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ardeco8.htm Revue ARDECOM
1980
LA PATERNITÉ À LA FRANÇAISE
En Occident, père et mère ne sont pas pairs : dans la conception, la grossesse, l'accouchement, la petite enfance de leur rejeton commun, il existe un partage symbolique et arbitraire du pouvoir procréatif masculin et féminin, partage qui, comme chacun le sait, fait la part belle à la génitrice.
Interrogeons, pour nous en convaincre, notre langue " maternelle " ; le Larousse nous apprend (par omission) que l'instinct paternel n'existe pas, tandis que, bien sûr l'instinct maternel figure en tant qu'institution (inscrit, probablement, dans le code génétique... ). De même, on trouve le verbe " materner ", mais pas plus M. Larousse que M. Robert ne savent ce que c'est que " paterner ". Question à 1.000 F maintenant : qu'est-ce qu'un enfant naturel ? Vous avez nous l'espérons gagné : c'est (toujours d'après Sa Majesté La Langue) un enfant sans père ! Facile à trouver, certes, mais d'autant plus énorme...
Question " super-banco ", cette fois : qu'est-ce qu'un homme qui attend ? Vous avez perdu si vous pensez que c'est quelqu'un qui attend l'autobus, une lettre ou un ami ; en revanche, la question est inutile si c'est une femme qui attend : c'est (ce n'est même pas une question à 10 F) une femme enceinte, tout le monde sait ça. Inclinons-nous donc devant le fait linguistique qu'un futur père n'attend rien pendant les neuf mois où sa compagne est enceinte de son enfant. Les anglo-saxons lui reconnaissent pourtant ce statut de futur père qui lui est refusé chez nous : c'est un " expectant father " disent les dictionnaires d'Outre-Manche. On pourrait avec profit continuer ce petit jeu pas du tout anodin. Signalons seulement qu'on ne peut pas non plus savoir, chez nous, si un homme attend son premier, deuxième (etc.) enfant ; en revanche, notre vocabulaire possède une subtilité confondante pour la mère : telle peut être primigeste et primipare, primipare et multigeste, multipare, etc. Ce n'est pas du dernier joli, il est vrai, mais cela a le mérite de mettre un nom sur une réalité. Tandis que la paternité, c'est du vent, dirait-on.
La fabrication d'un enfant semble être, dans notre société, une affaire de femmes : le (la) jeune français(e) passe inexorablement de la sage-" femme " à l'institutrice de l'école " maternelle " en passant par mère, grand-mères, tantes, etc. Mais soyons juste tout de même avec notre culture : le père participe de façon non négligeable, même hautement glorieuse, puisqu'il donne son nom à l'enfant : le Nom-du-Père, vous connaissez ?
Drôle de partage, tout de même ; comme si la maternité, c'était du naturel, du concret, du vrai, et la paternité, de l'abstrait, du symbolique, de la loi. Et quelles drôles de questions est-on amené à se poser à partir de là... " To make a long story short ", disons seulement ceci : il importe de comprendre la distinction nécessaire qu'il y a lieu de pratiquer entre le fait de la division sexuelle (l'homme, porteur de sperme ; la femme, porteuse d'utérus), et les modalités selon lesquelles les différentes tâches de la parentalité sont artificiellement et symboliquement imparties à l'un et l'autre sexe.
Notre société, dans son discours sur le " maternage ", privilégie implicitement des moments qu'elle considère essentiellement féminins : grossesse, accouchement, relations mère/bébé, le père tenant un rôle secondaire pendant cette période. Il suffit, pour s'en convaincre, de parcourir les multiples ouvrages de puériculture et de conseils aux parents.
Mais c'est là où l'idéologie montre le bout de l'oreille... L'étude d'autres cultures fait apparaître en effet que d'autres moments que grossesse, accouchement, allaitement, peuvent aussi bien être privilégiés ; également qu'un autre vécu de ces mêmes moments peut aussi être " proposé " par telle ou telle civilisation aux pères. L'analyse des phénomènes de couvade, que l'on rencontre partout, et ce depuis des siècles, en constitue une preuve tangible. connaître ces modèles différents de comportements paternels démontre à quel point les idées reçues dans ce domaine constituent un écran idéologique qui se superpose à la réalité physiologique.
C'est ainsi que, selon les cultures, on trouve de véritables " théories de la conception " : tantôt on pense que la femme, pendant la grossesse, n'a qu'un simple rôle d'hôtel, le père, lui, faisant fonction de restaurant (en nourrissant le foetus par son sperme), tantôt l'on pense que les deux parents participent à la croissance du bébé in utero (la mère fonctionnant, pourrait-on dire, en hôtel-restaurant demi-pension), tantôt enfin comme en Occident par exemple le dogme officiel est que la mère fait office d'hôtel-restaurant en pension complète... (le père n'ayant pendant cette période qu'un rôle de bon gros toutou protecteur).
On repère cet arbitraire qui est le propre de toute culture tout au long du
processus de l'enfantement ; à l'accouchement, pendant l'allaitement, au niveau des
différents apprentissages de l'enfant, etc.
Par Geneviève Delaisi de Parseval, mère-pair en gestation d'une oeuvre sur les fantasmes paternels (à accoucher), co-mère (avec une autre femme) de Allons, enfants de la puériculture.
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