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La paternité à la française

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Revue ARDECOM 1980
N°1 - Février 80 - page 41 à 47

 

LA PATERNITÉ À LA FRANÇAISE

 

En Occident, père et mère ne sont pas pairs : dans la conception, la grossesse, l'accouchement, la petite enfance de leur rejeton commun, il existe un partage symbolique — et arbitraire — du pouvoir procréatif masculin et féminin, partage qui, comme chacun le sait, fait la part belle à la génitrice.

 

Interrogeons, pour nous en convaincre, notre langue " maternelle " ; le Larousse nous apprend (par omission) que l'instinct paternel n'existe pas, tandis que, bien sûr l'instinct maternel figure en tant qu'institution (inscrit, probablement, dans le code génétique... ). De même, on trouve le verbe " materner ", mais pas plus M. Larousse que M. Robert ne savent ce que c'est que " paterner ". Question à 1.000 F maintenant : qu'est-ce qu'un enfant naturel ? Vous avez — nous l'espérons — gagné : c'est (toujours d'après Sa Majesté La Langue) un enfant sans père ! Facile à trouver, certes, mais d'autant plus énorme...

 

Question " super-banco ", cette fois : qu'est-ce qu'un homme qui attend ? Vous avez perdu si vous pensez que c'est quelqu'un qui attend l'autobus, une lettre ou un ami ; en revanche, la question est inutile si c'est une femme qui attend : c'est (ce n'est même pas une question à 10 F) une femme enceinte, tout le monde sait ça. Inclinons-nous donc devant le fait linguistique qu'un futur père n'attend rien pendant les neuf mois où sa compagne est enceinte de son enfant. Les anglo-saxons lui reconnaissent pourtant ce statut de futur père qui lui est refusé chez nous : c'est un " expectant father " disent les dictionnaires d'Outre-Manche. On pourrait avec profit continuer ce petit jeu pas du tout anodin. Signalons seulement qu'on ne peut pas non plus savoir, chez nous, si un homme attend son premier, deuxième (etc.) enfant ; en revanche, notre vocabulaire possède une subtilité confondante pour la mère : telle peut être primigeste et primipare, primipare et multigeste, multipare, etc. Ce n'est pas du dernier joli, il est vrai, mais cela a le mérite de mettre un nom sur une réalité. Tandis que la paternité, c'est du vent, dirait-on.

 

La fabrication d'un enfant semble être, dans notre société, une affaire de femmes : le (la) jeune français(e) passe inexorablement de la sage-" femme " à l'institutrice de l'école " maternelle " en passant par mère, grand-mères, tantes, etc. Mais soyons juste tout de même avec notre culture : le père participe de façon non négligeable, même hautement glorieuse, puisqu'il donne son nom à l'enfant : le Nom-du-Père, vous connaissez ?

 

Drôle de partage, tout de même ; comme si la maternité, c'était du naturel, du concret, du vrai, et la paternité, de l'abstrait, du symbolique, de la loi. Et quelles drôles de questions est-on amené à se poser à partir de là... " To make a long story short ", disons seulement ceci : il importe de comprendre la distinction nécessaire qu'il y a lieu de pratiquer entre le fait de la division sexuelle (l'homme, porteur de sperme ; la femme, porteuse d'utérus), et les modalités selon lesquelles les différentes tâches de la parentalité sont artificiellement et symboliquement imparties à l'un et l'autre sexe.

 

Notre société, dans son discours sur le " maternage ", privilégie implicitement des moments qu'elle considère essentiellement féminins : grossesse, accouchement, relations mère/bébé, le père tenant un rôle secondaire pendant cette période. Il suffit, pour s'en convaincre, de parcourir les multiples ouvrages de puériculture et de conseils aux parents.

 

Mais c'est là où l'idéologie montre le bout de l'oreille... L'étude d'autres cultures fait apparaître en effet que d'autres moments que grossesse, accouchement, allaitement, peuvent aussi bien être privilégiés ; également qu'un autre vécu de ces mêmes moments peut aussi être " proposé " par telle ou telle civilisation aux pères. L'analyse des phénomènes de couvade, que l'on rencontre partout, et ce depuis des siècles, en constitue une preuve tangible. connaître ces modèles différents de comportements paternels démontre à quel point les idées reçues dans ce domaine constituent un écran idéologique qui se superpose à la réalité physiologique.

 

C'est ainsi que, selon les cultures, on trouve de véritables " théories de la conception " : tantôt on pense que la femme, pendant la grossesse, n'a qu'un simple rôle d'hôtel, le père, lui, faisant fonction de restaurant (en nourrissant le foetus par son sperme), tantôt l'on pense que les deux parents participent à la croissance du bébé in utero (la mère fonctionnant, pourrait-on dire, en hôtel-restaurant demi-pension), tantôt enfin — comme en Occident par exemple — le dogme officiel est que la mère fait office d'hôtel-restaurant en pension complète... (le père n'ayant pendant cette période qu'un rôle de bon gros toutou protecteur).

 

On repère cet arbitraire — qui est le propre de toute culture — tout au long du processus de l'enfantement ; à l'accouchement, pendant l'allaitement, au niveau des différents apprentissages de l'enfant, etc.
Il est, nous semble-t-il, de l'intérêt des deux sexes, des deux parents, mais aussi de l'enfant, que l'on démythifie ces images fantasmatiques et culturelles de la parentalité. Après tout, un enfant ne se fait-il pas — en France comme ailleurs — à deux ? Mais il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre, et notre société est dure d'oreille, aveugle, et quelque peu muette quand il s'agit de paternité.

 

Par Geneviève Delaisi de Parseval, mère-pair en gestation d'une oeuvre sur les fantasmes paternels (à accoucher), co-mère (avec une autre femme) de Allons, enfants de la puériculture.

 

 

PAS D'ENFANTS

Je ne veux pas d'enfants,
Pas de fruits à mon arbre,
A mon chêne pas de glands,
A mes joues pas de barbe.

Je ne veux pas d'enfants
Pour consoler ma mort,
Pas de petits mutants,
Pas de petits médors.

Je ne veux pas d'enfants
Qui sèchent au tableau noir,
A la guerre de cent ans,
Au fond d'un réfectoire.

Pas d'enfants aux curés, aux gradés, aux grognasses,
Pas d'enfants au piquet ou premier de la classe.

Je ne veux pas d'enfants,
Qui pleure ou qui babille,
Et dont on est fier quand
Il fait souffrir les filles.

Je ne veux pas d'enfants
Pour réussir mes rêves,
Les rêves des parents
Qui s'étiolent et qui crèvent.

Je ne veux pas d'enfants
Qu'on s'épingle en médailles,
Qu'on arbore clinquant
Bien avant la bataille.

Je ne veux pas d'enfants
Pour la paix des ménages,
Petits témoins tremblants
Des couples en naufrage.

Je ne veux pas d'enfants,
Je ne suis pas normal
De déserter les rangs
du troupeau génital.

C'est comme si j'étais nègre, gauchiste ou non violent,
Enfin, de cette pègre qui fait peur aux parents.

Je ne veux pas d'enfants,
Je le gueule à la face
De ce monde des grands,
Assassins et rapaces.

Pas d'enfants pour vos guerres, vous les ferez sans lui.
Dans le sein de sa mère il objecte sa vie.

Henri Tachan

 


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