IV. En finir avec la violence?

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Violences

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Petit écran, violence en gros plan 
La télé n'éduque pas: On peut éduquer à la télé

 

Par Suzanne Tapie

Pendant les deux heures en moyenne qu'ils passent chaque jour devant l'écran familial, nos enfants sont abreuvés de violences.

Violences physiques de l'actualité télévisée, parfois teintées de voyeurisme. Violence des dessins animés et des oeuvres de fiction de catégorie B. Violences sonores: on monte le son quand ça se corse. Violences douces de la publicité qui fait miroiter devant leurs yeux un inonde de consommation, de luxe inaccessible. Violence banale aussi de la médiocrité.

Pour certains enfants, la moyenne de deux heures est dépassée: c'est là leur seule source de loisirs, d'information et souvent d'éducation. Annuellement, c'est plus que le temps passé à l'école. Mais, pour les parents, l'école, c'est important, on s'intéresse à ses programmes, aux enseignants, tandis que la télévision... Une simple distraction sans danger, un moyen de voir nos enfants sages comme une image?

 

Le loup est dans la bergerie

Sage, l'image?

 

Selon des études américaines, un enfant aurait vu, sur les chaînes d'outre-Atlantique, avant la fin de ses études primaires, 8.000 meurtres et 100.000 actes violents, de la bagarre sanglante au viol.

Chez nous, la situation est à peine meilleure. Une étude (1) montre que c'est dans les téléfilms, commandés par la télévision, et les séries qu'il y a le plus de violence. Certaines de ces émissions passent en fin d'après-midi. Raison de cette situation: les chaînes de télévision sont devenues des entreprises commerciales. Sous le règne de l'audimat, elles doivent faire de l'audience, le plus possible à moindre prix. Seul compte le rapport coût/audience.

"L'offre de programmes violents dans les émissions destinées aux enfants ne correspond pas à une demande spontanée du jeune public mais à d'autres facteurs. Des facteurs commerciaux, suggère le C.S.A. (Conseil supérieur de l'Audiovisuel en France) qui fait remarquer que les séries considérées comme violentes sont moins chères sur le marché international et que, malgré des scores relativement plus faibles, elles bénéficient d'un rapport coût/audience plus favorable, d'autant que la commercialisation de produits dérivés aide à la rentabilisation" (2).

 

L'image, ni coupable ni innocente

Des parents, des spécialistes s'inquiètent. D'autres - de moins en moins - minimisent. Régulièrement, des enfants, des adolescents reproduisent dans le détail des scènes de violence vues à la télévision, relançant ainsi le débat. Mais l'on se rassure: ils avaient d'autres problèmes, c'est la société qui est violente, aucune étude sérieuse ne peut établir une corrélation entre la vision de films et le passage à l'acte...

Un grand nombre d'études ont été réalisées pour connaître les répercussions sur l'enfant de ce bombardement d'images violentes. Les conclusions sont mitigées parce que beaucoup de facteurs interviennent: la personnalité de l'enfant, son âge, son environnement, le nombre d'heures qu'il passe à regarder la télévision, la présence de ses parents,...

Ce qui semble acquis, c'est que des enfants qui regardent des images violentes se comportent de manière agressive après cette vision et le font d'autant plus qu'ils sont de tempérament agressif ou qu'ils ont un problème personnel.

 

Attention! les bébés imitent

Des études récentes ont souligné l'influence des images violentes sur le tout jeune enfant. Apprendre au bébé à tirer la langue, à faire des grimaces est une grande joie des parents. On se rend compte de l'attention qu'il porte à son environnement et aux comportements de ceux qui l'entourent.

L'écran omniprésent et ce qui s'y passe sont aussi objet d'imitation pour le bébé. "Alors que les bébés ont un désir instinctif d'imiter un comportement observé, ils ne possèdent pas d'instinct pour jauger a priori si un comportement devrait être imité. Ils imitent tout... Cela peut donner à réfléchir d'apprendre que des bébés, dès quatorze mois, observent et incorporent manifestement des comportements vus à la télévision" (3).

 

La violence est payante

Si vous demandez à un jeune enfant de vous raconter ce qu'il a vu, il le fera de manière décousue. Il n'aura pas suivi, pas compris toute l'histoire. Ce qu'il aura certainement retenu, ce sont les actes violents. Le registre sonore qui les accompagne et qui fait monter la tension l'aura attiré, fasciné. Mais il ne saura pas si cette violence est purement gratuite ou destinée à défendre quelqu'un, un idéal.

Pour Ginette Herman (4), les enfants de moins de neuf ans, ne regardant pas un film de manière continue, sont incapables de situer l'acte violent dans son contexte. verront le plaisir de la victoire et non la punition qui viendra généralement en fin film, au moment où ils seront occupé autre chose. Conséquence: si le réalisateur a voulu mettre des nuances on un message moral, ils ne le verront pas.

De plus, ils seront incapables de s'identifer à la souffrance de la victime. "Quand un héros est dépeint dans l'ivresse d'une victoire obtenue à la suite de comportements agressif constitue un sujet d'identification aisée pour le jeune enfant. Mais la victime qui endure douleur et défaite restera pour lui un personnage de l'ombre. L'agression sera donc le plus souvent synonyme de victoire et de plaisir" (4).

Puisque la violence est payante, l'enfant peut y trouver des modèles de comportement. "Un enfant regarde la télévision manière assidue. Il est donc témoin de nombreuses images violentes. En fait, il constate que, pour résoudre un problème interpersonnel, les héros recourent fréquemment à une solution agressive. Et, dans la où mesure il s'identifie à ces héros, il encode en mémoire, de manière privilégiée, ces solution Répétées, celles-ci peuvent ultérieurement devenir de véritables guides de comportement: elles fournissent une sorte de mode d'emploi (scripts) des situations conflictuelles" (4).

 

La violence est banalisé

Autre aspect important, et valable sans doute pour tous, c'est que la vue fréquente d'images violentes désensibilise à la souffrance, la banalise. Quel enfant est confronté aux réalités d'agressions, de souffrance, de morts dans sa vie quotidienne comme il l'est à longueur d'antenne?

N'ayant aucune idée de ce qu'est une réalisation audiovisuelle, comment ferait-il la différence entre violence vraie et violence fictive? Comment peut-il s'y retrouver entre le J.T. et les films? Pourquoi s'étonnerait-il, pourquoi ne réagirait-il pas comme tous "vainqueurs"?

 

La télévision, outil pédagogique?

Étant donné son omniprésence, la télévision joue un rôle culturel, affectif et pédagogique important puisque les modèles qu'elle impose influencent, forment l'enfant au même titre que ses parents et l'école.

Mais la télévision n'éduque pas l'enfant. ne lui dira pas ce qu'il peut faire et ce qu'il ne peut pas faire. Elle ne lui dira jamais ce "non" indispensable. Elle ne lui donnera jamais les limites à ne pas dépasser. Au contraire, plus il la regardera, plus il sera gratifié.

De plus, par le système du zapping, il pourra se trouver confronté à des cultures, à des systèmes de valeurs différents de ceux de ses parents. Celui de sa famille qui prône la non violence et celui de telle série vraiment chouette regardée par les copains. Ce n'est pas la télévision qui répondra à ses questions, à ses angoisses. Aucun dialogue n'est possible avec elle. Si cet amas d'images violentes ne va pas nécessairement faire de nos enfants (les violents, des meurtriers, il n'en demeure pas moins qu'il leur donne, en plus de problèmes de sommeil, d'anxiété et de peur, une image fausse et désespérante de la société. Il banalise la brutalité, encourage la prééminence de la force physique sur le dialogue.

Loin de nous l'idée qu'un enfant ne peut pas regarder la télévision ou des vidéocassettes. Mais pas n'importe quoi, n'importe comment! Même si on ne connaît pas exactement l'impact, à court et long termes, des images violentes sur l'enfant et son devenir, même si notre société est violente et que la télévision n'en est qu'un miroir, celle-ci ne doit pas faire de surenchère.

 

Du sang à la une

Un reportage récent sur les correspondants de guerre d'agences de presse montrait leurs déplacements rapides à la recherche d'endroits chauds. Ils allaient là où on se battait, là où le sang coulait. À la recherche de scoops. Ces correspondants alimentent nos informations internationales télévisées. Ils fournissent le plus gros, quand ce n'est pas la totalité, des images qui constituent nos J.T. quotidiens. Rares, trop rares, les images de pays où la violence ne fait pas la une.

 

Sans contact avec la réalité

Lors du cinquantième festival de Cannes, en 1997, plusieurs films abordaient le thème de la violence. AssAssin(s) de Mathieu Kassovitz s'en prend violemment à la télévision, machine à décerveler. Depuis sa plus tendre enfance, le jeune héros de son film, Medhi, a pour seul univers la télévision. Il est abreuvé de jeux idiots, de sitcoms et de séries policières. Il a perdu tout contact avec la vie réelle et n'éprouve aucun scrupule à tuer.

Selon l'auteur, "la télé remplace la famille, la télé remplace l'école, la télé remplace le sexe, la télé donne envie... À la télé, on peut voir toutes les richesses du monde, tous les malheurs du monde. Et tout cela est mélangé dans tous les sens. La télé est une boîte géniale, mais il n'y a pas de manuel, pas de professeur pour montrer comment s'en servir" (i n La Libre Belgique, 16 mai 19 9 7).

Mais, si la visée de l'auteur est pure, qu'en sera-t-il quand des gamins regarderont les scènes-chocs, insupportables, de son film, sans en voir son intention morale?

(1) Étude de la Communauté française sur la présence de la violence à la télévision, novembre 1996. (2) Le Monde des 18 et 19 mai 1997. (3) Brandon S. Centerwall, Télévision et développement du surmoi: chemins vers la violence, in Les enfants et la violence, sous la direction de Colette Chiland et J. Gerald Young, Paris, P.U.F., 1997. (4) Ginette Herman, Violence filmée et jeunes téléspectateurs, dans le dossier Enfants, violence et télévision, in L'Observatoire, Liège, n'4, août 1995.

 

Que peut-on faire ?

Dans la famille

> Ne pas laisser un enfant, même tout petit, trop longtemps devant l'écran. Discuter avec lui du choix des programmes et du temps qu'il y restera. Eviter le zapping.

> Regarder le plus souvent avec lui ou s'intéresser à ce qu'il a vu.

> S'intéresser aux cassettes vidéo qu'il emprunte.

> Ne pas le mettre directement au lit après un film. Lui laisser le temps d'évacuer. Le faire dessiner les méchants.

> Lui donner le plus grand choix possible pendant ses heures de loisir: jeux, lecture, dessin,...

> Le laisser faire autre chose pendant qu'il regarde.

> L'humour, la désapprobation, la discussion peuvent constituer un filtre à la violence.

> Le J.T. n'est pas destiné aux enfants; s'ils le regardent, il faut pouvoir répondre à leurs questions et ne pas les éluder.

 

A l'école

> Inutile d'espérer que nos petits écrans soient demain anti-violents. Les recherches du professeur Marcel Frydman, directeur du service de psychologie sociale de l'Université de Mons, s'orientent vers une formation à l'image en milieu scolaire. Il a constaté que parler d'un film violent avant et après sa vision peut diminuer ses effets nocifs.

> En octobre 1997, la Communauté française a édité, en collaboration avec la RTBF et Le Vif L'Express, la brochure La violence à la télévision. Elle est destinée aux adolescents, à leurs professeurs et éducateurs. On peut l'obtenir gratuitement (téléphone vert 0800/20 000).

> Le Conseil de l'Éducation aux méd (02/413 35 02) a été mis en place en 19 chez nous. Composé d'enseignants et spécialistes des médias, il est à la disposition des trois réseaux d'enseignement, le fondamental, pour sensibiliser et former les enseignants.

Apprendre aux enfants, dès leur plus jeune âge, à lire l'image, comme on leur apprend à lire l'écrit, est le meilleure moyen de les prémunir contre des images qui ne les respectent pas. Savoir ce qu' un film, comment il est tourné, comme il est monté et sonorisé pour obtenir telle réaction est passionnant et c'est un vaccin contre bien des agressions télévisuelles.

 

Et les médias ?

> Les parents peuvent faire pression les responsables politiques ou médiatiques.

> Lors d'un récent colloque organisé par la Communauté française, on a émis le souhait qu'un dialogue s'engage entre représentants des parents et médias.

 

Légiférer dans quel sens ?

> Interdire les films violents avant 20 h, y compris les bandes-annonces du film du soir qui sélectionnent les moments-chocs

> La RTBF, RTL-TVI et Canal Plus Belgique ont signé, en 1994, un code de déontologie par lequel ces chaînes s'engagent, entre autres, à éviter les scènes de violence gratuite et à avertir les téléspectateurs et la presse en cas de dérapage. Le Conseil supérieur de l'Audiovisuel devrait avoir un pouvoir de sanction en cas de non-respect.

> Mise en place, comme en France, de signaux anti-violence. Une étude du C.S.A. réalisée sur douze semaines révèle qu'ils ont un effet bénéfique sur les jeunes puisque les moins de quinze ans regardent moins les émissions signalées comme violentes que les autres tout en n'affectant pas l'audience globale (Le Monde des 18 et 19 mai 1997).

Témoignage

 

"Pour lui, c' était la bourse ou la vie"

"Cela s'est passé en première année du secondaire.

 

Durant six mois, Max, notre fils, a été racketté par trois adolescents d'une quinzaine d'années. Chaque mardi, ceux-ci l'attendaient à la sortie de son école. Au début, ils lui réclamaient 20 F, 50 F, 100 F, puis des sommes de plus en plus grosses. Ils le menaçaient de leurs couteaux: "Si tu n'es pas au rendez-vous, on te tue."

Nous, à l'époque, nous ignorions tout bien sûr... je me demandais seulement pourquoi, soudain, notre fils ramenait d'aussi mauvaises notes à la maison.

 

Ce qui nous a mis la puce à l'oreille? Partie trois semaines à l'étranger, j'avais laissé ici ma carte bancaire. Max en connaissait le code. À court de liquidités, il a retiré à plusieurs reprises de l'argent à une banque où l'on ne se rendait pas d'ordinaire. Chaque fois, des sommes, inhabituelles elles aussi, de 500 F. À mon retour, à la vue des extraits bancaires, j'étais sûre que mon fils nous piquait des sous. Ma conviction d'alors: il aime les marques branchées; victime de la pub et de la mode, il a de grands besoins d'argent...

Mon mari et moi, nous lui avons demandé des explications. Lui niait les faits. jusqu'au moment où il s'est effondré: "Si je parle, je suis mort." Abandonnant notre ton inquisiteur, nous l'avons alors aidé à trouver ses mots. Nous lui avons aussi rappelé que nous, ses parents, étions là pour le protéger. La vérité nous a fait un choc... Les trois racketteurs avaient extorqué à Max quelque 7000 F au total, une petite fortune aux yeux d'un gamin de 12 ans.

 

Max s'était confié mais il avait peur. Sur le moment, j'étais folle de rage; j'étais prête à attendre de pied ferme les racketteurs ou à me poster derrière l'école et à prendre des photos.

 

Mon mari et moi tenions, en tout cas, à porter plainte. Il en allait, nous semblait-il, de notre responsabilité de parents; nous pensions aussi aux autres enfants victimes de racket. Max, par contre, ne voulait absolument pas entendre parler de plainte.

Nous nous sommes rendus à un Service d'aide à la jeunesse (*). Là, ils nous ont dit textuellement: "Il n'y a rien à faire." Vu que les racketteurs étaient des mineurs, vu qu'il fallait les prendre sur le fait... Et puis, une confrontation était nécessaire. Max était terrorisé à cette idée; il craignait - avec raison - des représailles. On s'est limité à une déposition. Les trois racketteurs ont quitté la zone de l'école. Quand ils se sentent repérés, nous at-on expliqué, ils partent... et vont ailleurs. je me sentais impuissante. je ne savais pas comment protéger mon fils. Quelles vraies réponses, légales, fondées sur la justice et la démocratie, avais-je à lui proposer?

 

Tout au long de ces semaines de souffrances, Max était pris d'un sentiment de culpabilité parce qu'il me volait.

Il en était aussi arrivé à penser que c'était lui le faible, le peureux, le lâche.

Via des petites annonces, il avait même acheté un fusil à billes. Voilà l'unique solution que cet enfant prêt à se défendre avait trouvée. Il n'a, heureusement, jamais osé le sortir. Était-ce parce que, dans la famille, nous étions du genre "pas d'armes à la maison"? Si cela n'avait pas été le cas, aurait-il rapidement dégainé? En tout cas, il cachait l'objet chez un copain dont les parents étaient plus permissifs que nous.

Deux ans ont passé. Chacun dans la famille, et bien sûr Max le premier, a mis du temps à digérer cette histoire. Il n'en parle toujours pas à ses amis, à ses camarades de classe...

Et, étrangement, malgré cette douloureuse expérience, il est persuadé que si, un jour, en rue, il a affaire à un homme dangereux, il lui cassera la figure. Il croit qu'il pourra maîtriser la situation alors que son vécu lui a révélé le contraire ... "

 

Mireille

 

(*) Ces quelques lignes relatent une histoire réelle parmi d'autres Cela ne signifie pas que, partout les réponses à un même désarroi sont identiques.

 

Mais comment donc les jeunes ne sont-ils pas plus violents ?

Ils provoquent.

 

Mais feraient tout pour s'intégrer

Pour comprendre la violence que l'on attribue aux jeunes et qui nous déroute, nous adultes, il faut immanquablement sonder la société et les rapports sociaux et économiques qui la sous-tendent.

 

Rencontré pour vous

Luc Van Campenhoudt sociologue, professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis (Bruxelles) et à l'Université catholique de Louvain

Propos recueillis par Martine Gayda

Pmier constat et... premier paradoxe: alors que notre société n'a jamais tant croulé sous la richesse, elle se remet à produire des inégalités considérables. Et si le fossé se creuse entre les classes sociales, il s'approfondit aussi inexorablement, au sein d'un même groupe, entre les générations.

No future... Pour combien de jeunes (de milieu populaire ou d'origine immigrée, mais pas exclusivement), l'absence de perspective d'un emploi stable empêche tout projet. Et tout rêve.

Le malaise est profond.

 

Le chômage pour les uns, la précarité pour beaucoup d'autres.

Le chômage est un drame au quotidien; il touche une proportion croissante de la population. Les fermetures d'usines sont, par essence même, violentes. Tout aussi brutale et mal vécue, la précarité de l'emploi, laquelle concerne un nombre plus important encore de personnes, de familles. Chômage et précarité ont renforcé l'individualisme: la lutte des places (1) a supplanté la lutte des classes.

Précarité, vulnérabilité, trouille... Perdre son emploi, divorcer ou tomber malade... Un (et un seul) coup du sort et certains chavirent, soudain, dans une existence très rude proche de la pauvreté.

Personne, ou presque, n'échappe à l'inquiétude: "Pourrais-je m'en sortir si jamais... ?" Obsédante question, car, si la crise actuelle se définit par quantité de problèmes, elle se caractérise surtout par le fait qu'on ne croit pas en la possibilité de solutions efficaces qu'on ne voit pas d'issues probables, si ce n'est des voies démagogiques et dangereuses (style repli sur soi).

Entre-temps, société de consommation oblige, grand comme petit, on rêve d'un certain train de vie... L'uniformisation des envies progresse nettement: ainsi, les jeunes, que que soit leur milieu, écoutent les mêmes groupes musicaux, se ruent sur les mêmes films et convoitent les mêmes marques branchées. Mais tous ne disposent pas des mêmes moyens financiers, ce qui exaspère encore plus les frustrations.

 

Quand les jeunes sont "out"…

Écartés du circuit économique, et donc se voyant refuser le droit à une quelconque valorisation sociale, la plupart des jeunes de milieu défavorisé sont aujourd'hui "out". En marge de la société. N'ayant aucune prise sur leur avenir personnel, ils n'ont pas non plus leur mot à dire sur la gestion de cette société dans laquelle, pourtant, ils sont censés vivre. Sentiment d'humiliation... Or, on est tous en quête de reconnaissance.

 

Analyser le malaise des jeunes de chez nous est indispensable pour décoder leur violence ou ce qu'on interprète comme telle (sans commune mesure avec ce que vivent par exemple les Etats-Unis). "La société ne veut pas de nous ? Eh bien! nous, nous ne voulons plus d'elle." La formule était de l'ami Coluche. Combien de jeunes xclus jouant les durs ne l'ont-ils pas aujourd'hui reprise à leur compte! Vandalisme à l'encontre de bâtiments publics, injures à l'égard de personnages publics... Une pure provocation? Pas seulement! Il s'agit aussi, pour ces jeunes, de (sur)vivre quand même et de continuer à se regarder en face. Mais leur défi est complexe: "je rejette cette société qui ne vent pas de moi, mais je ferais tout pour en faire partie." Si nombre de leurs comportements violents se révèlent incompréhensibles aux yeux des adultes, c'est justement en raison de cette ambivalence. Pourquoi, peut-on ainsi se demander, s'en prennent-ils à cette maison de jeunes érigée spécialement pour

eux?

En revanche, on perçoit moins - ou on ne veut pas voir les efforts de nombre de ces jeunes pour créer de nouvelles formes de solidarité entre eux et avec les autres générations, on discerne moins leurs mille et une manières de se mobiliser, dans les quartiers les plus pauvres, pour améliorer leur quotidien et être reconnus comme citoyens à part entière.

 

Gérer l'exclusion, ce n'est pas la combattre

Aujourd'hui, l'exclusion des jeunes, notre société se charge, au mieux, d'en gérer les conséquences. on a beau parler de solidarité avec les exclus, ces deux mots nous piègent! L'exclusion n'est pas qu'un état de fait et la solidarité est à double tranchant: appeler certaines personnes, certains groupes des exclus, cela revient à confirmer leur position en marge de la société, à les figer dans leur situation. Se dire solidaire d'eux, c'est les y enfermer encore davantage. Une sorte de consécration de leur exclusion, comme on est solidaire avec le Tiers-Monde ou les malades du sida. Pas étonnant, dans cette logique, que la prééminence soit donnée à des thèmes tels que la sécurité et l'occupationnel avec les jeunes (autre manière de les surveiller de près et de les tenir à distance dans des espaces réservés).

On en oublierait presque qu'un excellent antidote à la violence est... le conflit. Ou, plus exactement, la coopération conflictuelle. Penser que, sans conflits, la société serait idéale est un leurre! Elle serait comme anesthésiée et forcément totalitaire. Il est essentiel, dans une société, qu'intérêts divergents, désaccords, tensions puissent trouver des lieux d'expression et de débat. Il est essentiel qu'on puisse, tous, se bagarrer, "se rentrer dedans" dans le respect des principes de la démocratie, et donc sans s'entretuer et en acceptant des modes d'arbitrage des conflits. Il est essentiel que chacun puisse influer sur le cours des choses et ne soit pas exclusivement "Ie géré de ... " ou "l'assisté de ... ". C'est à ces conditions-là que celui qui ne sera pas parvenu à imposer ses idées "ne cassera pas la baraque".

Notre société a pris l'habitude de gérer les exclusions mais, dans le même temps, elle a réduit les possibilités d'entrer en conflit. Elle pense trop à "surveiller et punir", et à endormir les tensions qui la traversent. Elle ferait mieux de les regarder en face, de chercher à les comprendre en profondeur et, à partir de là, de débattre ouvertement des choix possibles et des responsabilités des uns et des autres. Cela suppose que chacun se sente davantage garant de la dignité des autres, y compris de ses propres adversaires et de ceux qui, souvent à tort, lui font le plus peur.

Le tag est une signature, stylisée. Un geste de ralliement à un groupe. Le reflet de la confrontation avec les adultes et l'ordre établi. Si les tags, se répétant à l'infini, inquiètent, indignent, irritent, les fresques à l'aérosol que sont les graffes attirent le regard, séduisent, enthousiasment. Alors que les uns et les autres sont traqués...

Alors que des tags et des graffes, il en est, comme de toute chose, des beaux et des laids...

 

(1) L'expression est des auteurs de Gaulejac et Taboada Leonetti.

 

 

L' école - ring

Par Évelyne Hasaerts

 

Tous les jours, les médias relatent la violence. Dans les rues, les quartiers, les écoles. Ici, un prof est agressé par ses élèves; là, un élève tue un jeune de sa classe. Des directeurs d'école, des enseignants réfléchissent, cherchent des solutions, innovent. Dès les primaires, dès les maternelles.

 

La parole est d'or

"Les enfants de notre école vivent dans la rue. Familles nombreuses, logements trop petits, ... La règle du trottoir? Elle est claire: "Si j'ai un problème et que je suis le plus fort, je survis. " Les enfants n'expliquent pas, ils agissent.

Quand un conflit éclate, l'enseignant ne le laisse surtout pas moisir, il essaie de faire prendre conscience aux enfants que la bagarre n'est pas la bonne solution. Il va parLer et... écouter les enfants, Chacun à son tour pourra s'exprimer. Chacun sera entendu. "

"La violence à la récré n'a rien de nouveau. Les caids ont toujours existé. Améliorer le climat général, prévenir la violence dépend de l'attitude de l'enseignant. Son regard sur l'élève est déterminant. Plus il est négatif, plus les enfants réagiront avec force. Prendre le temps de les laisser s'exprimer et de les écouter, c'est simple mais fondamental."

"L'école a instauré des moments de parole et de démocratie pour les élèves. À la fin de chaque récréation, pendant cinq à dix minutes, les enfants peuvent expliquer ce qui s'est passé, les problèmes comme les bons moments ("les grands m'ennuient", "un tel m'a frappé, tel autre m'a aidé". ... ), Une heure par semaine, se tient le conseil de classe: les difficultés propres à la classe y sont abordées ("c'est le chouchou", "celui-là a regardé sur ma feuille ". ... ). Le dialogue s'installe, les enfants trouvent eux-mêmes des solutions. Ils préparent le conseil d'école qui a lieu, lui aussi, une fois par semaine. On y parle des problèmes généraux de l'école (réfectoire, récréation, toilettes, ... ). Deux élèves sont délégués pour aller transmettre les informations au chef d'école. Les adultes disposent également de moments de parole pour se concerter sur les problèmes de pédagogie et rencontrer la direction de l'école. "

 

À l'école de la vie

"Lutter contre la violence, c'est d'abord tenter d'éviter les échecs, le décrochage scolaire. Quand le découragement et un certain laisser-aller s'installent, c'est la porte ouverte à la violence. Il faut responsabiliser les enfants. Chez nous, ils sont cogestionnaires de la bibliothèque; via un système informatique, ils s'auto-évoluent. Tout cela les valorise. Dans chaque classe, nous avons créé des groupes de besoin: deux heures par semaine, des profs apportent une aide aux élèves qui le désirent. C'est très tôt que nous devons agir. Tant de potentiel se perd entre les primaires et les secondaires ... "

"Lorsque les enseignants et les élèves s'entourent de règles précises qu'ils ont élaborées ensemble, on observe en général qu'il y a moins de contestation, et donc de violence. Ces règles sont des barrières de sécurité, des garde-fous…Chacun sait à quoi s'en tenir. "

 

Parents confiants, enfants détendus ?

"Les parents doivent se sentir à l'aise à l'école, parler sans crainte avec les profs. Ils ne doivent pas venir uniquement parce qu'ils sont appelés suite à un méfait de leur enfant."

"À l'école, c'est surtout la violence verbale qui frappe. On ne se parle pas, on s'insulte. Même en maternelle! Les parents sont souvent dépassés. Ils viennent nous demander conseil. Dans les milieux défavorisés, l'école est souvent vue comme un lieu d'entraide. Beaucoup croient que c'est à nous de résoudre leurs problèmes familiaux, sociaux, conjugaux ou de santé. L'enseignant doit répondre à des demandes de plus en plus diverses. Quels moyens a-t-il?"

"Une fois par semaine, un enseignante d'origine morocaine se tient à la disposition de parents. Mieux entendus, ceux ci deviennent partenaires de l'école. "

 

Quand les pairs font l'affaire

Tom a 8 ans. Dans la cour de récré, il suit Kevin, un grand de 12 ans. Ce dernier, excédé, demande à Tom d'arrêter: "Ça m'énerve que tu me colles tout te temps, lâche-moi. " Tom est à la fois désespéré et en colère. Il pense que Kevin ne l'aime pas.

Cet incident est discuté à la réunion d'enfants. "Pourquoi tu ne veux pas être mon ami?", demande Tom. "C'est pas que je ne veux pas être ton ami, mais je veux jouer avec ceux de mon âge", répond Kevin. Tom a reconnu que sa pensée de départ n'était pas réelle. Ils ont parlé, ils ont ri et se sont compris.

Comment exprimer ses besoins, ses sentiments? Comment changer son regard sur l'autre? Entrer en communication avec lui? Aborder le conflit autrement que par l'agression physique ou verbale?

Former les enfants à la médiation, c'est leur offrir un outil qui permet de changer. C'est aussi créer un climat d'échange, favoriser la discussion, l'entraide, la tolérance, la responsabilisation. Pour une résolution non violente des conflits.

 

 

 

Jeux coopératifs du "je Tue nous" au "je, Tu, nous"

Par Sabine Van'Irimpont

 

Il y a de quoi être surpris: une immense pièce où résonnent des rires d'enfants, des "oui" et des "non" hurlés ou chuchotés, des filles et des garçons face à face et un adulte qui évolue au milieu de cette foule... en toute sérénité. Tout le monde semble avoir énormément de plaisir.

Zoom sur Béatrice et Jérémy: bien campés sur leurs petites jambes, le menton en avant et les yeux dans les yeux, ils sont invités à "se parler". L'un dira "oui" tout le temps, l'autre "non" et puis on changera. Il y a différentes manières de s'adresser à l'autre, de le persuader; le plus comique étant d'en essayer beaucoup. Chacun est laissé libre dans son expression. Le ton de la voix varie: énergique, cassant, colérique, excité, suppliant, moqueur, affirmatif, calme,...

Après le jeu du "oui-non", Béatrice et jérémy choisissent une phrase plus longue: "il pleut, non, il ne pleut pas" ou encore "le soleil brille; non, le soleil ne brille pas".

 

Le tête-à-tête se termine. Béatrice et Jérémy rejoignent le groupe. Un adulte raconte une histoire dans laquelle il insère une tempête terrible. Il propose aux enfants de recréer l'atmosphère orageuse par des sons et des gestes qu'il suscitera progressivement: des gouttes d'eau tombent éparses puis drues; ensuite, le vent souffle de plus en plus fort et le tonnerre éclate, fracassant; petit à petit, la tempête se calme et c'est le retour au silence.

Visages radieux, yeux pétillants, les enfants attendent la suite de ces jeux "pas comme les autres". Ici, pas de gagnant, pas de perdant. On n'est même pas obligé de jouer. Mais le plaisir est contagieux, alors tous les enfants finissent par participer.

 

Détente et tension

On appelle ces petits jeux des jeux coopératifs. Si simples, si anodins en apparence, ils semblent avoir une influence positive sur les enfants car ils permettent de faire sortir la tension de chacun de façon organisée et ils détendent tout le monde.

Après avoir pu extérioriser leur tension, Béatrice et Jérémy sont plus détendus et invités à participer à un autre jeu. Ils jouent un scénario choisi dans leur vie quotidienne: deux enfants, eux en l'occurrence, sont en train de construire un grand château en Lego; leur petit frère de quatre ans s'apprête à le démolir à coups de pied. Comment vont-ils réagir? Quel dénouement vont-ils imaginer? Quels mots vont-ils utiliser pour exprimer ce qu'ils ressentent? Les enfants, après avoir joué la scène, la commentent.

 

Soumission ou agression

Dans ces jeux, les enfants vivent des disputes, des tensions et des conflits. Mais ils en parlent ensuite et élaborent entre eux des stratégies pour gérer les difficultés inhérentes à ces situations.

Dans la vie, les conflits existent aussi et il y a de nombreuses manières de les résoudre. Bien souvent, et c'est dommage, c'est l'agression ou la soumission qui est utilisée. Ces deux attitudes extrêmes ne conduisent pas à une solution adéquate car les partenaires ne se sentent pas respectés. D'une part, l'agression fait des victimes: l'agressé souffre, l'agresseur aussi. D'autre part, la soumission peut avoir de sérieuses répercussions: quand la colère est réprimée, elle risque fort d'éclater en une violence explosive. C'est devant ce genre de situations conflictuelles que les parents se sentent souvent démunis.

Quand rivalité et compétition se traduisent par gagner, être le plus fort, être le premier au détriment des autres, les relations interpersonnelles deviennent violentes et agressives. Dans un tel climat, coopérer est vital. Coopérer, c'est réduire les tensions, prévenir l'escalade, transformer les représailles et la vengeance en éléments positifs afin de ne pas perpétuer le conflit et aggraver la situation à long terme. C'est finalement donner une place à l'autre, avoir la sienne et créer ensemble un espace où peuvent se partager, se discuter, se construire et s'exprimer des idées, des opinions.

C'est dans cet esprit que sont nés les jeux coopératifs. Parce que jouer, c'est vivre, parce que vivre, c'est grandir et apprendre.

Une expérience à tenter. Le jeu... coopératif en vaut la chandelle! N'hésitez pas à le lancer, que vous soyez animateurs ou parents.

 

Pour en savoir plus…

De nombreux ouvrages traitent de ce sujet. Du pratique au philosophique, vous avez l'embarras du choix.

À lire plus particulièrement:

Jeux coopératifs pour bâtir la paix, Mildred Masheder, Namur, Université de la Paix, 1989.

Les magasins de jouets proposent de nombreux jeux de société dits coopératifs. Pour les plus jeunes et pour les aînés.

 

 

V. Eduquer un enfant c'est aussi lui faire violence

C'est pour son bien …

 

La vie de famille fourmille d'occasions où les parents décident, exigent, choisissent, interdisent, éventuellement à l'encontre des désirs de leur enfant. Ils imposent les règles de la vie commune. Ils donnent des repères sur ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, sur ce qui est important et ce qui est accessoire, sur ce qui est obligatoire ou laissé au choix personnel. Dans les actes et dans les mots. Du plus banal au plus intime.

Se lever le matin, faire sa toilette, être à temps à l'école, bien se tenir, être prudent, poli, serviable... Obéir? Tout de suite? Avec le sourire? Bien travailler en classe? Être le premier en tout? Briller? Être gentil avec le petit frère? Sans disputes? Sans montrer de jalousie? Acquérir, pour plus tard, le plus de compétences possible? Ne rien casser? Ne rien rater? Ne pas causer d'inquiétudes?...

D'une culture familiale à l'autre, d'un parent à l'autre, exigences et priorités varient.

Quel enfant voulons-nous? Quelles relations désirons-nous avoir avec lui? Quel adulte souhaitons-nous qu'il devienne? Qu'est-ce qui nous pousse à demander, imposer, refuser? L'épanouissement des possibilités de l'enfant? Une revanche sur notre propre enfance? Notre plaisir? La peur du qu'en-dira-t-on? L'inquiétude devant l'avenir? Quel mélange de tout cela ?

Impossible d'élever un enfant sans faire de projets pour lui ... Et qu'est-ce qui le pousse, lui, à leur emboîter le pas? Quel dosage de dynamisme, de désir de nous faire plaisir, de peur de nous déplaire?

Impossible de grandir ou de progresser sans efforts, sans frustrations, sans rencontrer d'obstacles à franchir. Impossible de s'initier à un enseignement, un art, un sport, une technique sans devoir se forcer avant que le plaisir relaie le sens de l'effort. Les adultes eux-mêmes parlent pour eux de la nécessité de "se faire violence". Aux parents et aux enseignants la responsabilité difficile de stimuler l'enfant sans le décourager, de lui donner le coup de pouce nécessaire tout en lui faisant confiance, de mesurer les sacrifices à consentir de la part de chacun. L'ambition du parent pour son enfant a toujours un prix. Le manque d'ambition aussi.

 

Coups de force en douce?

Que de souffrances, d'humiliations n'ont-elles pas été vécues sous le couvert du "bien" de l'enfant! Combien d'adultes, aujourd'hui parents à leur tour, n'ont-ils pas grandi persuadés que leurs sentiments et leurs besoins d'enfants ne comptaient pas! Combien n'ont-ils pas gardé, dans le coeur ou dans les tripes, des traces de brimades qui leur venaient de leurs parents, eux-mêmes de bonne volonté! Phrase assassine, quand elle couvre de mauvais traitements et une volonté de faire plier la personnalité d'un enfant. Phrase toxique quand la certitude d'avoir raison empêche l'adulte d'entendre le désir ou le besoin de l'enfant. Phrase hypocrite quand ce sont leurs propres désirs que les parents veulent satisfaire à travers leur enfant.

Phrase qui met d'autant plus mal à l'aise qu'elle comprend une part de vérité: comment aimer quelqu'un, s'intéresser à lui, sur tout quand il s'agit d'un être en devenir, sans nourrir de désirs pour lui ?

 

 

 

Pour le meilleur, sans le pire…

Si c'est possible!

 

Par Martine Nibelle

 

Ni mordeurs ni mordus, ni battants ni battus, ni bourreaux ni victimes... Nous souhaitons que nos enfants prennent leur place, osent s'exprimer dans un groupe, en classe, parmi leurs frères et soeurs... Qu'ils ne se laissent pas faire, qu'ils affirment leurs avis, leurs choix, leurs opinions, qu'ils se défendent quand ils sont attaqués... Sans rejeter, ni exclure, ni démolir, ni humilier, ni mépriser, ni écraser, ni abîmer les autres... Nous les inscrivons volontiers au cours de judo... Nous les encourageons dans les compétitions...

Un enfant qui sait ce qu'il veut nous plaît. Un enfant qui se laisse faire nous inquiète.

Bien" maîtrisée, l'agressivité est valorisée. Déréglée, elle fait peur.

On prône l'affirmation de soi. On condamne la négation de l'autre.

La frontière est parfois mince.

 

Encourager le dynamisme,

refuser la violence

Tantôt appréciée pour l'élan qu'elle donne, tantôt condamnée pour ses dérives, l'agressivité est une force. Les parents se retrouvent confrontés à la responsabilité difficile de la favoriser, tout en apprenant à leurs enfants à la canaliser.

Tâche difficile, parce que les comportements de nos enfants nous renvoient parfois à des difficultés personnelles, à ce que nous vivons mal nous-mêmes dans notre trop ou notre trop peu d'agressivité...

Tâche difficile, car il s'agit d'encourager chaque enfant à prendre sa place, sans prendre toute la place, et de freiner son énergie, sans pour autant l'inhiber, quand elle empiète sur le territoire des autres.

Pas moyen de sortir de là, pourtant: c'est d'abord à la maison que cela se joue. Dans la sécurité de l'amour, sûr de ne pas être chassé du toit familial, l'enfant apprend à creuser son trou, à s'affirmer différent des autres, à se défendre, à faire ses griffes. Aux dépens de ses parents auxquels il ose s'opposer, aux dépens de ses frères et soeurs avec lesquels il entre en conflit.

Depuis le "tu ne tueras pas", première loi fondatrice de toute vie commune de l'humanité, jusqu'aux règles de la vie quotidienne, plus subtiles, plus subjectives, basées sur les valeurs de la famille, l'enfant se heurte, en grandissant, aux limites et aux interdits qui lui sont imposés.

Peu à peu, il les intègre. Il apprend à exprimer son agressivité sans blesser les autres et sans courir lui-même le risque de n'être plus aimé. Tout comme les règles de la circulation routière ordonnent et rendent possible le flux automobile. Tout petit, l'enfant comprend la nécessité de règles pour tous. Autant de garde-fous, autant de repères. "Si je ne peux pas frapper, les autres non plus ne le peuvent pas. Tout n'est pas permis. Ce monde est viable."

 

Comprendre

n'est pas laisser faire

 

Chacun connaît la dérive (ou la détresse?) de ces enfants - vite qualifiés d'insupportables - auxquels on n'a jamais dit non: ils dérangent, agressent les autres et provoquent (appellent?) les adultes de leur entourage. Peut-être cherchent-ils une limite qui les rassure ?

 

Il ne suffit pas de ne pas frapper ses enfants pour avoir avec eux une bonne relation.

Il ne suffit pas d'interdire à ses enfants de se battre pour qu'ils s'aiment.

Est-ce un hasard si les comportements violents explosent davantage dans les moments de la journée où la tension et la nervosité montent? Ou dans les passages-clés de croissance: période d'opposition vers deux ans et demi, naissance d'un puîné, adolescence... ? Dans tous ces moments de crise la confiance en soi se construit vaille que vaille, l'énergie bouillonne et cherche un contenant. Les digues retiennent les vagues sans les étouffer. Des règles claires évitent à l'agresseur de dépasser les bornes sans le faire taire. Non dits, les sentiments rongent de l'intérieur ou débordent...

 

Condamner les actes,

pas la personne...

Les limites que tout parent impose (et respecte) à l'expression de l'agressivité protègent l'enfant de la violence de ses réactions et de celles des autres. Elles permettent chacun, dans la famille, de vivre, de cohabiter, de s'exprimer.

Interdire de passer à l'acte n'est pas interdire un sentiment. Interdire à un enfant de faire mal ne veut pas dire qu'il ne peut pas avoir envie de faire mal... juger un acte n'est jamais juger l'enfant qui l'a commis. 0n peut très bien comprendre, accepter, parfois même approuver la colère, l'indignation, la révolte d'un enfant et son désir de réagir. Et le lui dire. Mais l'empêcher d'aller trop loin lui apprendre à trouver d'autres moyens d'expression, respectueux de l'intégrité d'autrui. "Tu n'es pas obligé d'aimer le bébé disent souvent les jeunes parents à leur aîné mais tu ne peux pas le bousculer ... " "Je sais que tu es furieux contre moi. Mais je t'interdis de frapper!" "Il n'avaitpas à chiper ton vélo. Tu le droit de le récupérer. Sans faire mal. "

Qu'on soit parent ou enfant, transgresser les règles appelle une explication. Elles ne sont valables et crédibles que si elles sont d'application pour tous. Un parent peut s'excuser sans pour autant perdre son autorité. " Je n'aime pas punir quand je suis énervé: ma main part trop vite!", reconnaît un père.

 

Le plus agressif n'est pas toujours celui qu'on pense!

Certains actes sont d'emblée perçus comme agressifs.

Le langage, dans son intonation et dans les mots, peut aussi - et comment! - agresser. Moins visibles, moins audibles, les sentiments ne sont pas toujours tendres: seul l'enfant (et l'adulte qui a bonne mémoire) connaît l'intensité des émois qui l'envahissent. Surtout, bien sûr, envers ceux qu'il aime... quand ils le déçoivent, lui refusent une chose, en exigent une autre. Les indifférents, par définition, le restent et échappent aux sentiments les plus forts.

Comme parents, nous réagissons surtout aux actes, aux gestes, aux mots. "On ne frappe pas!" "Je ne veux pas que tu me répondes sur ce ton!" "Je t'interdis de parler ainsi à ta soeur!"

Les règles d'une vie commune endiguent et limitent les expressions de l'agressivité. Les sentiments, eux, sont ce qu'ils sont...

 

Les sentiments échappent aux règlements. Ils se nourrissent de ce qui vit et circule entre les personnes.

 

Besoin d'une information? D'une aide? D'une adresse?

 

Il y a dans toute vie de famille, des moments où on ne voit plus clair dans ce qu'il faut faire pour bien faire. Des problèmes se posent, des incompréhensions surgissent, des conflits éclatent ou s'installent et on se sent tellement impliqué qu'on n'a plus le recul nécessaire Pour trouver des solutions satisfaisantes. Il peut aussi y avoir des événements, des circonstances qui font qu'on est à certains moments plus fragile ou moins disponible et les relations avec les enfants peuvent en souffrir. Si on ne parvient pas à se reprendre, un coup de main extérieur peut s'avérer précieux.

 

 

* A la Ligue des Familles

Service juridique: permanence téléphonique tous les jours de 14 à 16 li, consultations sur rendez-vous en matinée (tél.: 02/507 72 27). Service social: permanence téléphonique et consultations sur rendez-vous tous les jours de 8h3O à 16h3O (tél.: 02/507 72 37).

 

* Les centres de guidance

Parfois, quelques entretiens avec un spécialiste suffisent pour sortir d'une situation difficile et repartir d'un bon pied. Ce spécialiste est avant tout un tiers bienveillant qui a une formation en psychologie et l'expérience des difficultés que rencontre toute famille. Pour obtenir les adresses des centres de guidance s'occupant plus particulièrement de l'enfance, vous pouvez vous adresser: pour Bruxelles, à la Ligue de Santé mentale, rue du Président, 53 à 1050 Bruxelles, tél. 02/511 55 43; pour la Wallonie, à la Ligue d'Hygiène mentale de Wallonie, boulevard du Nord, 7 à 5000 Namur, tél. 081/22 21 26.

 

* L' aide au bout du fil

Télé-Parents est une ligne téléphonique ouverte aux parents et aux éducateurs qui y trouveront une écoute compétente. Pour mieux comprendre un problème, réfléchir aux issues possibles, se faire orienter, le cas échéant, vers un spécialiste. Tél.: 02/736 10 03.

 

* Les équipes S.O.S. Enfants

Aide apportée à des enfants victimes de maltraitance ou en danger; soutien assuré à des familles fragilisées, déboussolées, malmenées... À toute demande, les équipes S.O.S. Enfants, relevant de l'O.N.E., veulent proposer une réponse sur mesure. Leur composition pluridisciplinaire (psychologues, médecins, assistants sociaux, juristes) permet d'appréhender une situation dans tous ses aspects. Pour obtenir les coordonnées d'une équipe S.O.S. Enfants, téléphonez au Service S.O.S. Enfants O.N.E.: 02/542 14 10 ou 542 14 11.

 

* Aide d'urgence pour femmes en difficulté

Pour toutes celles, avec ou sans enfants, victimes de maltraitance, existe le Collectif pour femmes battues qui fournit une première aide, une guidance et un accueil dans une de ses institutions. Rue Blanche, 29 à 1050 Bruxelles, tél. 02/539 27 44.

 

 

L'agressivité est nécessaire. Cest un moteur qui protège la vie et aide à grandir.

Mais il y a une marge entre se protéger et devenir dangereux pour les autres ou pour soi-même.

Alors, l'agressivité, d'accords, mais pas sous n'importe quelle forme.

La violence est la conséquence de toutes les agressions qui n'ont pu être parlées, comprises, expliquées. Si personne n'a initié l'enfant à la capacité qu'il a de se défendre, de se protéger, de se faire respecter par la parole, il n'aura comme seul recours que ses poings, ses dents, ses pieds.

 

Avec le soutien du Service de l'Éducation permanente de la Communauté française

Ligue des Famille