La violence et les banlieues

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Violences

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  La violence et les banlieues
 
La violence des banlieues est une révolte 
  La violence, ras le bol  Les plus actifs, à Stop la Violence, sont majoritairement des filles.
  Guerre des sexes et violence sociale
  Livres 

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La violence et les banlieues
par Thomas Ferenczi

LES REPRÉSENTANTS de plusieurs associations de la ville des Ulis nous ont fait part de leur " réprobation " après la publication dans Le Monde du 12 décembre d'une enquête de - Marie-Pierre Subtil sur la délinquance des jeunes dans cette commune de l'Essonne. Dans leur lettre, que nous publions ci-dessous, ils reprochent à cet article de donner de leur ville une image exagérément négative qui produit une impression " de fatalité et d'impuissance ". Dans le même esprit, un " citoyen des Ulis ", jean Lalou, nous écrit qu'il ne reconnaît pas sa ville dans la description de notre journaliste. " La violence est marginale, mais médiatique, ajoute-t-il, n'en faites pas un... Monde! "

" Votre enquête m'a profondément choquée ", nous dit Agnès Foucher, d'Orsay, commune proche des Ulis. Selon notre correspondante, Eric Raoult, ancien ministre délégué à la ville et à l'intégration, qui avait naguère invité les intellectuels à visiter les quartiers difficiles pour prendre conscience des problèmes de l'immigration, " n'aurait sans doute pas renié " cette " plongée dans l'enfer des banlieues ". Pour Agnès Foucher, " les mêmes propos alarmistes, les mêmes insinuations douteuses - le jeune délinquant, évidemment, porte un nom à consonance étrangère -, le même apitoiement, dégradant, pour ces pauvres gens des cités -on imagine le frisson de compassion du lecteur -, les mêmes propos désabusés des élus dressent un même tableau caricatural de la misère des banlieues, indigne d'un quotidien de référence ".

Nous comprenons l'émotion de nos correspondants. Leurs critiques nous semblent toutefois injustifiées. L'enquête du Monde ne contestait en aucune manière le travail des associations. Au contraire, la ville des Ulis avait été choisie précisément parce qu'elle offre un tissu associatif exemplaire. " Depuis sa création il y a vingt ans, écrivait l'auteur de l'article, la municipalité de la ville nouvelle s'évertue à "mailler le terrain social". ( ... ) Les mailles sont serrées: deux cents associations, des centres de loisir, des Maisons pour tous, des gymnases, un centre culturel, une superbe médiathèque, un caté-musique, des clubs de sport ( ... ). La ville n'a pas ménagé ses efforts pour solidifier le tissu. "

Ce que notre journaliste a constaté, qu'en dépit de ces efforts " la délinquance mineurs ne cesse d'augmenter " et qu'une minorité de jeunes (" cinquante selon les uns, une centaine selon les autres ") refuse toutes les formes actuelles d'encadrement, provoquant des violences et décourageant beaucoup d'élus. Ni plus ni moins qu'ailleurs ? Sans doute. " ville ordinaire, en somme, soulignait l'article. Ni plus ni moins "délinquante" qu'une autre. Mais rongée par un mal ordinaire. " Fallait-il taire cette réalité ? Qu'elle soit le fruit de l'exclusion de la pauvreté, du chômage, qui songerait à le nier ? Certainement pas l'auteur de l'article, qui rappelait, en évoquant la démission des parents, que " beaucoup de pères sont au chômage ".

Faudrait-il renoncer à prendre pour objet d'enquête la violence des banlieues ? Nous ne le croyons pas dès lors que l'actualité, boussole du journalisme, met cette question au premier plan et que son étude est conduite avec sérieux, sans volonté de stigmatisation ni de dramatisation. Loin d'" aggraver le mal", comme le craignent nos correspondants, un tel coup de projecteur peut à terme, aider à le guérir.
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Le Monde 5.01.98
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La violence des banlieues est une révolte 
contre "une société injuste et raciste", selon le sociologue Laurent Mucchielli

Le Monde: ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.11.01


"Vous avez étudié les chiffres de la délinquance depuis 1972. Tout le monde parle d'une augmentation de la violence. Qu'en est-il de votre point de vue ?

– Je veux dire d'emblée que certaines aggravations sont incontestables. Mais ajouter aussitôt que, derrière le mot "violence", on amalgame des choses très différentes, du simple regard insistant dans la rue ou de la bousculade dans le couloir de l'école jusqu'au viol ou au meurtre. Dès lors, le mot "violence" n'a plus grand sens. Il faut en réalité bien distinguer ce qui relève de l'insulte et de l'usage du corps dans l'intimidation, choses plutôt banales pour un jeune de quartier populaire ; ce qui relève des bagarres entre groupes de jeunes ; ce qui relève des agressions en vue d'un vol ; ce qui relève de la violence sexuelle ; enfin, ce qui relève des crimes de sang. Il y a là des logiques de comportements et des évolutions différentes.

" Si les bagarres entre jeunes augmentent, les meurtres baissent. En outre, c'est aussi le rapport de notre société à la violence qui change. Les mentalités évoluent (on dénonce beaucoup plus des violences sexuelles jadis cachées), et le seuil de sensibilité des habitants augmente avec l'amélioration de leurs conditions de vie et de santé.

– Les formes de la délinquance ne seraient donc pas nouvelles ?

– Si l'on compare l'époque des blousons noirs, dans les années 1960, avec la période actuelle, on est frappé par quatre ressemblances. On reprochait aux blousons noirs d'agir en bandes très nombreuses, jusqu'à une centaine d'individus, comme les groupes qui sont descendus sur le quartier de la Défense, en début d'année. On leur reprochait également des viols collectifs, comme on parle de "tournantes" aujourd'hui dans les cités. On leur reprochait des vols qui ciblaient les nouveaux biens de consommation des années 1960 (voitures, Mobylette), comme les portables aujourd'hui. Enfin, on leur reprochait du vandalisme, des actes dits déjà "gratuits". Dès lors, la seule véritable nouveauté ce sont les drogues, qui ont pénétré peu à peu les quartiers populaires dans les années 1980, comme objet de consommation et de trafic. Les blousons noirs ne connaissaient que l'alcool.

– Pourtant, vous démontrez que les vols avec violences et les coups et blessures volontaires ont fortement augmenté depuis quelques années. Comment l'expliquer ?

– Je n'ai pas de certitude définitive, mais je suis frappé par la chronologie. Dans les statistiques de police, le nombre de coups et blessures volontaires, et celui des destructions et dégradations, ont crû de façon spectaculaire à partir de la fin des années 1980. Et ces années se terminent avec l'apparition des "émeutes urbaines". Par ailleurs, sur le plan culturel, c'est aussi à la fin des années 1980 que la culture hip-hop est véritablement adoptée par les jeunes des quartiers populaires : les tags se multiplient très rapidement, le break se développe et le rap commence, signes que les jeunes cherchent d'autres moyens pour exprimer leur révolte et leur identité.

" Que s'est-il donc passé dans les banlieues durant ces années 1980 ? Beaucoup de choses : le tournant idéologique de la gauche en 1983, l'accélération de l'effondrement de l'organisation du monde ouvrier et des "banlieues rouges", l'échec des mouvements antiracistes qui venaient de la base et qui constituaient une tentative de traduction politique du malaise des jeunes beurs, l'apparition et l'enracinement du Front national dans le paysage politique, le départ puis le retour de la gauche qui dit avec Mitterrand "on a tout essayé, on ne peut rien faire contre le chômage". Et si ça ne suffisait pas, en 1989, arrive l'affaire du voile islamique qui stigmatise 4 millions de musulmans de France. Tout cela converge. Ce sont les indices du grand vide politique, du fatalisme et du sentiment d'abandon qui s'installent finalement dans ces quartiers.

– La fin des années 1980 serait donc un tournant, à votre sens. Dix ans après, peut-on considérer que les jeunes des quartiers sont plus violents aujourd'hui qu'hier ?

– Ils sont, logiquement, plus violents physiquement puisque les moyens d'exprimer leur révolte d'une autre manière se sont réduits. Mais contrairement à une idée reçue, ils ne sont pas plus jeunes qu'auparavant. Les études de criminologie sur les carrières délinquantes montrent que, dans tous les pays occidentaux, il y a à peu près la même courbe par âge de la délinquance : elle commence à la préadolescence, entre 8 et 12 ans, croît pour atteindre un premier pic à 15-16 ans, puis décline durant la vingtaine et disparaît au cours de la trentaine. Autrement dit, il est absolument banal d'observer de la petite délinquance chez les préadolescents. Par contre, il est probable qu'ils attirent davantage l'attention, c'est-à-dire qu'ils commettent des actes qui sont plus visibles, parce que tournés contre les institutions.

– Comment expliquer cette violence, que beaucoup estiment irrationnelle, voire gratuite ?

– La prétendue "gratuité" des actes délinquants est en réalité le masque de l'ignorance de celui qui en parle. On appelle "gratuit", chez l'autre, ce que l'on ne comprend pas. Certes, il est parfois difficile de comprendre certains actes, notamment des actes de vandalisme, des insultes, des jets de pierres... Mais, en réalité, ils ont du sens, même si les mobiles possibles sont nombreux : intimidation, vengeance, désespoir, volonté de sauver la face devant les autres, etc. La majeure partie de ces faits correspond en général à des formes de révolte contre les institutions : dégradations de bâtiments et d'équipements publics, et naturellement insultes et violences envers les policiers – qui en font généralement de même envers les jeunes blacks et beurs.

– Comment interpréter cette dégradation des relations entre les jeunes et les institutions, dont la police est le symbole ?

– Il faut comprendre la violence contre les institutions comme l'expression de la "rage" ou de la "haine", selon les propres mots des jeunes. Quand on est habité globalement par ce sentiment, on peut parfois se décharger, se défouler sur des biens ou des personnes qui ne sont pas directement responsables de la situation. Ce que l'on appelle les "émeutes urbaines" en est la forme la plus spectaculaire. Lorsqu'un policier a tué un jeune, le mécanisme est évident. Mais l'émeute peut naître aussi à la suite d'un décès accidentel. Même chose pour des formes de vandalisme ou d'agressivité plus courantes.

"Il n'est pas nécessaire qu'il existe des responsables directs d'une injustice flagrante. Nous ne sommes pas dans une configuration codifiée où une violence répond à une autre de façon proportionnée. C'est ce qui rend difficile la compréhension de comportements qui semblent parfois disproportionnés, voire immotivés. Pourtant il y a du sens. La clé se trouve dans les sentiments d'exclusion, d'abandon et d'injustice que ressentent les gens dans ces quartiers, les jeunes, mais aussi leurs familles. Les relations détestables avec la police font souvent le reste.

– Votre discours ne légitime-t-il pas, finalement, la révolte des jeunes ?

– Mon propos n'est pas de juger, mais de comprendre. J'observe que certaines violences traduisent une révolte rageuse qui n'a plus d'autres moyens de s'exprimer. Il n'est qu'à lire les paroles des chansons de rap, qui expriment généralement la manière dont beaucoup de jeunes des cités voient la société : ils pensent être victimes d'un complot, ourdi par le reste de la société pour les enfermer dans leur misère. Selon eux, la société est injuste et raciste, la justice protège les gros, les élites politiques sont corrompues. Si on replace leurs actes dans ce contexte, on comprend mieux.

– Quels sont les ressorts profonds de cette situation ?

– Il y a au moins trois niveaux d'évolution de la société française qui contribuent au durcissement actuel de sa délinquance. D'abord une évolution d'ordre économique et social. C'est le processus de "ghettoïsation". A partir des années 1970, on assiste à la concentration progressive des populations ouvrières les plus pauvres, c'est-à-dire massivement les familles immigrées et leurs enfants, dans des grandes cités HLM aux périphéries des grandes villes, dont la population est très jeune. Le fait est que les quartiers sensibles sont presque toujours les quartiers de la misère. De cette misère découlent des problèmes psychologiques individuels, des problèmes conjugaux et des problèmes familiaux, parmi lesquels une diminution de l'autorité parentale sur les enfants.

"Le second niveau est d'ordre moral et politique : nous vivons dans des sociétés de plus en plus individualistes, de plus en plus centrées sur la consommation, qui n'ont plus de grandes croyances collectives et dont les dirigeants sont complètement décrédibilisés. Un troisième niveau concerne la disparition des moyens de contrôle infra-institutionnel de la jeunesse. Dans ce qu'on appelait les "banlieues rouges", il existait des formes d'entraide et d'organisation des familles ouvrières. Il y avait aussi des militants politiques, des syndicalistes, des curés même... Ensuite, il y a eu la raréfaction des éducateurs de rue dont le financement a été transféré aux conseils généraux. On pourrait aussi évoquer la transformation du corps enseignant, qui n'est plus issu du même milieu social que les élèves. Dans les quartiers populaires d'il y a trente ans, les parents n'étaient pas seuls pour encadrer et contrôler les jeunes.

– Comment sortir, à votre sens, de cette situation ?

– On ne sortira pas d'un processus construit durant trente ans par des réformes touchant simplement à la police et à la justice. Vu le vide politique des quartiers dits sensibles, on pourrait commencer par redonner la parole aux acteurs. On verrait que la délinquance n'est pas leur unique, ni même, sans doute, leur principale préoccupation.

"On pourrait néanmoins essayer d'organiser le contrôle des jeunes par les habitants eux-mêmes, avec un accompagnement public humain et financier. Les municipalités devraient aussi encourager et financer un maximum d'initiatives des jeunes des quartiers populaires. Par ailleurs, on devrait s'interroger en profondeur sur les inégalités et les échecs scolaires. L'égalité des chances est une hypocrisie. La plupart des enfants de pauvres seront à leur tour des pauvres et les enfants de riches des riches. On pourrait s'inquiéter de la dévalorisation symbolique et monétaire du travail manuel. Mais, au lieu de cela, les hommes politiques se livrent à une surenchère sécuritaire qui masque l'indigence de leur analyse de la société française. Enfin, les médias ont leur part de responsabilité, notamment dans la manière dont ils érigent les faits divers en événements prétendus exemplaires, sur fond de catastrophisme permanent."

Propos recueillis par Cécile Prieur

Sociologue, Laurent Mucchielli, trente-trois ans, a soutenu sa thèse de doctorat en 1996, à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess), à Paris. Entré au CNRS en 1997, il a rejoint l'équipe de chercheurs du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), un laboratoire qui travaille depuis une trentaine d'années sur les questions de délinquance, de police et de justice. Laurent Mucchielli est spécialiste des questions de délinquance juvénile, des homicides et de l'histoire de la sociologie de la déviance depuis la fin du XIXe siècle.

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Un mouvement né au lendemain de la finale black-blanc-beur de la Coupe du Monde de football 98 

  La violence, ras le bol !


J'ai rien fait m'sieur par Franck Margerin

On se rappelle comment, à partir d'une discussion entre adolescents de Bouffémont, dans la banlieue nord de Paris, après qu'un jeune en eut mortellement poignardé un autre, a soudain émergé, au printemps de 1999, le manifeste Stop la Violence, qui est rapidement devenu un mouvement, puis un réseau à travers toute la France. Les militants de Stop la Violence sont essentiellement des lycéens ou de jeunes étudiants des quartiers populaires, et ont entre 15 et 25 ans. Peu restent longtemps engagés, mais le mouvement se structure incontestablement. Fin février 2000, une bonne centaine de délégués se sont rassemblés, représentant les quelque cinquante comités que compte Stop la Violence dans le pays. Si les médias en parlent moins, c'est que le travail s'accomplit maintenant sur le terrain, dans les quartiers.

Au fameux manifeste en dix articles (« Respect ? On se parle sur un autre ton » ; « Pas besoin de sa bande pour se parler » ; « Les mecs qui frappent les filles sont des impuissants » ; « Quand on casse, c'est toujours nous qui payons »...) s'est ajoutée une charte qui per-met aux signataires de s'engager à diffuser les idées pacificatrices et à organiser des débats dans la rue, les cités, les établissements scolaires. Bref, après un an d'existence, Stop la Violence incarne bel et bien l'amorce d'un mouvement adolescent de masse qui aurait démarré avec la finale black-blanc-beur de la Coupe du Monde de football, en 1998.

Comme toutes les adolescences, celle-là rêve de justice. Avec une énergie facilement rageuse, mais non sans réalisme. Dans les quartiers populaires, l'envie d'intégration est immense. Et les frustrations sont gigantesques. Les jeunes des banlieues, contrairement à un cliché ranci, aspirent pour la plupart au travail et ne comprennent pas pourquoi ils n'y auraient pas droit. Chez les beurs, cette incompréhension frôle parfois la folie : « Qu'avons-nous donc de si particulier ? », s'interroge Mourad, de Gennevilliers.

A Stop la Violence, on a au moins repéré un hiatus. Lorsqu'on demande aux jeunes des quartiers ce qui compte le plus, selon eux, pour « avoir la cote », ils répondent : se faire de la tune, porter des vêtements de marque, frimer, s'imposer au besoin avec violence, etc. Mais quand on leur demande ce qui les rendrait « heureux », la liste se modifie : fonder une famille, avoir une maison, être libre... Et les militants pacificateurs de demander alors : « Donc, pour être heureux, tu serais d'accord pour dire qu'il faut stopper la violence ? »

Mais l'aspect le plus révolutionnaire de toute cette histoire reste que les plus actifs, à Stop la Violence, sont majoritairement des filles. Notamment parce que, bien avant les garçons, elles ont compris que la fameuse violence-des-jeunes-de-banlieue, qui fascine encore tellement les médias, s'exerce avant tout contre ces jeunes eux-mêmes. Comme le faisait remarquer Michel Foucault, la violence du prolétariat frappe d'abord le prolétariat... « Les filles ont dix ans d'avance sur les mecs ! », s'ex-clame Christophe, un des militants de la première heure. Désormais, dans un pays comme la France, l'écart psychosocial le plus profond est sans aucun doute celui qui sépare les filles et les garçons de 15 à 20 ans, particulièrement dans les quartiers populaires.

C'est à la fois prometteur et problématique. Parce que cette différence d'éveil et de maturité peut paradoxalement faire repartir la violence qu'elle a dans un premier temps contribué à atténuer. Parce que les filles continuent d'incarner, pour la majo- rité des garçons âgés de 12 à 20 ans, un objet de désir inaccessible et que la sexualité adolescente, au-delà des clichés en vigueur, demeure véritablement tragique. « De 1996 à 1998, raconte Nabil, de Créteil, un des morceaux de rap qui nous faisaient le plus kiffer, quand on se retrouvait entre garçons pour parler de sexe, c'était un morceau de Tout Simplement Noir qui raconte un viol. »

Le militantisme actif des filles n'a donc pas contribué à calmer le jeu : on parle d'une augmen- tation moyenne de la violence due aux jeunes en banlieue de 20 % par an... Heureusement, les derniers chiffres du ministère de l'Intérieur semblent indiquer une stabilisation depuis 1999. Parmi les explications avancées : la baisse du chômage, mais aussi... l'impact d'un mouvement comme Stop la Violence. Il faut dire que la pacification des esprits fait aujourd'hui partie de tous les programmes politiques - dans la ville comme en entreprise. Sans préméditation mais avec subtilité, les adolescents du mouvement ont bien devancé leur époque.

Patrice Van Eersel journaliste, a publié notamment : « la Source blanche - L'étonnante histoire des Dialogues avec l'ange » (Le Livre de Poche, 1998) ; « le Cercle des anciens - Des hommes-médecine du monde entier autour du dalaï-lama » (Le Livre de Poche, 2000).

La coordination nationale des comités Stop la Violence se trouve au 67, rue de la Fontaine-au-Roi, 75011 Paris ; 01-43-38-57-13.

Patrice Van Eersel

Nouvel Observateur -H.S. N°41 
Source: http://www.nouvelobs.com/hs-lesados/se_perdre/art5.html 

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GUERRE DES SEXES ET VIOLENCE SOCIALE

PAR HUGUES LAGRANGE (*)

Source: http://www.humanite.presse.fr

La résonance actuelle de dramatiques affaires de viols collectifs ou de procès mettant en cause des bandes de jeunes dans des violences à caractère sexuel ne doit pas être mise au compte de leur seule médiatisation. Si les statistiques policières indiquent, en effet, une certaine stabilisation depuis trois ans des plaintes pour viols commis par des adolescents, le chiffre a néanmoins doublé entre 1992 et 1997, passant de 550 à 1 100 cas par an. Au-delà de ces données qui pourraient n'enregistrer qu'une poussée déclarative, plusieurs enquêtes qualitatives (études Spira, baromètre santé du Comité français d'éducation pour la santé, enquêtes " violences envers les femmes "...) confirment l'ampleur du phénomène. Ainsi, quand l'ENVEFF (1) révèle que cinq femmes sur 1 000 âgées de dix-huit à cinquante-neuf ans ont fait l'objet d'un viol ou d'une tentative de viol durant l'année, cela représente 80 000 cas, soit dix fois plus que le chiffre officiellement enregistré. C'est considérable et donne un aperçu de la misère sexuelle dans laquelle peut encore évoluer, plus de trente ans après 1968, une partie de la population masculine résidant en France.

S'agissant des plus jeunes, il serait néanmoins impropre de parler de misère sexuelle dans le cas de garçons âgés de onze ou douze ans impliqués dans des agressions ou même des viols : ils sont au début de leur puberté et à l'âge des premiers émois. Leur comportement à l'égard des filles aujourd'hui peut être rapproché de celui, initiatique, que pouvaient entretenir des adolescents il y a quelques décennies, lorsque prévalait le sentiment que les filles n'étaient pas accessibles. Le rapport sexuel purement instrumental, souvent une fellation, imposé aujourd'hui à des jeunes filles, prend la place de l'ancienne masturbation collective et des touche-pipi proscrits dans un contexte de dévalorisation de tout ce qui peut avoir, de près ou de loin, rapport avec une identité homosexuelle. Dans ce cas, la fille est prise comme une sorte d'otage d'un processus d'initiation sexuelle masculine.

Mais, dans d'autres circonstances, comme dans ce procès qui a mis en présence un groupe de onze garçons avec une victime sensiblement plus âgée, les violeurs sont bien dans une situation où ils croient pouvoir profiter d'une fille qu'ils savent trop faible pour se faire respecter. Il y a viol avec pénétration vaginale et des actes de soumission imposés à la victime : une situation qui traduit un fort antagonisme entre les sexes. La question du respect est importante. On la repère dans tous les délits, sexuels ou non : pour passer à l'acte, il faut avoir neutralisé le jugement moral, la conscience qui vous l'interdit. C'est d'autant plus facile si l'on considère que sa victime " n'a que ce qu'elle mérite ". Si donc, l'on a catégorisé les femmes en estimables d'un côté et en légères de l'autre, comme c'est souvent le cas pour des jeunes dont la culture est encore marquée par l'idée de l'intouchabilité de la femme en dehors du mariage, et qui sont élevés dans l'interdit de la virginité. Il y a pour eux les filles dignes et non accessibles et les autres irrémédiablement classées comme des provocatrices et des " pétasses " : avec elles, tout serait permis et peu importe qu'elles aient un autre avis sur la question.

La permissivité des mours qui s'affiche dans les salles de cinéma ou à la télévision est loin d'avoir franchi les murs de nos cités populaires. C'est ainsi que la culture du flirt qui s'est naturellement développée en France depuis une trentaine d'années avec la généralisation de l'enseignement secondaire, la mixité à l'école et au collège - c'est-à-dire l'habitude d'entrer en contact pour des garçons et des filles au tout début de la puberté, d'avoir un échange affectif physique et sexuel et qui devient génital vers l'âge de dix-sept ans - est généralement en échec dans des banlieues où des années de récession et de chômage marquent durablement le comportement des garçons et des filles. Les interdits d'origine culturelle auraient certainement beaucoup moins de poids sur la sexualité s'ils n'intervenaient dans une situation de crise économique et sociale, de pauvreté qui durcit les rapports humains, accentue et accuse tous les antagonismes sociaux.

On remarquera que les garçons, qui sont plus souvent que les filles en échec scolaire, sont orientés plus tôt vers des sections de quatrième et de troisième technologiques dans lesquelles la séparation des sexes est forte. La mixité est déjà moindre. D'autre part, ces garçons qui avaient des grands frères qui commençaient à s'installer dans la vie avaient un peu de moyens matériels, ils se retrouvent de nos jours dans une situation beaucoup plus difficile, même au niveau de l'argent de poche. Sans tune, on ne peut même pas prendre un pot. Cela augmente les difficultés et le sentiment d'échec personnel, ajoute une difficulté à s'adresser aux filles sans avoir recours au mode compensatoire (montrer qu'on est mieux que l'on paraît ou que l'on paraît mieux que l'on se sent).

L'absence du flirt est liée à la séparation de l'espace scolaire d'avec la cité. Les garçons sont entre eux, les filles sont entre elles. Ils se retrouvent à un moment mais les relations affectives entre un garçon et une fille sont toujours difficiles. Du coup, le contrôle exercé par les grands frères sur leurs sours, dans une conjoncture sociale marquée par beaucoup d'indices de dévalorisation de la famille d'origine maghrébine, devient une exigence plus forte. On a reporté sur la question de la virginité, de l'honneur familial, une compensation de l'indignité dans l'ordre économique, du statut social de la famille. La claustration des filles, qui s'accompagne d'une plus grande réussite scolaire que les garçons, entraîne la démobilisation de ces derniers et une baisse de l'estime de soi. Progressivement, sous les effets de la conjoncture, ces garçons ont été entraînés dans un processus de dévalorisation auquel ils ont contribué en ne se mobilisant pas scolairement. D'où un besoin de surcompenser cet écart qui va se traduire par la volonté de se montrer plus dur en affirmant une dimension garçon-garçon : l'affirmation de la virilité, de la force, de la maîtrise de l'espace en dehors de l'école et aussi le besoin de traiter les filles comme des objets, comme des possessions.

On comprend, dans ces conditions, qu'un coup de baguette magique ne peut enrayer l'engrenage d'une violence qui se nourrit de la misère, tant sexuelle qu'économique. La question de l'emploi est évidemment primordiale : pas seulement en termes de ressources financières, mais à travers la possibilité d'une intégration plus licite dans la société, de l'acquisition d'une dignité de l'individu et du groupe par des moyens normaux et légaux. L'autre perspective d'amélioration tient à la capacité des victimes elles-mêmes de prendre l'initiative. Elles sont les plus aptes à surmonter la crise de l'intérieur de leur culture, à développer l'espace de libertés qu'elles parviennent déjà à investir grâce à une stratégie discrète d'évitement du cadre de la cité : c'est le droit de vivre comme toutes les autres jeunes filles que ces jeunes filles affirment. Une fois encore, c'est autour de la place reconnue à la femme dans la société que se noue la liberté de tous.

(*) Chercheur à l'Observatoire sociologique du changement (OSC). Derniers ouvrages parus : De l'affrontement à l'esquive, Syros, 2001, 250 pages, 144 francs ; Les jeunes, le sexe et l'amour, Syros, 1999, 240 pages, 98 francs.

(1) Enquête sur les violences envers les femmes en France

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Livres

"Les banlieues"
Les Banlieues Ghettos, enclaves islamistes, foyers de violence et de désœuvrement…
Les banlieues sont stigmatisées, caricaturées, et le débat trop souvent réduit aux idées reçues..

Économie & Société
Véronique Le Goaziou &
Charles Rojzman
sept. 2001 / 8 €
ISBN : 2-84670-004 

"La Crise des banlieues" de Jean-Marc Stébé