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Mars 99

Caravane des tantes
L'homme politique, loup pour la femme
Hommes ensemble contre le sexisme
Contraception masculine paternité

 

Edito

Depuis près de 25 ans, les groupes d'hommes se suivent et se ressemblent ou pas. En tous cas, ils ont en commun de rassembler des hommes, des "mecs" qui insistent sur l'absence de modèles, les nécessaires réflexions sur l'identité masculine, l'indispensable solidarité avec les femmes féministes contre les violences, pour le droit à la contraception, à l'avortement, etc. Certains groupes durent. De groupes militants, ils sont devenus un "lieu" où paroles et sourires s'échangent en douceur. Certains sont éphémères. Deux ou trois rencontres et puis, plus rien, chacun reprend ses affaires et ses questions, et va plus loin.

Le paysage politique aussi a changé. Qui se souvient qu'une partie importante des premiers groupes d'hommes était composé d'insoumis à l'Armée, souvent recherchés par la police. Aujourd'hui, où les rapports hommes/femmes évoluent vers une plus grande égalité, il devient normal de s'afficher comme "proche des femmes et de leurs luttes". De même, sida et luttes pour le PACS (pacte civil de solidarité) ont rapprochés ceux qui se réclamaient d'une sexualité hétéro, et ceux qui aiment d'autres hommes.

Pourtant, aujourd'hui comme hier, les mêmes maux traversent l'antisexisme :

– un immense isolement de nos amis perdus dans les campagnes éloignées des centres urbains, ou intégrés dans des modes de vie masculin qui ne supportent aucune remise en cause de la guerre entre hommes, pour être le meilleur, le plus performant…

– la volonté de certains de nos amis de fraîche date de s'afficher comme les meilleurs antisexistes, les plus radicaux, de confondre nécessaires débats et procès d'intention.

– la solitude des jeunes garçons qui découvrent leur attirance pour d'autres hommes, ou leurs refus des modèles traditionnels.

Pourtant, aujourd'hui comme hier, ce sont les "Pères divorcés", ceux qui confondent conflit entre un homme et une femme, et guerre contre toutes les femmes, qui font bien souvent la une de l'actualité. Aujourd'hui, comme hier, les hommes antisexistes sont divisés : en générations, en catégories de définition de sa/ses sexualité(s).

Voilà le sens de la rencontre de Pâques: débattre entre nous, apprendre à se connaître, au delà des guerres, des luttes. Dans une perspective de paix, de tolérance, de lutte contre toutes les violences: celles qui subissent les femmes, celles que des hommes imposent aux autres hommes pour les obliger à adopter des comportements virils.

Faire exister en France un pôle d'hommes progressistes, qui veulent pour eux, pour leurs amies, les enfants, une société qui ne soit plus basée sur la domination d'un genre sur l'autre ; une société exempte de racisme, d'homophobie, de violences.

En plus, nous avons la volonté de pouvoir débattre en s'écoutant, sans avoir la prétention de détenir LA vérité, ni sur les hommes, et encore moins bien sûr, sur les femmes. Nous avons l'ambition de débattre en se faisant plaisir, de ne plus avoir peur de la tendresse entre hommes, des plaisirs de partager…

PS: A la demande de certains hommes, et pour favoriser les débats, la rencontre est non-mixte. Cette première rencontre est francophone, d'autres devraient suivre…

 

Des hommes, ensemble, contre le sexisme

Nous étions dès 1975 dans les groupes d'hommes, et nous nous sommes battus contre la " virilité obligatoire " ; nous sommes jeunes militants radicaux et voulons soutenir les luttes de nos amies féministes ; nous sommes hommes progressistes, convaincus que l'égalité entre hommes et femmes répond à notre aspiration : une société sans discrimination, ni de sexe, ni de classe. Nous sommes gais, bisexuels, transgenres, hétéros, nous ne voulons plus de cette homophobie collective qui restreint nos libertés individuelles, cautionne notre déni de droits. Nous sommes hommes, convaincus que les constructions sociales du masculin empêchent la libre expression de nos sensibilités, de nos émotions. Nous sommes pères, à plein temps, à mi-temps ou papas de week-end, nous voulons élaborer un nouveau contrat hommes/femmes où la paix succède à la guerre alimentée, entretenue, par la justice sexiste. Nous sommes proféministes, persuadés que seule la fin de la domination masculine fera disparaître les prisons du genre. Nous sommes hommes, militants contre la violence masculine faite aux femmes, et dans une autre mesure faites aux hommes ; nous sommes solidaires et soutenons les luttes féministes contre la violence. Nous sommes des garçons sans modèle de père, d'ami, de fils. Les certitudes tombent, et nous voulons repenser notre place de père, d'ami, d'amant, de fils…

Nous avons en commun d'être des hommes qui refusons le sexisme

Le Réseau Européen d'Hommes Proféministes propose une rencontre (francophone)
les 3-4-5 avril 99 (week-end de Pâques)  à Toulouse (France)
Discutons entre jeunes et moins jeunes, gais, bi, hétéros, transgenres…militants déjà impliqués, citoyens conscient des inégalités, pères, fils…

Plusieurs thèmes de débats sont prévus :
• Jeunes, vieux, quadras… : quels modèles vivons nous ? quels modèles rêvons-nous ?
• Les violences masculines contre les femmes, contre les hommes
• Gais, bi, hétéro… : ensemble contre l'homophobie !
• Comment soutenir les luttes pour les droits des femmes ?
• Comment penser un nouveau contrat hommes/femmes ?

Inscriptions, renseignements, suggestions, contributions :

Contactez nous :

Réseau européen d’hommes proféministes EuroPRO-fem
c/o les Traboules, 12, rue Agathoise F-31000 Toulouse France
Tel: 05 61 63 88 48      Fax: 05 61 63 88 51
E-mail: dwl@univ-tlse2.fr

 

CONTRACEPTION MASCULINE PATERNITÉ

Revue d’ARDECOM N°1 - Février 80

Nous poursuivons la réédition sur CD-Rom de textes "Historiques" témoignant des interrogations des hommes sur la problématique du masculin. Vous trouverez entre autre dans la prochaine mise à jour du CD-Rom du réseau (prévue pour juillet 99), les deux numéros de la revue d’Ardecom, publiés en 1980. En attendant... Voici l'éditorial du numéro 1

En 1945, Pincus mit au point la première pilule contraceptive à base de progestatif de synthèse.

Cette contraception orale féminine n’a été possible que parce que les mouvements féministes américains ont réclamé et financé la recherche (notamment le Planning Familial de Margaret Sanger)

 

ÉDITO

ARDECOM

Association pour la Recherche et le Développement de la Contraception Masculine

ARDECOM est née d'une série de rencontres...

Des hommes ayant participé à des " groupes d'hommes " remettant en cause le rôle de mec, les comportements virils, se sont réunis pour parler des choses les plus intimes qui nous touchent, en dehors des rivalités habituelles. Nous avons parlé et réfléchi sur notre sexualité, la paternité, le rapport que nous avons avec les enfants : ceux dont on est le père biologique, ceux avec lesquels on vit, ceux qu'on voudrait avoir, ceux qu'on imagine et, pour certains, le refus d'être père.

Sans abandonner l'idée d'un groupe de parole, nous avons voulu faire plus : pourquoi, si nous ne désirons pas d'enfant, ne pas l'assumer complètement ? Pourquoi accepter comme une fatalité l'absence d'une contraception masculine en dehors des méthodes vécues par nous comme des négations du plaisir (capote, retrait) ?

Alors a commencé une longue quête.

Nous nous sommes rendu compte que, contrairement à l'idée souvent répandue, il n'existait pas de méthode contraceptive au point, nulle part au monde. Quant à la vasectomie, si elle nous a intéressés, nous l'avons abandonnée comme étant actuellement définitive.

C'est à ce moment que nous avons rencontré une équipe de médecins, de chercheurs, qui essayaient de mettre au point une " pilule " contraceptive masculine. Les uns pour répondre à une demande de couples ne pouvant employer aucune méthode féminine, les autres dans une démarche liée à la biologie de la reproduction réunissant la lutte contre la stérilité, l'insémination artificielle et l'existence d'une contraception masculine.

Certains d'entre nous qui n'avaient pas envie d'avoir d'enfant ont décidé de participer à ces essais, non comme cobayes mais comme utilisateurs conscients.

Nous avons accepté de prendre ces produits parce qu'ils étaient connus car utilisés et en vente depuis de nombreuses années.

Il avait été établi un protocole prévoyant un contrôle médical très strict de l'innocuité et de l'efficacité du traitement. Nous avons essayé de prendre en main le maximum d'aspects comme le contrôle de la tension artérielle, le comptage au microscope des spermatozoïdes, le choix et la lecture des examens. Nous avons voulu mieux connaître notre corps, comprendre comment il fonctionne et nous avons découvert l'immensité de notre ignorance.

Nous avons rencontré d'autres hommes qui pratiquaient la même contraception mais y étaient arrivés individuellement. Nous avons échangé nos expériences et nous nous sommes regroupés. D'autres hommes, qui refusaient la contraception chimique, se sont joints à nous et cherchent des moyens de contraception nouveaux à partir de la chaleur, de l'action du cuivre...

Enfin s'est créée en octobre 1979 ARDECOM, " association d'hommes et de femmes concernés par la contraception masculine " ; une association pour que les gens qui sont intéressés, et nous sommes nombreux, se mettent en contact, échangent, se rassemblent. Nous recherchons toutes les informations sur la contraception masculine et les diffuserons.

Nous essaierons de suivre, d'impulser, de réaliser des essais de contraception (des projets de recherches ont été déposés), de faire se rencontrer les utilisateurs... Nous voulons aussi que la vasectomie soit d'accès facile et légal même si elle n'est pas considérée, à tort, comme une contraception.

Une dynamique pour l'existence d'une contraception masculine se met lentement en place. A chaque article dans un journal, de nombreuses lettres nous arrivent, un lien prometteur s'établit avec le Planning familial, des groupes se créent dans plusieurs villes (Nantes, Lyon, Toulouse, Limoges).

Nous voyons ARDECOM comme un lieu d'expression reflétant la diversité des paroles et des expériences, comme un instrument pour qu'une contraception masculine existe, même si elle ne résoud pas tous les problèmes, comme un endroit où se disent la paternité, l'amour, la vie...

 

LA CARAVANE DES TANTES

Star,

je ne suis pas un numéro 4, le journal de toutes celles et tous ceux qui veulent toucher les étoiles, vient de sortir.

Nous publions
"la caravane des tantes",
un texte de Jean Jean, fondateur du journal.

Vous pouvez commander le journal:

STAR c/o MAB
37 rue Burdeau F-69001 Lyon France

"...Star est à prix libre, c’est-à-dire que tu donnes ce que tu veux...
Le prix libre n'est certes pas un remède, c'est une pommade, corps gras et parfumé ou médicamenteux selon le Larousse de poche. Un bout de pansement qui permet aux sans-sous ou aux fauchéEs de pouvoir le lire..."

J.J.

Le texte qui suit est inspiré de ce que je vis, vois, entends et ressens, des colères et des pensées que cela fait naitre, des livres et fanzines que je lis. Pour le reste, il ne s’agit que de doutes, de certitudes et de contradictions...

J’aurais pu grandir dans la "maison des hommes" (1) mais je l’ai surtout subie, comme ces sales mômes qu’on enferme dans la cave en leur mettant un bonnet d’âne, et en leur faisant porter le fardeau des misères de la famille et des autres.

Je ne suis pas née dans la "maison des femmes" parce que biologiquement je n’ai pas un corps de femme, et n’ai pas été éduquée, et n'ai pas vécue comme telle.

J’ai un corps et un sexe masculin et le but du jeu est que je devienne un mec qui rit fort, parle fort, parle des femmes comme il aime les voitures.

Mais malgré tous les branle-bas de combat, sueurs et inquiétudes, que cela a dû poser dans mon entourage de gamin, je préfère toujours le vernis à ongle au ballon de football, pour rester dans une imagerie classiquement binaire.

Et impossible de savoir quelles sont les raisons majeures qui m’amènent aujourd’hui à me sentir plutôt tante, plutôt éfféministe, que homme ou gay.

Impossible de savoir si c’est le fait d’être petit et menu depuis le début, format poubelle ou crachoir, qui laisse uniquement à choisir entre bouc-émissaire ou esclave facile comme format d’existence. Je ne sais pas si c’est ça ou autre chose. Je ne sais pas si c’est ça avec d’autres choses, en tout cas j’ai appris à baisser les yeux.

Il est probable que s’entendre dire qu’on est peu de choses, une merde, un handicapé mental, une tapette, une minette aide à comprendre les souffrances, développe nos sensibilités aux problèmes des autres (2). Les autres quand on est mômes, ce sont les gros, les moches, les roux, les grandes oreilles, les pisse-au-lit, etc, et bien-sûr les filles, qu'elles soient rousses ou non, grosses, pisseuses, poufiasses, etc ou non...

Je ne sais pas si c’est cette sensibilité qui "inconsciemment" m’a, à un moment donné, permis de juger que le monde des jeux des filles (dinette, poupées, élastique, marelle...) était plus sympa que le monde bruyant, violent, des garçons.

Je ne sais pas si le fait d’avoir joué et grandi avec mes copines très jeune est lié au fait que j’étais efféminé. Je ne sais pas. Je pose, propose, suppose, et ne regrette rien.

Par contre, ce que je sais avec certitude, c’est que régulièrement, et depuis longtemps, le monde de la "maison des hommes" me le fait raquer. Mon identité se forme au rythme des insultes, des injures, des coups. C’est ce que je suis avec mes peurs, mes angoisses, et aussi avec mes éclats de rire, avec la dérision du mépris dominant, avec l’autodérision pour me permettre et me donner les moyens d’exister.

PATRIARKIKI PARADIS A PATRIARKAKAKALAND

En patriarkie, l’hétéronormalisation contribue à accentuer la séparation des rôles et tâches, attribuées aux personnes selon leur sexe biologique, en offrant aux petits garçons ce qui est normâlement pensé comme valorisant, et en jetant les restes aux petites filles.

En patriarkie, l’hétéronormalité piétine les femmes et enterre les gens bizarres, celles et ceux qui ne réduisent pas les amours, les êtres, en mécanique de reproduction.

En patriarkie, l’hétéronormalité c’est l’ordre des non-choses, des abcès et des absences de vie.

LA GROTTE DES HOMMES

Dans la grotte des hommes "si on n’est pas un homme, on est une fille, une mauviette, un éfféminé" (3). Peu importe, par conséquent la ou les sexualités que tu pratiques ou pas, peu importe que tu sois pédé, bi ou hétéro. Il faut juste être un homme, comme papa, Serge Lama ou 3615-Gay musclé.

Peu importe que tu préfères les deux premières mi-temps sur le terrain de foot ou la troisième mi-temps sous les douches, dans les vestiaires. Le principal, c’est que les actes entre les hommes soient virils, ou considérés comme tels par l’assemblée.

Peu importe qu’on se tape "fraternellement" dans le dos sous ces mêmes douches, qu’on se touche les couilles ou qu’on se plotte le cul. Ce qu’il ne faut surtout pas, c’est passer pour une gonzesse, une tapiotte, un enculé. Il faut faire comme si on n’aimait pas ça. Et au cas où on y prenne goût, il faut alors l’affirmer de façon viril, montrer qu’on est quand même un Mec comme les autres Mecs. Un pédé avec des couilles.

Aujourd’hui encore, malgré la démocrétinisation des moeurs, il est toujours plus valorisant de porter des chaussures à crampons que des chaussures à talons aiguilles. Question de genre...

Peu importe que des Mecs s’adonnent aux concours des bites-les-plus-longues, jeux érotico-sexués non-mixtes, où la valeur du vainqueur se mesure en centimètre, et où le déshonneur du vaincu en bennes de moqueries humiliantes (4). Peu importe que le copain-grande-bouche aille de temps-en-temps draguer un travesti sur les quais, pendant que la copine-alibie reste à la maison. Ce qu’il ne faut surtout pas c’est être assimilé aux critères définis comme féminins, ne pas être jugé par le groupe des hommes ou des copains comme gonzesse, ça serait une faiblesse. C’est moins ridicule d’être un branleur qu’une suceuse, un enculeur qu’un enculé.

Donner l’apparence de ne pas en être, mais plutôt d’en avoir, c’est la formule du bel Hercule.

Pourtant, les jeux érotiques et sexués homos font partiellement partie de l’éducation des garçons, pour le plaisir, comme forme de compétition et de hiérarchisation, ou afin d’établir des codes sociaux.

Ces codes et les hiérarchies qu’ils imposent, développent la volonté de parêtre mieux que, ou de faire mieux que l’autre, plutôt que la volonté d’être mieux que soit même, laquelle approche de soi et du monde est un perpétuel mouvement, questionnement, etc. Tanter d’être mieux, de faire mieux que soi-même, être à l’écoute de soi, de ses différences qui s’entrechoquent, de ses contradictions et complémentarités, afin de comprendre autrement notre environnement, l’autre, les autres, et les situations.

Etre à l’écoute de l’autre en soi, c’est-à-dire de soi, pour ne point se mépriser, et ne point mépriser l’autre.

Ou alors, nous resterons confrontéEs aux violences sexuelles contre les hommes, les hommelettes, les transgenres, et évidemment contre les femmes, menaces et actes de guerre contre le genre féminin. Le dit "actif" contre la dite "passive".

LE GAYTTO

Le gaytto (ou "communauté gay", terme utilisé par les commerçantEs gays pour définir leur clientèle-porte-monnaie) largement dominé par les hommes, contribue partiellement a son intégration dans le monde patriarcal, marchand, etc, en se débarrassant des imageries de folle-dingues qui lui collaient à la peau comme eczéma. Depuis longtemps, et aujourd'hui quasi systématiquement, les gays se montrent multi- musclés, sportifs, mâles et/ou misogynes. Normaux donc...

La virilité des images publicitaires gays nous rappellent celles des statues, affiches et autres monuments glorieux du stalinisme, du nazisme, et du scoutisme (...sans les queues en érection, évidemment!), effigie de la gloire du travail, de la gloire de nations, des nationalismes.

Ce ne sont évidemment pas que des images pour faire téléphoner et gagner des francs, ce sont également des images pour faire bander où l'extase de chez l'extase, le désir, le plaisir, la jouissance ne fonctionnent qu'avec la survalorisation du corps masculin, et où, par conséquent,.les valeurs con-traires sont de goûts mauvais. Images d’hommes droits, larges d’épaules et fiers. Apologie du mâle et du normâle, de sa jeunesse, de son corps, de sa force, de sa santé, que l’on retrouve un peu partout aujourd’hui, et dont la négation est la laideur, la maladie et le genre féminin auquel est associé la sensibilité 5, la maternité, la passivité, la faiblesse, la nervosité, l’hystérie...

Et pendant ce temps-là, les lesbiennes sont derrières, là-bas, au fond, et les transgenres balaient l’arrière-cour. Cherchez, vous les trouverez bien quelque part.

VIOLENCES HOMOPHOBES

J’ai été tabassé et violé un soir d’automne 1997 par trois jeunes Mecs, à St Germain-des-Fossés, Allier.

J’aurai pu avoir la carrure d’un rugbyman, avoir une démarche viril, être 100% pédé et ne pas avoir été confronté à ce type de violence homophobe.

J’aurai pu être petit, avoir les cheveux roses, porter des bijoux, être plutôt efféminé dans ma façon d’apparaître et de me déplacer, être100% hétérosexuel et être tabassé ce soir-là.

Les violences homophobes (coups, insultes, viols, meurtres...) dirigées contre les hommes s’attaquent à ceux auxquels il est attribué des particularités dites homosexuelles, mais qui dans la réalité ne le sont pas forcément: la façon de parler, de marcher, de se vêtir, les gestes par exemple. Elles ne s’adressent pas particulièrement aux personnes dont la sexualité est homo, puisque la ou les sexualités des unes, des uns et des autres ne se détectent pas encore à l’oeil nu. Et encore moins dans la nuit...

En patriarkie, les violences homophobes ciblent les hommes qui ne s’inscrivent pas dans les normes, dans les codes, masculins et patriarcaux, les personnes dont la virilité, la façon d’être et d’occuper les espaces, dont la façon de tchatcher, d’écouter ou de ne pas écouter sont autres. Différentes.

Elles ciblent les hommes qui sont étrangers à l’image domestique des mâles.

Elles ciblent le genre féminin.

Les femmes, les mômes, les chienNEs et autres animaux.

J’ai été tabassé et violé par trois Mecs qui, à ce moment-là, ont estimé que c’était le châtiment que je méritais, et dont la sentence était de me faire payer à coups de poing, à coups de tête, de pied et de queue, mon insoumission, mon a-normalisation. A la fois punition et rite qui contribuent à nos constructions masculines, la mienne tout autant que la leur. Il m’ont ainsi rappelé que la menace était permanente pour les non-Mecs, les tapettes, et par la même occasion, se sont prouvés qu’ils ne devaient pas être ce que je suis, qu’ils ne pouvaient pas en être. Ce n’était donc évidemment point des tantes. C’était peut-être des pédés... Le sauront-ils un jour ?

Ce type d’action fait partie d’un brouillon de culture dans lequelle s’amalgament les insultes, les blagues, les rites de bizutage, etc...

Actions physiques, psychologiques ou sexuelles de guerre, en temps de "paix" ou non.

 

UNE CARAVANE DE TANTES POUR LES GENS ETRANGES ET BIZARRES

C’est sans doute parce qu’il m’arrive d’être encore sujet au mépris, qu’il m’est toujours un peu amer d’entendre que la maison des tantes est une partie de la maison des hommes, et qu’à ce titre, je bénéficie de certains des privilèges que l’organisation patriarcale offre aux mecs. Cependant si mon coté masculin (6) tire profit de l’oppression générale des femmes, mon coté féminin en paye les frais. Du moins, c’est ce qu’il me semble régulièrement vivre, c’est ce dont je suis fait.

Cependant, à l’idée de grandir dans la cave de la maison des hommes, je préfère m’imaginer qu’il s’agit plutôt d’une caravane, déglinguée du dehors et scintillante à l’intérieur, installée au fond de l’aride jardin de La forteresse.

Mon désir de décrire, de définir, ma caravane des Tantes, de fixer quelques points de repère, quelques bouées de secours (7) n’est pas une nouvelle Tantative pour constuire des murs en opposition avec d’autres, ou des petites boites à ranger les identités des individuEs. Au contraire, il divague dans la démarche actuelle des recherches et des militances queers qui s’agitent dans les domaines de la déconstruction des genres (masculin et féminin), et dont les analyses et revendications partent entre autre de la sexualité pour comprendre autrement le social 8. Parce qu’elle s’intéresse aux différentes sexualités et socialités, lesbiennes, hétéros non-normatives, bisexuelles, gays, et aussi parce qu’elle s’intéresse aux genres libres, l’idée queer questionne. Elle est appelée à déstabiliser l’hétéronormalité et le patriarcat en tant qu’Ordre, à développer la critique, si nous prenons soin de nous écouter, de nous entendre. Si nous prenons soin d'écouter et d'entendre les paroles de femmes.

Si nous prenons soin d'écouter et d'entendre les paroles jusqu'alors dominées.

C’est sur ce chemin-là que je souhaite voir ma caravane gambader.

jeanjean, février 1998.

(1) L’histoire de la "maison des hommes" est bien expliquée dans "La peur de l’autre en soi, du sexisme à l’homophobie", écrit sous les directions de Daniel Welzer-Lang, Pierre Dutey et Michel Dorais, VLB éditeur, 1994. "La fabrication des mâles" de Nadine Lefaucheur et Georges Falconnet, éditions du Seuil, 1975, est très bien argumenté également.

(2) Petit clin-d’oeil, là, à l’article titré "pédé !" et publié dans "Banderoles, écrits publics et privés, 1989-1996", d’Alias, aux éditions Geneviève Pastre, collection Courants ascendants, 1997.

(3) "La fabrication des mâles", déjà cité, page 22.

(4) L’article "J’ai une petite bite...et alors" publié publié dans Star N°4 démontre la façon dont ces histoires de centimètres peuvent valoriser où dévaloriser la perception que les garçons ont d’eux.

(5) La sensiblerie pour d’autres...

(6) A ce sujet, il faut se référer au livre "La fabrication des mâles", déjà cité, pages 24 et 25, où les auteurEs se sont amuséEs à relever les termes que le dictionnaire Petit Robert associait aux hommes, puis aux femmes. Lire aussi "La peur de l’autre en soi, du sexisme à l’homophobie", déjà cité, entre autre les articles sur la construction des hommes, la "maison des hommes", le sexisme, etc...

(7) L’absence de point de repère lorsqu’on grandit, l’absence d’images auxquelles nous pourrions nous identifier lorsqu’on est môme est souvent un problème pour beaucoup d’entre nous (pédé, lesbienne, bi, transgenre...). Pour les jeunes garçons homos, les seules références que nous ayons sont les insultes dévalorisantes: tarlouze, tapette, etc... à partir desquelles nous tantons de construire nos existences. Les femmes ont aussi leur propre lot de termes péjoratifs et insultes comme référence à partir desquelles elles doivent construire leurs identités.

(8) Sociologie et sociétés, vol. XXIX, n°1, printemps 1997, page 15.

 

La Parité

Enjeux et mise en œuvre
Sous la direction de Jacqueline Martin

Collection Féminin & Masculin

Presses Universitaires du Mirail

La parité: pour quoi faire? Et, tout autant, comment la faire? La parité est elle nécéssaire à la rénovation de notre système politique et juridique? Permettra-t-elle, dans la sphère publique, de faire reculer les inégalités entre hommes et femmes? Permettra-t-elle de faire avancer la parité sociale? Doit-elle, enfin, être inscrite dans la constitution ou bien faire l'objet d' "actions positives", et lesquelles?

Des politologues, des philosophes, des juristes,et des sociologues du Congo, du Québec, de Finlande, d'Italie et de France donnent leurs réponses à ces questions. Ces spécialistes rendent compte des travaux consacrés aux obstacles à la parité et à la pratique des femmes élues et remettent en cause un certain nombre d'idées reçues sur les relations des femmes au politique.

Nous publions ci-contre un texte d'Alain Lipietz, tiré de ce livre.

 

L’HOMME POLITIQUE, LOUP POUR LA FEMME
Article tiré de: LA PARITE, Enjeux et mise en oeuvre

Alain Lipietz
Economiste
Directeur de recherche au CNRS 

Bien qu’ayant contribué, en tant qu’économiste, à la compréhension du sort réservé aux femmes dans le nouveau modèle économique, "libéral-productiviste", qui se met en place depuis une vingtaine d’années (Lipietz, 1996 a), j’ai conscience que l’invitation à ce colloque ne relève pas de ma compétence académique. En réalité, c’est plutôt au titre d’homme politique que je suis ici, en quelque sorte "témoin" dans le débat qui vous occupe. J’ai en effet participé, avec certaines responsabilités, aux premiers regroupements politiques ayant pratiqué la parité. Ce fut d’abord le mouvement Arc en Ciel (où se retrouvaient notamment les féministes du CINEL et du collectif Ruptures), puis Les Verts qui, à partir des élections européennes de 1989, pratiquèrent systématiquement la parité des candidatures et l’inscrivirent dans leurs statuts.

Les raisons de souhaiter la parité comme résultat sont nombreuses. Je les ai analysées, ainsi que leurs critiques, dans divers articles (Lipietz, 1994). On peut d’abord souhaiter l’égalité malgré la différence des sexes, au nom de l’égalité, parce que l’inégalité hommes-femmes dans les postes de représentation ou de direction politique est injustifiable, qu’elle est la trace d’une oppression plus générale qu’il faut traquer. On peut aussi vouloir la parité à cause de la différence, parce que les femmes, du fait de leur culture engendrée par leur situation sociale, ont des choses à dire, des orientations à faire valoir à partir d’un point de vue différent de celui des hommes, voire plus complet et plus riche.

Cette position est incluse dans la précédente, elle ne s’y oppose pas. Le "féminisme de la différence" est un sous-ensemble du "féminisme de l’égalité". Je sais bien à quels excès de polémiques conduit cependant l’opposition entre "universalisme" et "différentialisme" (Lipietz, 1996 b). Qu’il me soit permis ici d’exposer combien ces débats sont politiquement secondaires en face de cet obstacle fondamental à la parité: le type masculin de politicien. Un type auquel je participe, même si j’essaie de faire attention. Cette résistance masculine est beaucoup plus importante que l’intériorisation, par les femmes, d’une "inaptitude au politique". Mais attention! Le discours masculin de l’inaptitude différentielle des femmes, encore récemment manifestée par Alain Juppé qui proposait aux femmes un rattrapage de 10 ans dans les conseils municipaux, n’est pas la seule variante du discours phallocrate, on va le voir.

Le type masculin de politicien

J’appelle type masculin de politicien l’homme qui fait de la politique son métier et sa passion, non pour son contenu mais pour le plaisir de conquérir, occuper, conserver une fonction élective (interne à l’appareil d’un parti, ou externe, c’est-à-dire dans les élections civiques). Ce type est assez commun aux humains de sexe masculin, car il systématise caricaturalement le "rôle d’homme". D’abord: n’avoir qu’une chose à faire dans la vie, et laisser aux autres (ses compagnes) l’intendance. Ensuite, privilégier la compétition, c’est-à-dire la rationalité instrumentale ordonnée à une fin purement symbolique, qui ne vise qu’à ratifier l’excellence dans la maîtrise de l’instrument. Enfin, dans la compétition, ne viser que le pouvoir pour lui-même, même s’il n’est justement que symbolique.

On peut trouver à ce type des codéterminants historiques, sociaux, culturels: on le rencontre par excellence dans la France du Midi, et encore plus en Corse. Mais il est si mondialement répandu qu’il renvoie sans doute aux racines les plus psychanalytiques de la masculinité. Si, comme le pense le socio-analyste Gérard Mendel, la psychanalyse des êtres humains en société est structurée par une pulsion d’acte-pouvoir, c’est-à-dire un désir d’exprimer son autonomie en transformant le monde et les autres autour de soi (Mendel, 1993), il est probable que la tonalité de l’acte-pouvoir est elle-même sexuée. On peut s’inspirer par exemple des intuitions de Luce Irigaray (Irigaray, 1987): l’homme aura plutôt tendance à exprimer sa pulsion d’acte-pouvoir comme une projection vers l’extérieur, instrumentalisée à un but de résonance phallique. Mais cette interprétation analytique est largement surdéterminée par l’organisation sociale, et, dans nos contrées, par la distinction entre le "privé" (le "domestique"), et le "social" (hors de la maison). Le même politicien du Gers ne concevra pas qu’une femme lui dispute un poste de Conseiller Général, mais n’hésitera pas, chez lui, à appeler son épouse "la patronne". Non qu’elle y soit vraiment la maîtresse, mais simplement qu’il lui a tellement délégué qu’il ne saurait y survivre sans son aide et direction. Or, ce type masculin de politicien sait admirablement jouer tant du différentialisme que de l’universalisme pour justifier son monopole social.

Les discours politiques du masculin

Sans prétendre être exhaustif, on peut essayer d’ordonner brièvement les postures idéologiques justifiant l’exclusion des femmes de la scène politique. Nous nous limiterons ici au cas français, depuis la consolidation de la République au XIXè siècle. Les variations de postures s’y enchaînent historiquement en réponse aux progrès des aspirations démocratiques féminines. Chacune survit jusqu’à nos jours sous une forme presque originelle, mais elles s’engendrent aussi l’une l’autre par une sorte de transcodage, un processus adaptatif qui préserve un noyau phallocratique à travers la diffusion des idées d’égalité.

Le différentialisme mystique

A la racine de notre histoire politique phallocratique, il y a bien sûr l’idéologie de l’Eglise Catholique, qui a pu maintenir jusqu’à aujourd’hui (douteux privilège) l’exclusion formelle, statutaire, des femmes de sa structure hiérarchique (de la prêtrise à la papauté). La justification de cette exclusion est théologique, elle s'appuie sur sur un "ordre de la création". Le clerc s’occupe des affaires de Dieu, il doit être disponible pour son Eglise (assemblée, communauté). Or la femme est non seulement un "être de chair" en négatif (une personne du sexe, donc du péché), mais elle est aussi un "être de chair" en positif, c’est-à-dire une mère. N’ayant pas l’outrecuidance de prétendre que le genre masculin échapperait à la concupiscence, la hiérarchie catholique assoit le monopole des hommes sur le versant positif de la féminité (à ses yeux !): la capacité de dévouement exclusif des femmes à des êtres particuliers, leurs enfants. La différence des femmes, c’est un manque d’universalisme. Certes, les prêtres, ayant surtout affaire à des femmes, ont dû leur concéder – après moult querelles byzantines, d’ailleurs intimement liées à la question de l’abstraction, comme le montrent les offensives des "iconoclastes" – qu’une femme fut "Mère de Dieu". Mais pour les cantonner dans ce rôle sublime: "sois mère et tais-toi".

Cette position ne survit évidemment que dans la droite de la démocratie chrétienne, et sans une forme paganisée en culte du chef (et de ses filles), au Front National (Lesselier et Venner, 1997). Mais elle a fourni aussi le modèle du phallocratisme politique à ses adversaires: les républicains anticléricaux.

Le différentialisme laïque

Cette seconde posture s’est en effet développée contre le monarchisme clérical, elle a engendré directement le discours du type masculin de politicien de la IIIe République, que l’on retrouve encore si présent dans le "radicalisme de Sud-Ouest". A la Mère mystique pleine de grâce, il substitue le couple "épouse-maîtresse de maison" (la "patronne" déjà citée) et "maîtresse tout court". Au "sois mère et tais-toi" il ajoute "sois belle et tais-toi".

Dans ce modèle de la IIIe République, la femme est exclue même du droit de vote, à la fois en réaction à la Réaction ("si elles votaient, elles voteraient comme leurs curés"), mais aussi dans la continuité de la Réaction (Fraisse, 1995; Viennot, 1996). La femme est vue une fois encore soit comme un être de chair frivole (la maîtresse), soit comme un animal domestique promis à l’apprentissage du rôle de mère et de maîtresse de maison, mais dans les deux cas cantonnée par ses dons au "domestique", incapable de s’intéresser au social (l’inter-domestique en quelque sorte), si ce n’est à travers la littérature. Au fond, la femme est un être "sauvage", enfant trop naïve ou femme trop perverse, ou, au mieux (après dressage) femelle trop attachée à ses petits et à son "intérieur", pour s’occuper à la "chose publique", la République (Maugue, 1987). Là encore, la différence de la femme est un manque d’universalité, alors que la différence de l’homme est sa capacité à s’intéresser à l’Universel, et aux affaires du monde. La racine théologique de cette représentation est si évidente qu’elle sera presque naïvement reprise comme telle jusque chez Freud.

L’universalisme abstrait

Avec la montée des femmes dans l’instruction publique qui les portera jusqu’aux ministères du Front Populaire avant même de leur ouvrir les portes de la Chambre des Députés, puis avec l’accès (en 1945) au droit de vote et à l’éligibilité, le différentialisme laïque va devenir intenable. L’heure a sonné de l’universalisme abstrait. "Nous sommes tous et toutes égaux, nous avons tous les mêmes droits. Les femmes ont le droit de "candidater" si ça les intéresse, et elles ont le droit de voter pour des candidates si elles les préfèrent. Si elles ne le font pas, ça les regarde".

Moyennant quoi, se succèdent jusqu’aux années 1970 des Assemblées sinistrement saturées d’hommes, des gouvernements presque exclusivement masculins.

S’il en est ainsi, c’est que les structures sociales que reflétait le différentialisme laïque sont pour l’essentiel intactes. Les années 1950-1960 marquent le maximum de l’exclusion des femmes de la vie sociale, l’åge d’or de la figure de "maîtresse de maison", dans les campagnes, les petites villes, même dans les grandes. Les "aides familiales" des travailleurs indépendants sont encore cantonnées dans l’exploitation domestique, les salariées, de plus en plus nombreuses, sont encore très minoritaires et cantonnées tout en bas de la hiérarchie. Les choses ne changeront qu’à la fin des années 1960, quand les femmes commenceront à maîtriser leurs grossesses et acquièreront plus d’indépendance économique.

Mais le "type masculin de politicien" structure entièrement les appareils qui déterminent l’offre électorale: les partis politiques. Pour l’emporter dans un parti dans la course à la candidature, il faut n’avoir "que ça à faire" (et les femmes ont mille autres choses à faire), il faut "aimer çà" (et les femmes n’aiment pas forcément cette forme-là d’acte-pouvoir) il faut aimer le pouvoir pour lui-même, et les femmes aimeraient pouvoir faire quelque chose de nouveau.

C’est justement avec la montée du féminisme que, les questions du privé devenant politiques, les femmes entrent en tant que telles, c’est-à-dire avec leur sexe et pas en tant que citoyens de sexe par hasard féminin, dans l’espace des représentations politiques, c’est-à-dire l’espace où les questions de la transformation sociale deviennent visibles. Elles y viennent soit pour y exprimer des demandes propres (droits reproductifs, égalité professionnelle), soit pour y revendiquer la concrétisation d’une égalité abstraitement reconnue, elles y viennent au nom du différentialisme ou de l’universalisme. Mais, même quand elles y viennent au nom de l’universalisme et de l’égalitarisme, elles y viennent en tant que femmes, c’est-à-dire en tant que sous-ensemble particulier à qui l’universel et l’égalité sont en fait déniés.

Elles ont toujours cette différence de ne pas être égales, et la solution politique à ces problèmes est la parité, au moins comme résultat. Le type masculin de politicien est à nouveau contraint à une mutation, "post-moderne" en quelque sorte.

L’universalisme pseudo-concret ou paritarisme "fun"

La réponse masculine post-moderne est particulièrement illustrée dans les partis ayant déjà accepté formellement l’objectif de parité, en tout premier lieu Les Verts, et plus récemment le MDC, le PS et le PCF. "Bien sûr qu’il faut des femmes, et des jeunes, et des beurs, et des musiciens! Bien sûr que ce sera très bien, la parité, comme dans la vie. Mais pas chez moi, ce n’est pas possible. Pas dans ma circonscription. Pas dans mon canton. Pas dans mon courant. Mais à côté, pourquoi pas?".

Le philosophe Karel Kosik définit le pseudo-concret comme la prise en compte de la diversité du réel en tant que simple juxtaposition, sans hiérarchisation des rapports organiques qui engendrent cette diversité (Kosik, 1968). Le paritarisme fun, variante du post-modernisme, "colle" en un paysage les différences à prendre en compte, les hiérarchise à sa guise, par exemple en ne les hiérarchisant pas, ou en privilégiant tactiquement une autre différence que celle de l’opprimé-e qu’il a en face de lui.

Or, il y a bien d’autres différences légitimes en politique que la différence des sexes. Il y a évidemment les différences d’options politiques, qui inspirent les scrutins à la proportionnelle. Une femme est-elle candidate à la candidature? On inventera une différence politique, dont le leader sera un homme. Il y a aussi bien sûr les différences territoriales. Quand il n’y a qu’un élu par circonscription, ou même quatre, il est bien rare qu’on ne trouve pas quatre courants politiques à représenter, chacun par un homme. Et puis, il faut bien faire de la place à un associatif, à un représentant d’un parti allié, à un beur ou à un ouvrier...

Selon le célèbre apologue de J.L. Borgès, la carte qui représenterait tout le territoire serait homologue au territoire lui-même. Choisir une représentation, donc un mode de scrutin, c’est choisir les différences à conserver. Même le scrutin de liste départemental (comme aux élections régionales) ne laisse guère de place aux femmes, si chaque liste a un ou trois élus, et si chaque liste intègre elle-même un dosage de sous-courants (la plupart conduits par un leader).

Là encore, le "manque de goût" des femmes pour les jeux politiques les place en position défavorable face aux hommes. Elles seront les premières à intérioriser l’idée: "Untel défend mieux ma propre position que moi-même. Et le sud du département doit être représenté, et Telautre y est le seul candidat valable. Je me présenterai la prochaine fois". Certes, il y aura toujours des femmes pour instrumentaliser à fond le principe de parité jusqu’à ce qu’elles soient elles-mêmes servies. Ce n’est pas plus grave parce que ce sont des femmes. Certes, il y aura toujours des femmes pour remarquer à propos d’une liste conduite par des femmes "c’est le harem d’Untel, qui les téléguide dans l’ombre". Ce ne sera pas forcément faux... et alors?

Face au "paritarisme fun", les féministes ne devraient pas se contenter du pseudo-concret. Si elles pensent vraiment que, dans la conjoncture actuelle du rapport entre les sexes, les intérêts des femmes et le point de vue des femmes sur le monde doivent être représentés à égalité avec les hommes, alors elles ne peuvent se contenter de la parité comme résultat laissé au hasard de la conviction des hommes. Elles doivent se battre pour que la parité des sexes soit inscrite dans la loi et dans le mode de scrutin, au même titre que la juste représentation territoriale et l’équitable représentation des courants politiques. Le scrutin de liste alternée hommes-femmes n’est pas forcément une garantie, on l’a vu. L’élection d’un homme et d’une femme par circonscription, s’il déséquilibre la représentation de la diversité politique, garantit absolument la parité dans le mode du scrutin lui-même. Tout est affaire de dosage.

Quant aux hommes, il ne reste qu’à leur souhaiter de goûter au plaisir des assemblées mixtes – s’ils sont élus, et – s’ils ne le sont pas – d’inventer d’autres champs d’application à leur envie de transformer le monde. Je n’ai aucune crainte à leur sujet.

Lipietz Alain (1996 a) La Société en Sablier, Ed. La Découverte, Paris.
Lipietz Alai (1994) "Parité au masculin", Nouvelles questions féministes vol.15 n°4, Paris.
Lipietz Alai (1996 b) "Ce n’est pas plus grave parce que c’est une femme...", Après-demain n°380-381, janv.-fév., Paris
Mendel Gérard (1993) La Société n’est pas une famille, La Découverte, Paris.
Irigaray Luce (1987) "Le geste en psychanalyse", Sexe et parenté, Minuit,Paris.
Lesselier Claudie et Venner Fiammetta (1997) L'extrême droite et les femmes, Ed. Golias, Villeurbanne.
Fraisse Geneviève (1989) Muse de la raison, Alinea 1989 -(Gallimard 1995) Paris.
Viennot Eliane (sous la dir.) (1996) La démocratie "à la française" ou les femmes indésirables, Cahiers du CEDREF.
Maugue Anne-Lise (1987) L’identité masculine en crise au tournant du siècle, Rivages, Paris.
Kosik Karel (1968) La dialectique du concret, Maspéro, Paris.

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