesse refusent les rapports sexuels, ce qui accentue son désarroi.

Face à l'angoisse, la frustration et la solitude, que fait-il pour manifester sa présence ? Il frappe et il en a honte. Honte d'être un homme qui vient de frapper une femme enceinte, sa femme enceinte, honte d'avoir marqué peut-être à vie son futur enfant.

Et quand il lui promet de ne plus recommencer, il est sincère et vraiment désolé. L'un-e et l'autre portent maintenant ce terrible fardeau, la solution la plus facile pour eux deux est le silence et l'oubli. En espérant que la lune de miel qui suit les coups efface à jamais les traces d'un moment, que tous deux espèrent être un moment d'égarement. Et la spirale continue…

25 - Un homme qui a été violent avec une femme, le sera t-il avec une autre?

Vraisemblablement, notamment si rien n'est fait de sa part pour changer ses relations aux femmes.

J'ai rencontré de nombreux hommes, qui délaissés par une première compagne à cause de leur violence, continuent leurs comportements abusifs dans une seconde relation ou pour certains une troisième ou une quatrième idylle. Souvent d'ailleurs la spirale, c'est à dire l'intensité et la fréquence des violences, reprend là où la dernière spirale s'est arrêtée. Ceci incite certains hommes à fréquenter les centres pour hommes violents non pas pour récupérer leur ex-compagne mais pour éviter de redevenir violent avec la prochaine.

Ces spirales à entrées multiples devraient inciter les femmes à se méfier des hommes qui décrivent des violences dans une relation précédente et qui, sans se remettre en cause, incriminent leur compagne précédente.

Notes de bas de page:

1 Ce qui se traduit en québécois par : "vache" "bitch"…

2 WEBER Max, Le savant et le politique, Paris, Plon, I959 (1ère éd. I919)

3 Le terme stigmate est utilisé ici dans son sens figuré. La stigmatisation correspond à une très forte dévalorisation ; les stigmates, aux marques physiques, psychologiques ou sociales qui en sont conséquentes

4 Le livre de LAROUCHE Ginette, Agir contre la violence, est une ressource indispensable pour comprendre, du côté des femmes, les effets des violences domestiques, et le sens d'une intervention sociale qui les respecte et aboutit à leur prise d'autonomie.

5 On m'excusera de prendre l'enfant en exemple. Je n'assimile pas les femmes à des enfants. Mais, dans nos cultures actuelles, là où la violence ordinaire aux enfants est encore largement admise (on dit : "Une fessée fait circuler le sang"), l'exemple semble pertinent pour décrire le processus de la spirale. On m'excusera de prendre l'enfant en exemple. Je n'assimile pas les femmes à des enfants. Mais, dans nos cultures actuelles, là où la violence ordinaire aux enfants est encore largement admise (on dit : "Une fessée fait circuler le sang"), l'exemple semble pertinent pour décrire le processus de la spirale.

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Arrête!  Tu me fais mal! : La violence domestique, 60 questions, 59 réponses

Daniel WELZER-LANG en collaboration avec Jules Henri Gourgues
vlb éditeur - 1992