PROMOUVOIR L'ÉGALITÉ : AUX HOMMES ET AUX FEMMES |
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Séminaire International "Promouvoir l'égalité: Un défi commun aux hommes et aux femmes"
ACTES DU SÉMINAIRE
Conseil de l'Europe Strasbourg, le 17 septembre 1997 SEMINAIRE INTERNATIONAL
Allocution d'ouverture L'égalité : un facteur d'évolution positive des rôles masculin et de la société, par Bengt WESTERBERG Les hommes et la violence : la logique de l'inégalité, par Professeur Alberto GODENZI, Université de Fribourg, Suisse
Rapport sur le sous-thème 1 a:
Rapport sur le sous-thème 1 b:
Rapport sur le sous-thème 2 a:
Rapport sur le sous-thème 2 b:
Conclusions générales
Allocution de clôture
Le Séminaire International "Promouvoir l'égalité: Un défi commun aux hommes et aux femmes" s'est tenu du 17 au 18 juin 1997, au Palais de l'Europe à Strasbourg. Il y avait environ quatre-vingt participant(e)s, tous et toutes concerné(e)s et impliqué(e)s par la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes. Ils/elles provenaient de 32 pays. La liste des participant(e)s figure à la fin du présent document (Annexe I). Le Séminaire était organisé dans le cadre des travaux du Comité Directeur pour l'Egalité entre les femmes et les hommes (CDEG). Le principal objectif du Séminaire était d'initier un débat européen et de sensibiliser au fait que la réalisation de l'égalité nécessite une collaboration entre les femmes et les hommes. L'égalité est une question qui concerne désormais autant les femmes que les hommes. La promotion de la femme pendant ces dernières années a changé la vie et l'environnement des femmes et des hommes, créant parfois des domaines de tension entre les sexes. Il faudrait définir ces domaines et discuter des moyens de surmonter ces tensions. Au-delà, le but du Séminaire était de mettre en évidence l'évolution positive des rôles masculins traditionnels et d'étudier les liens entre les structures patriarcales traditionnelles de la société et la violence à l'égard des femmes, le patriarcat et le militarisme.
En plus des rapports sur ces thèmes, durant le Séminaire, deux importants discours introductifs ont été présentés. L'un a été fait par Mr Bengt WESTERBERG (Suède) sur l'égalité comme facteur d'évolution positive des rôles masculins et de la société. L'autre exposé était présenté par le Professeur Alberto GODENZI (Suisse) sur les hommes et la violence et la logique de l'inégalité. Les conclusions générales ont été présentées par le Rapporteur Général, Mr François DE SINGLY (France). Mme Agnete ANDERSEN (Danemark), Mme Ludmila BOJKOVA (Bulgarie), Mme Martine CHAUMONT (Belgique), M. Stanislas TURBAMKI (Pologne) et M. Santiago URIOS MOLINER (Espagne) se sont alternés à la présidence du Séminaire. L'importance du Séminaire a résidé dans le fait qu'il a été conçu comme un moyen permettant aux hommes de s'exprimer sur la façon dont les femmes et les hommes devaient travailler pour l'égalité, et de discuter entre eux et avec les femmes de leur évolution ces dernières décennies. Le développement des rôles masculins vers une coopération et un partenariat accrus à l'égard des femmes a été une question centrale. Le Séminaire a présenté d'autres images des hommes, des hommes qui n'aiment pas et n'acceptent pas le rôle traditionnel masculin. Le Séminaire a mis en place plusieurs idées sur la façon de continuer le travail dans ce domaine et identifié un nombre spécifique d'activités que le Conseil de l'Europe pourrait entreprendre dans le but de favoriser la coopération entre les femmes et les hommes sur les questions d'égalité. Le présent document reproduit les discours, les rapports et les conclusions du Séminaire.
Mardi 17 juin 1997 8 h 30-9 h 15 Accueil et enregistrement des participant(e)s au Palais de l'Europe
12 h 30-14 h 00 Pause déjeuner 14 h 00-15 h 00 SÉANCE PLÉNIÈRE
15 h 00-18 h 00 Discussion en groupes de travail
16 h 15-16 h 45 Pause café 18 h 00 Vin d'honneur (Restaurant du Conseil de lEurope) Mercredi 18 juin SÉANCE PLÉNIÈRE 9 h 30-10 h 15 Présentation des rapports sur: Salle 9
10 h 15-13 h 00 Discussion en groupes de travail
11 h 30-11 h 45 Pause café 13 h 00-15 h 00 Pause déjeuner 15 h 00 SÉANCE PLÉNIÈRE
Allocution de clôture prononcée par M. Daniel TARSCHYS, Secrétaire Général du Conseil de l'Europe par Monsieur Pierre-Henri IMBERT, Directeur des Droits de l'Homme Mesdames et Messieurs, C'est avec un plaisir tout particulier que je vous souhaite la bienvenue au Conseil de l'Europe aujourd'hui. Vous allez discuter, pendant les deux jours à venir, d'un sujet dont il est inutile de souligner l'importance : l'égalité entre les femmes et les hommes. Certes, ce n'est pas le premier séminaire que la Direction des Droits de l'Homme organise sur cette question. Au Conseil de l'Europe, la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes fait partie intégrante, depuis longtemps, de la promotion des droits de la personne humaine. Cependant, j'ai l'impression que, aujourd'hui et demain, quelque chose de nouveau va se passer. Peut-être, je l'espère, pourrons-nous nous dire que ce Séminaire aura marqué un tournant; qu'il aura ouvert de nouvelles perspectives pour la réalisation de l'égalité. Pourquoi suis-je si optimiste, alors que je sais que les progrès dans ce domaine sont très lents, et que certains parlent aujourd'hui d'un retour de manivelle, engendré notamment par les conditions économiques difficiles sur notre continent? Peut-être simplement parce que c'est la première fois que j'ouvre une manifestation sur l'égalité, où les femmes et les hommes participent en nombre égal. Vous allez donc pouvoir entreprendre un véritable dialogue, entre femmes et hommes, autour de ce défi commun: comment réaliser l'égalité ?
Je voudrais rendre hommage au Comité directeur pour l'égalité entre les femmes et les hommes, pour avoir inclu ce sujet dans son programme d'activités. Je voudrais également souligner l'apport important - tant intellectuel que matériel - des autorités suédoises à ce Séminaire.
Avant que vous ne commenciez vos discussions, permettez-moi de vous faire part de quelques réflexions sur le sujet qui nous préoccupe. Il y a plus de cent ans, Louise Michel, une révolutionnaire française (elle a pris activement part à la Commune de Paris) et combattante pour les droits des femmes - disait: "Nous voulons apprendre aux femmes quels sont leurs droits et leurs devoirs; nous voulons que l'homme regarde sa compagne non comme une esclave, mais comme une égale". Tout un programme de promotion de l'égalité était contenu dans cette affirmation, un désir de former les femmes et les hommes pour qu'ils aient une nouvelle vision de leurs relations, un désir de changer leurs rapports de pouvoir.
Aujourd'hui, à l'aube de XXIe siècle, pouvons-nous dire que l'objectif de Louise Michel a été atteint? Quel est le chemin parcouru? Qu'est-ce qui nous reste à accomplir? D'aucuns disent que la réduction de l'inégalité entre les sexes a été la plus grande révolution du vingtième siècle, et que nous n'avons pas encore pu en mesurer toute la portée. Certes, au moins en Occident, les femmes ont conquis une autonomie juridique et économique; elles ont obtenu une égalité de droits avec les hommes; elles ont investi le marché du travail en grand nombre. Elles sont sorties de la sphère privée, où les hommes les avaient confinées; elles ont fait leur entrée dans le domaine public, qui leur était quasiment interdit, il y a cent ans. Pourtant, il est incontestable que, malgré les progrès accomplis, l'écart entre le droit et la pratique est encore très grand. Dans presque tous les domaines, les femmes sont encore victimes de discrimination, et parfois marginalisées. Prenons l'exemple des récentes élections législatives en France. Il y a maintenant 10% de femmes à l'Assemblée nationale. Cela a été considéré comme un grand progrès, et H est vrai que, auparavant, ce chiffre était de 6%. Mais il suffit de constater que les hommes constituent encore presque 90% des élus pour comprendre qu'il reste encore beaucoup de résistances, beaucoup d'obstacles qu'il faudra surmonter. Aucun pays européen, aussi avancé soit-il dans ce domaine, peut se prévaloir d'avoir atteint une égalité complète entre les femmes et les hommes. De plus, dans de nombreux pays, la question de l'égalité ne paraît plus être prioritaire, comme si on considérait que les femmes avaient désormais assez de droits, ou que les droits qu'elles ont obtenus ne leur sont pas vraiment dus. La réticence à poursuivre l'adoption d'actions positives pour corriger les inégalités, actuellement visible dans de nombreux pays, en témoigne. Et il y a également cette tension que l'on sent parfois, entre les femmes et les hommes, peut-être due à ce bouleversement des relations suite à l'émancipation des femmes. Cette émancipation a créé un vide, qui n'a pas encore été comblé, et qui est source de déstabilisation. Mais on peut aussi penser que les hommes éprouvent un sentiment diffus de peur; peur de la perte de leurs points de repère traditionnels dans la famille et la société; perte du pouvoir au sens large.
On parle beaucoup du nécessaire changement des mentalités. Mais comment y parvenir? Comment faire comprendre à tout le monde que l'égalité est une question de justice, que nos sociétés ont besoin de l'égalité, qu'il y va de leur bon fonctionnement, de leur développement harmonieux? Quelles sont les méthodes et les stratégies que nous devons adopter? J'espère qu'au cours de ce séminaire, vous allez commencer à trouver des réponses à ces questions. Nous savons qu'aucun retour en arrière n'est possible. La constitution d'un espace véritablement commun aux hommes et aux femmes, un espace d'égalité des droits et des chances se fera, parce que sont en cause les droits de l'être humain et le fonctionnement de la démocratie. Mais cet espace ne pourra se créer qu'à travers un dialogue constant entre les femmes et les hommes, un dialogue sur les questions les plus difficiles, justement celles que vous allez aborder pendant ce séminaire. Que l'on nie comprenne bien. Je ne suis pas en train de dire que parce que les hommes participent au débat sur l'égalité, des solutions s'imposeront à nous. Ce que je veux dire, c'est que je crois que la tenue de ce séminaire, à l'échelle européenne, indique que nous ne pourrons plus aborder la question de l'égalité comme avant, comme étant essentiellement une question de femmes, relative à leur discrimination, par rapport à une norme, qui serait l'homme. Les hommes ne pourront plus rester à l'écart de ce débat. Ce séminaire constitue un signe qu'il y a des gens, femmes et hommes, en Europe aujourd'hui, qui pensent que les femmes et les hommes doivent pouvoir exercer pleinement, ensemble, tous les droits de l'être humain.
Disons les choses comme elles sont: les femmes n'acceptent plus l'injustice de leur situation. Elles ont pris leurs responsabilités dans la vie publique et parfois dans la vie politique. Elles l'ont fait souvent au prix d'énormes sacrifices et de doubles journées de travail, justement parce que c'était leur seul moyen d'y parvenir, parce que la plupart des hommes ne se sentaient pas concernés par leur émancipation. Ils ne se sentaient pas directement responsables de la vie privée, de l'éducation des enfants, de la vie de famille. Il est temps que les hommes redéfinissent, avec les femmes, le partage des tâches et des responsabilités à tous les niveaux de la vie, et en particulier dans la sphère privée. Ce partage ne peut être que bénéfique et apporter une vraie qualité de vie à tous et à toutes. Un mot, pour terminer, sur l'autre thème que vous allez discuter: celui de la violence à l'égard des femmes. Là aussi, les hommes ont leurs responsabilités à prendre. La violence à l'égard des femmes est engendrée par l'inégalité, elle n'est pas le fait d'une minorité malade. En quelque sorte, derrière cette violence, il y a la pensée que les femmes ne méritent pas le même traitement que les hommes, qu'elles leur sont inférieures. Nous savons quelles proportions cette violence peut prendre en temps de guerre, ou au nom des coutumes, des traditions, de la religion. L'éradication de la violence à l'égard des femmes est une grande question pour le Conseil de l'Europe. Le Comité directeur pour l'égalité a des projets pour élaborer des instruments juridiques contraignants pour combattre la violence à l'égard des femmes, et je m'en félicite.
Ce séminaire ne devrait pas rester sans suite. Cet automne, en novembre, se tiendra à Istanbul la 4e Conférence ministérielle européenne sur l'égalité entre les femmes et les hommes. L'un des thèmes discutés lors de cette conférence sera: "Promouvoir l'égalité dans une société démocratique: le rôle des hommes". Je ne doute pas du fait que vos discussions aboutiront à de nombreuses propositions et recommandations qui pourront être transmises aux ministres. Peut-être l'idée de base que nous devrons essayer de faire passer, est l'affirmation sans équivoque que sans l'égalité entre les femmes et les hommes, jamais nous n'aurons une société pleinement juste, pleinement démocratique, pleinement développée et respectueuse des droits de l'être humain. Cet être humain qui est ou femme ou homme, mais pas neutre. Les femmes - ou les hommes - ne constituent pas une communauté particulière comme celles établies sur des critères raciaux, religieux ou nationaux. Ils sont les deux constituants de toute communauté, du genre humain. Il est temps que cette idée soit pleinement prise en compte par la société, par la démocratie elle-même. Cette idée de base doit caractériser notre démarche pendant ces deux jours. Je vous remercie de votre attention.
Discours introductif par M. Bengt WESTERBERG L'égalité: un facteur d'évolution positive des rôles masculin et de la société
La lutte pour l'égalité entre hommes et femmes a toujours, semble-t-il, revêtu davantage d'importance pour les femmes que pour les hommes. D'un point de vue historique, c'est une réalité assez facile à comprendre. En effet, depuis longtemps déjà, les femmes sont fréquemment, par rapport aux hommes, dans une position subalterne et défavorisée. Elles n'ont pas eu les mêmes possibilités en matière d'éducation, de métiers, de carrières, de postes de responsabilité, de revenus, etc. Grâce aux différentes réformes progressivement mises en place, elles ont pu cependant conquérir un grand nombre de privilèges jusque-là réservés aux hommes. Dans certains pays, le mien par exemple, on peut dire qu'aujourd'hui, les femmes ont obtenu l'égalité de jure. Dans d'autres encore, même si des progrès ont été faits en ce sens, Ü subsiste des disparités, même au niveau le plus officiel qui soit. Et partout, même là où la femme est, de jure, l'égale de l'homme, il reste encore un long chemin à parcourir avant d'atteindre l'égalité de facto. Il faut dire aussi que les femmes prennent encore une part beaucoup plus active au débat et à la lutte pour légalité que les hommes. Ainsi, elles sont bien plus nombreuses que leurs homologues masculins à assister aux séminaires et aux conférences sur le thème de la parité entre hommes et femmes.
Dans ce séminaire, nous parlons effectivement d'égalité et de parité, une question longtemps considérée comme ne concernant que les femmes. On a beaucoup parlé de féminisme, d'émancipation des femmes, de politiques de la parité, etc. L'inégalité entre hommes et femmes est souvent jugée comme un problème qui ne concerne que les femmes. On pense souvent que c'est à elles de modifier leur situation pour avoir davantage de possibilités et d'occasions dans la vie, devenir plus indépendantes économiquement et se voir ouvrir les mêmes portes que les hommes. Bien des pays réfléchissent encore en ces termes. Mais dans les pays où l'on ne parle plus de condition féminine mais véritablement d'égalité entre hommes et femmes, les hommes ont commencé à prendre part au processus de réforme. Tel est d'ailleurs le point de vue adopté dans ce séminaire, ainsi que par certains de nos pays. Il témoigne du fait que d'aucuns ont compris que ce sont, non seulement les femmes, mais aussi les hommes qui doivent changer leur mode de vie si nous voulons réellement parvenir à l'égalité. En pratique, toutefois, cette constatation n'est pas encore devenue une réalité dans la vie de bien des hommes, pas même dans les pays où, depuis des décennies déjà, il s'est engagé une lutte pour l'égalité entre hommes et femmes. Dans certains pays, les conditions de vie des femmes ont évolué de manière spectaculaire au cours des années d'après-guerre et, en particulier, dans les années 1960. Leur taux d'activité et celui des femmes ayant des enfants en bas âge s'est rapproché de celui des hommes. Ainsi, les femmes ont acquis une plus grande indépendance économique, laquelle a contribué à accroître leur degré de liberté individuelle. Aujourd'hui, on trouve des femmes dans tous les secteurs d'activité traditionnellement dominés par des hommes.
Cependant, ce sont toujours les femmes qui assument le plus souvent l'essentiel des responsabilités en ce qui concerne la maison et les enfants. Elles continuent de faire les deux tiers ou plus du travail non rémunéré à la maison. Les études sur l'emploi du temps des ménages ont montré, à maintes reprises, que les femmes sont loin d'avoir tort lorsqu'elles disent faire une double journée de travail. Je pense que le débat qui a eu lieu en Suède sur ce sujet et notre expérience en la matière peuvent présenter un intérêt général pour d'autres pays. Dans les années 1960, la Suède a craint de manquer de main-d'uvre, et l'un des moyens dont elle disposait pour écarter cette menace consistait à faire appel aux femmes. Consciente du fait que celles-ci en faisaient déjà beaucoup à la maison, la Suède a évoqué la question de savoir comment on pourrait les soulager pour qu'elles puissent s'investir pleinement sur le marché du travail. La principale solution retenue a consisté pour le secteur public suédois à améliorer les structures d'accueil et de garde pour les enfants et pour les personnes âgées. Mais trente ans plus tard, dans les années 1990, alors que l'on avait considérablement élargi l'offre en la matière, les études sur l'emploi du temps des ménages ont montré que le volume de travail non rémunéré effectué par les femmes n'avait, pour ainsi dire, pas diminué. Le temps consacré par les femmes à tenir le foyer n'a pas beaucoup baissé par rapport aux années 1930! Mais cela ne signifie pas pour autant que la multiplication des structures de prise en charge des enfants et des personnes âgées n'ait pas largement contribué à l'égalité entre hommes et femmes. En effet, c'était un préalable indispensable à la présence des femmes sur le marché du travail Mais dans l'ensemble, cette amélioration n'a pas soulagé les femmes autant qu'on aurait pu le penser. Et il existe bien des explications à ce phénomène.
Même lorsqu'il y a dans un pays des structures de garde (crèches, maternelles ou haltes-garderies) capables de prendre en charge les enfants dont les parents travaillent, il faut tout de même que quelqu'un les y amène le matin et les reprenne en fin de journée. En outre, on attend souvent des parents qui travaillent qu'ils participent aux réunions avec le personnel de la crèche, par exemple, ou encore, qu'ils assistent aux spectacles montés par leurs enfants. Et lorsqu'ils rentrent à la maison après une longue journée de séparation, bien des parents ont le sentiment de devoir consacrer une heure ou deux à jouer avec leurs enfants, et ce plus activement que ne le faisaient la plupart des parents il y a de cela 60 ans. Ce sont non seulement les structures de garde qui se sont améliorées mais aussi tous les appareils ménagers que l'on utilise à la maison comme par exemple le lave-linge. Mais non seulement nous utilisons aujourd'hui la technique de façon beaucoup plus rationnelle pour faire la lessive par exemple mais il y a aussi le fait que nous avons beaucoup plus de vêtements qu'avant, nous ne portons généralement pas la même chemise deux jours de suite, etc. Par conséquent il faut laver plus souvent. Dans bien des familles avec enfants, on fait tourner le lave-linge plusieurs fois par semaine, voire plus ou moins tous les jours. Et il faut bien que quelqu'un mette les vêtements sales dans ce lave-linge, les en sorte en fin de lessive, les place dans le sèche-linge ou les étende sur un séchoir. Et tout cela prend du temps, même dans un ménage moderne!
Si je vous dis cela, c'est parce que je pense que cela nous amène à une conclusion importante. L'amélioration de l'offre des structures de garde et le progrès technique ne vont pas contribuer, à eux seuls, à réduire le volume du travail non rémunéré que les femmes doivent effectuer à la maison, en tout cas pas dans la mesure où nous aurions pu le croire. Donc, si nous voulons vraiment décharger les femmes de leurs responsabilités domestiques traditionnelles, nous devons, nous les hommes, être prêts à faire une plus grande partie de ce travail non rémunéré. Je suis convaincu que les inégalités entre hommes et femmes qui subsistent dans l'entreprise, dans les universités, dans la vie politique et ailleurs reflètent, dans une large mesure, les inégalités au sein des ménages et des familles. Je dirais donc que l'égalité à la maison est un préalable sine qua non à l'égalité à l'échelle de la société dans son ensemble. Jusqu'à présent, il semblerait que les hommes n'aient pas été aussi motivés que les femmes pour changer leur mode de vie et favoriser ainsi l'égalité avec leurs homologues féminines. Il faut simplement reconnaître que les hommes n'ont pas estimé qu'il était dans leur intérêt de promouvoir la parité des sexes. Et il n'y a rien d'étonnant à cela. Rares sont les gens, hommes ou femmes, qui voudraient, de leur propre chef, se départir de leur pouvoir et de leurs privilèges, surtout s'ils ont le sentiment de ne rien obtenir en contrepartie.
Mais malgré l'absence des hommes dans la lutte pour l'égalité, il y a quand même eu des progrès, même s'ils n'ont pas été aussi importants que certains d'entre nous auraient pu le souhaiter. Tout semble indiquer que l'on continue d'avancer dans la bonne direction. Mais je pense que l'heure est venue de se demander s'il s'agit uniquement d'une question de temps ou s'il n'existe pas des obstacles moins visibles, plus subtils, à une véritable égalité entre hommes et femmes. Je répondrai par l'affirmative à ces deux questions. Je pense, bien entendu, que c'est en partie un problème de temps. Les choses ont bien changé depuis la génération de mon père et même depuis la mienne. Et il devrait y avoir encore bien des changements à l'avenir.
Mais je suis également convaincu que ce n'est pas uniquement une question de temps. Outre les règles et autres formalismes qui ont toujours favorisé la discrimination à l'égard des femmes et auxquels l'on a désormais remédié dans bien des pays, il y a aussi ce que l'on pourrait appeler une "structure informelle du pouvoir" qui contribue à perpétuer la répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes. Depuis longtemps déjà, les femmes subissent cette structure mais elles n'en ont pas toujours compris l'importance ou, du moins, elles l'ont sous-estimée. Quant à nous, les hommes, nous n'en avons même pas reconnu l'existence. Je crois qu'il y a là une partie au moins de la réponse à la question de savoir pourquoi l'égalité entre hommes et femmes n'a pas progressé davantage. L'historienne suédoise Yvonne Hirdman a énoncé ce qu'elle appelle deux logiques qui président à la formation de cette structure : d'une part, le cloisonnement général entre le monde masculin et le monde féminin, clairement visible sur le marché du travail comme à la maison et, d'autre part, la primauté des normes masculines dans le monde commun aux deux sexes. Cette structure informelle est, et l'on ne s'étonnera pas, beaucoup plus difficile à mettre au jour et à changer que les règles et les structures officielles, sans parler du fait qu'elle pèse sur la vie de chacun d'entre nous, sur nos relations, sur notre mode de vie familial, etc. C'est de cette structure que relèvent aussi les attentes différentes formulées à l'égard des garçons et des filles, des hommes et des femmes. Permettez-moi de vous donner quelques exemples pour vous aider à mieux saisir le mode de fonctionnement de cette structure.
Il y a de cela quelques années, alors que j'étais ministre délégué à l'égalité entre hommes et femmes en Suède, j'ai demandé une enquête pour essayer de savoir pourquoi si peu de femmes occupaient des postes de direction dans les entreprises de mon pays. Les chefs d'entreprise interrogés à ce sujet ont donné plusieurs explications différentes, en disant notamment qu'entre 25 et 32 ans, alors que l'on est censé tout donner à l'entreprise si l'on veut faire carrière, les femmes en sont à un stade de leur vie où elles veulent fonder un foyer et avoir des enfants. Les femmes? Comment font-elles? En général, les hommes sont concernés aussi. Mais pour nous, de toute évidence, la famille et les enfants ne sont pas considérés comme des obstacles. On peut voir que les exigences professionnelles auxquelles un cadre supérieur ou même intermédiaire doit satisfaire sont beaucoup moins difficiles pour l'homme, qui n'a guère d'autres obligations en dehors de son travail. Pour lui, il est facile d'arriver tôt au bureau, de rester tard, de travailler le week-end, de partir à l'étranger du jour en lendemain, etc. Ce sont surtout des normes masculines, faites par les hommes et pour les hommes, qui régissent les postes de direction. On en est même arrivé à envisager la direction comme une activité strictement masculine. 111 s'écrit des centaines de livres sur le leadership en général et quelques-uns sur lune de ses variantes, le leadership féminin. Mais qui parmi vous a déjà vu ou lu un livre sur le leadership masculin? Le leadership est par définition, considéré comme masculin. N'est-ce pas une sorte de tautologie que de parler de leadership masculin?
Alors que j'étais ministre, j'ai aussi proposé en 1994 de fixer un quota minimum d'hommes parmi les bénéficiaires du congé parental d'éducation. Vous ne devinerez jamais le nombre d'hommes que j'ai rencontrés qui n'auraient jamais pu envisager de s'absenter un mois entier à tel point ils s'estimaient indispensables au bureau! Il est étonnant de constater qu'il n'y ait pour ainsi dire aucune femme irremplaçable sur le marché du travail : elles semblent n'être irremplaçables qu'à la maison.
Et lorsque cette idée d'un quota de pères fut évoquée dans la presse, elle fut presque systématiquement assimilée à une sorte de mesure obligatoire ou coercitive. A-t-on jamais entendu parler de congé forcé de maternité ou de la terrible coercition qui oblige les femmes à rester chez elles avec leurs enfants en bas-âge? Bien sûr, le congé parental, d'une manière générale, est volontaire et facultatif, tant pour les hommes que pour les femmes. Mais la manière dont il est qualifié reflète les normes masculines toujours en vigueur dans la société. Il est important de voir comment les mécanismes de la société reflètent bien souvent cette structure de pouvoir informelle que nous avons évoquée plus haut Mais cela ne suffit pas. Bien entendu, il doit aussi y avoir un vrai désir de changer les habitudes sociales et une volonté de discuter de cette répartition officieuse du pouvoir, au risque pour nous, les hommes d'avoir à modifier nos propres façons de faire. Notre expérience jusqu'à présent toutefois est que les hommes n'ont pas été animés par un fort désir de changer les choses, pas plus d'ailleurs qu'ils se sont montrés disposés à reconnaître l'existence de cette structure officieuse du pouvoir. Peut-être le fait qu'ils soient prêts à accepter des réformes de jure est-il dû en parie au fait que nombre d'entre eux ont le sentiment qu'elles n'ont pas vraiment d'importance réelle dans la "vraie vie".
Si nous voulons que la lutte pour l'égalité s'accélère, je crois qu'il est urgent que nous, les hommes, reconnaissions l'existence de ces mécanismes officieux de pouvoir et, bien sûr, que nous soyons prêts à agir pour les modifier. Mais quelles raisons aurions-nous de le faire? Qu'avons-nous à en tirer? Nul doute que l'égalité a amélioré les chances et la condition des femmes. Mais ne sommes-nous pas, nous les hommes, condamnés à être perdants au fur et à mesure qu'elles deviennent nos égales, condamnés à avoir moins de pouvoir, plus de concurrence pour les emplois et les postes, responsables d'une plus grande partie du travail rémunéré, plus susceptibles de voir notre rôle traditionnel mis en cause? Pourquoi devrions-nous nous associer à cette lutte?
En dépit de ces possibles conséquences, il y a des hommes qui se sont déjà activement investis dans la lutte pour l'égalité. On pourrait s'interroger sur les motivations qu'ils ont eues de le faire. Permettez-moi d'en citer quatre que j'ai trouvées dans la littérature en étudiant la question. Premièrement, le sentiment que beaucoup d'hommes éprouvent selon lequel les groupes mixtes sont beaucoup plus efficaces, efficients et agréables que les groupes composés uniquement d'hommes. Et il existe à cela plusieurs raisons. L'une tient au fait que les hommes et les femmes, à cause de différences culturelles, ont souvent un vécu et une perspective différents. Cela signifie que les femmes qui arrivent dans un groupe d'hommes amènent avec elles des compétences supplémentaires. Certes, l'inverse est vrai aussi lorsqu'un homme est appelé à entrer dans un groupe de femmes, par exemple, s'il commence à travailler dans une crèche. Une autre raison pour laquelle la mixité peut avoir des effets positifs tient au fait que les hommes et les femmes peuvent exercer une certaine autodiscipline les uns sur les autres et s'encourager mutuellement On peut même aller jusqu'à parler d'une certaine "tension sexuelle" susceptible d'être productive dans la vie professionnelle. Troisième raison pour laquelle il semblerait qu'il soit justifier de créer des groupes mixtes : la plupart des équipes sont appelées à travailler sur un marché composé d'hommes et de femmes. Les efforts déployés pour tenter de répondre aux besoins d'une population mixte (clients, patients, élèves, etc.) seront d'autant plus efficaces qu'ils seront le fait d'une équipe elle-même composée de représentants des deux sexes. Ainsi, il y a de cela quelques années, alors que le parlement suédois célébrait le 75e anniversaire du jour où l'on avait donné aux femmes le droit de vote et celui d'être élues députés, une historienne suédoise, Ann-Sofi Ohlander a prononcé une conférence au cours de laquelle elle a tenté de montrer ce que l'arrivée des femmes avait signifié pour le programme politique et le processus de décision. Elle a constaté que, dans les deux cas, les femmes avaient eu énormément d'influence. Des questions nouvelles, concernant en particulier les femmes et les enfants, s'étaient posées et avaient été posées. Bien sûr, ces femmes avaient apporté au parlement une expérience et une perspective nouvelles, lequel était ainsi devenu beaucoup plus sensible à un grand nombre des vrais problèmes de la population suédoise.
Une deuxième raison qui a peut-être amené les hommes à s'investir dans la lutte pour l'égalité sera abordée plus en détail dans le discours introductif suivant le mien. Permettez-moi simplement de relever qu'au cours des quelques dernières années, bien des réseaux masculins ont été créés qui sont fondés sur la conviction qu'une société caractérisée par une plus grande égalité entre hommes et femmes sera aussi plus pacifique. J'ai récemment eu l'occasion de lire un livre qui m'avait été recommandé par Eva Moberg et dont on vous reparlera cet après-midi. Il s'agit en quelque sorte d'une des "locomotives", si je puis dire, de ce séminaire. Cet ouvrage, écrit par Riane Esler et publié il y a une dizaine d'années, s'intitule The Chalice and the Blade. Eisler y démontre qu'il est assez probable que les Européens, du temps de la préhistoire, jusqu'à 1000 ou 2000 ans avant J.-C., ont mené des vies davantage fondées sur le partenariat entre hommes et femmes que pendant plusieurs millénaires de patriarcat par la suite.
Bien sûr, nous n'avons aucun moyen exact de savoir ce qu'il en était précisément il y a si longtemps mais je trouve l'hypothèse d'Eisler, basée sur une analyse de données archéologiques, très crédible. Et en même temps, très porteuse d'espoir aussi, dans la mesure où elle montre qu'il y a une solution de rechange au type de société fondée sur un fort degré de violence dans laquelle nous vivons aujourd'hui. La violence n'est d'après Eisler, pas plus naturelle pour l'être humain que la paix. Je soupçonne que Eva Moberg pensait aussi à Riane Eisler lorsque, il y a de cela quelques années, elle a entrepris sa campagne en faveur d'une conférence des Nations Unies sur le rôle de l'homme. Ce séminaire constitue une contribution importante à la réalisation de cet objectif, devenu depuis aussi le mien et celui de beaucoup d'autres.
Permettez-moi à présent de laisser ce thème de la motivation de la lutte contre la violence pour en venir à trois autres que l'on trouve dans les recherches des sociologues Ôystein Gullvâg Holter et Helene Aarseth. Holter et Aarseth ont étudié un groupe d'hommes qui font partie, en Norvège, de l'avant-garde du combat pour l'égalité. Les chercheurs ont essayé de découvrir les motivations de ces hommes qui luttent pour l'égalité, et ils proposent à cet égard trois archétypes masculins. Le premier est celui qu'ils appellent l'homme de justice. Ils relèvent qu'en principe, beaucoup d'hommes sont favorables à la justice. Mais dans la pratique, R existe souvent des obstacles qui les empêchent de vivre conformément à leurs préceptes. L'homme de justice, toutefois, est fidèle à ses principes dans la pratique simplement parce qu'il estime juste de le faire.
Le second archétype est celui du carriériste. Il fait de son travail le point de départ de son analyse de la famille. Il peut avoir observé que les organisations du monde moderne sont en mutation. Elles se font moins hiérarchiques. Il a appris que les nouvelles organisations sont peut-être plus appropriées aux femmes et il pense, pour sa compétitivité future sur le marché du travail, qu'il a intérêt à apprendre davantage de choses du type de celles que les femmes connaissent. Lune des manières de parvenir à cet objectif, pense-t-il, consisterait peut-être pour lui à rester à la maison avec les enfants pendant un certain temps. Alors, H fait sa part au foyer en espérant qu'à l'avenir, il tirera quelque profit de cette expérience au bureau. Cette attitude peut sembler quelque peu suspecte mais les chercheurs soulignent que cet homme est plus proche de ses enfants que d'autres. C'est grâce à ces contacts, et non grâce à la lessive, au ménage, voire au golf qu'il aura fait qu'il espère en apprendre davantage sur les relations humaines.
Le troisième et dernier archétype masculin est celui de l'homme soucieux. Sa participation à la vie familiale n'est pas limitée à son rôle de père. Il estime que la vie de famille fait partie de la vraie vie. En s'engageant et en s'investissant activement dans la vie de sa famille et non pas simplement en assurant son soutien matériel, il ajoute une dimension à ce qu'il estime relever de la qualité de la vie. Les cinq motifs que j'ai mentionnés (et il y en a peut-être d'autres) peuvent constituer des facteurs d'explication importants de la mobilisation des hommes dans la lutte pour l'égalité des sexes mais j'ai le sentiment que cette dernière motivation, disons celle de vouloir être un bon père, est probablement la plus courante, celle qui pourrait amener les hommes à agir pour l'égalité. J'emploie le conditionnel et non le futur, car je ne pense pas que cette motivation soit aussi puissante que celles des femmes.
De plus en plus d'hommes cependant prennent conscience du fait qu'ils sont importants pour leurs enfants. L'absence du père est un problème social dont on débat dans bien des pays. Nous savons qu'elle n'entraîne pas nécessairement des difficultés d'ordre social mais nous savons aussi que les jeunes adolescents en difficulté en souffrent souvent. Et parmi les prisonniers (dont la plupart sont des hommes), l'absence du père pendant l'adolescence semble être un problème très courant. C'est ainsi que les pères ont pris conscience de l'importance qu'ils ont pour leurs enfants. Il est intéressant de noter dans l'étude norvégienne comme dans d'autres études similaires que beaucoup d'hommes qui oeuvrent pour l'égalité le font en quelque sorte en signe de protestation contre leur propre père dont ils ont souffert de l'absence.
Mais ce n'est pas uniquement pour leurs enfants que les hommes veulent être présents au foyer mais aussi pour eux-mêmes. On ne peut tout de même pas passer sa vie au bureau. Je crois que beaucoup d'hommes ont, à l'égard de la double journée de travail des femmes, des sentiments quelque peu partagés. D'une part, ils ont l'impression que c'est une vie fatigante mais d'autre part, il leur arrive aussi de penser que les femmes mènent une vie plus riche et plus pleine que la leur, dans la mesure où elles participent à la production et à la reproduction. Et nombreux sont les hommes probablement envieux de cette situation. Je crois qu'il serait souhaitable d'encourager un débat qui pourrait amener les hommes à remettre en question leur rôle traditionnel et à envisager de le modifier. Nous devons aussi soutenir ces hommes qui veulent devenir des partenaires plus égaux, tant à la maison qu'au bureau. Ma proposition de quota de pères, acceptée par le parlement et désormais partie intégrante du système suédois de congé parental, n'était qu'une mesure timide en ce sens. Il faudrait qu'elle soit suivie de bien d'autres actions si nous voulons vraiment parvenir à l'égalité entre hommes et femmes. J'espère à présent voir un PDG dire qu'il attend de tous ses employés de sexe masculin qu'ils prennent le congé parental auquel ils ont droit, faute de quoi ils feraient preuve d'une grave irresponsabilité risquant de menacer leurs chances de faire carrière dans l'entreprise.
Depuis longtemps déjà, les femmes remettent en cause et contestent leur rôle traditionnel. Dans bien des pays, elles ont eu aussi le courage de le changer. C'est aujourd'hui à notre tour, nous les hommes, d'en faire de même. Et nous avons pour cela énormément de bonnes raisons. Je suis convaincu qu'une société fondée sur un partenariat entre hommes et femmes sera synonyme de progrès de l'humanité et sera mieux préparée à pallier toutes sortes de menaces qui planent sur l'espèce humaine. J'espère que ce séminaire contribuera de manière importante à stimuler et à relancer le débat sur ces questions dans toute l'Europe.
par Professeur Alberto GODENZI, Université de Fribourg, Suisse Les hommes et la violence: la logique de l'inégalité ( Cet exposé s'inspire des travaux inestimables de divers spécialistes, notamment ceux de Catharine Mac Kinnon et de Pierre Bourdieu (qui ne sont pas responsables des erreurs de ce texte). Je remercie également Mary Heine qui a collaboré à la version finale du texte.) L'inégalité des sexes et la violence qu'exercent les hommes à l'encontre des femmes sont des phénomènes mondiaux. Même si le degré d'inégalité et de violence varie d'un pays à l'autre, chacun sait, comme le déclare le Programme de développement des Nations Unies (PNUD), que dans aucun pays au monde les femmes ne sont aussi bien traitées que les hommes. On ne peut alors que se demander si les hommes sont supérieurs - et bien évidemment ils ne le sont pas - et s'ils sont dominateurs et exploiteurs par nature. Bertolt Brecht fait dire à l'un de ses personnages: "Aucun homme ne naît boucher". Devenir une brute endurcie prend du temps et est onéreux. C'est une personnalité acquise. Bien que nous soyons dotés d'un appareil biologique qui nous rend capable de commettre des actes violents (peut-être davantage chez les hommes que chez les femmes), ce n'est que dans un petit nombre de cas pathologiques que la biologie est la cause d'actes de violence. Et si ce n'est la biologie, ce ne peut être que l'environnement social.
La structure sociale exerce une influence sur l'inclination interpersonnelle à commettre des actes de violence et par conséquent sur la violence exercée par les hommes à l'encontre des femmes. C'est ce sujet que je me propose de traiter ici, compte tenu du facteur inégalité. La connexion entre l'inégalité et la violence masculine ne peut être pleinement appréhendée sur une base unidimensionnelle. Naturellement, l'usage de la violence peut être influencé par d'autres variables (nonnes culturelles et leur incidence sur le comportement interpersonnel ou le niveau général de violence). Néanmoins, il semble bien que l'inégalité soit le facteur crucial de la violence. Nous savons très bien - grâce à l'étude comparative des cultures - que dans certains groupes la violence intime des hommes à l'encontre des femmes fait partie du répertoire normal du comportement masculin, tandis que dans d'autres groupes les hommes y ont moins recours ou même n'exercent aucune violence à l'égard de leurs partenaires (Levinson, 1989). La coopération et l'égalité prévalent entre les membres des groupes moins enclins à la violence. Une importance considérable est attribuée à l'égalité. Nous savons que la maîtrise du revenu et des biens, à savoir le pouvoir économique, est non seulement la variable primordiale en matière d'égalité des sexes, mais est logiquement à la base même de la violence à l'encontre des femmes. Nous savons aussi que, même si les femmes représentent la moitié de la population mondiale et travaillent infiniment plus que les hommes, elles ne perçoivent en retour qu'une part infime du revenu et que, au niveau mondial, leur part des biens n'est que d'un pour cent.
Selon la recherche anthropologique, dans tous les groupes caractérisés par l'égalité entre hommes et femmes, ces dernières détiennent la moitié au moins du pouvoir économique (Blumberg, 1984). Notons que dans tous les groupes observés il n'existe aucune relation constante entre l'égalité des sexes et la différenciation sexuelle. Il peut y avoir égalité sexuelle là où les hommes et les -femmes ont les mêmes activités et n'insistent pas particulièrement sur leurs caractéristiques biologiques, en d'autres termes là où la différenciation sexuelle est inexistante. Mais elle peut aussi exister là où la différenciation sexuelle est nette et où les domaines d'activités sont répartis en fonction du sexe. Enfin, il peut y avoir égalité entre les hommes et les femmes dans des groupes où une différenciation sexuelle plus marquée s'accompagne d'une coopération encore plus poussée dans divers domaines d'activité. Encore une fois, le facteur décisif de ces trois constellations est la parité économique des femmes. Il convient, bien entendu, de relativiser ces observations car tous ces groupes sont de dimension restreinte. Les structures de ces collectivités sont faciles à comprendre aux niveaux organisationnel et technique. Dans tous les groupements humains plus nombreux et dont les systèmes hiérarchiques, politique et économique sont par conséquent plus complexes, à tous les stades de leur développement, la domination masculine - notamment l'accaparement du pouvoir économique - s'est franchement affirmée. Je n'entrerai pas ici dans les raisons qui peut-être ont préludé à cette prise de pouvoir et me contenterai d'insister sur le fait que l'égalité des sexes ne sera atteinte que si l'on s'attaque au pouvoir économique monopolisé par les hommes. Le pouvoir économique exerce son influence sur des domaines aussi variés et importants que la fécondité, le mariage, le divorce, les rapports sexuels prémaritaux, ( ... ), la liberté de mouvement, l'accès à l'éducation (Blumberg, 1984). Nous pouvons être sûrs d'une chose: "plus faible est le pouvoir économique relatif des femmes et plus elles courent le risque d'être opprimées physiquement, politiquement et idéologiquement (p. 75). Les observations ci-après illustrent la connexion entre inégalité et violence: L'oppression physique des femmes, notamment la violence masculine à leur encontre, intervient à un moindre degré dans les groupes au sein desquels les femmes se sont organisées en entités économiques séparées: les hommes n'en font pas partie ou bien ils n'y exercent aucun contrôle. La violence masculine est également moins fréquente quand les perspectives les femmes confrontées à un divorce sont satisfaisantes. Enfin, la violence masculine se manifeste moins souvent quand les conflits se règlent pacifiquement entre hommes.
Vous pouvez donc juger du travail qu'il nous reste à accomplir et vous rendre compte qu'il est indispensable d'adopter une démarche propre à mettre en lumière les liens entre violence familiale et violence extra-familiale. Le rapport entre l'inégalité des sexes et la violence masculine est patent et cela dans les deux sens. Dans la mesure où l'inégalité favorise et encourage la violence, il convient, premièrement, de voir dans cette dernière l'expression ou la conséquence de l'inégalité et, deuxièmement, de se rendre compte qu'elle perpétue et aggrave l'inégalité. La violence est ici le moyen, l'instrument qui sert à maintenir et à renforcer l'inégalité. Le Canadian Panel on violence against Women: "Ending Violence - Achieving Equality" a bien mis en lumière la connexion entre inégalité et violence. Bien que les structures de l'inégalité soient sans aucun doute le terrain d'élection de la violence, elles ne sont pas en soi une précondition de la violence. La violence est concevable sans l'inégalité. Mais l'inégalité est toujours inextricablement liée à la violence, non pas tant au sens physique ou psychologique, mais plutôt structurellement, c'est-à-dire au sens économique. On a souvent essayé de résoudre les problèmes de répartition auxquels sont confrontés les groupes sociaux par le biais de l'inégalité et de la domination. La répartition de ressources rares ou non renouvelables pose toujours un problème délicat. Les ressources rares sont notamment la richesse matérielle, le prestige et le pouvoir. L'inégalité signifie qu'il existe une disparité sociale en matière de pouvoir, de possibilités, de privilèges et de justice entre les groupes. Par conséquent, une relation dans laquelle un, ou plusieurs groupes, exploite ou exproprie un ou plusieurs groupes est inhérente au concept d'inégalité. " ( ... ) L'avantage dont jouit un groupe dépend inéluctablement du désavantage dont souffre un autre. ( ... ) si un groupe dispose d'une part abondante d'une ressource non renouvelable, celle-ci ne peut provenir que de l'autre groupe, ou des autres groupes, appartenant au même système social" (Jackman, 1994, p. 2). Ces luttes pour les ressources ou le capital comportent des perdants et des gagnants. Les gagnants forment les groupes dominants, les perdants les groupes subalternes. La violence structurelle se manifeste davantage dans certains domaines (par exemple la justice ou l'économie); dans d'autres, c'est la violence physique et psychologique qui prédominent (par exemple, dans les rapports de couple). La violence physique (la plus visible des formes de violence et donc souvent la seule identifiée, reconnue et condamnée) ne s'impose que lorsque la violence structurelle et psychologique ne suffit plus à maintenir l'inégalité des relations. Comme la violence physique est celle qui peut le mieux prétendre à une reconnaissance légale, les groupes dominants essaient d'assurer leur accès aux ressources rares et de les contrôler le plus longtemps possible sans recourir à la force. Plus les inégalités sont ancrées et institutionnalisées, plus il est facile de le faire. Le plus tôt un groupe minimise le contrôle qu'il exerce en prétendant qu'il est normal (par la dissimulation), "les choses sont ainsi", moins il est contraint de justifier sa domination. Et moins sont nécessaires les actes d'agression physique "réclamer son dû en qualité de membre d'un groupe privilégié, c'est récolter des profits sans avoir à lever le petit doigt' (Jackman, 1994, p. 8). Pour éviter que ce système d'expropriation ne soit contesté, il convient d'élaborer et d'instituer des idéologies susceptibles d'occulter la véritable nature du système. Jackman (1994, jaquette du livre) écrit: "L'idéologie est le gant de velours des groupes dominants lorsqu'ils emploient la "persuasion par la douceur, et qu'ils définissent ainsi les paramètres moraux des discours politique qu'ils adressent aux subalternes. Les groupes dominants ( ... ) sont particulièrement attirés par le moule idéologique du paternalisme, où la coercition des subalternes s'enracine dans l'amour plutôt que dans la haine. ( ... ) Les subalternes reçoivent amour, affection et éloges à condition de respecter les modalités de la relation inégale". Mais si les subalternes rejettent ces conditions, on recourra à d'autres méthodes de persuasion, entre autres à un usage direct et sans fard de la violence. L'institutionnalisation des rapports d'inégalité, le système des rangs est appelé stratification. Une société stratifiée organise ses membres en fonction de leur accès à des ressources rares. "La stratification sexuelle se réfère au degré de différence entre le statut global des femmes et des hommes dans une société" (Chafetz, 1980, p. 105). Weber distinguait trois niveaux de stratification: la dimension économique (richesse et revenu), la dimension politique (pouvoir) et la dimension prestige social (statut). L'inégalité entre les hommes et les femmes à ces trois niveaux est frappante. Tai déjà fait allusion à l'inégalité économique. Je voudrais ajouter - en accord avec ce qui a été dit précédemment - que l'inégalité économique est la pièce de résistance de l'inégalité sexuelle. Par rapport au reste de l'Europe, les pays nordiques ont accompli de grands progrès vers l'égalité en ce qui concerne la seconde dimension, le politique, mais ils se heurtent à d'énormes difficultés au niveau économique. Selon le rapport final (p.15) du Groupe des spécialistes sur l'égalité et la démocratie du Conseil de l'Europe 1996, les femmes nordiques continuent à être fort peu nombreuses parmi les cadres administratifs et commerciaux, et bien qu'elles soient très présentes sur le marché du travail, elles n'ont qu'un rôle très mineur dans le contrôle de celui-ci. En ce qui regarde la dimension politique de la stratification, mentionnons que dans l'Union européenne la (sous-)représentation des femmes dans les parlements était de 16,4 pour cent, en 1994, (d'un maximum de 40 à un minimum de cinq pour cent). La dimension sociale de l'inégalité mérite d'être examinée de plus près. Elle a à voir avec ce que les gens pensent de vous. Si les gens n'ont pas une bonne opinion de vous, vous n'avez guère de prestige. Comme nous l'avons déjà dit, le prestige est par définition une ressource rare. L'inégalité sociale est peut-être moins évidente et moins tangible. Je me permettrais de me référer ici à une étude effectuée par Broverman et d'autres (1972). Des psychiatres, des psychologues et des travailleurs sociaux furent priés de décrire les caractéristiques d'un être humain sain d'esprit, d'un homme sain d'esprit et d'une femme saine d'esprit. L'image d'un être humain sain d'esprit étaient corrélée dans une large mesure avec celle d'un homme sain d'esprit. Mais l'image de la femme saine d'esprit différait sur des points essentiels des deux autres images. Cela signifie que selon les personnes interrogées, nombre des caractéristiques estimées désirables chez une femme étaient en fait celles d'une personne ne jouissant pas d'une bonne santé mentale. Ou, en d'autres termes, les femmes sont saines d'esprit quand elles sont malades par rapport à un être humain, c'est-à-dire un homme. La logique des différentes attributions a été résumée par MacKinnon (1994) dans une critique de la théorie aristotélicienne du droit (correspondant largement à notre manière d'appréhender la loi): aux égaux un traitement égalitaire. A ceux qui ne sont pas des égaux on doit appliquer un traitement reflétant leur inégalité. L'attribution de caractéristiques différentes justifie l'inégalité de traitement. Ces caractéristiques (qui sont de nature sociale et non biologique). Tous les jours notre esprit et notre corps reproduisent ces caractéristiques en ce sens que nous faisons l'homme ou la femme. Il s'agit là des différences dans une société, "sur la mesure et le degré de différenciation attendue des hommes et des femmes, qu'ils soient différents ou non en réalité, en matière de comportement, de personnalité, d'intérêts et d'intelligence"' (Chafetz, 1980, p. 106). Je me référerai ici à une enquête valant la peine d'être mentionnée, bien que je n'ignore pas qu'on ne pourra en tirer que des conclusions limitées parce qu'elle comporte un échantillon assez particulier d'hommes, à savoir les lecteurs d'un magazine de mode masculine. On a interrogé 4 000 hommes l'an dernier sur les caractéristiques qu'ils apprécieraient chez une femme. Voici les questions posées aux hommes: Lesquelles des caractéristiques suivantes souhaiteriez-vous voir chez les femmes? L'affirmation de soi - L'attachement au foyer - L'intelligence - Un aspect attirant - La fiabilité - Le sens de l'humour - La fidélité - La confiance en soi Les réponses des hommes étaient comme suit: Nous souhaiterions trouver chez les femmes les caractéristiques suivantes:
L'étude, comme je l'ai dit, n'est pas au-dessus de toute critique du point de vue méthodologique, mais elle est instructive car elle montre que les hommes veulent que les femmes soient différentes d'eux. Il apparaît que ces caractéristiques ou ressources souhaitées ou attribuées aux femmes ne se prêtent pas facilement à une transformation en statut, parce que "Si les ressources sont le fondement du statut et si les femmes ont un statut inférieur à celui des hommes, il nous faut alors postuler que les femmes disposent de moins de ressources que les hommes ou que leurs ressources ne sont pas facilement convertibles en statut" (Nielsen, 1990, p. 240). Quelles sont alors les ressource qui assurent un meilleur accès au statut: l'origine, l'éducation, la classe (revenu, richesse), la race, l'ethnicité, l'âge et bien entendu le sexe? Mais lorsque les femmes ne réussissent pas à transformer les mêmes ressources acquises (diplômes universitaires) ou héritées (origine) ou attribuées (sexe) en un statut de même importance (revenu) et - si cette connexion est connue - un problème de justification se pose. Ce problème lié à l'inégalité des chances et de traitement est justifié par la construction d'une altérité. L'inégalité ne correspond pas - comme le montre MacKinnon (1994) - à une différence (comme le pensait Aristote) mais à une hiérarchie. Quiconque occupe un rang subalterne, peut être traité inégalement, et non: quiconque est différent. La différenciation sexuelle qui est, en fait, une mesure des stéréotypes "n'implique pas l'inégalité. Il est logiquement possible de dire "séparé (différent) mais égal". Empiriquement, il apparaît [au moins en ce qui concerne les sociétés complexes] que différent est fortement associé avec inégal, c'est-à-dire que le degré de différenciation entre les hommes et les femmes et le degré de stratification sexuelle sont fortement corrélés" (Chafetz, 1984, p. 106). L'inégalité de traitement signifie: ne pas accorder les mêmes droits, ne pas octroyer les mêmes privilèges, bloquer l'accès (officiel ou non officiel), écarter des sphères d'influence, des processus de prise de décision, des débats, maintenir à un niveau inférieur, utiliser, exploiter, remettre les gens à leur place, en somme maltraiter les personnes. Le comportement violent s'inscrit dans cette catégorie. La violence et le traitement inégal sont étroitement liés. Si, d'après les études susmentionnées - il est important pour les hommes de s'affirmer et pour les femmes d'être attirantes, les hommes ne se font guère scrupule d'user de violence à l'égard de ces dernières dans la lutte pour la maîtrise du capital économique, culturel et social. Telle est la logique de l'inégalité. Qu'ils parviennent ainsi à leurs fins, fait partie de la logique des champs dans lesquels les hommes et les femmes s'affrontent, notamment à cause des relations établies entre ces domaines particuliers (la famille, la justice, l'économie).
Dans cette logique, la violence n'apparaît pas tant comme l'acte ou la' décision d'un individu (dans une certaine mesure, la violence est aussi cela), mais les actes de violence sont des stratégies inscrites dans le corps et l'esprit, ils relèvent de la pratique quotidienne pour régler les conflits et procéder à la répartition de traits spéciaux entre les membres du groupe. La logique de l'inégalité est une logique de la pratique. par conséquent, il ne s'agit pas tant de d'essayer de déceler les motifs des individus que d'examiner la logique des rapports entre les groupes. L'inégalité et sa relation avec le pouvoir ont été étudiées par Yllo (1983). Un indicateur du statut des femmes mesure l'inégalité sexuelle. Celle-ci comporte quatre aspects : un aspect économique (income médian), un aspect éducationnel. (pourcentage des femmes inscrites à un enseignement post-secondaire), un aspect politique (représentation dans les assemblées parlementaires) et un aspect juridique (législation sur l'égalité de rémunération). Le statut des femmes a été examiné dans 30 Etats des Etats-Unis au moyen de l'indicateur de statut. Puis des violences graves à l'encontre de femmes mariées ont été mesurées et corrélées avec l'indicateur. Le résultat de cette étude est reproduit en annexe. La relation curvilinéaire entre le statut des femmes et le taux de violences graves à leur encontre indique tout d'abord que la violence diminue à mesure que s'élève leur statut, par conséquent que l'inégalité décroît. Mais à mesure que s'accroît l'égalité, on observe un renversement de tendance. On ne peut que ws'interroger sur l'évolution ultérieure de la courbe. Il serait plausible de postuler que, l'inégalité continuant à décroître, le taux de violence continuerait à chuter les femmes étant plus à même de se défendre (grâce à l'amélioration générale de leur statut) de et mener une vie indépendante. Parallèlement, la participation accrue des femmes aux sphères du pouvoir dans la société remettrait sérieusement en cause l'acceptation de la violence familiale par la société. Les résultats de l'étude d'Yllo confirment que la violence est à son niveau le plus élevé précisément là où l'inégalité est la plus forte. Toutefois, cette inégalité décroissante ne s'accompagne pas d'une chute régulière de la violence (tout au moins pas dans cette fourchette de différences de statuts). Sous l'empire de l'influence croissante des femmes il apparaît que les privilèges masculins sont contestés et menacés: tout ce qui semblait acquis dans les rapports entre les sexes commence à vaciller, et les hommes ont de plus en plus le sentiment qu'il leur faut réagir. En tant que groupe, les hommes auront tendance à essayer de rétablir l'état d'inégalité antérieur. Les pratiques de la vie quotidienne ont pour elles la force de l'inertie et les réactions au changement social manquent de souplesse. La lutte pour l'accaparement du capital attractif se poursuit même lorsque la société devient moins inégale. De même, la violence persiste dans les sociétés où les hommes et les femmes sont égaux. Mais il y a là d'une différence décisive, la lutte - ou le "dialogue", si vous préférez ce terme postmoderne - pour le pouvoir, l'influence et les ressources comme l'autodétermination et la liberté de mouvement sera menée dans des conditions d'égalité. Les adversaires de la démocratie sexuelle se demandent s'il est vraiment nécessaire d'investir dans l'égalité (surtout avec le risque d'un retour de bâton) si la violence continue à se manifester (même avec moins d'intensité) dans les sociétés plus égalitaires. A cela on répondra que, d'une part, les démocraties où l'égalité entre hommes et femmes n'existe pas ne sont pas vraiment des démocraties et, d'autre part, que les coûts de la violence à l'encontre des femmes sont énormes, aussi bien pour la société que pour les femmes. Selon une estimation de la Banque mondiale, "les charges de santé à l'échelon mondial résultant des sévices infligés aux femmes âgées de 15 à 44 ans pour des causes fondées sur le sexe sont comparables à celles imputables à d'autres facteurs de risque et à des maladies figurant déjà en bonne place à l'ordre du jour mondial, entre autres, IIIIV, la tuberculose, la septicémie durant l'accouchement, le cancer et les maladies cardio-vasculaires" (Heise, 1993a, p. 17). L'analyse empirique montre que l'économie se ressent également de l'absentéisme féminin, lequel se mesure en journées de travail perdues du fait que certaines travailleuses sont trop mal en point pour venir travailler à la suite des sévices qu'elles ont subis. Une étude de Gelles et Strauss (1988) montre qu'aux Etats-Unis la moyenne annuelle des jours de maladie des femmes victimes de sévices graves est deux fois plus élevée que la moyenne annuelle de jours de maladie enregistrés. "la violence fait puissamment obstacle à l'obtention de buts ayant une priorité élevée dans le calendrier du développement' (Heise, 1993b, p. 21). Résumons: La violence des hommes à l'encontre des femmes est tout à la fois le moyen et l'expression de situations d'inégalité entre les hommes et les femmes. Il est impératif que les systèmes inégalitaires - à moins d'un effondrement - se reproduisent tous les jours. Il est impératif de rappeler et confirmer les règles de l'inégalité. Il est impératif que les acteurs restent dans les domaines de relations inégales, car, faute d'acteurs, les règles deviennent caduques et le domaine perd son pouvoir. D'où le potentiel explosif d'univers séparés (des sphères sur lesquelles ceux qui en sont exclus n'ont aucun contrôle), et la menace que font peser sur les arrangements hétérosexuels les constructions homosexuelles de la vie sociale est analogue. Si les rapports entre les groupes qui s'affrontent pour contrôler le capital changent et par conséquent la logique sous-jacente aux champs sociaux, il est inévitable que les moyens de maintenir ces rapports changent aussi. L'Histoire n'est pas le résultat de décisions rationnelles ( fait qui pourrait donner des raisons d'espérer). C'est pourquoi même si des hommes, en tant que groupe, s'associaient aux femmes - et rien ne l'indique jusqu'ici - cela n'engendrerait pas nécessairement l'égalité des sexes et certainement pas une société débarrassée de la violence. Mais même si les hommes continuent à tourner le dos à l'égalité sexuelle, le maintien de ces relations ne dépend pas entièrement d'eux.
Les hommes n'abandonneront pas sans combattre les avantages de l'état actuel des choses entre les hommes et les femmes malgré les inconvénients que la situation présente pour eux. Les hommes ont intégré l'expérience d'une domination hégémonique et en ont tiré des pratiques quotidiennes. Le sens pratique déployé dans les rapports entre les sexes a généralement joué en faveur des hommes. Même dans les pires circonstances, les hommes demeurent le sexe privilégié, c'est-à-dire celui qui détient la supériorité conférée par le statut, le pouvoir, l'influence. Ce sens pratique n'évolue qu'avec une extrême lenteur. Ce n'est que lorsque la structure d'un champ (les relations entre les groupes particuliers, les règles et les régularités économiques) est radicalement modifiée, lorsque les schémas de perception, de la pensée et du comportement (c'est-à-dire l'habitus de Bourdieu) semblent gravement inadéquats, c'est alors seulement que l'habitus tentera de changer ou que les hommes investiront un champ différent tout en s'accrochant à leur l'habitus ordinaire. D'un point de vue humaniste ou radical, l'inégalité est non seulement indésirable mais elle est condamnable sous toutes ses formes. Pourtant, vue de la position des groupes dominants, l'inégalité est logique et pratique. Faire tout un de la différence et de l'inégalité c'est donner aux hommes un instrument leur permettant d'user de violence à l'encontre des femmes dès lors que d'autres formes de contrôle sont impuissantes. Il vaudrait la peine, en s'inspirant d'Yllo, de se mettre à la recherche, dans les pays européens, de signes d'évolution vers une plus grande égalité des sexes -et d'examiner s'il en découle une diminution de la violence envers les femmes. Comme il n'existe aucun moyen de faire l'économie de l'égalité sexuelle sur la voie d'une interaction sociale moins violente, toute poussée de violence pourrait être interprétée comme un dernier baroud d'honneur désespéré des groupes dominants, voire comme le signe d'un changement social sur le point d'advenir et longuement désiré. C'est pourquoi, je souhaite à l'audience féminine de faire preuve de persévérance dans sa lutte pour l'égalité. Et je souhaite à l'audience masculine, moi-même compris, d'acquérir la maîtrise de l'action paradoxale, chose indispensable pour que les hommes renoncent à leurs privilèges.
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Par Dr Walter HOLLSTEIN Les nouveaux rôles masculins et leurs avantages pour les hommes et leurs familles Notes liminaires: S'il n'est pas question des femmes dans l'intitulé officiel de ce thème, elles sont néanmoins prises en considération dans le présent document. Les observations ci-après s'appliquent uniquement aux hommes hétérosexuels. Originaire d'un pays germanophone, le rapporteur évoque essentiellement des expériences et des projets du "Mouvement de libération des hommes" en Autriche, en Allemagne et en Suisse. Le rôle traditionnel de l'homme La masculinité est habituellement associée au pouvoir, à l'exercice de l'autorité et à la force. Les postulats suivants découlent de ce stéréotype masculin: Les hommes doivent dominer pour prouver leur masculinité. Le pouvoir, l'émulation et l'autorité sont des ingrédients nécessaires à l'affirmation et à la confirmation de la masculinité. Le travail et la carrière sont les principaux critères de la masculinité. Les hommes croient que le travail et la réussite garantissent le bonheur personnel. La vision et le respect de soi dépendent essentiellement des succès remportés et des progrès réalisés. Les émotions et les sentiments sont, chez les hommes, des signes de féminité. La vulnérabilité est un signe de faiblesse (féminine) et devrait en conséquence être évitée. La maîtrise de soi et le contrôle des autres sont indispensables pour que les hommes se sentent en sécurité. Dans l'esprit d'un homme, rechercher une aide ou un soutien revient à faire preuve de faiblesse et de féminité. L'intimité et l'amitié entre hommes sont dangereux pour des raisons de compétition; la première peut déboucher sur l'homosexualité. La crainte de la féminité est dominée par des pensées rationnelles. Les hommes subordonnent les femmes par la domination et le pouvoir, voire par la violence. La sexualité est, pour l'homme, un moyen essentiel de prouver sa masculinité (voir O'Neil 1982, Zulehner, 1993).
2. Les inconvénients de la masculinité classique Il a été prouvé que les principes susmentionnés avaient des effets négatifs sur les hommes. O'Neil décrit six problèmes généraux de la masculinité classique:
"La peur de la féminité contribue à restreindre la sensibilité des hommes et explique les difficultés qu'ils rencontrent pour accepter et exprimer leurs émotions. Ces difficultés sont liées aux valeurs sociales de la mystique masculine. Les hommes répriment leurs émotions, car ils craignent que leurs sentiments soient associés à la féminité, ce qui menacerait leur rôle d'homme. C'est pourquoi ils abordent les gens et la vie en général d'une manière cognitive et rationnelle" (O'Neil 1982, 24). La domination , la maîtrise et la compétition constantes ont en réalité un coût élevé. Les hommes qui fréquentent les "centres d'hommes" en Autriche, en Allemagne et en Suisse font part des problèmes suivants:
Malgré le point de vue que notre société a des hommes, il est évident que ceux-ci peuvent véritablement être victimes de leur propre rôle masculin. 3. Changer la masculinité Cinq raisons principales semblent expliquer l'évolution de la masculinité traditionnelle:
Dans ce contexte, les hommes qui veulent saisir leur chance ont peut-être une nouvelle possibilité. Il ressort des recherches qu'un sentiment de malaise se répand notamment parmi les hommes dont le rôle ne change pas (Pleck 1987; Parpat 1994). La solution qui consiste à ne rien changer semble en effet bien pire aujourd'hui. Par ailleurs, trop de changements entraînent peur et désorientation (Astrachan 1986; Badinter 1986). Dans le passé, les hommes savaient qui ils étaient, ils connaissaient leurs tâches et leur rôle était très précis. Aujourd'hui, ils ne sont plus certains de leur rôle social (Britten 1989; Badinter 1992). Pour bon nombre d'hommes, le féminisme n'a fait qu'aggraver cette confusion, car il exige d'eux qu'ils s'investissent davantage dans les relations et l'éducation, appelle une modification fondamentale des attitudes masculines et le partage du pouvoir et des revenus avec les femmes. Ainsi, l'évolution du rôle de chaque sexe représente pour de nombreux hommes plus une menace qu'une chance (Goldberg 1979; Solomon/Lévy 1982). 4. Les "hommes nouveaux" "Enfant de notre époque, l'homme nouveau est tout autour de nous: nous observant nonchalamment du haut de panneaux publicitaires, déposant ses pantalons à la laverie, ( ... ) dans la rue, portant des bébés, poussant des landaus, allant chercher les enfants, faisant ses courses avec sa progéniture ( ... ) L'homme nouveau est un rebelle et un hors-la-loi par rapport à l'homme dur( ... )" (Chapman 1988; 225). Bon nombre d'hommes changent sans que de nouveaux modèles de masculinité aient remplacé les anciens. Les changements les plus importants, comme des recherches menées dans des pays germanophones l'ont montré (Metz Göckel/Muller 1986, Hollstein 1990 (Allemagne); Hollstein 1989; Corso 1990 (Suisse); Zulehner 1993 (Autriche", sont observés dans les domaines suivants: a. équilibre émotionnel
b. nouveaux objectifs en matière de profession et de carrière
C. attitude des hommes envers les femmes
d. les hommes et les travaux ménagers
e. l'amitié et les réseaux masculins
5. Les obstacles au changement Le changement n'est pas facile et suppose un certain nombre d'obstacles. Ainsi, "l'homme nouveau" existe rarement sous la forme pure décrite ci-dessus. Il est plus ou moins un mélange d'éléments nouveaux et traditionnels et de contradictions avec lesquelles il n'est pas facile de vivre. La résistance psychologique et sociale empêche toujours les hommes d'être plus novateurs, ce qui serait sans doute possible dans nos sociétés postindustrielles. a. obstacles psychologiques
b. obstacles sociaux
6. La réalité du changement
L'évolution de la masculinité traditionnelle est un facteur important de notre époque (Badinter 1986). Les progrès sont indéniables même s'ils sont parfois ambivalents. a. les faits:
carrière moins à aider Solomon/Levy 1982; Kimmel 1987; Parpat 1994; Haffner 1997). Dans cette échelle, la paternité est généralement considérée comme le facteur le plus important de l'évolution des hommes. "Comme le partage parental devient de plus en plus la norme, le comportement masculin va changer. L'empathie, la disponibilité émotionnelle, l'intérêt porté aux autres finiront par être acceptés comme des qualités masculines, ce qui entraînera une diminution sensible du nombre d'hommes battant leurs femmes et leurs enfants" (Miedzian. 1991, 95). b. les gens: Les recherches empiriques qui portent actuellement sur les hommes mettent en évidence un ensemble de facteurs favorables au changement: - âge: entre 28 et 42 ans - état civil: marié avec des enfants. Zulehner signale qu'une femme émancipée facilite l'évolution de son partenaire (homme); toutes les études soulignent l'importance que les enfants revêtent dans la transformation de l'homme qui apprend à s'en occuper, à être patient à s'identifier à eux, etc. - lieu de résidence: villes - classe: classe supérieure et classe moyenne inférieure - profession: poste moyen à élevé, sans grande ambition de carrière (voir Ryffel-Gericke 1983) - tendance politique: libérale, autre (écologiste), gauche modérée. La religion n'est manifestement plus un facteur important de changement chez les hommes.
Le modèle de l'homme nouveau qui se dégage est le suivant: l'homme a entre 28 et 42 ans, il est professeur, psychologue, travailleur social ou médecin, il appartient à la classe moyenne, il est marié et sa femme travaille, il a deux enfants, participe à la vie de son quartier ou à des projets écologiques et vote pour un parti écologique ou de gauche (Hollstein 1990). C. les domaines d'évolution:
La participation à des groupes d'hommes sur une longue période (environ trois ans en moyenne) donne les bons résultats suivants (Bonnekamp 1988; Hainbach/Kiessling 1992; Parpat 1994): les hommes s'intéressent plus à eux et se respectent davantage
Il ne faut pas faire abstraction de ces statistiques ni leur donner trop d'importance. Le mouvement de libération des hommes dans le contexte général de la société postindustrielle ne représente qu'un phénomène minoritaire. 7. Recommandations Le débat sur les différences entre les sexes est largement dominé par les femmes. En conséquence, il se réduit généralement à des questions de femmes. Les hommes, qui restent à part, méconnaissent l'importance de ce débat et ne se sentent pas concernés. C'est pourquoi l'émancipation des femmes est ralentie par l'ignorance et l'apathie de la majorité masculine. Sans progrès important du côté des hommes, tous les efforts consentis de celui des femmes seront en fin de compte limités (Hollstein 1996). Il faut donc replacer la question des hommes dans un contexte plus large. Toutes les expériences menées dans ce domaine montrent que les efforts consentis ont des résultats positifs; ainsi, Miedzian fait observer qu'en faisant davantage participer les jeunes hommes à l'éducation des enfants, la violence baisse de façon décisive (1991); Swedin signale qu'après que le Gouvernement suédois eut décidé d'exécuter un programme de formation expérimental destiné aux pères, une plus forte proportion de Suédois ont pris un congé parental plus long (Swedin 1995, 124); Parpat précise qu'après avoir participé à un groupe d'hommes, les hommes devenaient capables de plus d'intimité et communiquaient mieux avec leur partenaire féminine (1994). Sur la base de ces expériences données, il est possible de proposer le train de mesures suivant:
Voici les faits. Comment les évaluer ? Notre masculinité paraissait longtemps aller de soi. Personne ne songeait à questionner les hommes. Sans le mouvement féministe, cet état de choses n'aurait probablement pas changé, car les hommes étant socialement et politiquement les puissants ne voyaient pas de nécessité de mettre en doute leur propre condition masculine. Par conséquent ce sont d'abord les études féministes qui ont contesté la domination masculine en élaborant systématiquement la théorie du patriarcat. Le résultat en a été - pour les hommes et les femmes - la démystification de quelques siècles de pouvoir masculin. Plus concrètement les mâles qui se sont présentés eux-mêmes au cours de l'histoire en tant que créateurs de la civilisation et de la culture, comme protecteurs des femmes et des enfants, comme sages, saints, guérisseurs, érudits et fondateurs des grandes religions de l'humanité, se voyaient soudainement démasqués et révélés comme ceux qui ont commencé toutes les guerres, ceux qui ont détruit la nature avec leur rationalité et leur insensibilité, comme agresseurs, violeurs, ravisseurs et obsédés sexuels en tous genres. La suite logique était la déconstruction du rôle masculin traditionnel et, ainsi, la difficulté croissante pour beaucoup d'hommes de s'identifier encore avec une masculinité prétendument dépassée. En plus, il n'y avait guère de modèles concrets offrant une autre ou nouvelle façon d'être mâle. Par conséquent, sociologues, psychologues, psychiatres, médecins et thérapeutes constataient parmi les hommes une perte dramatique d'assurance qui s'exprimait entres autres dans la dysfonctionalité sexuelle et dans des maladies spécifiquement masculines. Il nie semble très important de ne pas négliger ces difficultés d'orientation des mâles d'aujourd'hui, mais - bien au contraire - de les prendre au sérieux. Sans une telle attitude, chaque effort de changement masculin est voué à l'échec. Une chose est de critiquer les effets historiques et contemporains de l'hégémonie masculine, mais comprendre les ambivalences et les problèmes des individus assumant le rôle masculin est tout à fait différent. La réponse aux études féministes était formulée par les études "d'hommes" ("men's studies"), celles-ci se séparant en anti-féministes, féministes et indépendantes. La position des indépendants me semble être la plus valable. Ceux qui la défendent partagent l'analyse féministe de notre société, mais ajoutent au théorème de l'agresseur masculin celui de la victime masculine. Cette notion implique - à des niveaux différents - plusieurs conséquences:
Les recherches empiriques dans le domaine des études "d'hommes" ont clairement démontré que le rôle masculin comporte en soi six contraintes : -émotivité réduite -homophobie -obligation de contrôler, de concurrencer et de s'emparer des autres -rapports réduits dans les domaines des émotions et de la sexualité -obsession du succès -problèmes de santé tels que la mortalité précoce ou la prédominance masculine dans les psychiatries. Ces contraintes mentionnées ci-dessus sont - dans notre société contemporaine toujours la meilleure garantie de réussite sociale. Mais elles ne montrent certainement pas le chemin vers le bonheur et la satisfaction intérieure. Le rôle masculin est ambivalent. Dès leur enfance, les hommes sont dressés à fonctionner dans un univers matérialiste de travail, de concurrence, de lutte et de succès. Pour survivre, ils sont obligés d'abandonner tôt toutes les émotions de faiblesse, de deuil, de tristesse et la disposition à l'introspection. A la fois, pour réussir, ils sont contraints de renoncer à la compréhension, l'empathie et la solidarité. Le rôle masculin dans la société patriarcale accentue les valeurs extérieures et néglige l'intérieur du mâle. Pour compenser, beaucoup d'hommes se réfugient dans l'alcool, la violence, le travail exagéré, l'accumulation de devoirs et de postes entre autres. Que faire ? Il est sans doute correct de critiquer une idéologie dangereuse par son réalisme comme le fait Mme Elworthy dans son texte de demain. Par contre, esquisser un scénario de changement révolutionnaire, serait un jeu intellectuel gratuit. L'histoire du patriarcat s'est incrustée profondément dans nos structures culturelles, sociales, politiques et économiques - et pas seulement cela : hommes et femmes de la société contemporaine ont intériorisé cette histoire patriarcale dans leurs habitudes, leurs émotions et leur façon de penser. Pour changer tout cela, il faudrait une révolution d'une telle envergure que même les projets d'un Robespierre ou d'un Karl Marx se révéleraient comme des expériences mineures.
Compte tenu des expériences faites, je proposerais des activités à trois niveaux différents :
L'histoire du patriarcat était longue, l'histoire du changement masculin date d'une vingtaine d'années. Daprès les recherches empiriques dont nous disposons actuellement les résultats sont encourageants, mais loin d'être révolutionnaires. Nous nous trouvons toujours au début de la question masculine. Elisabeth Badinter n'a pas tort quand elle note que c'est l'homme maintenant qui est le continent noir. Je pense que beaucoup d'entre nous donnent des réponses trop faciles. Bien sûr, la question masculine se rapporte à un nouveau partage du travail entre les deux sexes, à l'accès des fenuries aux postes à responsabilité, à notre volonté masculine de cesser enfin de vouloir monopoliser le pouvoir, à des salaires justes, à des lois visant à éliminer toute discrimination etc.
Mais la question masculine ne s'arrête pas là. La socialisation des hommes est une lutte dure et souvent fatiguante pour devenir mâle. L'enfant mâle est obligé de devenir le contraire de sa mère :"Féminin d'origine, il est sommé d'abandonner sa première patrie pour en adopter une autre qui lui est opposée, voire eniiémie" (E. Badinter). Un tel effort dramatique dans notre socialisation ne justifie ni patriarcat ni délit individuel, mais démontre encore une fois que nous n'avons fait que les premiers petits pas pour comprendre la condition masculine.
Bibliographie Astrachan, Anthony: How Men Feel. Ileir Response to Wornen's Demands for Equality and Power. Garden City, N.Y. 1986 Badinter, Elisabeth: L'un est l'autre. Paris, 1986 Badinter, Elisabeth: XY. De l'identité masculine. Paris 1992. Bonnekamp, Ibomas A.: Mânnergruppen in Hamburg. Eine empirische Studie. Hamburg (Phil. Diss) 1988 Brittan, Arthur: Masculinity and Power. Oxford, 1989 Brzoska, Georg/Gerhard Haffner: Môglichkeiten und Perspektiven der Verânderung der Mânner, insbesondere der Vâter-Forschung, Diskussionen und Projekte in den Vereinigten Staaten von Anierika, Schweden und den Niederlanden. Literaturstudie im. Auftrag des Bundesministeriums fUr Jugend, Famüie, Frauen und Gesundheit, Bonn o.J. Bundesministerium fdr Frauen und Jugend (ed): Gleichberechtigung von Frauen und Mânnem - Wirklichkeit und Einstellungen in der Bevôlkerung. Stuttgart 1992. Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend (ed): Gleichberechtigung von Frauen und Mânnem. Bonn 1996 BWI: Frauen im Kader. Zürich 1990 Chapman, Rowena: Ibe Great Pretender: Variations on the New Man Theme, in: Chapman/Rutherford Chapman, Rowena/Jonathan Rutherford (eds): Male Order, London 1988 Corso: Arbeits- und Arbeitszeitgestaltang in der Schweiz, Zürich 1990 Ehrentreich, Barbara: A Feminist's View of the New Man, in: New York Ilimes Magazine, 20.5.1984 Equality Affairs Division of the Ministry of Health and Social Affairs, Sweden (ed): Men on Men. Stockholm 1995 Goldberg, Herb: lhe New Male. New York, 1979 Haffner, lhomas: Schutzraum für das Unbekannte. Mânnergruppen: Was sie sind und wie sie wirken, in: Mânnerforam (Kassel) 16, 1997 Hainbach, Sigurd/Walderrnar Kiessling: Die praktische Arbeit des Münchner informationszentrums fùr Mânner, in: Weübach/Kiessling (eds) Hollstein, Walter: Der Schweizer Mann. Zürich 1989 Hollstein, Walter: Die Mânner - vorwârts, oder zurück? Stuttgart 1990 Hollstein, Walter: Der Kampf der Geschlechter. München 1995 Hollstein, Walter: Ende der Frauenpolitik? Zur unvollendeten Emanzipation von Mânnem und Frauen, in: Aus Politik und Zeitgeschehen, Bonn B 42 1996 Hosemann, Wilfried et al: Vereinbarkeit von Beruf und Familie - ein Ibema auch für mânnliche Mitarbeiter? Kôln 1992 Hunter, Mic: Abused Boys: The Neglected Victims of Sexual Abuse: Lexington, Mass. 1990 Kimmel, Michael (ed): Changing Men. New Directions in Research on Men and Masculinity, London 1987 Lehner, Erich/Notker Klann: Mânner in der Familie - Vâter in der Beratung, in: Dialog/Wien, 1, 1997 Madôrin, Kurt: Mânner zwischen Küche und Karriere. 3. Schweizer Mânnerkongress, Liestal o.J Mannege Berlin, in: Fraktion der SPD (ed) Die Frauenfrage als Mânnerfrage. Bonn 1989 Merchant, Carolyn: The Death of Nature. Women, Ecology and the Scientific Revolution. London 1980 Metz-Gôckel, Sigrid/Ursula Müller: Der Mann. Weinheim/Basel 1986 Miedzian, Myriam: Boys will be boys - How we encourage violence in our sons and what we can do to stop it New York/London 1991 Ministerium für Arbeit, Gesundheit, Familie und FTauen Baden-Württemberg (ed): Mütter und Vâter zwischen Erwerbsarbeit und Familie. Stuttgart 1991. Olivier, Christiane: Les enfants de Jocaste. Paris, 1980 O'Neil: Gender role Conflict and Strain in Men's Lives, in: SolomonALevy Parpat, Joachim: Mânnlicher Lebenswandel durch langfristige Mânnergruppenarbeit: Zur Überwindung des patriarchalischen Syndroms. Berlin (Phil. Diss) 1994 Pleck, Joseph H: The Contemporary Man, in: Murray Scher et al. Ryffel-Gericke, Christiane: Mânner in Familie und Beruf. Zürich 1983 Scher, Murray et al (eds): Handbook of Counselling and Psychotherapy with Men. Newburg Park, London 1987 Schmidt, Gunter: Das Verschwinden der Sexuaknoral. Hamburg 1996 Segal, Lynne: Slow Motion. Changing Masculinities, Changing Men. London 1990. Solomon, Kenneth/Norman B. Levy (eds): Men in Transition. New York/London 1982 Swedin, Gôran: Modem Swedish Fatherhood in. Equality Affairs Division Weilbach, Karl/Waldemar Kiessling (eds):Mann Sein - ein Wagnis? Oldenburg 1992 Zulehner, Paul M: Unterwegs zum neuen Mann? Ergebnisse des Forschungsprojekts "Mannsein in Osterreich". Wien 1993.
par Eva MOBERG L'égalité entre les hommes et les femmes: une vie meilleure, une société meilleure? Les hommes valent mieux que la société masculine
L'égalité est perçue depuis longtemps comme étant essentiellement le problème des femmes. Mais les personnes qui travaillent sérieusement sur cette question se rendent compte tôt ou tard qu'en dernière analyse l'égalité est le problème des hommes. De même que, sous le troisième Reich (mais la comparaison s'arrête là) les racines de ce qu'on appelait "la question juive" n'était pas les problèmes au niveau des Juifs, mais les problèmes au niveau des nazis. Toute la problématique tourne autour du rôle dévolu par la société aux hommes. "Le jour où les hommes commenceront à se remettre en question en tant que mâles, ce jour-là l'humanité entrera dans un nouvel âge". Ainsi s'exprimait, il y a environ un siècle, l'écrivain remarquable qu'était la Suédoise Klara Johansson. Permettez-moi de situer mon propos dans son contexte en mentionnant quelques réalités du monde d'aujourd'hui. Les hommes constituent l'écrasante majorité de tous les gouvernements, à l'exception de quelques pays nordiques. Les femmes sont pratiquement absentes des conseils d'administration des grandes multinationales. Depuis vingt-cinq ans le nombre des femmes élues au parlement a diminué de 25 % dans le monde. Les hommes possèdent environ 90 % des ressources mondiales et ils gagnent beaucoup plus d'argent que les femmes, en dépit du fait que celles-ci effectuent grosso modo les deux tiers de toutes les tâches.
Les hommes sont responsables de la quasi-totalité des guerres et d'environ 90 % de tous les crimes et délits; des actes de violence et de la criminalité des affaires, des infractions au code de la route, etc., sans oublier les trois principales catégories de trafics illicites dans le monde, à savoir le trafic d'armes, le trafic de drogues et la prostitution. L'image masculine telle qu'elle est véhiculée à travers la violence médiatique est celle d'une créature qui "cogne", tue et commet toutes sortes d'exactions. Cette violence médiatique peut de nos jours occasionner des dégâts psychiques jusque chez les plus jeunes enfants (des enfants de 2 ans!). Les luttes que se livrent les hommes entre eux pour acquérir territoire, honneurs et prestige empoisonnent la politique, la culture, la science et la religion. Les réactions en chaîne n'en finissent pas, jusqu'à la troisième ou la quatrième génération, etc.
Malheureusement la plupart des hommes réagissent à l'exposé de ces faits comme s'il s'agissait d'un dénigrement délibéré du sexe masculin. Ce qui les choque, semble-t-il, ce sont beaucoup plus les descriptions du comportement masculin réel que les souffrances induites par ce comportement chez autrui.
Or, ce dénigrement apparent ne vise pas les hommes, mais le système patriarcal, avec son cortège de réactions en chaîne. Seuls ceux qui défendent le système patriarcal ont lieu de se sentir offensés. Le fait de vouloir remplacer la culture masculine par une culture humaine globale n'est nullement un signe de haine à l'égard des hommes - bien au contraire! C'est l'expression de la conviction selon laquelle les hommes en tant que tels valent beaucoup mieux que la culture masculine. On a souvent vu dans le combat contre le patriarcat un combat contre les hommes. Il y a là un tragique malentendu, d'ailleurs aisément explicable. La plupart des féministes sont en réalité des vrais amies des hommes. Nous autres femmes croyons en les hommes; nous sommes convaincues qu'ils sont capables de regarder en face la brutalité des faits et de gérer les conséquences. Nous savons que les hommes valent mieux que le système patriarcal. Si je dis cela, c'est précisément parce que je me refuse à assimiler la masculinité à la brutalité, à l'insensibilité et à la cruauté. Je vois plutôt dans ces caractéristiques le résultat de blessures précoces, d'imperfections sociales et d'une perversion de l'idéal viril.
Il me semble que la masculinité possède une valeur essentiellement érotique. Indéfinissable mais éminemment vivante, enjouée, chaleureuse et vigoureuse. L'une des évolutions actuelles les plus encourageantes, pour ne pas dire la plus encourageante de toutes, c'est peut-être bien l'augmentation constante du nombre d'hommes qui rejettent le système produisant ces conséquences - le patriarcat. Ils s'efforcent de revoir le concept de masculinité. Ils tentent de découvrir les raisons profondes pour lesquelles ce concept connaît une telle dérive. Et très logiquement, ils se heurtent souvent à des réactions comme celles d'un éminent politicien et professeur suédois qui participait récemment à une émission de télévision. Lorsque ce nouveau mouvement masculin est venu sur le tapis, il a déclaré ne pas comprendre à quoi rime tout cela - ajoutant que personnellement, il n'avait aucun problème à être un homme et qu'il adorait les femmes!
Cette réaction offre une analogie frappante avec celle que rencontrent depuis longtemps la plupart des féministes. Aussi horribles que puissent être les situations auxquelles les féministes tentaient de mettre fin, beaucoup d'autres femmes affirmaient ne pas voir où était le problème; elles étaient ravies d'être des femmes! Et elles adoraient les hommes! Il existe d'autres similitudes entre le féminisme et le nouveau mouvement masculin. Tous deux se heurtent à des réactions du genre: "Non, je ne veux pas de guerre des sexes! Je veux simplement être moi-même"! Or, et cette situation n'est pas exempte d'ironie, c'est exactement ce qu'on se propose de faire dans les deux cas: éliminer la guerre des sexes. Chacun - homme ou femme - devrait pouvoir être lui-même.
Bien entendu, la grande différence qui existe entre le mouvement de libération impulsé par les hommes et le "women's lib", c'est que les femmes ont développé leur combat à partir d'une position inférieure, et qu'ainsi elles ont été fortement motivées. La motivation qui préside au mouvement masculin est plus faible. La tâche des hommes paraît donc plus difficile. Il faut avoir du cran pour renoncer à des avantages évidents et abandonner une position supérieure pour pouvoir se respecter soi-même moralement. Ceux qui agissent de la sorte doivent réactiver des pans de leur personnalité qui se trouvaient supprimés, acquérir un plus grand potentiel humain, être capables de rencontrer les femmes sur un pied d'égalité, de se comporter avec franchise et tendresse envers les enfants et d'être pour eux un modèle positif. Il y a soixante-quinze ans encore, la loi autorisait un Suédois à battre sa femme. A une époque plus reculée, il avait même le devoir de le faire. Et il y a encore trente-cinq ans, il avait le droit de la violer dans le cadre du mariage. Dans de nombreux pays, et peut-être dans la majorité des pays, les hommes possèdent ces droits aujourd'hui encore. Ou en tout cas, ils ne sont pas poursuivis s'ils les exercent.
Je pense donc qu'à certains égards, le processus de l'émancipation masculine est un processus encore plus complexe et délicat que celui de la libération des femmes. Mais les hommes ont un grand avantage: ils ont un allié puissant dans le camp adverse - le féminisme. Les féministes poursuivent le même objectifs, l'émancipation masculine. Elles veulent elles aussi la disparition progressive du patriarcat et l'amélioration des relations entre les sexes (je laisse de côté certaines factions séparatistes du féminisme). Une constante qu'on retrouve dans le rôle masculin pratiquement dans le monde entier, c'est l'idée d'être supérieur, d'être placé plus haut que la femme - ce qui ne veut pas dire que ce concept est applicable à tous les hommes ou à toutes les circonstances. Dans de vastes régions d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine, cette notion est à ce point fondamentale que si une femme entend prendre elle-même une décision concernant son corps, son compagnon peut ressentir cette attitude comme une menace, une atteinte pour sa masculinité. Tant que prévaudra ce concept de masculinité, l'humanité ne sortira jamais des cercles vicieux qui s'appellent sous-développement, enfants non désirés et malheureux, haine, défiance et persécution. Il est tout à fait clair qu'on ne pourra pas continuer très longtemps à définir la masculinité à travers des qualités qui, en soi, sont porteuses, à la fois virtuellement et réellement, de conflits, de violence et de guerre - c'est-à-dire d'agressivité, de conquête et de domination.
Tout être humain a besoin d'une certaine dose d'agressivité, ne serait-ce que pour défendre et améliorer ses conditions de vie et de survie. Mais faire de cette caractéristique quelque chose de typiquement masculin, c'est-à-dire une chose à laquelle ne peut qu'aspirer la moitié de l'humanité: voilà qui est tout aussi destructeur et funeste que de vouloir définir la féminité par des qualités telles que la soumission et la passivité. "N'essayez jamais de changer un homme": voilà ce que les femmes entendent depuis des siècles, non seulement de la bouche de leur mère, mais aussi de leur mari, lequel se met alors en devoir de transformer sa femme - ex-jeune fille heureuse - en mégère aigrie.
Bien sûr que les hommes peuvent changer et devenir plus raisonnables! Nous avons maint exemple éclatant de cette évolution en Scandinavie ces derniers temps. Il est tout aussi facile à un homme de développer son côté "féminin" qu'à une femme de développer son côté masculin" - c'est-à-dire, en fait, dans un cas comme dans l'autre, son côté humain. A partir d'une situation d'infériorité pratiquement sans espoir, les femmes se sont émancipées à un tel point qu'elles peuvent aujourd'hui inviter les hommes à amorcer une évolution comparable. Comment ne pas tourner en dérision tous ces doctes personnages - ecclésiastiques, hommes politiques, hommes de sciences - qui proclamaient au siècle dernier que la femme a toujours été et sera toujours par nature passive, humble, obéissante, illogique, incapable d'originalité dans l'art ou la pensée. Bref, incapable de quoi que ce soit en dehors de l'éducation des enfants, des travaux pénibles et des tâches ménagères.
Aujourd'hui, les femmes réussissent dans tous les domaines; elles font preuve au plus haut degré d'initiative, d'activité, de volonté, d'intelligence, d'aptitude à organiser et diriger. Elles sont désormais majoritaires dans certaines universités. Elles obtiennent de meilleures notes, même en mathématiques. Elles sont championnes de ski, participent à des rallyes automobiles, escaladent les montagnes, font de la plongée sous-marine et des expéditions polaires, elles sont chefs d'orchestre, ministres ou championnes d'échecs. Tout cela. en restant femmes dans tous les sens raisonnables du terme. Au nom de quoi les hommes seraient-ils incapables de changer, eux aussi, aussi rapidement et radicalement que l'ont fait les femmes? Pourquoi ne pourraient-ils pas donner libre cours à leur capacité d'empathie, de sensibilité, de patience et d'attention? Pourquoi ne pourraient-ils pas enlever leur armure?
Bien sûr qu'ils le pourraient! Ce qui leur manque, c'est seulement la motivation. Et ce qui les empêche de le faire, c'est essentiellement la crainte de perdre leur rang et leur position. Cela donne le vertige d'imaginer tout le bénéfice que le monde pourrait tirer d'une telle percée de la part des hommes. Un avenir sans guerre serait possible. Les enfants seraient plus nombreux à conserver leur intégrité physique et psychique. Les femmes seraient en meilleure santé, plus heureuses et moins sujettes à la peur; elles seraient donc de meilleures mères. Un tel changement se traduirait tout simplement par l'accès à un stade supérieur de l'évolution humaine... Notre capacité à continuer d'oeuvrer dans la bonne direction est commandée par des visions positives de ce genre. Sans de telles alternatives, nous finissons par reproduire ce que nous voulions changer initialement. Pourtant de telles visions sont constamment décriées; on leur reproche de se fonder sur des émotions - choses éminemment suspectes. On s'accorde tacitement à reconnaître que les sentiments - chagrin, tendresse, empathie, sympathie, désir de protéger et de sauvegarder - sont de l'ordre du féminin.
Mais le mépris, l'agressivité, la curiosité, la soif d'honneurs ou de célébrité, l'esprit de compétition, le fait d'être obsédé par un projet, la loyauté à l'égard d'une entreprise, d'une organisation ou d'un groupe - rien de tout cela n'est qualifié de sentiment. Ce sont des faits; des réalités. Les sentiments sont considérés comme inférieurs aux pensées et sont relégués dans une catégorie spécifique, à savoir la catégorie de tout ce qui concerne les femmes. En apprenant aux jeunes garçons et aux hommes à étouffer les sentiments "féminins" qui sont en eux, on les prive de l'un des instruments les plus importants pour naviguer dans le monde réel. Si l'on est dépourvu de sentiments, on ne peut plus comprendre ce qui se passe autour de soi. Voilà pourquoi les femmes parlent si souvent dans le désert. Il faudrait que se produise, à l'échelle mondiale, un événement qui fasse que les hommes se regardent de l'extérieur. Je propose une conférence des Nations Unies sur le rôle des hommes, et je propose que pendant dix ou vingt ans, on braque les projecteurs sur la culture masculine; une telle initiative s'inscrirait dans le prolongement de projets onusiens tels que la Décennie des femmes et les quatre grandes conférences mondiales consacrées à des questions féminines. Lors de la première conférence, en 1975, on avait indiqué expressément que des changements importants ne pourraient se produire qu'à condition que se transforme également le rôle dévolu aux hommes par la société. On me dira que l'ONU a déjà suffisamment à faire. Certes; mais comme les effets du changement sont lents à se faire sentir, nous serions bien avisés d'entreprendre dès maintenant une exploration globale de l'impact du modèle patriarcal, avant qu'il ne soit trop tard. N'oublions pas que la quasi-totalité des questions dont l'ONU est appelée à s'occuper sont étroitement liées aux normes masculines. Pas seulement les questions touchant à la guerre et aux technologies d'anéantissement. Ni l'épidémie de sida, ni l'explosion démographique ne peuvent être jugulées si on ne laisse pas aux femmes la maîtrise de leur corps. J'ajoute qu'une économie fondée sur le recyclage implique une nouvelle image de la masculinité. En 1993, le Secrétaire Général de l'ONU indiquait qu'aucune croissance durable ne pourrait être obtenue si des changements significatifs n'interviennent pas, tant dans le rôle dévolu aux hommes que dans le rôle dévolu aux femmes. Lorsque le sexe qui est censé prendre les décisions de la vie publique est déconnecté de l'amour, alors que dans le même temps, le sexe qui est censé donner l'amour est déconnecté des décisions publiques, le résultat, à ternie, ne peut qu'être fatal pour l'humanité.
par Jorgen LORENTZEN et Per-Are LOKKE La violence des hommes à l'égard des femmes:
Le problème de la violence se trouve aujourd'hui en Europe au centre des préoccupations politiques et individuelles. Des viols ont été perpétrés en masse en Bosnie, nous avons assisté à la douleur de la Belgique après le massacre de ses filles, nos quartiers déshérités vivent la guerre des gangs. Dans tous les pays, le racisme sème la mort et la souffrance, et le voile se lève peu à peu sur la violence que subissent les femmes et les enfants dans leurs foyers. Pour évoquer cette violence, les médias utilisent les termes de gangsters, de monstres, d'assassins, de bandits, de drogués, de nazis, de violeurs ou simplement de voleurs, mais on y parle rarement des "hommes", et en particulier, on ne les envisage presque jamais sous l'angle de la masculinité, même s'il est patent que la plupart des auteurs de ces actes sont des hommes. Il apparaît donc primordial d'approfondir, entre autres, la manière dont se construit une certaine conception de la virilité. Comment interpréter le fait que les auteurs d'actes de violence sont des hommes ? Quelles conséquences peut-on en tirer pour comprendre le phénomène de la violence ? Quel est le lien qui unit la virilité et la violence ? Et enfin, en quoi les actions menées par les médias, dans la rue et dans l'ensemble de la société pour lutter contre la violence en seront-elles influencées ?
Entrons d'emblée dans le vif du sujet. Alors que les médias et l'attention du public se concentrent sur la violence qui touche le domaine public, ils oublient celle qui affecte le domaine privé. La thèse que nous défendons, c'est que la violence publique à laquelle nous assistons plonge en grande partie ses racines dans le domaine privé. C'est la violence exercée dans le domaine privé qui est transférée, et en quelque sorte prolongée, dans le domaine public. En d'autres termes, c'est la violence privée qui devrait retenir notre attention, et c'est contre cette violence là qu'il convient de diriger les efforts visant à combattre la violence. Braquer les projecteurs sur la violence privée nous permettra aussi de placer plus nettement le débat sur la relation hommes-femmes. Il arrive, certes, nous le savons, que des femmes fassent preuve de violence à l'égard d'hommes et d'enfants; il reste que la violence privée est pour l'essentiel celle qu'exercent des hommes contre leurs proches: leurs amies, leurs épouses et leurs enfants. Nous allons donc passer les quelques minutes dont nous disposons à analyser sous trois angles différents la violence de certains hommes à l'égard des femmes - l'objectif étant de mieux connaître ces hommes.
1. Nous sommes au beau milieu d'une séance de thérapie. Nous savons que l'homme qui est assis en face de nous bat sa femme. C'est la raison pour laquelle il se trouve ici. Or, que nous raconte-il? Quelle est sa version des faits? Eh bien, sa femme était sortie avec des amis et elle avait promis de revenir à une certaine heure. Elle rentre avec un retard de vingt minutes. Lorsqu'il la voit sur le seuil, souriante, à demi-contrite, niais encore sous l'emprise de l'animation nocturne, il "disjoncte". Il la frappe. Pendant la thérapie il dit avoir été irrité par le fait que sa femme n'a pas respecté l'accord conclu. Elle n'a à s'en prendre qu'à elle-même. C'est la première chose que disent les hommes pour décrire leur point de vue sur la violence: c'est de sa faute! Le directeur du Centre norvégien "Alternative à la violence" (Alternativ til vold) décrit en ces termes ce refus des hommes d'accepter la responsabilité: "Je me sens petit, et je domine ce sentiment en la rendant encore plus petite que moi. J'ai peur et je surmonte ce sentiment en lui communiquant, à elle, une peur encore plus grande. Je me sens blessé et je surmonte ce sentiment en la blessant à mon tour. J'ai peur d'être abandonné et, par réaction, je lui passe les menottes. Je suis tributaire d'elle, et je m'en tire en la rendant encore plus tributaire de moi. Je me sens privé de tout pouvoir, et je domine ce sentiment en exerçant une dictature sur mon entourage. Je ne me dis pas que c'est moi qui ai peur; je me dis que c'est elle qui est dangereuse. Je ne me dis pas que je manque de confiance en moi; je me dis que c'est elle en qui on ne peut pas avoir confiance. Je ne me dis pas que c'est moi qui suis "mal dans ma peau"; je me dis que c'est elle qui est une sorcière.( Per Isdal: Nfida og avmakt - Àrsak fil vold. Conférence, 23 octobre 1996.)
La description qu'on nous donne ici est véritablement stupéfiante. Au lieu que ce soit les hommes qui admettent qu'ils sont les auteurs de leurs actes, le problème viendrait des femmes; ce serait les femmes qui, par leurs actes, obligeraient les hommes à réagir. Lorsqu'on interroge des hommes enclins à ce genre d'abus, on est frappé par leur manque de lucidité: ils ne se rappellent pas, ils ne savent pas et ils ne comprennent pas ce qui s'est passé (Kristin Skjorten: Voldsbüder i hverdagen. Oslo: Pax Forlag 1994). Ils préfèrent inverser leurs sentiments et les projeter sur leur entourage. Il y a donc, chez ces hommes, une extériorisation et une projection de leurs propres émotions. Ils n'assument pas la responsabilité de leurs actes; autrement dit, nous sommes en présence d'un acte violent qui n'a pas véritablement d'auteur. Dans cette première analyse les actions des hommes sont donc perçues comme un acte de violence sans sujet.
2. Nous sommes parvenus à un stade plus avancé dans la thérapie. L'homme a commencé à nous dire ce qu'il ressent quand sa femme ne rentre pas à l'heure convenue. Il a peur. Est-ce qu'il est arrivé quelque chose? Il n'est pas tranquille. Est-ce qu'elle ne m'aimerait plus? Cela ne lui fait donc rien que je reste seul à la maison à l'attendre? Lentement il commence à nous parler de - la violence qui régnait dans sa propre famille lorsqu'il était enfant. Il nous parle de son père, qui était comme une bombe à retardement; de sa mère, pleurant dans sa chambre, contusionnée sur tout le corps; de lui-même dans son enfance - de cette douleur qui l'habitait et qu'il ne pouvait exprimer, une douleur dont il n'a jamais parlé à personne.
Une nouvelle image de cet homme est en train de se dessiner. Une nouvelle histoire est en train de se profiler. L'homme nous parle de sa vulnérabilité et de son sentiment d'impuissance. Il nous parle d'émotions qui n'ont pas de langage et ne peuvent être communiquées. Il décrit les événements survenus dans sa vie qui n'ont pas leur place dans un univers masculin. Car dans un univers masculin on est censé être dur et supporter les privations auxquelles on est en butte. Notre interlocuteur, dans la salle de thérapie, nous parle des doutes qui l'assaillent dans sa vie affective - doutes que, si les autres en avaient connaissance, révéleraient qu'en fait il n'est pas vraiment un homme au sens plein du terme. Nous commençons maintenant à comprendre pourquoi, tout à l'heure, il rejetait sur la femme la responsabilité de ses actes de violence. Cette attitude est pour lui beaucoup plus confortable que celle qui consisterait à admettre son propre manque d'assurance - autrement dit, à admettre une caractéristique qui va à l'encontre de notre conception de la véritable masculinité. Il n'est pas viril d'être vulnérable. Cette analyse se résume dans le sentiment d'impuissance qui habite certains hommes.
3. Continuons la séquence thérapeutique: notre interlocuteur commence à se demander pourquoi il est en train d'être gagné par la colère. Il nous dit sentir en lui quelque part qu'il a un droit de propriété sur la femme. Il considère qu'elle devrait être là pour s'occuper de lui. Le fait de ne pas rentrer à la maison exactement à l'heure convenue revient à contester les droits qu'il estime avoir sur elle. Elle a d'une certaine manière enfreint une loi, et elle doit être punie pour cela. Il ressent envers elle une juste colère, et la violence explose. On voit ici comment l'homme rapporte sa violence à des structures sociétales entre les hommes et les femmes. Dans l'Europe d'aujourd'hui l'idée patriarcale selon laquelle les hommes ont le pouvoir de décider du sort des femmes continue de prévaloir. Non seulement cette idée rend possible la violence des hommes à l'égard des femmes, mais elle la justifie.
Beaucoup d'hommes ne songent même pas qu'ils commettent un acte répréhensible lorsqu'ils battent leur femme. Autrement dit, la deuxième analyse - celle qui concerne le sentiment d'impuissance des hommes - n'est pas suffisante pour permettre de comprendre la violence des hommes envers les femmes. Il nous faut ajouter une troisième perspective - une analyse qui montre la manière dont l'homme veut que les femmes nourrissent son ego, qu'elles existent pour satisfaire ses besoins affectifs et sexuels. Cette analyse, c'est ce que nous appelons la légitimité structurelle de la violence.
Nous venons de présenter trois analyses qui peuvent servir de point de départ pour comprendre la nature de la violence qui sévit dans le domaine privé. Elle est le fait d'hommes qui sont incapables d'assumer la paternité de leurs actes et qui en rejettent la responsabilité sur autrui. Elle est le fait d'hommes qui se sentent désarmés, et aussi d'hommes qui ont intériorisé ce sentiment de suprématie que nous donne, à nous autres, hommes, la culture patriarcale, et qui passent à l'acte contre les personnes de leur entourage. Si l'on combine ces trois analyses, on a l'image d'un homme qui n'a plus prise sur ses propres émotions, qui n'a pas le sens de la responsabilité subjective et qui est convaincu que la violence à laquelle il se livre est justifiée et légitime. Quand on décrit les choses de cette manière, on se rend bien compte que celui qui recourt à la violence dans sa vie privée ressemble à tous les autres hommes de notre société. Car c'est, dans une large mesure, la même logique qui s'applique par rapport à des problèmes généraux tels que les affaires de divorce, les conflits familiaux, l'absence de relations satisfaisantes entre pères et enfants - l'idée selon laquelle ce sont les femmes qui créent les problèmes; ce sont elles qui posent des exigences déraisonnables ou qui ne cessent de faire obstacle à tout; l'idée selon laquelle ce sont les emplois qu'elles occupent qui créent les problèmes, etc. Les hommes assument rarement la responsabilité de leurs actes - une responsabilité qui s'exercerait sur une base d'introspection et d'empathie. C'est pourquoi il est impossible de dissocier l'homme violent du reste de la gent masculine, de l'isoler comme étant "différent", fou. Il est l'un d'entre nous; il est comme nous, et il incarne les structures sociales qui donnent des privilèges à toute la fraction masculine de notre société.
Si nous insistons sur ce fait, c'est parce que nos analyses sur la violence elle-même ont une grande importance pour le choix des stratégies à mettre en oeuvre dans la lutte contre la violence privée; et il importe d'apporter cet éclairage pour faire comprendre la résistance à laquelle on se heurte lorsqu'on veut braquer les projecteurs sur cette violence; car le fait d'appeler la violence par son vrai nom, c'est-à-dire la violence masculine qui s'exerce contre les femmes, suscite une grande résistance.
Le message premier de notre analyse, c'est qu'il est nécessaire d'appliquer à la violence un discours centré sur la relation homme-femme. On constate actuellement une dérive de la masculinité; nous sommes en présence d'une masculinité qui laisse peu de place à la vulnérabilité, à l'humilité et au dévouement; une masculinité qui ne parvient pas vraiment à porter sa propre souffrance ni à assumer la responsabilité de celle des autres. Avant d'évoquer les stratégies à mettre en oeuvre dans la lutte contre la violence, il nous faut dire quelques mots du mode d'existence de cette masculinité. Il y a quelques années, aux Etats-Unis, une petite enquête a été réalisée dans l'une des plus grandes prisons du pays. Elle a montré que s'il y avait une chose que tous ces détenus avaient en commun, c'était l'absence d'un père. On peut penser qu'il en va de même pour toute prison. Ces hommes parlent de leur père en des termes très comparables: un père affectivement absent, physiquement absent et souvent violent. Mais des descriptions de ce genre, on ne les trouve pas uniquement dans le milieu carcéral. Il ressort d'une étude norvégienne dans laquelle on avait interrogé des hommes représentatifs du citoyen ordinaire que beaucoup d'enquêtés avaient aussi des problèmes dus à un père absent (Oystein Gullvog Holter og Helen Aarseth: Meens livssampwnheng. Oslo: Ad Notain forlag 1993).
Les types de réponses obtenus étaient les suivants:
Ce père, que ces enfants ne connaissent pas, ce père absent, "déconnecté", agressif, est l'archétype de notre culture masculine. Dans la plupart des pays occidentaux, on voit aujourd'hui apparaître des statistiques qui montrent à quel point cette absence du père est fréquente. Il y a en Europe des centaines de milliers de garçons qui ne voient jamais leur père. Or, c'est le père qui est l'instrument de la socialisation de son fils; c'est à travers lui que l'enfant devient homme; et si le père n'est pas là, la frustration du fils - c'est un fait avéré - prend souvent la forme d'une représentation paternelle idéalisée, dans laquelle le vide est comblé par une hypermasculinité. Le médecin et psychanalyste allemand Alexander Mitscherlich a décrit dès 1963 la société orpheline de père (Alexander Mitscherlich: Auf dem Weg zur Vaterlosen Geselisch4t, Munich, Piper & Co. 1963).
Rien n'indique que le système se soit beaucoup amélioré depuis. Des enquêtes récentes réalisées en Norvège nous apprennent que les pères qui ont des enfants en bas âge travaillent énormément pour faire face à leurs engagements financiers. Le taux de divortialité augmente, de sorte que, chaque année, des milliers d'enfants perdent le contact quotidien avec leur père. Le tiers seulement des pères divorcés parviennent à rester régulièrement en contact avec leurs enfants. Si nous parlons surtout des pères, c'est parce qu'une étude norvégienne consacrée aux hommes violents a montré que la plupart d'entre eux avaient eu un père violent (Kristin SkjOrten: Voldsbilder i hverdagen. Oslo: Pax forlag, 1964). Ce sont des gens qui, dans leur jeunesse, ont vu leur père battre leur mère; et malheureusement, ils ont tendance, devenus adultes, à reproduire ce modèle. Il importe de souligner que ces gens n'ont pas été eux-mêmes victimes de mauvais traitements, mais qu'ils ont été témoins de la violence exercée par leur père contre leur mère.
Une autre raison déterminante de mettre l'accent sur les pères tient au fait que les fils transportent avec eux, en quelque sorte, la violence privée dans la société. L'utilisation de la violence dans le contexte familial est souvent étayée par une tradition de violence ancrée dans l'industrie du cinéma et de la télévision - avec, pour résultat, le recours à la violence dans des situations conflictuelles, tant dans la -vie privée qu'à l'extérieur. La violence a tendance à mettre en exergue la masculinité. Une individualité peu sûre d'elle et affectivement handicapée aura tendance à "surreprésenter" la masculinité. Un jeune garçon peu sûr de lui et affectivement handicapé pourra devenir un "dur", un homme redouté, en faisant usage de la violence; il devient un "caïd" dans son milieu local. De cette manière, certains hommes qui manquent de confiance dans leur masculinité peuvent, en jouant des coudes, atteindre à une masculinité d'un type bien établi dans la société. Nous produisons des images d'hommes qui transmettent une norme de comportement violent à ceux de nos fils qui n'inspirent qu'à une chose: avoir un père digne de ce nom. Un adolescent qui commençait une thérapie a déclaré que ce qui l'avait poussé à devenir membre de la bande la plus brutale de la ville, c'est le fait que tout au long le sa scolarité, il avait été en butte aux sarcasmes de ceux qui le trouvaient efféminé. Aujourd'hui, il voulait prouver à tous que, lui aussi, était un vrai homme. La phase d'initiation consistait, comme dans les plus durs des films américains, à être passé à tabac par les autres membres de la bande. Après cette séance, il était admis au sein de la bande. Mais admis, pour faire quoi? Que faisait-on une fois qu'on était devenu membre? Eh bien, on écumait le quartier et on s'en prenait à d'autres jeunes; on commettait des actes de vandalisme et d'autres violences aux dépens de l'environnement immédiat. C'est de cette manière que ce jeune garçon se frayait un chemin - en jouant des coudes ... et des poings - vers la masculinité.
Il y aurait naturellement beaucoup à dire au sujet de la tradition patriarcale dans notre culture, et au sujet des mécanismes psychologiques qui interviennent dans la relation père/fils; mais malheureusement, nous n'aurons pas le temps de le faire dans le cadre de cet exposé. Nous préférons utiliser les quelques minutes qui nous restent pour présenter un certain nombre de stratégies susceptibles de contribuer à modifier la situation violente qui prévaut actuellement. Ces stratégies, on peut les résumer par ces mots: "nécessité d'assumer ses responsabilités". Dans les documents que nous avons diffusés antérieurement nous décrivions deux activités qui nous paraissent importantes: d'une part, la création du Centre de traitement pour hommes violents: Alternative à la violence (Alternative til vold); et d'autre part, la Campagne du ruban blanc. Nous ne reviendrons donc pas là-dessus aujourd'hui, et nous nous contenterons de faire référence à ces documents (voir annexe). En revanche, nous voudrions dire quelques mots de trois concepts qui peuvent contribuer à responsabiliser les hommes, à développer en eux l'empathie et la connaissance de soi; trois concepts articulés autour d'un mode de masculinité dans lequel la violence est remplacée par la participation.
Trois stratégies: 1. Responsabilité vis-à-vis des enfants L'Europe a besoin aujourd'hui d'une révolution de la paternité. Une révolution qui implique que les pères disent "oui" à leurs enfants, et "non" à un horaire de travail trop lourd. Une révolution qui repose sur le constat suivant: les enfants, ce ne sont pas seulement les femmes qui les ont; ce sont également les hommes. Une prise de conscience qui exige qu'on ait tout au long de sa vie un sentiment de responsabilité vis-à-vis de ce qu'on crée. Une révolution qui affecte aussi le langage; on ne parlerait plus, par exemple, comme on le fait aujourd'hui, de "baby-sitting" pour désigner le fait qu'un père s'occupe de son enfant. Cette révolution a commencé dans beaucoup de pays, où l'on voit désormais le père participer pleinement à la naissance; des pays dans lesquels se sont constitués des groupes paternels spéciaux pour les situations de primiparité, et dans lesquels le père a droit à un congé de "paternité" après la naissance de l'enfant. Beaucoup d'hommes, aujourd'hui, sont prêts à assumer leur responsabilité; et ils contribuent de manière importante à changer l'image de l'homme et du père et à lui donner une dimension participative. Il faut que des droits de ce genre voient le jour et se développent dans tous les pays européens.
1 Mais la paternité implique des priorités. "Mon enfant d'abord!" Voilà ce qu'il faut que tout père se dise. Nombreux sont les hommes qui se considèrent comme indispensables sur leur lieu de travail; mais leur arrive-t-il jamais de se demander s'ils sont indispensables à leurs enfants? Mais il importe également que les hommes adoptent un langage qui soit de nature à permettre à leur fils d'accéder à un univers autre que cet univers de brutalité qui s'identifie aujourd'hui à la culture masculine. Aujourd'hui, nous enseignons à nos fils le courage et la confiance en soi dans le domaine du sport et du travail. Dans ces secteurs, ils sont censés travailler dur et consentir à des sacrifices, montrer ce qu'ils savent faire; mais nous ne leur apprenons pas à faire preuve de courage et de responsabilité par rapport à leur propre vie affective et dans leurs relations avec autrui. Il faut que les garçons reçoivent une éducation affective; il faut qu'ils connaissent leurs émotions et qu'ils puissent les exprimer. Il faut qu'on leur apprenne à assumer la responsabilité de leurs propres conflits et de leur vulnérabilité; et il faut qu'ils soient en mesure d'assumer les conséquences de leurs actes.
2. Accepter la responsabilité de ses actes Il faut que les hommes osent se montrer sous un jour nouveau. Il faut qu'ils osent rompre avec une culture d'irresponsabilité dans laquelle ils s'éloignent du domaine de la vie privée et se dissimulent derrière des costumes sombres, des journaux et des uniformes. Si nous voulons guider nos enfants sur la bonne voie, nous devons être capables de partager notre expérience avec autrui; nous devons être capables de parler de notre propre vie, de dévoiler notre vie intérieure, de créer en nous-mêmes un espace de réflexion, d'écoute, de compassion et de dévouement. Nous devons redéfinir la nature de nos émotions. Le champ affectif n'est pas équivalent à la féminité. Nous devons assainir notre vie affective et, si possible, trouver un nouveau langage pour exprimer les émotions. En même temps, les femmes ont des choses à nous apprendre. Il doit être possible, pour nous, d'établir avec les femmes des relations fondées sur la coopération et l'épanouissement commun. Il est difficile de rompre avec une culture dans laquelle nous avons appris à être autonomes et dirigistes - une culture dans laquelle les hommes ne savent plus parler de sujets intimes. II est nécessaire de développer ce langage. C'est par de nouveaux récits mettant en scène une masculinité responsable que nous créerons cette masculinité responsable. Nous devons instaurer une nouvelle éthique masculine, reposant sur deux concepts: responsabilité et participation.
3. Responsabilité au niveau de la société Dans beaucoup de pays on observe aujourd'hui un vif désir de sauvegarder la nature. Cette volonté peut souvent sembler paradoxale, car ce qui survient dans la nature n'est que la conséquence de ce qui se passe dans la société. Une société violente doit nécessairement entraîner une réaction violente à la nature. Par conséquent, il faut que les hommes cessent de faire la sourde oreille à la violence. Il faut que nous reconnaissions la violence, que nous nous interposions, que nous en interrompions le cours et que nous évoquions dans nos propos le caractère irresponsable de la violence privée. Nous devons créer une dynamique conduisant de l'intérêt personnel à l'intérêt général, de l'action de prendre à l'action de donner, du "je" au "nous". Il est de notre responsabilité d'intervenir si des scènes violentes de la vie privée se déroulent dans l'appartement voisin. La famille n'est pas sacro-sainte; c'est une construction fragile qui a besoin qu'on l'aide. La Campagne du ruban blanc est une initiative qui vise expressément à reconnaître que la culture de la violence existe, et à le faire savoir haut et fort - pour mieux changer les choses. Mais s'élever contre une culture de la violence suppose également un travail politique pour modifier certains des aspects de notre culture qui sont les plus destructeurs. Cette problématique est trop vaste pour qu'on l'aborde ici; mais il est clair qu'en exerçant, comme on le fait aujourd'hui, une pression sur les salariés pour obtenir d'eux un rendement maximum, on crée et on entretient la violence. Le combat pour réformer l'horaire hebdomadaire est une expression fondamentale de la volonté de donner aux hommes la possibilité de passer davantage de temps avec leurs enfants. Allongement de la durée du congé prévu dans le cas d'une naissance; quotas spéciaux pour les pères, et semaines de travail plus courtes pour les pères de jeunes enfants: voilà les initiatives qui marqueront l'amorce d'un tel changement. En outre, nous invitons la classe politique à concentrer son attention non pas sur là violence publique, mais sur la violence privée - en pensée comme en action.
Enfin, puisque nous sommes à Strasbourg, ville dans laquelle le philosophe franco-lituanien Emmanuel Levinas a commencé sa carrière, nous voudrions poser la question de savoir s'il est possible de créer une nouvelle éthique masculine, inspirée de la théorie lévinasienne de l'éthique. Est-il possible de faire apparaître une masculinité fondée sur le dévouement, l'humilité, la vulnérabilité et l'extraversion, dans laquelle les hommes auront accès à la troisième naissance et où, à partir d'un état de narcissisme, ils atteindront à cet altruisme qui prend la forme de la responsabilité et de la participation?
Annexe Dans cet article, nous souhaitons nous concentrer sur certaines mesures de lutte contre la violence familiale, qui pourront servir d'exemple et de propositions d'action dans tous les pays européens.
La réalité de la violence à l'égard des femmes Nous connaissons mal l'ampleur du phénomène. D'abord parce qu'il est très difficile de pénétrer dans la sphère de la violence familiale : elle est cachée, occultée et quasiment absente du débat politique et social. Ensuite, rares sont les études consacrées à ce sujet. En Norvège, un programme de recherche, financé par le Conseil norvégien de la recherche, a été mené sur la violence à l'égard des femmes et les violences sexuelles subies par les femmes et les enfants. Dix ans plus tard, nous commençons à connaître un peu mieux les mécanismes de la violence et le rapport qui existe en ce domaine entre le pouvoir et l'impuissance à agir. Nous avons appris à écouter la parole de l'agresseur et celle de la victime, et, à partir de là, nous avons commencé à élaborer une politique.
Il n'en reste pas moins que nous ne savons pas vraiment dans quelle mesure la violence familiale est un phénomène répandu. Les chercheurs et autres personnes travaillant dans ce domaine ont émis des hypothèses à partir des chiffres dont nous disposons : le nombre d'enfants amenés dans les hôpitaux pour violences sexuelles (il y a dix ans, un tel diagnostic n'existait pratiquement pas), le nombre de femmes accueillies dans des centres de femmes battues, le nombre d'hommes cherchant une solution à leurs problèmes par des comportements violents, le nombre de femmes contactant la police pour se plaindre d'abus sexuels. A partir de ces données, nous estimons à cent mille, en Norvège, les hommes qui ont un problème de violence, soit six pour cent de la population masculine de plus de dix-huit ans. Chaque année, six mille femmes sont violentées et rares sont les hommes condamnés pour des crimes de cette nature. Environ cinq pour cent des enfants, pour la plupart des filles, sont exposés à des violences sexuelles. La proportion de femmes ayant été victimes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail atteint vingt pour cent. Voilà le tableau de la réalité de la violence à l'égard des femmes en Norvège et nous ne pensons pas que la situation y soit pire que dans les autres pays européens. Cependant, la vraie question n'est pas de mesurer l'ampleur du phénomène ; la violence familiale est, de toute façon, beaucoup trop répandue. Elle est, et nous ne devons pas perdre des yeux cet objectif, de combattre une idée inhérente à une certaine conception de la virilité, à savoir que l'usage de la violence à l'égard des femmes est considéré comme acceptable.
Qu'avons-nous fait ? Il y a vingt ans, quand on pensait violence familiale, on pensait le plus souvent aux femmes battues. Les actions du mouvement féministe et du gouvernement ont débouché sur la création pour ces femmes de centres d'accueil qui ont été et restent pour elles "un territoire préservé" indispensable, générateur de sécurité et source de réconfort Depuis sept ans, cette action contre la violence intègre les hommes, selon le raisonnement suivant : si l'on n'entreprend rien auprès des hommes, il n'y a aucune raison que la violence cesse jamais! Sous la pression d'hommes et de femmes, le ministère norvégien de l'Enfance et des Affaires familiales a donc créé le premier centre pour hommes violents, appelé "Alternative to Violence" (ATV). D'emblée, la réussite d'ATV a été totale, comme en témoigne sa longue liste d'attente. Les deux psychologues du Centre ont élaboré de nouvelles méthodes pour travailler avec les hommes et leur violence par le biais de thérapies individuelles ou de groupe. Jusqu'à présent, les résultats ont été excellents puisque plus de quatre-vingts pour cent des hommes n'ont plus commis d'actes violents après la fin de leur thérapie. A l'exemple d'ATV, plusieurs psychologues (hommes) dans le pays ont commencé à s'intéresser de près à la violence masculine et à proposer des thérapies aux hommes concernés par ce problème. Il s'agit là d'une nouveauté puisque la théorie dominante en matière de thérapie familiale traditionnelle oppose une grande résistance à la notion de violence familiale. Selon nous, il importe de se pencher, tout particulièrement dans le cadre de la thérapie familiale, sur le rapport qui existe entre la violence et les hommes afin de pouvoir sinon traiter le problème, du moins le constater.
Cependant, le nombre des thérapeutes qui travaillent sur la violence masculine est très insuffisant au regard de l'ampleur du phénomène. Notre conclusion est que la création de centres spécialisés comme ATV doit faire partie intégrante des actions menées contre la violence familiale dans tous les pays européens. Les centres de ce genre présentent deux avantages spécifiques. Tout d'abord, proposer une thérapie aux hommes violents est la seule solution que l'on puisse apporter au problème. Les centres de femmes battues ne sont qu'un palliatif à la souffrance ; ils soignent les symptômes mais pas la cause du mal. Ensuite, en traitant les hommes, nous montrons que nous ne les considérons pas comme entièrement ou irrémédiablement mauvais ; nous montrons au contraire qu'ils peuvent modifier leur comportement. C'est toute la dimension éthique d'un centre comme ATV.
Une autre action de premier plan a été menée en Norvège : la campagne du Ruban blanc - les hommes contre la violence à l'égard des femmes. C'est une campagne faite par les hommes, pour les hommes et sur les hommes, qui a été lancée en 1993. Chaque armée, nous organisons dans ce cadre des manifestations la veille et le jour de la Fête des pères (deuxième week-end de novembre). L'origine de la campagne du Ruban blanc remonte à 1991, au Canada, où une poignée d'hommes a décidé de mobiliser leurs pairs afin de s'élever contre la violence à l'égard des femmes. Ils ont décidé de porter un ruban blanc la semaine précédant le deuxième anniversaire du massacre de quatorze femmes perpétré dans l'école d'ingénieurs de l'université de Montréal, pour exprimer leur opposition à la violence des hommes à l'égard des femmes. Le succès de cette campagne fut immense, et des milliers de Canadiens ont arboré un ruban blanc dans tout le pays. Depuis, la campagne se renouvelle chaque année au Canada, et elle s'est étendue à l'Australie, aux Etats-Unis et à la Norvège. Le fait de porter un ruban blanc est un engagement personnel à ne jamais commettre de violences à l'égard des femmes, ni à fermer les yeux ou à se taire sur de tels actes. Notre objectif est de stimuler la réflexion et le débat afin que les hommes entreprennent des actions personnelles et collectives. La violence à l'égard des femmes est un sujet que les hommes n'évoquent jamais. Nous voulons que cela change, et nous pensons que verbaliser le problème constitue déjà un pas important sur cette voie. Le ruban blanc présente l'avantage d'être immédiatement visible et d'éveiller la curiosité : la discussion peut alors s'engager.
La campagne se déroule dans les écoles, les syndicats, les entreprises et les casernes, mais aussi parmi le personnel politique et dans les médias. Cette action est le fait de bénévoles, qui ont néanmoins bénéficié en 1995 de la collaboration très fructueuse des organisateurs norvégiens (Norsk Folkhjelp) de la Déclaration de Madrid : Dites non à la violence contre les femmes. Tous les ans, nous organisons diverses manifestations pour la Fête des pères afin de mettre l'accent sur la responsabilité des pères. La violence familiale est une souffrance qui a des répercussions sur la famille toute entière. Nous insistons sur la nécessité que les pères, maris et compagnons prennent leurs responsabilités et empruntent la voie de la compréhension au lieu de celle de la violence. L'accent mis sur la Fête des pères permet aussi de mettre en place des solutions de remplacement: en effet il faut apprendre aux garçons dès l'enfance qu'être un vrai homme n'oblige pas à être violent et que les vrais homme sont attentionnés. Nous ne pensons pas que les hommes soient naturellement violents et mauvais; nous ne leur jetons pas la pierre. Mais nous pensons que trop nombreux sont ceux qui ont appris à exprimer leur colère ou leur insécurité par la violence et qui croient que la violence à l'égard d'une femme, d'un enfant ou d'un autre homme est une manière acceptable d'exercer un pouvoir sur une autre personne. En nous taisant, nous permettons à d'autres hommes d'empoisonner notre environnement, et nous perpétuons l'image de l'homme dangereux. Nous nous efforçons de changer cette image parce que nous nous soucions de la vie des hommes. La campagne du Ruban blanc est un moyen de sensibiliser les hommes à la violence à l'égard des femmes, et la couleur de cette campagne s'accorde parfaitement à celle de la marche contre la violence qui a eu lieu en Belgique. Ce serait merveilleux si cette campagne, qui a déjà gagné plusieurs pays, pouvait essaimer et devenir une immense campagne des hommes contre la violence à l'égard des femmes.
Il sera très difficile de mettre un terme à la violence si les hommes ne se mettent pas eux-mêmes au travail. La violence familiale est un problème qui est au coeur de la conception actuelle de la masculinité, et il nous revient à nous, en tant qu'hommes, d'y mettre fin.
Par Dr Scilla ELWORTHY (Royaume-Uni)
Patriarcat, guerre et violence
Nous aspirons tous, plus ou moins, à la paix; notre instinct premier est d'aider plutôt que de blesser. Mais nous vivons dans une culture de la violence et nous appartenons à cette culture de la violence qui est entretenue par le fait que nous acceptons qu'elle constitue "le monde réel"; d'une manière générale, nous estimons qu'en dernier ressort, les crises mondiales doivent être résolues par des moyens "réalistes" tels que la guerre, le contrôle économique, la diplomatie de la carotte et du bâton, l'incarcération et des mesures répressives de maintien de l'ordre public. Les riches se portent très bien. Ils rejettent l'idée que leur prospérité repose sur l'indigence d'autrui. Non, au contraire, c'est eux, disent-ils, qui créent la prospérité qui profite ensuite aux autres. Il pourrait en être ainsi, il est vrai; ceux qui détiennent le pouvoir contrôlent les mécanismes qui leur permettraient d'agir de la sorte. Mais presque partout, nous choisissons de nous abstenir. Ceux qui n'ont pas le pouvoir politique dans les pays "moins développés" sont donc toujours pauvres alors que de nombreuses nations du G7 tendent depuis peu à retirer le soutien et les privilèges qu'ils accordaient aux classes et aux nations les plus pauvres; (l'aide est presque partout réduite) et certaines recettes fiscales ne sont presque plus redistribuées.
Ces facteurs socio-économiques contribuent à créer une certaine tension, une certaine frustration et un certain désespoir et ils sont à l'origine de la pénurie et du coût élevé des produits de base. Les personnes les plus touchées sont mues par un dénuement extrême ou l'oppression et s'efforcent de changer leur destin en recourant à la violence. Mais les guerres entraînent d'autres maux: famine, maladie et sans-abri. A une petite échelle, il est clair que de nombreux crimes violents expriment en partie le désespoir né de la misère et d'une privation chronique. Savoir que certains jouissent d'une prospérité et d'un pouvoir immense exacerbe continuellement ceux qui ne connaissent ni l'un ni l'autre: les guerres tribales d'Afrique, la mafia de Moscou, le monde souterrain de Rio ont tous connu cette situation. Et qui peut dire si, dans un accès de folie furieuse, un groupe frustré ou une petite puissance ne déclenchera pas une attaque nucléaire?
Le monde a évolué à une vitesse vertigineuse au cours de ce siècle. Les convulsions dues aux grandes guerres, la montée et la décadence d'empires et d'idéologies, les transformations technologiques, la perte de la foi, tout cela fait qu'au cours de ma vie les choses ont changé beaucoup plus qu'au cours des quatre ou cinq cents derniers siècles. Nous ne savons plus qui nous sommes et où nous sommes; nous sommes des étrangers, aliénés dans un monde que nous comprenions jadis et auquel nous avions l'impression d'appartenir, nous sommes devenus aliénés, au point que même dans les riches pays d'Europe on vit dans une société qui n'a plus aucune règle. Ce n'est plus une société, en quelque sorte, mais une anarchie, dont la valeur clé est la réussite. Cette quête du succès est vide, elle ne s'appuie sur aucun principe, sur aucune convention; les rivalités ont remplacé les amitiés. Le jeune cadre est aussi aliéné que l'agresseur sans emploi; le cadre supérieur bien formé d'une grande entreprise qui approuve des politiques entraînant indirectement la mort des - paysans d'Amérique latine est aussi aliéné que le trafiquant de drogue analphabète de Lagos ou de Liverpool: pour eux, les incidences de leurs actes n'ont aucun sens. Les vies des pauvres, si nombreux de par le monde, sont bouleversées. On leur tire dessus, on les poursuit et on les persécute; ils n'ont rien. Ils ont perdu leurs foyers, leurs familles, leur travail. Ils errent dans des camps misérables. Ils ont été torturés, ils vivent dans d'affreux taudis, des bidonvilles, des favelas, des cités de banlieues. Leurs enfants sont attaqués ou s'entre-tuent. Les femmes qui vivent près des bases militaires des superpuissances sont victimes de harcèlement sexuel, d'actes de violence et d'exploitation.
Quel est le lien avec le patriarcat? Première question: qui est responsable de notre monde? Il est vrai que les femmes sont désormais plus nombreuses à être élues aux assemblées nationales, mais elles en constituent rarement plus d'un tiers, compris comme la masse critique qui permet de changer le processus et le contenu de la prise de décision législative. Le domaine le plus délicat de la politique, à savoir la prise de décision concernant les armes de destruction massive est dans 99 % des cas aux mains des hommes. Au cours des quinze dernières années, j'ai interviewé ceux qui conçoivent, commandent, construisent, paient et élaborent les stratégies des armes nucléaires dans tous les Etats dotés d'amies nucléaires, y compris la Russie et la Chine; en 1988 j'ai publié 650 biographies du Who's Who concernant des personnes qui détiennent des positions clés dans le monde : cinq femmes y figuraient seulement. Ce chiffre n'a changé que dans des proportions infimes. Deuxième question: quelles sont les structures qui influencent nos vies? Les structures dominantes sont pyramidales : La personne située en haut de la pyramide exerce le pouvoir sur celles qui sont en bas. Un tel mode de pensée est de type masculin. Un mode de pensée plus féminin consisterait en un réseau, une structure de consultation horizontale où le pouvoir serait partagé.
Troisième question: quelle est la nature du pouvoir lui-même? La notion de pouvoir qui a prévalu dans la politique mondiale pendant des milliers d'années est le pouvoir compris en tant que force physique, domination , hiérarchie, autorité, empire et enfin, force militaire. Ce pouvoir est extérieur à la personne, il émane d'armées ou d'armements, de circonscriptions ou de Dieu. Nous pouvons l'appeler pouvoir de domination. Il s'agit essentiellement d'avoir le pouvoir sur quelque chose ou sur quelqu'un.
Le monde doit faire face au grand danger que représente l'aliénation par la culture de la violence qui existe bel et bien et qui se reproduira indéfiniment. Ses victimes qui ont souffert de grande privation, quelle qu'elle soit se débarrassent frénétiquement de leur angoisse et risquent de contaminer leur famille et leurs amis, en communiquant leurs souffrances de génération en génération et en contribuant de ce fait encore plus à ancrer ce sens du désespoir et de l'inutilité qui les a tant blessées et paralysées.
Pour en finir avec ce phénomène, il est inutile de s'arrêter sur les symptômes; il faut en examiner les causes. Quelles sont les causes de la violence? Quelle est la base psychologique de la violence, l'esprit, la mentalité sous-jacente? en effet nombreux sont ceux qui motivent cette violence. Il s'agit à coup sûr d'une tâche très importante qui relève du secteur de la santé mentale. Ce sujet est très préoccupant et j'y reviendrai dans un moment, mais je souhaite tout d'abord faire appel à votre imagination.
Les fondements d'une culture de la paix A quoi ressemblerait une culture de la paix? Cette question cache une foule d'autres questions :
etc.
Imaginez une agriculture respectueuse des besoins et des cycles de la terre, un écosystème équilibré qui produit assez pour tous. Imaginez un peuple accueillant à l'égard des étrangers. Imaginez une communauté ou les faibles sont protégés, où les personnes mentalement et physiquement différentes sont respectées et où chaque être humain a le droit au même respect égal. Imaginez des organisations qui prônent la tendresse, une écoute réelle, l'empathie, la réceptivité. Imaginez une société où tout tourne autour du sacré et où l'esprit est à la base des informations, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'agriculture, du commerce, du sport, des affaires et même de la politique
Imaginez de plus un peuple ludique, à l'image des enfants, des personnes qui s'interrompent et abandonnent ce qu'elles font en présence du beau. Un peuple qui vénère la créativité. Un peuple qui célèbre de nombreux festivals. Un peuple qui danse. Cette vision n'est pas le fruit de mon imagination, elle a de toute évidence existé dans des sociétés, mais il y a fort longtemps. Ces sociétés auraient survécu pendant des millénaires, aussi les principes qui les sous-tendent ne sont pas utopiques, ils sont bien réalistes. Revenons à l'essentiel. Que faire pour retourner vers ces sociétés ? Que faisons-nous pour écarter de longues traditions qui réglent les conflits par la lutte? Que faisons-nous pour surmonter le cynisme? Que faisons-nous pour transformer les habitudes de la violence? Il est chaque jour de plus en plus évident que pour que la planète et nos sociétés puissent être guéries, il importe avant tout que les guérisseurs soient eux-mêmes entiers, en bonne santé, conscients et puissants. Pour comprendre tout l'impact de ce que je viens de dire et ses implications, nous devons tout d'abord faire un bref retour en arrière au berceau.
Ouel traitement réservons nous à nos enfants? Le besoin fondamental d'un bébé est celui d'être réellement reconnu. Le petit de l'homme étant très dépendant, il importe que ses besoins fondamentaux soient satisfaits: contact physique chaleureux, repas sur demande et présence constante d'autrui à ses côtés. Dans nos sociétés occidentales, à quelques exceptions près, les bébés passent la plus grande partie de leur temps privés du contact physique, placés dans un berceau, un landau, une poussette, un parc etc. On les laisse souvent pleurer. L'heure du repas de bébé dépendait encore récemment de la montre ou de l'horaire d'un adulte plutôt que de ses besoins fondamentaux. Ils grandissent donc sans que leurs sentiments soient toujours reconnus et ils doivent se battre pour être aimés et respectés. Ils apprennent donc que la vie est un conflit entre soi-même et les autres. Passons maintenant au phénomène de la projection. Dans notre esprit, nous établissons une différence entre ce que nous pouvons tolérer sur nous-mêmes, le "bien", et ce que nous détestons ou le "mal" qui est refoulé dans notre inconscient et que certains appellent "ombre". Nous y cachons toutes sortes de tendances inacceptables "'inclinaison à voler, à mentir, à être cruel) qui sont refoulées de notre perception consciente où nous croyons pouvoir les renier. Comme ces tendances sont réprimées, elles ont de l'énergie. Elles "signifient" beaucoup pour nous. Mais nous n'admettons pas qu'elles puissent être en nous et "nous" les voyons en dehors de nous-mêmes chez d'autres personnes. Cela s'appelle projection. Une autre personne (un groupe ou un Etat) a des traits et caractéristiques qui suscitent de fortes émotions en moi, me rendent furieux, terrible, haineux. Cette réaction prouve assez bien que cette personne ou ces gens ont des caractéristiques que je reconnais comme miennes, dans mon for intérieur.
Notre perception de la nature humaine La façon dont nous traitons les enfants dépend à son tour de la perception que nous avons de la nature humaine. Croyons nous que les êtres humains sont de par leur nature agressifs, compétitifs, avares, etc., et que ces qualités sont fixes, "données", et ne peuvent être changées, en d'autres mots s'agit-il de la mentalité du péché originel? Nous assumons donc que ces tendances doivent être contrôlées, que nous avons à lutter pour ce que nous voulons et nous défendre lorsque quelqu'un d'autre. s'en empare. On peut aussi partir de l'hypothèse que les êtres humains sont fondamentalement coopératifs, sociables, aimants et généreux, ce que nous pouvons appeler l'attitude de la vertu originelle. On comprend alors que des actes injustes, cruels et agressifs résultent de ce que l'auteur de ces actes a subi un tel traitement au préalable et que ces tendances peuvent se transformer.
Notre attitude à l'égard du monde La philosophie du "réalisme" qui a prévalu dans les politiques nationales et mondiales pendant quelque quatre cents ans se fonde sur l'existence d'un Etat nation et de politiques internationales de la force armée basées sur cette notion. Les communautés politiques définissent leurs intérêts que leurs leaders représentent et poursuivent. Des conflits peuvent se produire entre ces intérêts et c'est l'Etat le plus puissant qui est le vainqueur. Comme la force militaire décide du pouvoir en conflit, le recours à la force ou la menace de recourir à la force sous-tend les relations entre Etats. Cette pensée réaliste a pour conséquence inévitable la guerre. Si les conflits sont réglés sans le recours à la force, cela signifie simplement que les deux parties reconnaissent le vainqueur d'après la répartition du pouvoir. Même lorsque le pouvoir n'est pas un élément majeur du conflit il est sous-jacent et il détermine les événements. Les Etats sont donc obligés de se baser sur le pouvoir pour protéger leurs intérêts. Les conflits mettent le pouvoir à l'épreuve.
On voit que les leaders politiques ont pour tâche première de reconnaître ces réalités. Il en résulte que chaque Etat ou chaque alliance voit sa sécurité de l'intérieur et s'efforce de protéger "nos" intérêts et valeurs contre l'extérieur. Le pouvoir vu de la sorte repose sur la volonté de recourir à la force." Cet ensemble d'attitudes qui suppose que les autres ("ils") sont des victimes et qu'ils "nous" feront du mal si nous ne les en empêchons pas et ne les arrêtons pas, remonte à l'idée du péché originel et au traitement des enfants comme êtres agressifs, avares, violents et égoïstes. Si telle est la nature humaine, il est probable que l'homme souhaite s'emparer des biens de son voisin, de force s'il le faut. S'"ils" sont comme ça, alors "nous", nous devons nous défendre nous-mêmes. (Bien-sûr, ce qui se produit alors, c'est qu"'ils" nous voient armés jusqu'aux dents, en train de fabriquer de nouvelles armes, aussi se sentent-ils menacés et ils font la même chose, et ainsi de suite, et nous sommes pris dans l'engrenage de la course aux armements.)
Le processus de projection décrit ci-dessus est au coeur de ce type de comportement. Ce n'est pas "nous" qui sommes agressifs, avares, violents et égoïstes, mais c'est "eux" qui le sont. Nous devons donc nous défendre contre eux et avoir plus de pouvoir qu'eux. Nos chefs militaires actuels croient tous que nous devons nous défendre contre des ennemis "de l'extérieur ". Les choses sont vues par certains gouvernements "de l'intérieur". La sécurité qui tend à être largement vue en termes militaires signifie la protection de "nos" intérêts ou nos valeurs contre l'extérieur. La conduite de la plupart des relations internationales repose donc sur la peur. Toute la doctrine de la dissuasion nucléaire est basée sur la peur. Ma sûreté, comme un général chinois me l'a dit un jour, se fonde sur votre insécurité. Il s'agit donc d'une approche hostile, nous comptons les amies, nous évaluons les forces, nous envoyons des espions pour découvrir les secrets de l'ennemi, nous rivalisons pour avoir les toutes dernières armes, les armes les plus sophistiquées. Nous faisons en sorte que les autres ne s'accaparent pas du pouvoir que nous détenons et nous appelons cela la non-prolifération. Nous essayons de contrôler le commerce des matières fissiles et le savoir-faire.
Nous sommes tout à fait capables d'adopter une démarche coopérative, c'est à dire de traiter avec les gens, d'instaurer et de développer un climat de confiance, de trouver un terrain d'entente. Cette approche englobe la prévention des conflits, la sécurité en matière de coopération et la recherche de solutions de coopération mondiale aux problèmes tels que le trafic des armements. Les leaders les plus durs agissent de la sorte. Cet enjeu difficile exige que soit instaurée une atmosphère dans laquelle les négociateurs puissent se rencontrer en qualité d'êtres humains. Cela exige du temps, cela suppose que l'on accepte d'être rejeté, d'avoir l'air bête. Cela requiert flexibilité, patience, savoir-faire et sagesse. Les trois points examinés ci-dessus peuvent être résumés dans le tableau ci-après: il. Voir The Missing Defence Debate, Cun-ent Decisions Report N* 6, Oxford Research Group, 1991, pp9-10
La plupart des enfants du monde occidental sont élevés selon un mélange de principes figurant à la colonne de gauche, l'accent étant mis sur les cinq premiers éléments. Les enfants des sociétés, où l'accent est mis sur les cinq autres éléments restent en contact plus grand avec le corps humain -pendant au moins leurs deux premières années et ont une tendance naturelle à coopérer, à partager et à contribuer au bien-être général.
Différentes notions du pouvoir J'ai mentionné plus haut la notion de pouvoir qui a prévalu dans la politique mondiale pendant plusieurs millénaires, à savoir le pouvoir compris comme une force physique, la domination, la hiérarchie, l'autorité, l'empire et enfin la force militaire. Il existe bien-sûr un autre type de pouvoir, le pouvoir avec les autres, c'est à dire le pouvoir de créer, d'être au lieu de faire. Il s'agit du pouvoir avec les autres qui débouche sur la coopération plutôt que sur la compétition. Il prend pour point de départ le sens de l'interconnexion avec d'autres êtres humains et la terre e implique donc une certaine responsabilité à leur égard. Il est accessible aux hommes et aux femmes. Je l'appellerai pouvoir intérieUr.12
Le fait que le pouvoir de domination ait prévalu dans notre monde pendant plusieurs siècles pose problème. Il est un stimulant qui pousse les gens à rivaliser pour le boulot, l'argent, les biens, la sécurité et l'amour. Il pousse les nations à se disputer la supériorité, à construire ou à acheter des armes dont le pouvoir est si destructeur que les autres nations en sont intimidées. Les nations usent de leur pouvoir de domination (économique ou militaire) pour s'emparer des biens d'autres nations, moins.puissantes à des prix exorbitants, pour s'accaparer de territoires ou tout simplement pour s'approvisionner de manière continue en ressources jugées vitales pour le niveau de vie de leurs peuples. Ainsi, les nations du Nord s'enrichissent et consomment plus de ressources, tandis que les nations du Sud s'enfoncent dans l'endettement. Le pouvoir de domination a apporté certains avantages, mais sa prévalence même a conduit à un déséquilibre si important que la survie de notre planète est en jeu. Il importe de découvrir (Ou de redécouvrir) à quoi ressemble l'autre pouvoir, en quoi il consiste, comment on peut le développer et l'utiliser ?
La différence clé entre le pouvoir intérieur et le pouvoir de domination réside dans leur origine, leurs sources et leur direction. Le pouvoir de domination vient de l'extérieur, d'un Dieu du ciel, du paradis, des armes, d'un bras tendu grand ouvert, Il se dirige vers l'extérieur. Le pouvoir intérieur est de nature réceptive et réside à l'intérieur, dans la psyché, dans le corps. Ce pouvoir vient de la connaissance de soi, de l'ancrage du corps et d'un certain fondement spirituel. Il n'est pas spécifique aux hommes ni aux femmes. Il est une synthèse des deux. Dans mon livre, je traite des moyens qui permettent de redécouvrir et de développer ce pouvoir et de l'utiliser. Au cours des deux derniers millénaires, les qualités considérées d'ordinaire comme féminines ont été dévaluées. Les qualités de perception, d'intuition, de souplesse, d'émotion, de compassion, de communication et de coopération (qui très récemment encore étaient très dévaluées, par rapport à la rationalité, la mesure, le logos, la compétition et le succès) commencent tout juste à être reconnues à leur juste valeur. Il s'agit de la partie visible de l'iceberg, du début de la révolution.
Deux Propositions Ayant examiné pourquoi la diminution de la violence et la guérison de notre planète passent impérativement par le changement de soi et de notre propre comportement, voyons maintenant les formes que ce changement peut prendre. L'une d'elles peut se traduire par un stage de formation qui combinerait activités expérimentales et théoriques, individuellement ou en groupe. Cette formation devrait être organisée de manière flexible pour tenir compte des besoins des étudiants à temps partiel et s'étendre sur une durée de deux années minimum et 4 années maximums. La formation est suggérée, par simple opposition au travail de développement personnel (de plus en plus fréquent) car un stage de formation comprend des éléments vitaux pour le développement des qualités fondamentales de ceux qui agissent comme les acteurs de ce changement
La formation pourrait inclure trois modules : le stage d'enseignement, les projets de recherche et d'expérimentation individuelles et le développement personnel. Le stage d'enseignement pourrait porter sur les principes inhérents aux cultures violentes, les principes inhérents aux cultures de la paix et sur les principes de transformation. La recherche et l'expérimentation individuelles pourraient porter sur l'étude pendant deux mois, d'un exemple de transformation, sur l'expérience personnelle du changement pendant une autre période de trois mois et sur un projet définitif visant à transformer une situation violente. Le développement personnel suppose que l'étudiant soit formé et travaille pendant au moins une année avec des professionnels dans les domaines de la connaissance -de soi, de son pouvoir corporel et de son pouvoir spirituel.
Une seconde proposition consisterait en un système de soutien aux parents, à deux composantes: information et aide pratique.
A. Information des parents.
B. Aide pratique.
Ces deux propositions très simples indiquent les possibilités qui sont déjà exploitées au niveau local dans diverses parties du monde. Le temps est venu de tirer parti de l'expérience locale et de la mettre courageusement en pratique au niveau national, afin de réaliser un changement important, symbole d'une disponibilité sans précédent à penser et à agir autrement. Les changements commencent à apparaître. Plus de 100 femmes siègent à la Chambre des communes à Londres et au Parlement en France et ces pays commencent à rattraper l'exemple scandinave. Le stand de tir situé sous Big Ben sera transformé en crèche. Les grandes sociétés lancent des campagnes en faveur du recrutement de femmes comme cadres moyens, car les femmes semblent posséder les qualités de communication et de coopération qui font défaut à de nombreux hommes. Des ateliers sur les valeurs féminines font brusquement leur apparition dans de petites villes et dans de grandes villes de Grande -Bretagne. Les femmes des nations industrialisées ont contribué à un nouveau texte à l'occasion du 50ème anniversaire de la Déclaration des Droits de l'Homme, élaboré dans une perspective d'égalité entre les sexes."Au Nicaragua, on peut espérer que les travaux réalisés par des groupes d'hommes permettront à ces derniers de contribuer à régler le problème de la violence. Dans un rapport récent l'Institut britannique de gestion a souligné qu'il. importe d'introduire "les principes féminins" dans l'industrie britannique. Deux fois plus d'entreprises sont créées par les femmes que par les hommes et les femmes expliquent qu'elles se lancent dans les affaires pour avoir la liberté de faire les choses à leur façon.
Les changements sont encore minimes par rapport à ceux qui doivent se produire. Mais si nous voulons que nos petits enfants vivent sur notre planète, nous n'avons plus le choix. Il * nous faut reconnaître que les ' compétences et les qualités des femmes sont en balance avec celles des hommes. Nous devons les reconnaître, reconnaître leur valeur et les utiliser, si nous voulons que notre espèce survive.
par François DE SINGLY (France)
I. Regardons une scène, présentée à la télévision française au début de juin 1997. Nous sommes pendant la campagne des élections législatives. Le leader du parti d'extrême droite était venu soutenir sa fille candidate dans une ville. Il y croise la candidate d'un parti de gauche. Il se rapproche d'elle, avec ses gardes du corps et l'agresse verbalement et physiquement. Sur l'écran, on le voit tout heureux. Il cherche à se bagarrer avec des personnes qui protestent. Il s'énerve de nouveau. Et il crie à quelqu'un : Injure suprême pour lui qui signifie "tu n'es pas un homme, même si tu en as les apparences". Fin de la séquence. Cette scène mérite commentaire par rapport au séminaire Promouvoir l'égalité: "un défi commun aux hommes et aux femmes". Ce * n'est pas un hasard si le responsable du parti qui demande la suppression de la loi reconnaissant en France en 1970, l'autorité parentale, et le rétablissement de la puissance paternelle- soit celui qui exprime une forte homophobie. Ces deux éléments se tiennent; ils reflètent un attachement à une conception de la masculinité traditionnelle, de la virilité qui s'inscrit à la fois dans le pouvoir sur les femmes, considérées comme êtres faibles et dans la violence physique légitime, exaltation de la force. Un des enseignements de ce séminaire a été de dénoncer une telle construction sociale du "masculin", masquée sous l'évidence des différences de nature, et d'observer comment la virilité, symbole de la masculinité, se réalise à deux niveaux associés :
Michaël Kimmel a souligné comment l'homme parvient à se définir comme "homme" trop souvent par l'invention d'un groupe, d'une catégorie -les homosexuels- et ainsi à se rassurer lui-même sur le fait qu'il mérite d'appartenir au groupe, à la catégorie des hommes, des "vrais hommes". Cette crainte hante les garçons pendant l'enfance et la jeunesse. Ils ont peur de se faire traiter de "femmelette" ou de "pédé". Tout cela est rassurant, d'une certaine façon. C'est le signe que la masculinité est fragile, qu'elle résulte d'un long processus de socialisation, donc que les hommes ne sont pas totalement attachés à cette appartenance. Ils restent soumis, en public et surtout en présence d'autres hommes, à cette définition d'eux-mêmes. Mais ils ne sont pas si convaincus que cela au fond d'eux-mêmes. Ils sont en partie, prêts à avoir une autre définition.
A une question demandant à des hommes, en France, "les qualités qui leur semblent les plus importantes pour un homme" (sondage Nouvel Observateur, mai 1991), ces derniers classent d'abord l'honnêteté, la volonté. Ils choisissent la tendresse dans 37 % des cas et la virilité dans 10 %. Dans une autre enquête, on demandait les qualités pour une "bonne mère", les qualités pour un "bon père". La qualité "être disponible" obtenait 40 % des suffrages , le portrait du père, et l'autorité n'obtenait que 10 Ce sont des signes Non pas que le monde a changé, mais que le monde peut changer. Cette conviction, je crois que toutes les participantes, tous les participants, l'ont. Cela a été exprimé avec force, avec foi. Ce qui n'exclut pas la lucidité devant les obstacles. L'égalité est un long processus.
II. Avant de procéder au relevé des recommandations qui sont apparues lors des discours introductifs, lors des quatre rapports, lors des discussions très nourries, je voudrais rappeler certains points forts. Le principal porte sur la question de l'intérêt des hommes à changer , de l'intérêt des hommes à s'intéresser à la question de l'égalité entre les femmes et les hommes. Comme l'a demandé une participante : "Pourquoi les hommes qui sont ici s'intéressent-ils à la promotion de cette égalité ?" Il y a eu peu de réponses personnelles. Mais il y a des réponses, tirées de recherches. Les hommes "entrent" dans cette question de plusieurs manières: soit en référence aux femmes concrètes qu'ils connaissent, leur mère, leur soeur, leur amie, les femmes de leur vie; soit au moment de crises, comme le divorce, le chômage qui les déstabilisent; soit au moment où ils deviennent pères, et où ils cherchent à devenir de "bons pères". Ce sont les moments favorables où l'homme est plus sensible à la question de la masculinité, à sa façon d'être un homme ou aux manières des autres hommes. Reste la question de l'intérêt. Question difficile puisque, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, les hommes ont à perdre au changement. Sinon comment pourrait-on évoquer la domination masculine si les hommes ne gagnaient rien à l'inégalité en leur faveur ? Et néanmoins, les hommes ont à gagner au changement. C'est la conviction de beaucoup.
Comment s'articulent les gains et les pertes des hommes dans la perspective de l'égalité ? C'est une question décisive puisque le type de réponse choisi détermine la nature des solutions envisagées, la forme de coopération susceptible d'être établie avec les hommes. Plusieurs réponses, théoriques et pratiques, existent. Pendant le séminaire, une, semble-t-il, a prévalu, au-delà des différences dans l'expression.
Pour le comprendre, on peut se référer à la théorie des jeux. Il existe des jeux à somme nulle dans lesquels un joueur perd nécessairement ce qu'un autre joueur gagne. Les théories de la domination - de classe ou de genre - peuvent être lues dans cette optique. Le groupe des hommes exploite un autre groupe, celui des femmes. Alberto Godenzi le rappelle: le concept d'inégalité renvoie à "une relation au sein de laquelle un ou plusieurs groupes exploite ou exproprie un autre ou plusieurs autres groupes .... L'avantage dont un groupe profite dépend indissociablement du désavantage dont souffre un autre groupe" (Jackman cité par Godenzi). Le groupe dominant peut gagner en utilisant diverses stratégies, plus ou moins violentes". L'amour, l'affection peuvent être pensés comme des manières de faire habiles de la part des dominants : les subordonnés apprécient ainsi de servir leurs supérieurs. La violence symbolique sert autant au maintien des inégalités que la violence physique. Il faut se méfier de ces formes douces qu'affectionnent les dominants. Ce qui compte c'est la lutte des dominés qui ont un intérêt objectif à se révolter. Dans cette perspective, un des meilleurs moyens d'aider les femmes consiste à dénoncer les inégalités d'une part et les formes, douces ou non, que prend la domination (aussi bien l'amour que les coups) d'autre part. Il faut également tout faire pour que les femmes aient suffisamment de ressources, matérielles et symboliques, et de -pouvoir pour être des individus "libres" et "égaux" au même titre que les hommes.
Ce n'est pas cette conception qui a été la plus partagée pendant les échanges de ce séminaire. L'adhésion était plus forte pour un Jeu à somme non nulle. Ce que les femmes parviennent à gagner permet et permettra aux hommes de gagner aussi (même s'ils perdront certains avantages). L'égalité est donc un objectif positif aussi pour les. hommes. Bengt Westerberg l'a exprimé dès le début des débats : l'égalité autorise chacune et chacun, femme et homme à avoir une vie plus complète ("a more full life"). Dans les jeux à somme non nulle, les joueurs ont intérêt à coopérer pour gagner. Le modèle sous-jacent au jeu à somme non nulle de coopération des femmes et des hommes en vue de l'égalité est le suivant. Premièrement, les femmes ont des côtés masculins dans leur identité, et les hommes des côtés féminins, côtés cachés, masqués pour les uns, côtés réprimés pour les autres. Deuxièmement l'égalité permet de rompre avec cette répression sociale qui affecte les deux camps. Eva Moberg l'exprime très bien : "Il est tout aussi facile à un homme de développer son côté féminin qu'à une femme de développer son côté "masculin", c'est à dire, dans un cas comme dans l'autre, son côté humain". Walter Hollstein se situe, lui aussi, dans cette perspective puisqu'il observe que "les hommes retrouvent leur côté féminin et développent leurs sentiments, leur sensualité, leur passivité, leur vulnérabilité et leur capacité à demander de l'aide. Ils s'efforcent d'élargir leur champ émotionnel et humain tout en restant masculins".
Peut-être n'est-ce pas aussi facile que cela pour les femmes, et pour les hommes. On l'a déjà noté, à cause des jugements des autres : admettre un côté "féminin" n'est-ce pas prendre le risque, pour un homme, d'être classé dans la catégorie des "faux" hommes ? Selon le modèle - les hommes ont, peuvent avoir de côtés féminins, et les femmes ont, peuvent avoir des côtés masculins, - on arrive en quelque sorte à un paradoxe. Pour devenir soi-même, pour être pleinement humain, la femme doit reconnaître en elle-même et l'homme en lui-même des dimensions de l'altérité de l'autre genre. Un homme, psychologue, n'a-t-il pas déclaré qu'il existait un "immense réservoir féminin chez l'homme" ?
Les femmes et les hommes ont donc un mouvement comparable à accomplir, celui de reconnaître en soi ces qualités désignées, socialement, comme spécifiques à l'autre sexe. Reprenons quelques énoncés d'Eva Moberg pour avancer encore plus. Après avoir souligné que "les femmes sont championnes de s1d, ... chefs d'orchestre, ministres ou championnes d'échecs. Tout cela en restant femmes", elle aborde le changement des hommes : "Au nom de quoi les hommes seraient-ils incapables de changer, eux aussi ... Pourquoi ne pourraient-ils pas donner libre cours à leur capacité d'empathie, de sensibilité, de patience et d'attention. Pourquoi ne pourraient-ils pas enlever leur armure ?" Ces énoncés nous montrent que si les hommes et les femmes ont à changer, le mouvement n'est pas identique. Pour les femmes, il s'agit d'ajouter à leurs qualités féminines, à cette "intériorité", les qualités désignées traditionnellement comme plus masculines. Pour les hommes, il s'agit d'enlever - au moins provisoirement leur armure, leur extériorité, pour pouvoir atteindre une intériorité cachée au fond d'eux-mêmes. Ce mouvement est possible pour les hommes. Mais il se heurte à une résistance spécifique: la peur du vide, telle que la nomme Michael Kimmel. Se dépouiller des habits masculins, des expressions les plus masculines, les plus viriles, pourquoi pas, mais si au fond de soi, on ne découvre que le vide. Walter Hollstein a pris également cette image du vide, qui résulte de l'abandon des valeurs intérieures, qui crée l'énergie pour surinvestir dans le travail, dans les luttes pour le pouvoir, qui engendre la violence.
Il faut, dans cette perspective, et nous y reviendrons dans les recommandations, proposer les moyens de conjurer cette peur. Par une socialisation des garçons de telle sorte qu'ils puissent apprendre à avoir, et à exprimer les "valeurs intérieures" (parallèlement à une socialisation des filles pour avoir et exprimer les "valeurs extérieures"). Par aussi une expression des hommes dans des groupes d'hommes où chacun s'aperçoit qu'il possède cette intériorité, des sentiments, sans perdre pour autant, bien au contraire, son identité. Après le processus de changement et de réduction des inégalités, chacun -femme ou homme- peut être enfin soi-même, objectif de nos sociétés occidentales. Progressivement, les étiquettes sociales devraient aussi changer, le "masculin" et le "féminin" ne devraient plus être collés obligatoirement à "extériorité" et "intériorité". C'est une désignation pratique mais qui peut être dangereuse, car elle reflète la domination masculine. Jorgen Lorentzen et Per Are Lokke l'ont compris, aussi insistent-ils sur la nécessaire distinction entre exprimer ses sentiments et exprimer de la féminité. Historiquement, il y a eu lien entre ces deux termes. Mais ce lien doit être rompu : les hommes peuvent et doivent inventer leurs propres manières d'exprimer leurs sentiments et leurs émotions. Tout comme les femmes peuvent et doivent inventer leurs propres manières d'exercer le pouvoir dans la sphère publique. L'égalité ne présuppose pas un double alignement. Les femmes et les hommes peuvent donc coopérer pour parvenir à une vie plus complète. Cela aura des effets importants : le développement d'une humanité plus harmonieuse, grâce à l'usage de l'ensemble des ressources de chacun.
Scilla Elworthy nous propose une telle vision, avec un monde de paix, ouvert, tolérant, ludique. Si chacun danse, c'est parce qu'il est bien "dans sa peau", dans son être Mais une lecture attentive de "Patriarcat guerre et violence" montre que la culture de la paix ne repose pas sur un modèle strictement équivalent à celui qui vient d'être exposé. En effet, là, il y a lutte entre deux visions du monde, deux manières de gouverner. Le pouvoir extérieur, vertical, davantage propre aux dominants, aux hommes. Et le pouvoir intérieur, horizontal, davantage propre aux femmes. Pour Scilla Elworthy, il est clair que la paix ne viendra que d'une défaite, celle du pouvoir extérieur, que d'une renaissance grâce au pouvoir intérieur. Dans cette perspective, il n'y a pas cumul, ajout des côtés masculins et féminins comme dans le modèle précédent, il y a rejet de la verticalité, de la dissuasion, de la menace. Non pas un modèle additif, mais un modèle exclusif. La coopération, la confiance ne se marient pas avec la menace et la punition.
Dans cette conception du jeu, l'objectif comprend avant tout la manière de jouer. Le groupe des joueurs (les femmes) doit imposer à l'autre groupe (les hommes) une manière d'être qui déstabilise l'expression favorite des hommes, le pouvoir vertical. Jeu selon lequel la non-violence doit l'emporter sur la violence sans prendre les moyens utilisés par les dominants pour gagner. Il faudrait approfondir cette réflexion si utile. Les désaccords sur la conception de la domination masculine n'interdisent pas l'accord sur des recommandations. Les différentes perspectives présentent au moins deux points communs indispensables pour agir
Ces deux points sont importants. Ils marquent le fait que l'égalité des femmes et des hommes ne peut pas se réaliser par un alignement sur le monde masculin.
III. Quelles recommandations pouvons-nous énoncer pour promouvoir l'égalité, avec pour objectif d'impliquer les hommes ?
La richesse des discours introductifs et des rapports, la qualité de l'Organisation assurée par la Section Egalité de la Direction des Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, et aussi la manière dont chacun(e) est intervenu(e), dont chacun(e) a été écouté(e) nous ont montré comment la construction d'un monde commun dans le respect des différences est possible, comment l'égalité, le partage des tâches et des responsabilités à tous les niveaux entre les femmes et les hommes sont source d'une "vraie qualité de vie" individuelle et collective.
Allocution de clôture par Daniel Tarschys, Secrétaire Général du Conseil de l'Europe I Si chacun des participants est reconnaissant envers le rapporteur général, je le suis pour ma part doublement puisqu'il me faut conclure un séminaire auquel je n'ai pas assisté, entreprise toujours assez périlleuse parce que l'on est moins informé que quiconque. Grâce au rapporteur général, et au rapport très exhaustif, je pense avoir saisi quelques bouffées de vos travaux, et de vos propos, au cours de ces deux jours. J'ai pris connaissance de certains des rapports et compte bien lire les conclusions et les autres rapports que je n'ai pas encore pu voir. Je tiens à vous exprimer tous mes remerciements pour être venus ici et avoir contribué à ce processus. Permettez-moi de vous expliquer ce que j'entends par "processus": le Conseil de l'Europe est un système très complexe, au sein duquel les politiques et les experts dialoguent à différents niveaux. Les politiques dialoguent aussi entre eux. L'Assemblée parlementaire influence le Comité des Ministres; le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux intervient auprès des gouvernements, mais chacun de ces échelons de représentants politiques absorbe la sagesse des experts et s'en enrichit. Nous organisons fréquemment des séminaires et des colloques avec des experts. Très souvent, il s'agit de conférences mixtes où se rencontrent experts et politiques. Ensemble, ils font valoir des idées et des propositions exprimées dans le cadre d'un échange très fructueux d'informations, et qui constituent une base solide pour les recommandations émises par l'Organisation. De nouveau aujourd'hui, experts et politiques se rencontrent afin de nous aider à mieux comprendre le rôle des hommes pour réaliser l'égalité entre les femmes et les hommes.
Le rapporteur général a fait allusion au fait que les hommes et les femmes, dans une très large mesure, habitent des mondes séparés. Il y a dans nos sociétés de petites sphères principalement dominées par les hommes, et d'autres principalement dominées par les femmes. Malheureusement, le domaine de l'égalité est de ceux dont on peut dire qu'ils sont effectivement dominés par les femmes. Je pense que le présent séminaire a constitué une tentative très importante pour insuffler un peu d'égalité dans le domaine de l'égalité, pour remédier au déséquilibre existant dans ce domaine en mettant l'accent sur le rôle des hommes dans l'équilibre entre les sexes. Cette tâche, à mon avis trop longtemps différée, est extrêmement importante. C'est là une contribution propre à stimuler et à inspirer la suite de l'action au sein du Conseil de l'Europe.
Ce n'est pas tout à fait la première manifestation axée sur les hommes. J'arrive juste de Vienne, où les ministres chargés des Affaires familiales ont tenu leur 25 réunions. Tous les deux ou trois ans, les ministres responsables des différents domaines de compétence du Conseil de l'Europe tiennent une conférence. Celle des ministres chargés des Affaires familiales est en l'occurrence la plus ancienne puisque, créée à la fin des années 50, elle s'est réunie vingt-cinq fois depuis. Cette fois-ci, à Vienne, l'accent a été mis sur les problèmes de l'adolescence, compte tenu notamment du fait que celle-ci n'est plus ce quelle était, que la durée des études s'allonge et que, pour corser la situation, l'entrée sur le marché du travail est aujourd'hui plus aléatoire. L'ampleur du chômage, notamment celui des jeunes, ajoute une autre complication, une autre dimension d'incertitude à toute l'expérience de l'adolescence, comme si celle-ci n'était pas suffisamment délicate sans cela.
Les ministres qui se sont penchés sur cette question ont accordé beaucoup d'attention au rôle de l'un et l'autre parents à cet égard. La dernière fois que les ministres chargés des affaires familiales s'étaient rencontrés à Helsinki il y a deux ans, l'accent avait été mis sur le rôle du père dans la famille. De nouveau, les ministres chargés de la famille ont eu le sentiment qu'il fallait axer l'attention sur les hommes. Ainsi hier, leur débat consacré aux problèmes de l'adolescence a fait ressortir une très nette concordance de vues sur le fait que le rôle des deux parents est absolument capital pour l'épanouissement des jeunes. Tandis qu'à Amsterdam, parallèlement, on discute de déficits publics et budgétaires, le débat à Vienne a porté sur les déficits parentaux, le manque de communication entre parents et enfants, et plus particulièrement les adolescents. On a pris conscience à Vienne de la nécessité de recentrer aussi la politique familiale parce que les petits enfants absorbent naturellement beaucoup d'attention, mais qu'il y a une tendance à faire porter toute la politique familiale sur les petits enfants en oubliant la poursuite indispensable de la communication et du contact entre les parents et les adolescents. Au cours des débats tant à Helsinki qu'à Vienne, le thème des hommes et de leur rôle par rapport à la fonction parentale et à l'éducation a suscité un très grand intérêt Cela est à mon avis très prometteur, et indique aussi qu'il existe un public réceptif au type de questions que vous avez examinées.
Le présent séminaire peut à mon avis produire un grand nombre de résultats: vous avez posé une question très pertinente, et ensuite? Que va-t-il se passer maintenant? Je pense que ce séminaire peut être source d'inspiration de plusieurs manières différentes. Tout d'abord, il va y avoir à la fin de l'année à Istanbul une autre conférence des ministres, la Conférence ministérielle sur l'égalité, dont un des thèmes au moins sera très étroitement lié au sujet du séminaire puisqu'il portera spécifiquement sur les rôles des hommes. Une deuxième contribution, très importante, pourrait être apportée aux travaux du Comité directeur pour l'égalité lors de son examen de la Convention sur la violence à l'égard des femmes. C'est là à mon avis, une idée très passionnante, qui progresse actuellement au sein du comité directeur, et je sais que beaucoup de bons arguments ont été avancés ici en faveur d'une telle convention. Je suis certain qu'il en sera tenu compte dans les travaux du comité directeur.
Le comité directeur, m'a-t-on dit, -a également entrepris d'examiner un instrument relatif à la traite des femmes: c'est là encore, un thème extrêmement important dont je pense qu'il intéressera aussi le Sommet du Conseil de l'Europe en octobre de cette année. Ce sommet sera particulièrement axé sur les problèmes de sécurité individuelle dont, entre autres, ceux liés aux stupéfiants, à la corruption, etc. Je pense que la traite des femmes pourrait constituer un thème du sommet.
Une autre conséquence, je l'espère, du présent séminaire, pourrait se rapporter aux activités dans les Etats membres. Mon espoir est que cette réunion puisse être reproduite à d'autres niveaux, et que les documents puissent servir dans différents types de manifestations nationales. Il va de soi que c'est un thème qui requiert un échange de vues beaucoup plus vaste que celui que nous avons eu ici. Il nécessite aussi un débat avec des gens spécifiquement impliqués dans le domaine de la jeunesse, de l'éducation, et dans un certain nombre de secteurs très étroitement liés à l'intérêt général. A vrai dire, il est assez difficile d'envisager un quelconque domaine où il n'est pas applicable, mais je pense au moins que vous avez pris un bon départ ici. J'aimerais conclure par un retour à mon point de départ, en vous remerciant de vos contributions, des textes que vous avez présentés et des débats dont il sera rendu compte dans le rapport final.
ANNEXE I LIST OF PARTICIPANTS/ 1. MEMBER STATES OF THE COUNCIL OF EUROPE/ETATS MEMBRES DU CONSEIL DE L'EUROPE ALBANIA/ALBANIE
ANDORRA/ANDORRE AUSTRIA/AUTRICHE BELGIUM/BELGIOUE
BULGARIA/BULGARIE
CROATIA/CROATIE
CYPRUS/CHYPRE
CZECH REPUBLIC/REPUBLIQUE TCHEOUE
DENMARK/DANEMARK
ESTONIA/ESTONIE
FINLAND/FINLANDE
FRANCE
GERMANY/ALLEMAGNE
GREECE/GRECE HUNGARY/HONGRIE
ICELAND/ISLANDE
IRELAND/IRLANDE ITALY/ITALIE
LATVIA/LETTONIE
LIECHTENSTEIN
LITHUANIA/LITUANIE LUXEMBOURG MALTA/MALTE
MOLDOVA/MOLDAVIE
NETHERLANDS/PAYS-BAS NORWAY/NORVEGE
POLAND/POLOGNE
PORTUGAL
ROMANIA/ROUMANIE
RUSSIAN FEDERATION/FEDERATION DE RUSSIE
SAN MARINO/SAINT MARIN
SLOVAKIA/SLOVAQUIE
SLOVEN/SLOVENIE
SPAIN/ESPAGNE
SWEDEN/SUEDE
SWITZERLAND/SUISSE
"THE FORMER YUGOSLAV REPUBLIC OF MACEDONIA"/"'L'EX-REPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACEDOINE"
TURKEY/TUROUIE
UKRAINE
2. NON-MEMBER STATES OF THE COUNCIIL OF EUROPE BELARUS
CANADA
JAPAN/JAPON
HOLY SEE/SAINT-SIEGE
UNITED STATES OF AMERICA/ETATS UNIS D'AMERIQUE
3. GENERAL RAPPORTEUR/RAPPORTEUR GENERAL
4. KEYNOTE SPEAKERS/ORATEURS LIMINAIRES
5. CHAIRS/PRESIDENT(E)S
6. RAPPORTEURS/EUSES
7. INVITED GUESTS / INVITÉS
8. COUNCIIL OF EUROPE BODIES/INSTANCES DU CONSEIL DE L'EUROPE
9. EUROPEAN UNION BODIES/INSTANCES DE L'UNION EUROPEENNE EUROPEAN COMMISSION/COMMISSION EUROPEENNE
EUROPEAN PARLIAMENT/PARLEMENT EUROPEEN
10. INTERNATIONAL ORGANISATIONS/ ORGANISATIONS INTERNATIONALES INTERNATIONAL LABOUR ORGANISATION (ILO)/BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL (BIT)
UNION OF INDUSTRIAL AND EMPLOYERS CONFEDERATIONS OF EUROPE/UNION DES CONFÉDÉRATIONS DE L'INDUSTRIE ET DES EMPLOYEURS D'EUROPE
ORGANISATION FOR. ECONOMIC COOPERATION AND DEVELOPMENT (OECD)/L'ORGANISATION DE COOPERATION ET DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUES (OCDE)
ORGANISATION FOR SECURITY AND COOPERATION IN EUROPE (OSCE) ORGANISATION POUR LA SECURITE ET LA COOPERATION EN EUROPE (OSCE)
UNITED NATIONS ORGANISATION FOR EDUCATION, SCIENCE AND CULTURE/ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L'EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE (UNESCO)
UNITED NATIONS CHILDREN'S FUND/FONDS DES NATIONS UNIES POUR L'ENFANCE (UNICEF) . UNITED NATIONS DIVISION FOR THE ADVANCEMENT OF WOMEN
11. INTERNATIONAL NON-GOVERNMENTAL ORGANISATIONS / ORGANISATIONS INTERNATIONALES NON-GOUVERNEMENTALES EUROPEAN NETWORK OF POLICEWOMEN
EUROPEAN WOMEN'S LOBBY/LOBBY EUROPÉEN DES FEMMES
REGROUPING "EQUALITY PARITY-WOMEN-MEN"/REGROUPEMENT "EGALITE PARITE- FEMMES-HOMMES"
AMNESTY INTERNATIONAL HUMAN RIGHTS WATCH INTERNATIONAL FEDERATION OF RED CROSS AND RED CRESCENT SOCIETIES
WOMEN'S WORLD SUMMIT FOUNDATION /FONDATION SOMMET MONDIAL DES FEMMES
MEMBERS OF THE SECRETARIAT OF THE COUNCIL OF EUROPE ATTENDING THE SEMINAR / MEMBRES INVITE(E)S DU SECRETARIAT DU CONSEIL DE L'EUROPE
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